REPONSE JUDICIAIRE AU CONFLIT OPPOSANT HOPITAL ET FAMILLE AU CHEVET D’UNE FILLETTE ATTEINTE DE LESIONS IRREVERSIBLES

Isabelle Corpart

Maître de conférences en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

CERDACC

Commentaire de CE, ord. 8 mars 2017, req. n° 408146 et de TA Marseille, ord. 8 février 2017, n° 16008830

Dans une affaire très médiatisée, le Conseil d’Etat opte pour une solution d’attente, estimant qu’en l’état actuel du pronostic vital de la petite Marwa, souffrant de très graves lésions neurologiques, il y a lieu de maintenir les traitements qui lui sont dispensés. Entendant le désarroi des parents, il désavoue le corps médical qui envisageait de mettre en œuvre la loi relative à la fin de vie pour arrêter tous les soins et programmer sa mort à relatif court terme.

 Mots clef :

Programmation de la fin de vie – arrêt des soins et traitements (non) – mineure en situation de grande vulnérabilité – séquelles neurologiques extrêmes – décision médicale collégiale – obstination déraisonnable (non) – opposition des titulaires de l’autorité parentale – remise en cause de la décision médicale.

Pour se repérer

 Une fillette en bas âge a été admise en septembre 2016 à l’hôpital de Nice, avant d’être transférée en urgence à Marseille. Elle souffre de très graves troubles liés à un virus qui a fortement endommagé son cerveau et entraîné des séquelles irréversibles. Elle a en effet été victime d’un entérovirus qui a attaqué son cerveau et lui a causé de multiples dommages neurologiques. Devant ces lésions considérées comme irréversibles, elle a été placée en coma artificiel, faisant alors l’objet de traitements appropriés, de soins d’hydratation et d’alimentation mais aussi de ventilation.

Devant cette situation dramatique et jugée de non retour, pour ne pas continuer des traitements en faisant preuve d’une obstination déraisonnable, les médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ont, dans le cadre de la procédure collégiale initiée par la loi Leonetti, pris la douloureuse décision d’arrêter tout traitement pour cette fillette alors âgée d’un an. Fortement impliqués concernant une mesure visant un infans – Marwa n’étant pas en âge de s’exprimer seule, mineure et gravement malade -, ses parents se sont opposés au projet des médecins qui devait conduire à faire mourir leur petite fille à brève échéance. Ils ont fait connaître leur refus d’obtempérer devant cette décision médicale jugée inique, alerté les médias, lancé une pétition, se dont mobilisés notamment sur les réseaux sociaux (« Jamais sans Marwa »: c’est le titre de la page Facebook suivie par 130 000 personnes) et ont saisi les juges du tribunal administratif de Marseille d’une requête en référé-liberté pour faire entendre leur point de vue et faire suspendre la mesure médicale.

Le tribunal administratif de Marseille, dans une ordonnance rendue en référé, a statué le 8 février 2017 (n° 16008830) en s’opposant à la décision d’arrêt des soins prise par le corps médical mais un appel a été aussitôt formé contre cette ordonnance par l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille.

Pour aller à l’essentiel

 Cette triste affaire présente bien des similitudes avec l’affaire Vincent Lambert car elles sont rendues toutes deux sur fond de fin de vie. Une obstination déraisonnable à poursuivre les soins dispensés à une personne souffrant de lésions irréversibles et de troubles neurologiques définitifs, traitements disproportionnés à l’état de santé de l’intéressé, peut conduire depuis 2005, faute de directives anticipées – mais la question ne se posait pas pour un nouveau-né – à arrêter tout traitement, y compris ceux liés à l’hydratation et l’alimentation du malade, ainsi que la ventilation nécessaire au maintien en vie.

Une telle décision ne peut être prise que sur la base d’une procédure collégiale, mais il ne suffit pas que les médecins aient donné leur avis sur l’état de santé de la fillette et jugé raisonnable de programmer sa fin de vie. En effet, pour les juges du Conseil d’Etat dans leur décision rendue en référé le 8 mars 2017 (n° 408146), il convient de ne pas se précipiter. Certes, ils ne remettent pas en cause le rapport d’expertise attestant des lésions, cependant « malgré le pronostic extrêmement péjoratif établi par les experts médicaux, compte tenu des éléments d’amélioration constatés de l’état de conscience de l’enfant et de l’incertitude à la date de la présente ordonnance sur l’évolution future de cet état », ils suspendent la décision médicale d’arrêt des soins. Selon eux, la réponse trop hâtive des médecins ne s’accorde pas avec l’exigence de l’obstination déraisonnable. Il paraît impossible de dire en l’état, vu la situation très particulière de ce patient que les traitements prodigués à Marwa sont réellement « inutiles, disproportionnés » ou qu’ils n’ont pour autre effet « que le maintien artificiel de la vie ».

