Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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PLAIDOYER POUR LA RECONNAISSANCE DES DANGERS DU GAZ HILARANT, I. Corpart

Isabelle Corpart

MaĂźtre de confĂ©rences Ă  l’UniversitĂ© de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Face Ă  la consommation rĂ©crĂ©ative de protoxyde d’azote il est urgent d’agir. En effet ce produit utilisĂ©, dans le domaine mĂ©dical, pour des anesthĂ©sies et, par les familles, pour faire de la crĂšme chantilly grĂące Ă  un siphon, est dĂ©tournĂ© de son usage originel, en particulier par les jeunes. Il procure des sensations euphorisantes et, partant, rencontre un vif succĂšs, toutefois les risques pour la santĂ© sont aujourd’hui repĂ©rĂ©s et il faut que le lĂ©gislateur intervienne rapidement. Il doit assurer une meilleure prĂ©vention, voire interdire toute vente aux plus jeunes consommateurs.

Mots-clefs : Gaz hilarant – protoxyde d’azote dĂ©tournĂ© – inhalation – drogue rĂ©crĂ©ative – dangers pour les mineurs – problĂšmes neurologiques – salubritĂ© publique – interdiction de la vente aux mineurs – interdiction de toute consommation dans des lieux publics – dĂ©veloppement de l’information sur les risques – opĂ©rations prĂ©ventives et modification de l’étiquetage des cartouches

 

Une proposition de loi visant Ă  encadrer la vente de protoxyde d’azote et Ă  renforcer les actions de prĂ©vention a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e Ă  l’AssemblĂ©e nationale le 16 janvier 2019 (n° 1590) et une autre proposition de loi a, quant Ă  elle, Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e au SĂ©nat le 5 avril 2019 pour protĂ©ger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote (n° 438). Ce gaz est en effet dĂ©tournĂ© de son usage originel, en particulier par les jeunes en recherche de sensations fortes, mais les consĂ©quences sanitaires graves qu’il entraĂźne sont de plus en plus souvent pointĂ©es du doigt.

En effet cette drogue euphorisante est trĂšs nĂ©faste pour la santĂ© quand elle est consommĂ©e par voie d’inhalation. Sa dangerositĂ© est avĂ©rĂ©e car elle provoque des maux de tĂȘte, des vertiges, des fourmillements, un ralentissement du rythme cardiaque, des pertes de mĂ©moire, le tout associĂ© Ă  des problĂšmes neurologiques rĂ©currents qui peuvent aller jusqu’à des tremblements et des douleurs musculaires ou des convulsions.

Ces dangers viennent d’ĂȘtre rappelĂ©s par un rapport publiĂ© le 9 juillet dernier par l’Agence nationale de sĂ©curitĂ© sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) (LibĂ©ration, 9 juill. 2020) qui pointe une pratique inquiĂ©tante tendant Ă  se banaliser sur certains rĂ©seaux sociaux et parmi les plus jeunes consommateurs.

Face Ă  ce problĂšme de santĂ© publique, il faudrait lancer une campagne pour mieux informer les consommateurs (I) et en interdire, d’une part, la vente aux personnes les plus fragiles afin de lutter contre la recrudescence d’accidents graves (II) et, d’autre part, la mise Ă  disposition libre et gratuite lors de rĂ©unions festives (III).

Ce gaz Ă©tant utilisĂ© Ă  des fins rĂ©crĂ©atives (entre fous-rires, sensation d’ivresse ou hallucinations), des personnes en font une consommation rĂ©pĂ©tĂ©e, voire quotidienne et parmi les victimes, certaines disent avoir inhalĂ© entre 20 et 300 cartouches par jour pendant 1 Ă  6 mois (QE n° 23844, rĂ©p. min. JOAN, 10 dĂ©c. 2019, p. 10806).

I – Plaidoyer pour une information explicite des dangers encourus par le gaz hilarant

Trop d’utilisateurs de ce produit ignorent ces mĂ©faits. Comment rĂ©sister Ă  un produit trĂšs populaire qui procure des sensations inĂ©dites et surtout qui est commercialisĂ© sans contrainte. Les cartouches mĂ©talliques utilisĂ©es sont accessibles Ă  tous, en vente Ă  la fois dans les magasins, y compris en grande surface, et sur Internet. Ce gaz est commercialisĂ© aussi sous forme de grosses bonbonnes ou de ballons de baudruche. Leur coĂ»t non plus n’est pas prohibitif (pour les cartouches, il faut compter environ 50 centimes par catouche), autant de raisons qui expliquent l’engouement pour cette drogue rĂ©crĂ©ative.

Il revient dĂšs lors Ă  l’État d’informer sur les dangers de la consommation de protoxyde d’azote. Les consommateurs doivent ĂȘtre alertĂ©s sur les troubles que cela peut leur causer, gravissimes parfois (dĂ©cĂšs d’un Ă©tudiant en 2018, victime d’un arrĂȘt cardiaque). Seule une bonne information pourra prĂ©venir les risques sanitaires.

Il serait pertinent qu’elle passe par une campagne de sensibilisation orchestrĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux et relayĂ©e par les mĂ©dias. Une telle campagne a prĂ©cisĂ©ment Ă©tĂ© lancĂ©e en juin dernier par la Mission interministĂ©rielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Il faudrait aussi sensibiliser les milieux scolaires.

Pour l’ANSES (Agence nationale de sĂ©curitĂ© sanitaire) il faut que l’État fasse mieux connaĂźtre les risques potentiels et que l’étiquetage du produit soit plus explicite avec des mises en garde signalant les risques de l’usage dĂ©tournĂ© du protoxyde d’azote, de mĂȘme que sur les risques d’une consommation trop rĂ©guliĂšre et trop intensive.

