Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE « CSRD » EN MATIERE DE REPORTING DE DURABILITE, B. Rolland

Blandine Rolland

Professeur de Droit privé

Directrice du CERDACC (UR 3992)

Exemple majeur d’une pratique de Responsabilité Sociale de l’Entreprise, le reporting des sociétés françaises figure en bonne place. Il s’agit du reporting concernant les données sociales et environnementales, voire sociétales, telles qu’elles figurent dans le rapport de gestion annuel des sociétés commerciales. Après quelques années de pratiques volontaires des sociétés cotées, la loi est venue consacrer l’obligation de fournir des données sociales et environnementales. C’est l’objet de la loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques. Ce reporting appelé ensuite « de RSE » a connu un succès législatif remarquable et a fait l’objet de nombreuses réformes. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2, étend le dispositif aux sociétés non cotées d’une certaine taille. Elle est complétée par le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012, relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale, dit décret RSE. Puis les institutions européennes se sont emparées du sujet et ont adopté des directives visant à imposer cette règlementation à l’ensemble des Etats membres (directive 2014/95/UE du 22 oct. 2014 et directive 2013/50/UE du 22 octobre 2013 dite « Transparence révisée »). Elles ont été transposées en droit français notamment par l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017 et par l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017.

Une nouvelle réforme européenne est intervenue avec la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 concernant la publication des informations en matière de durabilité par les entreprises, dite Directive « CSRD ». Elle vient d’être transposée en France, par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023, relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales, et par le décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023, pris en application de l’ordonnance précitée.

Ces deux textes modifient très substantiellement les dispositions du code de commerce. En effet, la déclaration de performance extra-financière qui devait figurer dans le rapport de gestion annuel est remplacée un « rapport de durabilité ». En outre, les données de RSE ne seront plus simplement vérifiées par un organisme tiers indépendant, mais certifiées. Ainsi, le reporting de RSE rentre pleinement dans les objectifs du développement durable et se met au service de la « durabilité ». A ce titre, il faudra désormais parler non plus d’informations de RSE mais d’informations de durabilité.

Après avoir exposé les modifications du champ d’application de ce nouveau reporting (I.), seront envisagées les modifications relatives au contenu des données à fournir, à leur présentation et à leur évaluation (II.).

1. – Le champ d’application du reporting de durabilité

La détermination des entreprises concernées par le reporting élargi est revue (A.). La date d’entrée en vigueur des nouvelles obligations est variable selon les entreprises (B.).

A. Les entreprises concernées

Une nouvelle typologie des entreprises est posée en fonction de leur taille. Cependant les seuils de la directive ont déjà été modifiés ! C’est l’œuvre du décret n° 2024-152 du 28 février 2024, relatif à l’ajustement des critères de taille pour les sociétés et groupes de sociétés.

Les entreprises sont d’abord analysées selon la personne physique ou morale considérée, à la clôture de l’exercice (voir les détails : C. com., art. L. 230-1 et D. 230-1).

1. Une micro-entreprise ne dépasse pas 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (450.000 €), montant net du chiffre d’affaires (900.000 €), 10 salariés.

2. Une petite entreprise, n’est pas une micro-entreprise et ne dépasse pas 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (7.500.000 €), montant net du chiffre d’affaires (15.000.000 €), 50 salariés.

3. Une moyenne entreprise, n’est pas une micro ni une petite entreprise et ne dépasse pas 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (25.000.000 €), montant net du chiffre d’affaires (50.000.000 €), 250 salariés.

4. Enfin, une grande entreprise dépasse au moins 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (25.000.000 €), montant net du chiffre d’affaires (50.000.000 €), 250 salariés. C’est sur ces entreprises que pèse l’obligation de reporting de durabilité (C. com., art. L. 232-6-3).

Ensuite, les sociétés peuvent appartenir à un groupe de sociétés, étant liées par des détentions en capital au sens de l’article L. 233-16 II et III du code de commerce (voir les détails : C. com., art. L. 230-2 et D. 230-2).

1. Un petit groupe est un ensemble formé par une société et les entreprises qu’elle contrôle qui ne dépasse pas 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (9.000.000 €), montant net du chiffre d’affaires (18.000.000 €), 50 salariés.

2. Un groupe moyen est un ensemble formé par une société et les entreprises qu’elle contrôle qui ne dépasse pas 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (30.000.000 €), montant net du chiffre d’affaires (60.000.000 €), 250 salariés.

