Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES BONNES PRATIQUES DE L’AUDITION PÉNALE, S. Vernaz

COMPTE RENDU D’UNE JOURNEE D’ETUDE

Silvain Vernaz

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

 Membre du CERDACC

Le mercredi 17 janvier 2024 s’est tenue une journée d’étude à l’Université de Neuchâtel sur « Fictions et réalités des auditions, comment adopter des bonnes pratiques ? » sous la direction des Professeures Nadja Capus et Véronique Jaquier-Erard. Conduire une audition n’est pas chose aisée, qu’il s’agisse d’auditionner le suspect, la victime ou des témoins. L’audition est pourtant essentielle à la découverte de la vérité. Or bien mener une telle audition est quelque chose qui s’apprend. Lors de cette journée, des spécialistes de différentes disciplines sont venus proposer leur expertise pratique afin de faire émerger quelques lignes directrices quant aux bonnes pratiques à adopter en audition. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce texte présente deux aspects clés de cette journée, à savoir l’audition sous l’angle de la psychologie et de la linguistique.

Sous l’angle psychologique, le Pr. Rainer Banse a rappelé que l’objectif de l’audition est d’obtenir des déclarations aussi complètes et véridiques que possible. Le risque d’une audition menée incorrectement est d’obtenir des informations ou des aveux qui seraient faux ou inexacts. Pour éviter cela, il est recommandé d’opter pour un interrogatoire « investigatif » – dontla connotation se veut la moins « confrontative » possible – en respectant les étapes du modèle PEACE, qui a permis d’améliorer nettement la qualité des auditions. Selon ce modèle, l’audition doit être précédée d’une phase de préparation (Préparation et planification) au cours de laquelle les enquêteurs doivent réfléchir à une stratégie d’interrogatoire, préparer les locaux et le matériel d’enregistrement. S’ensuit le début de l’audition qui commence par une phase d’explication (Engagement et explication) au cours de laquelle l’enquêteur doit poser les règles de la discussion : « vous pouvez me dire tout ce qui vous revient à l’esprit, même les détails qui vous paraissent insignifiants », « si vous n’êtes plus tout à fait sûr de certains points, précisez-le tout simplement ». L’enquêteur établit à ce moment-là une relation coopérative et détendue avec la personne auditionnée. Il est conseillé à l’enquêteur de maintenir durant cette phase un contact visuel particulier avec la personne auditionnée et de l’appeler par son nom. Le but est de réduire l’asymétrie. C’est alors que l’enquêteur peut recueillir le premier récit de cette personne (Account probing and challenge). Elle raconte librement son souvenir des faits. L’enquêteur doit poser des questions ouvertes du type « Que s’est-il passé ce jour-là ? » et éviter de couper son interlocuteur. Cette phase peut se résumer par l’acronyme DED (Dire, Expliquer, Décrire). Elle est essentielle et trop souvent écourtée en pratique. Pourtant, c’est à ce moment que la plupart des informations correctes et fiables sont fournies. Une personne qui fait de fausses déclarations aura plus de mal à mentir dans le cadre d’une réponse à une question ouverte qu’à la suite de questions fermées car, lorsqu’elle répond à une question ouverte, c’est l’ensemble du récit qui doit être cohérent, tant dans sa structure que dans ses détails. Il convient donc de laisser parler les individus aussi longtemps que possible dans une ambiance agréable. Une fois que le premier récit a été formulé, l’enquêteur peut poser des questions sur les différents éléments de l’histoire sous la forme d’un entonnoir, en partant des aspects larges du récit pour questionner le détail. Il peut interroger les sujets non traités ainsi que les hypothèses alternatives du récit pour vérifier leur crédibilité. Les éventuelles contradictions doivent être présentées de manière « non jugeante », en donnant la possibilité à la personne de faire des observations sur le sujet. L’audition se termine sur la phase de clôture (Clôture) au cours de laquelle l’enquêteur s’efforce de terminer sur une note positive et remercie la personne pour ce qu’elle a partagé. Il prépare de cette manière une éventuelle interaction future de l’individu avec les autorités d’enquête. Même si le suspect a le sentiment que l’audition l’a desservi, l’enquêteur peut donner une parole positive telle que « Cette discussion était instructive, je vous remercie, elle me permet de mieux comprendre la complexité de la situation ». S’il ne peut donner une conclusion positive à l’entretien, celle-ci doit au moins rester neutre. Dans tous les cas, il indique à la personne auditionnée comment elle sera tenue au courant de la suite de la procédure. Enfin et dernièrement, l’enquêteur doit procéder à une phase d’évaluation de l’entretien (Evaluation). Il évalue la fiabilité des informations recueillies et identifie celles qui sont pertinentes pour la suite de l’enquête. Il évalue également sa propre performance, le cas échéant avec ses superviseurs, pour améliorer ses interrogatoires à venir. Ce modèle est mis en place dans de plus en plus de pays comme l’Australie ou la Norvège, parfois moyennant quelques adaptations.