En effet, il faut vraiment que les dangers soient explicitĂ©s et que nul ne puisse Ă©chapper Ă  une parfaite connaissance des risques qu’il prend Ă  s’amuser et faire la fĂȘte. Cette drogue est perçue comme inoffensive et il faut rĂ©vĂ©ler clairement sa vraie nature et insister sur le fait qu’il s’agit effectivement d’une pratique Ă  risques.

Les opĂ©rations de prĂ©vention visant les produits psychoactifs et les addictions doivent ĂȘtre bien ciblĂ©es. Face Ă  un public jeune, il faudrait englober les Ă©coles, les universitĂ©s, les services sanitaires et les familles.

Pour diminuer le nombre d’intoxications, il faut aussi rĂ©glementer l’accĂšs Ă  ce gaz hilarant qui doit ĂȘtre totalement prohibĂ© pour les mineurs et ne pas ĂȘtre mis Ă  disposition du public sans contrĂŽle.

II – Plaidoyer pour une interdiction de la vente aux mineurs

Les dangers de la consommation de protoxyde d’azote sont tels qu’il faut redoubler de vigilance pour les plus jeunes consommateurs. Quand ils font des fĂȘtes ou se retrouvent dans des bars, des discothĂšques ou en soirĂ©e entre collĂ©giens, lycĂ©ens ou Ă©tudiants, la mise Ă  disposition de ce gaz conduit Ă  des surenchĂšres et la consommation peut ĂȘtre impressionnante.

Il faudrait Ă  tout le moins que les plus jeunes utilisateurs soient Ă©cartĂ©s car on se rend compte que l’accĂšs Ă  ces cartouches se banalise au collĂšge et au lycĂ©e.

En rĂ©action, plusieurs communes ont dĂ©jĂ  pris des arrĂȘtĂ©s pour interdire la vente Ă  des mineurs et la proposition dĂ©posĂ©e au SĂ©nat a Ă©tĂ© adoptĂ©e par le SĂ©nat en dĂ©cembre 2019, prĂ©cisĂ©ment pour qu’il soit interdit de vendre ces cartouches Ă  des jeunes consommateurs.

On notera aussi que le Danemark a rĂ©cemment choisi cette voie (loi du 15 mai 2020) et que la Belgique est en train de mettre en place le mĂȘme protocole.

Il est dĂ©jĂ  interdit de vendre des boissons alcoolisĂ©es aux mineurs, de mĂȘme que du tabac, a fortiori des drogues, mais il importe Ă  prĂ©sent de mesurer pleinement les recommandations de l’Anses pour Ă©viter de nouveaux drames.

III – Plaidoyer pour une interdiction de la consommation du gaz hilarant dans des lieux publics

Ce produit est trop facilement accessible car on peut l’acheter librement partout et il est souvent proposĂ© par les organisateurs de manifestations festives en raison des fous-rires qu’il dĂ©clenche. Il n’est plus limitĂ© aux milieux confidentiels comme il y a quelques annĂ©es mais il circule communĂ©ment lors des festivals, des soirĂ©es Ă©tudiantes et on le trouve dans la rue.

Afin d’endiguer le problĂšme et pour Ă©viter des catastrophes, des communes ont fait le choix de faire interdire ce produit dans les bars, les discothĂšques et autres lieux publics propices aux rassemblements de personnes. La mise Ă  disposition de ce gaz hilarant pousse trop Ă  la consommation et il faut agir au plus vite pour prĂ©venir des accidents.

Dans l’attente d’une rĂ©glementation, des arrĂȘtĂ©s municipaux ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pris au cas par cas pour interdire la consommation de cette forme de drogue dans les lieux publics.

Cela fait longtemps dĂ©jĂ  que les centres d’addictovigilance alertent sur ce problĂšme et s’inquiĂštent de l’ampleur que prend le phĂ©nomĂšne, des cartouches vides jonchent en effet les trottoirs de certains quartiers, ce qui tĂ©moigne d’une vĂ©ritable banalisation du produit. On le trouve mĂȘme en bonbonnes et on peut utiliser des masques Ă  gaz, raisons pour lesquelles il est si populaire lors de fĂȘtes. Il est urgent de prendre des mesures prĂ©ventives car on note assurĂ©ment un effet de mode autour de cette drogue accessible Ă  tous !

Face Ă  ces risques sanitaires qui se multiplient, une loi semble ĂȘtre enfin en prĂ©paration sur la base des propositions de lois prĂ©citĂ©es qui vont ĂȘtre enrichies (Nouvel Observateur, 9 juillet 2020) mais le calendrier parlementaire, on le sait, a pris beaucoup de retard suite Ă  la crise du covid-19. VotĂ©e Ă  l’unanimitĂ© au SĂ©nat, la proposition de loi n° 438 du 5 avril 2019 devrait passer devant l’AssemblĂ©e nationale avant la fin de l’annĂ©e.

On l’espĂšre vivement car pour le moment, ce gaz en vente libre n’est classĂ© ni comme stupĂ©fiant ni comme substance vĂ©nĂ©neuse et il est impossible de condamner directement les vendeurs. Une loi permettrait aussi de responsabiliser les vendeurs de ce produit.

Un texte qui rĂ©glementera cette vente sera le bienvenu car il donnera Ă  tous un signal d’alarme, d’autant que les troubles peuvent intervenir plusieurs mois aprĂšs l’inhalation.

La mesure Ă  prendre est bien une mesure de santĂ© et de salubritĂ© publique destinĂ©e Ă  chasser l’image d’une drogue inoffensive, qui se transforme vite en addiction.