3. Un grand groupe est un ensemble formé par une société et les entreprises qu’elle contrôle qui dépasse 2 des 3 seuils suivants : total de bilan (30.000.000 €), montant net du chiffre d’affaires (60.000.000 €), 250 salariés.

B. L’entrée en vigueur

La date d’entrée en vigueur de l’ordonnance est variable. En principe, elle entre en vigueur le 1er janvier 2024. Mais de nombreuses exceptions sont apportées à ce principe (Ord. 6 déc. 2023, art. 33).

L’obligation de reporting de durabilité s’impose d’abord aux grandes entreprises (C. com., art. L. 232-6-3) et aux sociétés consolidantes des grands groupes (C. com., nouv. art. L. 233-28-4). L’article 33 II de l’ordonnance prévoit que la date du 1er janvier 2024 s’applique aux rapports afférents aux exercices ouverts à compter de cette date, mais uniquement pour les entités précitées ayant plus de 500 salariés, et qui sont cotées sur un marché réglementé ou établissements de crédit ou contrôlées par l’Etat. La date est reportée au 1er janvier 2025 pour les autres grandes entreprises ou grands groupes. En attendant, les sociétés non cotées qui atteignent les seuils initiaux, doivent continuer à produire une déclaration de performance financière.

Concernant les petites ou moyennes entreprises cotées, leurs obligations de reporting entrent en vigueur le 1er janvier 2025. Si elles ne sont pas cotées, elles peuvent décider de ne pas appliquer l’obligation pour les rapports afférents aux exercices ouverts avant le 1er janvier 2028 mais doivent brièvement le justifier dans leur rapport de gestion.

2. – La présentation et le contenu du reporting de durabilité

Le reporting de RSE prend place au sein du rapport de gestion présenté par la direction aux actionnaires lors de l’assemblée générale annuelle et portant sur l’exercice écoulé. Il prend le nom de « document de référence » puis plus récemment de « rapport financier annuel » dans les sociétés cotées (C. monét. fin., art. L. 451-1-2). L’ordonnance adopte une approche nouvelle des informations dites désormais de durabilité (A.) et impose leur certification au lieu de leur simple vérification (B).

A. Les informations de durabilité

Les grandes entreprises définies plus haut sont tenues de présenter des informations en matière de durabilité. Elles le font « dans une section distincte de leur rapport de gestion » selon l’ordonnance du 6 décembre 2023 (C. com., art. L. 232-6-3). Cette section spéciale du rapport de gestion remplace donc la précédente « déclaration de performance extra-financière » qui y devait y figurer depuis 2017. C’est une évolution sensible. La même obligation pèse sur la société consolidante d’un grand groupe défini plus haut. Elle fournit ses données de durabilité dans une section distincte du rapport de gestion consolidé (C. com., nouv. art. L. 233-28-4).

Surtout, une modification complète des données à fournir en matière de durabilité est opérée sous l’influence du droit européen ici transposé. L’article L. 232-6-3 I dispose que « Ces informations permettent de comprendre les incidences de l’activité de la société sur les enjeux de durabilité, ainsi que la manière dont ces enjeux influent sur l’évolution de ses affaires, de ses résultats et de sa situation. Les enjeux de durabilité comprennent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernement d’entreprise ».

C. com., nouvel art. R. 232-8-4 :

« I. – Les informations en matière de durabilité prévues au I de l’article L. 232-6-3 décrivent :

1° Le modèle commercial et la stratégie de la société, en indiquant notamment :

a) Le degré de résilience du modèle commercial et de la stratégie de la société en ce qui concerne les risques liés aux enjeux de durabilité ;

b) Les opportunités que recèlent les enjeux de durabilité pour la société ;

c) Les plans de la société, y compris les actions prises ou envisagées et les plans financiers et d’investissement connexes, pour assurer la compatibilité de son modèle commercial et de sa stratégie avec la transition vers une économie durable, la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris adopté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050 tel qu’établi dans le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil, et, le cas échéant, l’exposition de la société à des activités liées au charbon, au pétrole et au gaz ;

d) La manière dont le modèle commercial et la stratégie de la société tiennent compte des intérêts des parties prenantes et des incidences de son activité sur les enjeux de durabilité ;

e) La manière dont la stratégie de la société est mise en œuvre en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;