Dès lors, la décision unilatérale d’arrêt des traitements est remise en cause car elle n’a pas recueilli l’assentiment des père et mère de l’enfant, la place des titulaires de l’autorité parentale ayant pu être reprécisée. S’il est vrai que seul le recueil de leur avis est prévu par la loi, aucun texte ne leur accordant un droit de veto, leur volonté de garder Marwa en vie ne peut pas être occultée. Mettre fin aux suppléances vitales de la fillette malgré le « refus explicite » de ses parents est ainsi jugé prématuré par le Conseil d’Etat qui confirme la décision prise par les premiers juges, ordonnant à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille la poursuite du traitement dispensé à la petite Marwa, malgré les lésions neurologiques sévères dont elle souffre.

Pour aller plus loin

 Contrairement à d’autres affaires jugées en ce domaine, la fin de vie était ici programmée pour une enfant en bas âge n’ayant jamais eu la possibilité de s’exprimer elle-même. Le recueil de son consentement étant impossible, l’intervention de ses parents prenait d’autant plus d’importance.

De plus, contrairement à d’autres parents placés devant l’horrible pronostic de dommages irréparables et définitifs et comprenant que leur enfant étant perdu, il convient d’abréger ses souffrances, le père et mère de Marwa contestaient totalement le point de vue du corps médical à propos du dossier de leur petite fille. Pour eux, il convenait de lui laisser une chance de survie, relevant qu’ils avaient parfaitement conscience des diminutions dont elle souffrirait plus tard quoiqu’il arrive.

Il fallait donc que les juges interviennent au cœur de ce contentieux pour apprécier à qui revient la décision de fin de vie à prendre en toute légalité dans le cadre de la loi Leonetti n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (D. Bailleul, Le droit de mourir au nom de la dignité humaine à propos de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, JCP G 2005, I, 142 ; I. Corpart, Nouvelle loi sur la fin de vie : début d’un changement (commentaire de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie), Dr. famille 2005, étude 14 et Brèves observations sur la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, commentaire de la loi du 22 avril 2005, JAC n° 54, mai 2005 ; Y.-M. Doublet, La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, LPA 23 juin 2005, p. 6 ; E. Garaud, La question de l’euthanasie traitée à droit presque constant par la loi sur la fin de vie, RLD civ. 2005.41 ; J. Pradel, La Parque assistée par le droit. Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, D. 2005, chron. 2106. Adde G. Raoul-Cormeil, Le lustre de la loi Leonetti, Dr. famille 2010, étude 25.) mais aussi de la loi Claeys-Leonetti n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (J.-R. Binet, Présentation de la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, Dr. famille 2016, dossier 34 ; A. Cheynet de Beaupré, Loi sur la fin de vie : « Tu ne tueras point », RJPF 2016-4/8 et Loi sur la fin de vie : l’éternel mythe d’Asclépios, D. 2016. 472 ; I. Corpart, Le nouveau droit de la fin de vie depuis la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, Les Affiches d’Alsace et de Lorraine, n° 23, 21 mars 2017, p. 4 ; A. Denizot, Le nouveau droit de la fin de vie, RTD civ. 2016. 460 ; A. Dionisi-Peyrusse, Réforme de la fin de vie, AJ famille 2016, p. 127 ; Y.-M. Doublet, La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, LPA 2016, n° 57, p. 7 ; P. Mistretta, De l’art de légiférer avec tact et mesure. A propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, JCP G. 240 ; G. Raoul-Cormeil, Les directives anticipées sur la fin de vie médicalisée, RLDC 2016/30, n° 2209, p. 57 ; E. Terrier, Première lecture sur la loi Leonetti 2 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, Gaz. Pal., 29 mars 2016, n° 13, p. 14.).

En l’espèce, la décision unilatérale d’arrêt des traitements était fermement contestée par la famille de Marwa. Cette affaire nous permet de revenir sur le rôle des parents, porteurs de la parole de l’enfant souffrant d’une infection incurable.

D’abord, sans doute les lois qui se sont succédées sont-elles insatisfaisantes sur ce point car, aucune mesure anticipatoire ne peut être imaginée. En effet, un mineur n’est pas admis à rédiger ses directives anticipées, ce qui se conçoit pour un nouveau-né mais nettement moins pour un adolescent, d’autant qu’à 13 ans, un enfant est amené à autoriser par exemple son adoption (C. civ., art. 345, al. 3) ou son changement de nom (C. civ., art. 61-3). Surtout, les enfants d’un certain âge, capables de discernement peuvent exprimer leur opinion dans de nombreux domaines concernant leur santé (par exemple en cas de don de moelle osseuse, CSP, art. L. 2212-7). Quant à eux, ses parents pourtant amenés à le représenter dans de nombreux domaines, n’ont pas non plus la possibilité de rédiger ces directives au nom de leur enfant. Il faudra donc nécessairement attendre sa majorité, même si l’enfant souffre d’une maladie que l’on sait incurable et même s’il est déjà en fin de vie.