Sous l’angle de la linguistique, l’audition est mise en lumière par les problématiques liées à la traduction. La question est d’importance en Suisse où il existe quatre langues officielles et où il est courant qu’une traduction soit nécessaire dans le cadre de l’audition. Tout d’abord, la docteure en traductologie Cornelia Griebel a présenté le mouvement de simplification du langage, qui vise à faciliter la compréhension des droits et obligations figurant dans les formulaires juridiques, notamment dans le cadre des auditions. L’objectif est que les droits de la personne auditionnée lui soient accessibles et ce dans toutes les langues nationales. Le défi est immense dans la mesure où vingt-trois pourcents des habitants suisses n’ont pas comme langue principale l’une des quatre langues nationales. Parmi les Suisses, seul deux tiers parlent couramment deux langues nationales. Lors d’une audition, il est possible de se trouver dans une situation de vulnérabilité linguistique et donc juridique. Le droit à la traduction doit donc s’appliquer non seulement lorsque l’on ne parle par la langue de la procédure mais également si on ne peut pas s’exprimer avec suffisamment d’aisance dans celle-ci. La simplification du langage permet de faciliter la traduction et la compréhension de formulaires écrits. Elle suit en réalité un continuum qui part du langage spécialisé ou d’expertise vers des formes plus simples. Deux degrés de simplification sont identifiés. D’une part, il y a la communication accessible. Le contenu informatif reste le même mais il est adapté au public qu’il cible. Les phrases sont simplifiées, en coupant en plusieurs celles qui sont longues. On évite de placer des propositions subordonnées dans les phrases de manière à garder une structure simple de type « sujet, verbe, complément ». Les renvois à d’autres articles ou formulaires sans autre explication sont supprimés de sorte que le contenu du renvoi apparaît directement dans le formulaire. D’autre part, la simplification peut aller plus loin avec le FALC (français facile à lire et comprendre ou Leichte Sprache). Ici, ce n’est plus simplement la forme qui est simplifiée mais également le contenu informatif qui est résumé. En moyenne, il est divisé par trois. Seul le message essentiel reste et le détail disparaît.

Ensuite, Silvia Cerrella Bauer, interprète accréditée auprès du Tribunal cantonal de Zurich, a présenté les enjeux pratiques de la traduction orale, c’est-à-dire de l’interprétariat, dans le contexte d’une audition. Au-delà de son expérience personnelle, sa présentation s’appuyait sur une enquête menée auprès d’une trentaine de collègues au sujet des difficultés d’une audition avec l’aide d’un interprète. La nécessité d’un interprète lors d’une audition est source de difficultés. La première difficulté tient aux lacunes qui existent dans la définition du rôle de l’interprète et de l’ampleur de sa prestation. Ainsi, lorsque la personne auditionnée ne comprend pas un terme juridique, l’enquêteur s’attend souvent à ce que l’interprète explique le terme à cette personne. Pourtant, le travail d’explication excède l’office de l’interprète qui se doit en principe de rester neutre et générerait le risque de déboucher sur des discussions sans fin entre l’interprète et la personne auditionnée. Avant chaque audition, les règles de l’interprétariat devraient être rappelées pour éviter tout malentendu. La deuxième difficulté réside dans le fait que les interlocuteurs parlent parfois trop longtemps avant de laisser l’interprète traduire ou qu’ils parlent en même temps – notamment lorsque plusieurs personnes sont auditionnées. Le risque est que certains éléments soient omis ou que l’interprète soit forcé de résumer les idées principales, en oubliant ainsi des formulations ou détails qui pourraient se révéler d’importance. Pire, il arrive que l’enquêteur, qui semble avoir compris le sens de la réponse de la personne auditionnée, coupe l’interprète pour surenchérir avec une autre question. Pourtant, le sens et la portée de la réponse précédente n’avait pas été pleinement saisis par l’enquêteur. Pour éviter ces écueils, les enquêteurs devraient se contenter de poser des questions courtes et simples et attendre que la traduction soit achevée avant de passer à la question suivante. La troisième difficulté tient aux conditions matérielles du déroulement de l’audition. Dans certaines auditions de suspect, il n’est pas possible de prévoir la durée totale qui sera nécessaire. Il arrive qu’un seul interprète ait alors à traduire durant plusieurs heures, et ce jusqu’à tard dans la nuit (sans indemnisation particulière pour le travail de nuit), alors même qu’une rotation doit en principe être prévue avec un autre interprète toutes les trente minutes. Lorsqu’une telle rotation n’est pas matériellement possible, les enquêteurs devraient s’astreindre à effectuer des pauses régulièrement pour que la qualité de la traduction soit assurée. La quatrième difficulté tient au fait que le langage non verbal se perd en raison du décalage que crée l’existence d’une traduction. La fluidité de l’échange s’en trouve nécessairement amoindrie. La parole traduite ne permet généralement pas que les émotions de la version d’origine soient données. L’enquêteur doit avoir conscience de ces difficultés s’il veut tirer le meilleur profit de l’aide apportée par l’interprète.

Ces éclairages stimulants sur l’audition ont permis de donner des clés pratiques aux nombreux professionnels du droit présents dans la salle et d’offrir aux universitaires une vision concrète des enjeux pratiques qui sont rencontrés au cours d’une audition. Finalement, il aura été très peu question de droit durant cette journée d’étude. Pourtant, tout l’essentiel de ce que doit être une audition au sens du droit aura été dit !