Ensuite, dans le protocole de fin de vie et au cours de la procédure collégiale qui peut déboucher sur une décision de limitation ou d’arrêt des traitements, les parents sont seulement entendus. En effet, la loi prévoit que le médecin recueille l’avis des titulaires de l’autorité parentale (ou du tuteur). Quand le malade ne peut exprimer lui-même sa volonté, le médecin doit consulter la famille et les proches (CSP, art. L. 1111-12). Il ne s’agit toutefois que d’un avis, si bien que les familles ne participent pas réellement à la décision qui leur est simplement communiquée. Tel était le choix du législateur qui a souhaité ne pas mettre les parents en situation de devoir porter le poids de la décision de vie ou de mort.

Ensuite, une fois la décision médicale prise, la personne de confiance, la famille ou les proches doivent seulement être avertis de son contenu. Tel était le cas en l’espèce, les médecins ayant simplement accepté de reporter la date de quelques jours pour permettre aux parents de fêter le premier anniversaire de leur petite fille.

Généralement, cela ne semble pas poser de réelles difficultés car, au terme d’un dialogue entre les soignants et les proches, la décision mûrit et est acceptée. Néanmoins la loi ne laisse pas une place suffisante aux familles et n’entend pas leur douleur, la décision finale appartenant aux seuls médecins en charge du patient. Une autre difficulté peut venir de la division familiale, tous les proches ne partageant pas le même avis. Là encore, il revient au corps médical de trancher, mais on l’a vu avec l’affaire Vincent Lambert, le médecin est quelque peu démuni et les juges ont dû intervenir pour préciser les droits de chacun (Dernier épisode en date : Cass. 1ère civ., 8 déc. 2016, n° 16-20.298. Et déjà TA Châlons-en-Champagne, 11 mai 2013, n° 1300740, RJPF 2013-7*8/9, note I. Corpart, JAC n° 136, juillet 2013, obs. I. Corpart ; Dr. famille 2013, comm. 114, obs. J.-R. Binet, JCP G 2013, 614, note F. Vialla, D. 2013, p. 1216, A. Mirkovic, AJDA 2013, p. 1842, note F.-X. Bréchot, AJDA 2013. 1842, obs. F.-X. Bréchot ; TA Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2014, n° 1400029, RJPF 2014-3/13, note I. Corpart, JAC n° 140, janvier 2014, obs. I. Corpart ; Dr. famille 2014, comm. 32, obs. J.-R. Binet ; CE, ass., 14 févr. 2014, n° 375081, n° 375090, n° 375091, Dr. famille 2014, comm. 32, obs. J.-R. Binet ; CEDH, 5 juin 2015, n° 46043/14, Dr. famille 2015, comm. 180, obs. J.-R. Binet ; JAC n° 155, juin 2015, obs. I. Corpart. Adde D. Truchet, « L’affaire Lambert », AJDA 2014. 1669).

Tout l’intérêt de l’affaire rendue est précisément de poser des limites à l’intervention des médecins au regard des revendications familiales. Depuis 2005, ils sont autorisés à « laisser mourir » leurs patients, pouvant en effet arrêter les traitements jugés inutiles, disproportionnés ou ayant pour seul objet la prolongation artificielle de la vie.

Lorsque la personne n’est plus consciente, le législateur met en place une procédure collégiale aux fins de prendre la décision d’arrêt du traitement (CSP, art. L. 1110-5-1) : parlant des traitements, il indique que « lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris … si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire ». Le décret n° 2016-1066 du 3 août 2016 modifiant le Code de déontologie médicale et relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès prévoit le détail de cette procédure (JO du 5 août 2016).

La loi de 2016 ayant apporté quelques correctifs, il est prévu que « les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire » (CSP, art. L. 1110-5-1). Or ces actes sont les traitements, les soins et les thérapeutiques que toute personne a le droit de recevoir.

Après l’affaire Lambert, il fallait nécessairement clarifier les choses sur ce point et, désormais, conformément à l’article L. 1110-5-1 du Code de la santé publique, le législateur englobe la nutrition et l’hydratation artificielles qui peuvent effectivement être arrêtés. Ils sont reconnus comme des traitements et non plus comme de simples soins. En conséquence, tant la nutrition que l’hydratation peuvent être suspendus ou arrêtés, de même que la ventilation comme dans le cas de la petite Marwa.

Encore fallait-il que cette décision d’arrêter tout traitement soit légitime eu égard à l’exigence d’obstination déraisonnable introduite dès 2005 et reprise en 2016 (CSP, art. L. 1110-5-1) : les actes ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis « lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable ».

Tel n’est pas le cas quand il n’est pas démontré pour Marwa que les traitements sont pour l’heure « inutiles, disproportionnés ou n’ayant pour autre effet que le maintien artificiel de la vie ». La seule irréversibilité des lésions ne suffit pas à justifier que l’on mette fin aux thérapeutiques actives mises en place pour cette fillette.

En l’espèce, le délai n’a pas été jugé suffisamment long « pour évaluer de manière certaine les conséquences de ses lésions neurologiques », il n’empêche qu’il est loin d’être évident d’apprécier où s’arrête le soin et quand commence l’acharnement thérapeutique (dans une autre affaire, les parents de Titouan ont entamé une procédure contre le CHU de Poitiers pour acharnement thérapeutique, considérant que ses droits naturels n’ont pas été respectés, alors qu’ils avaient demandé aux médecins de cesser la réanimation de leur fils, Génétique, février 2015).

En conséquence, au vu de ce lourd dossier et de ses particularités, les juges du Conseil d’Etat ont choisi d’enjoindre à l’équipe médicale de maintenir les soins appropriés, à l’instar des juges du tribunal administratif de Marseille le 8 février 2017 (AJDA 2017. 301, note P. Veron et F. Vialla).

Comme dans l’affaire Lambert, il revient de noter que le médecin ne doit pas se limiter aux éléments médicaux – et notamment aux expertises faisant état de lésions irréversibles – mais doit tenir compte également d’éléments non médicaux, en particulier des relations affectives, des attentes et de espoirs d’une famille aimante, dans une analyse au cas par cas du dossier médical.

Cela étant, c’est toute l’indépendance médicale, centrale dans les lois relatives à la fin de vie, qui semble bien remise en question avec cet arrêt du Conseil d’Etat, principe pourtant attaché à l’exercice de la médecine.

Cette décision pose aussi question car elle fait fi du désarroi de l’équipe médicale et du personnel soignant placés ici dans une situation difficile et inédite et qui vont se trouver en porte-à-faux lors d’autres affrontements entre familles et médecins autour d’un malade.

Cette affaire ne signe pas ici son dernier épilogue et il faudra sans doute se reposer la question en cas d’absence totale d’amélioration de l’enfant, d’autant que l’on ne s’est nullement préoccupé pour le moment du ressenti de la fillette et de l’intérêt de toute personne de vivre dans des conditions que l’on pourrait qualifier d’inhumaines. L’intérêt de l’enfant pourtant si souvent sollicité nous semble bien absent de l’actuel débat.

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CE 8 mars 2017, n° 408146

 

Considérant ce qui suit :
1. L’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille forme un appel contre l’ordonnance du 8 février 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant collégialement conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, a, d’une part, suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation de l’enfant Marwa B. et, d’autre part, enjoint à l’équipe médicale de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, sans préjuger en rien de l’évolution de l’état clinique de Marwa B., de maintenir les soins appropriés la concernant, emportant poursuite des thérapeutiques actives.
Sur l’intervention :
2. L’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC) justifie, eu égard à son objet statutaire et aux questions soulevées par le litige, d’un intérêt de nature à la rendre recevable à intervenir dans la présente instance devant le Conseil d’Etat. Son intervention doit, par suite, être admise.
Sur la publicité de l’audience :
3. Aux termes des dispositions de l’article L. 731-1 du code de justice administrative : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 6, le président de la formation de jugement peut, à titre exceptionnel, décider que l’audience aura lieu ou se poursuivra hors la présence du public, si la sauvegarde de l’ordre public ou le respect de l’intimité des personnes ou de secrets protégés par la loi l’exige. ». Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de la demande formulée en ce sens par l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et par M. et Mme B. eu égard aux informations couvertes par le secret médical échangées au cours de l’audience et du respect de l’intimité de la famille, il a été fait application de ces dispositions en tenant l’audience hors la présence du public.
Sur l’office du juge des référés statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
4. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale […] ».
5. En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui se prononce en principe seul et qui statue, en vertu de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.
6. Toutefois il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative d’une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé publique, et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant en formation collégiale, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable.
Sur les dispositions législatives applicables, résultant notamment de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie :
7. Aux termes de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté […] ».
8. Aux termes de l’article L. 1110-5-1 du même code : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire. / La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article. / Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10 ».
9. Aux termes de l’article L. 1111-4 du même code : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. […] / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. […] / Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. / Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. […] / Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d’interventions ».
10. Par ailleurs, aux termes de l’article 371-1 du code civil : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. / Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. / Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
Sur les dispositions réglementaires applicables, relatives au code de déontologie médicale :
11. Aux termes de l’article R. 4127-36 du même code : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. / Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. / Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité. / Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article R. 4127-42 ». Aux termes de l’article R. 4127-42 : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement. / En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires. / Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible. ».
12. Selon les dispositions de l’article R. 4127-37-2 : « I.-La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et en l’absence de directives anticipées, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II.-Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informé, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / III.-La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. / Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. / IV.-La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ».
Sur l’application des dispositions du code de la santé publique :
13. Il résulte des dispositions précédemment citées que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. Le législateur a ainsi déterminé le cadre dans lequel peut être prise par un médecin, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté à l’issue d’une procédure collégiale après consultation de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche, une décision de limiter ou d’arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.
14. Pour l’application de ces dispositions, la ventilation mécanique et l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable.
15. Pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d’alimentation et d’hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Outre les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et le sens. A cet égard, dans l’hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d’être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l’un de ses proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle. En particulier, comme le prévoient les dispositions de l’article R. 4127-37-2 du code de la santé publique s’agissant d’un enfant mineur, il doit prendre en compte l’avis des parents ou des titulaires de l’autorité parentale. Il doit, dans l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard.
Sur les circonstances du litige :
16. Il résulte de l’instruction que l’enfant Marwa B., née le 10 novembre 2015 à Nice, a été admise au centre hospitalo-universitaire Lenval à Nice le 23 septembre 2016 en raison d’une forte fièvre, puis admise le 25 septembre 2016 en réanimation pédiatrique en raison d’un choc cardiogénique. Elle a bénéficié d’une assistance circulatoire, a été placée en coma artificiel et a été transférée dans le service de réanimation pédiatrique de l’Hôpital de La Timone à Marseille.
17. A la suite de sa réanimation et de plusieurs examens réalisés notamment à l’aide de scanner et d’IRM au cours du mois d’octobre 2016, le diagnostic a été établi : l’enfant a été victime d’une rhombencéphalomyélite à entérovirus qui a entraîné des lésions neurologiques définitives au niveau de la protubérance, du bulbe et de la moelle cervicale haute, entraînant un polyhandicap majeur, avec paralysie motrice des membres, de la face et sa dépendance à une ventilation mécanique et une alimentation par voie entérale.
18. Dans ces circonstances, le médecin en charge au sein du service d’anesthésie-réanimation pédiatrique de l’Hôpital de La Timone a engagé la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Une réunion collégiale s’est déroulée le 4 novembre 2016 à l’issue de laquelle l’arrêt de la poursuite des thérapeutiques actives a été décidé à l’unanimité, au motif du caractère irréversible des lésions neurologiques constatées et d’un état de conscience difficile à évaluer mais probablement fortement altéré. M. Mohamed B. et Mme Anissa S., épouse B., parents de Marwa B. ont alors été informés des conclusions de cette réunion et de ses motifs et ont exprimé, le 4 et le 9 novembre 2016, leur opposition à l’arrêt des thérapeutiques actives. Ils ont saisi le même jour le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
19. Par une première ordonnance avant-dire-droit du 16 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu à titre conservatoire l’exécution de la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, enjoint à l’équipe médicale de reprendre les soins appropriés et ordonné une expertise médicale aux fins de se prononcer sur l’état actuel de l’enfant et de donner au juge des référés toutes les indications utiles en l’état de la science sur ses perspectives d’évolution. A la suite de la remise de cette expertise le 23 décembre 2016, par une seconde ordonnance du 8 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé que les conditions prévues par la loi pour que puisse être prise par un médecin une décision d’arrêt de traitements dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ne pouvaient être regardées, dans les circonstances de l’espèce, comme réunies et pour ce motif, a suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives et enjoint à l’équipe médicale, sans préjuger en rien de l’évolution de l’état clinique de Marwa B., de maintenir les soins appropriés la concernant.
Sur la régularité de l’ordonnance attaquée :
20. Par la première ordonnance avant-dire-droit du 16 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille s’est fondé sur les conséquences de la décision attaquée, dès lors qu’elle prévoyait l’arrêt des thérapeutiques actives et notamment l’arrêt de la ventilation mécanique de l’enfant, et ce alors même qu’aucune date précise n’avait été fixée pour sa mise en oeuvre, pour juger que la condition d’urgence était remplie. Dès lors que le juge des référés avait statué sur la condition d’urgence par son ordonnance avant-dire-droit, sans qu’il ait été tenu, dans les circonstances de l’espèce, d’y statuer à nouveau, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille n’est pas fondée à soutenir que l’ordonnance attaquée serait insuffisamment motivée et par suite irrégulière.
Sur la conformité aux dispositions du code de la santé publique de la décision de mettre fin aux thérapeutiques actives de l’enfant Marwa B. :
21. Ainsi qu’il a été dit ci-dessus au point 15, pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments médicaux et non médicaux.
22. En premier lieu, il résulte du rapport des médecins experts mandatés par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille qui ont réalisé un examen de l’enfant le 1er décembre 2016, ainsi que des évaluations médicales conduites au sein de l’Hôpital de La Timone le 17 février 2017 et le 2 mars 2017 et produites devant le juge des référés du Conseil d’Etat, que Marwa B. souffre de lésions cérébrales définitives entraînant une paralysie motrice, la dépendance à la ventilation mécanique et à l’alimentation artificielle. Son niveau de communication et de coopération est très limité compte tenu de ce handicap fonctionnel. Néanmoins, son état de conscience n’est pas, en l’état de l’instruction, déterminé de manière certaine : si elle présente à tout le moins un état de conscience minimal en réagissant à la stimulation cutanée et à la voix, ce contact est évalué par les médecins comme fluctuant, et son niveau de conscience, évalué à 9 sur 20 sur l’échelle de Bicêtre par l’examen neurologique réalisé le 2 mars 2017, est regardé comme sévèrement altéré. De même, les mouvements constatés des paupières et des membres sont qualifiés soit de réflexes soit de volontaires, ceux-ci étant par nature difficiles à distinguer. Ainsi, a été évoqué notamment au cours de l’audience la possibilité que l’état de l’enfant caractérise, compte tenu de la nature des lésions cérébrales constatées, un état végétatif chronique, un état de conscience pauci-relationnel, voire même un syndrome « locked-in » qui témoignerait alors d’un niveau de conscience élevé malgré la paralysie musculaire et les sévères difficultés de communication et d’apprentissage en résultant, s’agissant d’un très jeune enfant. Enfin, si elle témoigne de situations d’inconfort et bénéficie à ce titre de l’administration de morphine, un éventuel état de souffrance est également difficile à évaluer. Dans ces circonstances, malgré le pronostic extrêmement péjoratif établi par les experts médicaux, compte tenu des éléments d’amélioration constatés de l’état de conscience de l’enfant et de l’incertitude à la date de la présente ordonnance sur l’évolution future de cet état, l’arrêt des traitements ne peut être regardé comme pris au terme d’un délai suffisamment long pour évaluer de manière certaine les conséquences de ses lésions neurologiques.
23. En second lieu, à défaut de pouvoir rechercher quelle aurait été la volonté de la personne s’agissant d’un enfant de moins d’un an à la date de la décision, l’avis de ses parents, qui s’opposent tous les deux à l’arrêt des traitements, revêt une importance particulière. Dans ces conditions, la circonstance que l’enfant Marwa B. soit dans un état irréversible de perte d’autonomie la rendant tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales ne rend pas les traitements qui lui sont prodigués inutiles, disproportionnés ou n’ayant pour d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et la poursuite de ces traitements ne peut caractériser une obstination déraisonnable. Dès lors, les conditions d’application des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique ne sont pas, à ce jour, réunies.
24. Par suite, à supposer qu’un enfant en bas âge puisse être considéré, comme « hors d’état d’exprimer sa volonté » et partant susceptible de faire l’objet de la procédure collégiale prévue par les dispositions des articles L. 1110-5-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique et d’une décision du médecin prise sur le seul avis de ses parents, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’exception d’illégalité des dispositions de l’article R. 4127-37-2 au regard de l’article 371-1 du code civil faute de prévoir le consentement des parents à un tel acte, ni sur l’exception d’inconventionnalité des dispositions législatives applicables au regard des stipulations des articles 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, soulevées en défense par M. et Mme B., il résulte de ce qui précède que l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives et enjoint à l’équipe médicale, sans préjuger en rien de l’évolution de l’état clinique de Marwa B., de maintenir les soins appropriés la concernant.
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
25. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’admettre M. et Mme B. au titre de l’aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille le versement d’une somme de 3 000 € au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. et Mme B., sous réserve qu’elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Ordonne :
Article 1er : L’intervention de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés est admise.
Article 2 : L’appel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille est rejeté.
Article 3 : M. et Mme B. sont admis à l’aide juridictionnelle provisoire.
Article 4 : L’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille versera à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. et Mme B., la somme de 3 000 € au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu’elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, à M. et Mme B., à l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
* * *

TA Marseille, 8 février 2017 ; n° 1608830

 Par une ordonnance en date du 16 novembre 2016, le juge des référés, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, avant de statuer sur la requête, enregistrée le 9 novembre 2016 sous le n° 1608830, présentée par M. C…E…et Mme A…E…, venant aux intérêts de leur fille mineure F…E…, tendant à ce que le juge des référés suspende la décision de mettre un terme au traitement thérapeutique et de débrancher l’appareil respiratoire qui maintient leur enfant en vie, ordonne le rétablissement des soins, prescrive une expertise médicale, au besoin après avis de toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à éclairer utilement la juridiction, et mette à la charge de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a, d’une part, suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation de l’enfant F…E…, et enjoint à l’équipe médicale de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille de rétablir les soins concernant l’enfant F…E…, d’autre part, procédé à une expertise confiée à un collège de trois médecins, désignés par le président du Tribunal, avec pour mission, dans un délai de deux mois à compter de la constitution du collège, de décrire l’état clinique actuel de l’enfant F…E…et son évolution depuis son hospitalisation initiale à l’hôpital Lenval de Nice le 24 septembre 2016 et son transfert à l’hôpital de la Timone à Marseille le 25 septembre 2016, date à laquelle elle aurait été placée en coma artificiel, et de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques de l’enfant F…E…, sur le pronostic clinique et sur l’intérêt ou non de continuer ou de mettre en œuvre des thérapeutiques actives, enfin mis à la charge de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative .

Le rapport d’expertise a été déposé au greffe le 23 décembre 2016.

Par un mémoire après dépôt du rapport d’expertise enregistré le 27 janvier 2017, M. C…E…et Mme A…E…, venant aux intérêts de leur fille mineure F…E…, représentés par Me B…, demandent au juge des référés :

– d’annuler la décision des médecins de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille d’arrêter les soins prodigués jusqu’à présent à F…E… ;

– d’enjoindre à l’équipe médicale de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille de maintenir les soins appropriés prodigués à l’enfant F…E… ;

– de condamner l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille à leur verser la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et aux entiers dépens.

Ils soutiennent en outre que :

– les experts ne se sont pas prononcés sur la question de l’intérêt de l’enfant à poursuivre les traitements ;

– il convient de faire respecter le principe de bienveillance qui ressort des principes éthiques fondamentaux et qui est mis en œuvre dans la pratique médicale courante ;

– toute décision à intervenir qui aurait pour effet de mettre un terme prématuré à la vie de F…E…constituerait à l’évidence une violation des stipulations de l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit de toute personne à la vie.

Vu les autres pièces du dossier, notamment la pièce complémentaire produite par Me D…pour l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille le 27 janvier 2017.

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par une formation composée de trois juges des référés et a désigné M. Fédou, premier vice-président, Mme Vincent-Dominguez, premier conseiller, et Mme Beltramo-Martin, conseiller, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Fédou,
- les observations de M. et Mme E…,
- les observations de Me D…pour l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille.

Le juge des référés a, à l’issue de l’audience, prononcé la clôture de l’instruction.

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision des médecins de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille d’arrêter les soins prodigués à F…E… :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale … » ; qu’aux termes de l’article L. 511-1 du même code : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. » ;
  2. Considérant que si, pour le cas où l’ensemble des conditions posées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut prescrire « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale« , de telles mesures doivent, ainsi que l’impose l’article L. 511-1 du même code, présenter un « caractère provisoire » ; qu’il suit de là que le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, prononcer l’annulation d’une décision administrative ; que de telles conclusions ne peuvent dès lors qu’être rejetées ;

Sur les conclusions des requérants tendant à la suspension de la décision de mettre un terme au traitement thérapeutique et de débrancher l’appareil respiratoire qui maintient leur enfant en vie et à ce qu’il soit enjoint à l’équipe médicale de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille de maintenir les soins appropriés prodigués à l’enfant F…E… :

  1. Considérant qu’en vertu de l’article L.521-2 précité du code de justice administrative, le juge administratif des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ; que ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales ;
  2. Considérant qu’il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu’il est saisi, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une décision prise par un médecin sur le fondement du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ; qu’il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable ;
  3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire. / La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article. / Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. » ; qu’aux termes de l’article L. 1111-4 alinéa six du même code : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. » ; qu’aux termes de l’article R. 4127-37-2 du même code : « I.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et en l’absence de directives anticipées, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. /II.- Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informée, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. /Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. /IV.- La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. » ;
  4. Considérant, que, pour justifier leur demande tendant à ce que le juge des référés suspende la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme au traitement thérapeutique et de débrancher l’appareil respiratoire qui maintient leur enfant en vie, et enjoigne à l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille de maintenir les soins prodigués à leur enfant F…, M. et Mme E…font valoir qu’une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à la liberté fondamentale que constitue le droit à la vie ; qu’il revient au juge des référés, saisi de cette contestation, de s’assurer, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, qu’ont été respectées les conditions mises par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin à un traitement dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ;
  5. Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise établi par les professeurs D., V. et H. à la suite d’un examen pratiqué sur l’enfant le 1er décembre 2016, que F…E…a été victime d’une rhombencéphalomyélite sévère à entérovirus responsable d’un choc cardiogénique initial très grave ayant entrainé des lésions neurologiques étendues de la moelle cervicale, du bulbe et de la protubérance ; que F…E…présente un état de conscience minimale dès lors que l’enfant est « réveillable à la stimulation cutanée et réagit à la voix, présente », qu’elle « est consciente, avec un contact fluctuant » et que son « niveau de collaboration (est) très limité par les paralysies des membres et des paires crâniennes » ; qu’il résulte également dudit rapport que les IRM pratiquées permettent d’affirmer que le pronostic clinique de F…est très péjoratif dès lors que son état « est celui d’un polyhandicap majeur, avec paralysie motrice des membres, totale dépendance de la ventilation mécanique et de l’alimentation artificielle », et que son « niveau de collaboration (est) très limité par les paralysies des membres et des paires crâniennes » ; que, cependant, la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible de perte d’autonomie la rendant tributaire d’une alimentation et d’une ventilation artificielles ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite du traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable ;
  6. Considérant que, pour apprécier si les conditions d’un arrêt d’alimentation et de ventilation artificielles sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d’alimentation et de ventilation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité ; qu’outre les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient ou, en l’espèce, ses parents s’agissant d’un enfant âgé de moins d’un an à la date de la décision, peuvent avoir, le cas échéant, exprimée, quels qu’en soient la forme et le sens ; que le médecin doit ainsi prendre en compte les avis des membres de la famille du patient, en s’efforçant de dégager une position consensuelle ; qu’il doit, dans l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard ;
  7. Considérant, en premier lieu, que dans le cas particulier de F…E…, âgée d’un an, qui n’est pas en état de manifester sa volonté, l’avis de ses parents revêt, dans le souci de la plus grande bienfaisance, une importance toute particulière ; qu’en l’espèce, s’il ne peut être contesté que l’équipe médicale s’est efforcée de dégager avec les parents de l’enfant une position consensuelle eu égard aux nombreux entretiens dont ils ont bénéficié avec le personnel médical au cours desquels l’état de santé de leur enfant leur a été clairement exposé, il est constant que ceux-ci se sont opposés à l’arrêt des thérapeutiques actives et de la ventilation ;
  8. Considérant, en deuxième lieu, que les éléments médicaux sur lesquels le médecin peut se fonder pour prendre une décision d’arrêt des traitements, de l’alimentation ou de la ventilation artificielles doivent, ainsi qu’il a été dit précédemment, être analysés collégialement et couvrir une période suffisamment longue ; que si le pronostic clinique de F…E…est qualifié d’« extrêmement péjoratif », les experts ont néanmoins relevé, en page 30 de leur rapport, que « les quelques éléments d’amélioration constatés concernent des mouvements réflexes, non adaptés et des mouvements volontaires des paupières et du bras gauche » ; qu’ainsi, l’enfant présentait, à la date du 1er décembre 2016 à laquelle elle a été examinée par le collège d’experts, quelques signes d’améliorations volontaires, lesquels, s’ils restent insuffisants pour envisager un pronostic clinique plus favorable, sont néanmoins révélateurs de ce qu’à la date du 4 novembre 2016, soit un mois et huit jours seulement après l’admission de F…à l’hôpital de la Timone, une décision d’arrêt des traitements et de la ventilation était prématurée ; que, par suite, s’il ressort des pièces du dossier que la procédure collégiale prévue par les dispositions précitées du code de la santé publique a été respectée, la décision attaquée, laquelle n’est, au demeurant, nullement motivée ainsi que le soutiennent à juste titre les requérants, a été prise au terme d’un délai qui n’était pas suffisamment long pour évaluer, de manière certaine, l’inefficacité des thérapeutiques en cours et la consolidation de l’état de santé de l’enfant ;
  9. Considérant qu’il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les différentes conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable ne peuvent être regardées, dans le cas de l’enfant F…E…, comme réunies ; qu’il y a lieu en conséquence, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par les requérants, à titre provisoire et sans préjuger en rien de l’évolution de l’état clinique de l’enfant, de suspendre la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme au traitement thérapeutique et de débrancher l’appareil respiratoire qui maintient F…E…en vie et d’enjoindre à l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille de maintenir les soins appropriés la concernant, emportant poursuite des thérapeutiques actives et de la ventilation ;

Sur les dépens :

  1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : «Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. / L’Etat peut être condamné aux dépens. » ;
  2. Considérant qu’en application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille les frais d’expertise tels que liquidés et taxés à la somme totale de 5 482,48 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Marseille en date du 7 février 2017 ;

ORDONNE:

Article 1er : La décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation de l’enfant F…E…, est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint à l’équipe médicale de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, sans préjuger en rien de l’évolution de l’état clinique de F…E…, de maintenir les soins appropriés la concernant, emportant poursuite des thérapeutiques actives et de la ventilation.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme E…est rejeté.

Article 4 : Les frais d’expertise tels que liquidés et taxés à la somme totale de 5 482,48 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Marseille en date du 7 février 2017 sont mis à la charge de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C…E…et Mme A…E…venant aux intérêts de leur fille mineure F…E…et à l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille.

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