2° Les objectifs assortis d’échéances que s’est fixés la société en matière de durabilité et les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs, y compris, s’il y a lieu, des objectifs absolus de réduction des émissions de gaz à effet de serre au moins pour 2030 et 2050 ;

3° Le rôle des organes de direction, d’administration ou de surveillance concernant les enjeux de durabilité, ainsi que les compétences et l’expertise des membres de ces organes à cet égard ou les possibilités qui leur sont offertes de les acquérir ;

4° Les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;

5° Les incitations liées aux enjeux de durabilité octroyées par la société aux membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance ;

6° La procédure de vigilance raisonnable mise en œuvre par la société concernant les enjeux de durabilité et les incidences négatives recensées dans ce cadre, le cas échéant en application de la législation de l’Union européenne ;

7° Les principales incidences négatives potentielles ou réelles, les mesures prises pour recenser, surveiller, prévenir, éliminer ou atténuer ces incidences négatives et les résultats obtenus à cet égard ;

Les principaux risques pour la société liés aux enjeux de durabilité, y compris ses principales dépendances, et la manière dont elle gère ces risques.

Les informations en matière de durabilité sont accompagnées d’indicateurs relatifs aux éléments mentionnés du 1° au 8°.

Selon le cas, ces informations sont liées à des horizons temporels à court, moyen et long terme.

S’il y a lieu, elles portent sur les activités de la société et sa chaîne de valeur, y compris ses produits et services, ses relations commerciales et sa chaîne d’approvisionnement ».

Le droit français introduit en outre le principe de double matérialité. Il convient d’indiquer comment l’entreprise subit les enjeux de durabilité dans son activité mais aussi comment elle s’en préoccupe, les gère et tente de les maîtriser.

Concernant la présentation de ces données de durabilité, le décret se réfère « aux normes d’information en matière de durabilité adoptées par la Commission européenne en application de l’article 29 ter de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil » (C. com., nouv. art. R. 232-8-4, III). Le reporting deviendra complètement normalisé pour toutes les sociétés, sans plus aucune nuance de la part d’un rédacteur à l’autre. C’est l’aboutissement du souhait de la loi Grenelle 2 qui demandait qu’une comparaison des données soit possible entre les rapports de gestion, sans imposer pour autant à l’époque le recours à un référentiel unique.

Les petites et moyennes sociétés qui sont cotées sur un marché réglementé devront présenter également ce reporting en matière de durabilité. Mais elles bénéficient d’un assouplissement des règles (C. com., nouv. art. L. 22-10-36 I et R. 22-10-29. – Voir aussi C. com., nouv. art. L. 22-10-35, 5° al., renvoyant à C. com., art. L. 232-1, II, 7°). Elles peuvent se limiter à décrire : « 1° Le modèle commercial et la stratégie de la société ; 2° Les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité ; 3° Les principales incidences négatives, réelles ou potentielles, de la société sur les enjeux de durabilité et les mesures prises afin de les recenser, surveiller, prévenir, atténuer ou corriger ; 4° Les principaux risques pour la société liés aux enjeux de durabilité et la manière dont elle les gère » (C. com., nouv. art. R. 22-10-29). Pour ce faire, elles présentent aussi leurs informations conformément aux normes d’information en matière de durabilité adoptées par la Commission européenne pour ce type d’entreprises.

B. La certification

Ce qui constitue peut-être la révolution la plus importante de cette réforme, c’est l’instauration d’une certification des données de durabilité. Jusqu’à présent, depuis l’ordonnance Genelle 2, les données de RSE étaient simplement vérifiées par un organisme tiers indépendant. La réforme élargit le champ des vérificateurs et surtout prévoit une certification.

Outre les organismes tiers indépendants (OTI, accrédités par la COFRAC), les commissaires aux comptes reçoivent la mission de s’intéresser au reporting de RSE. Ils rejoignent le cercle des personnes habilitées à évaluer et certifier les données de durabilité (C. com., nouv. art. L. 232-6-3 III). Etant donné que le commissaire aux comptes a un mandat avec la société qu’il contrôle, certains peuvent douter de leur indépendance qui est pourtant garantie par les règles légales et déontologiques. A ce titre, un associé ou un groupe d’associés représentant 5% du capital peut demander une évaluation complémentaire par une personne morale qui ne serait pas le commissaire aux comptes de la société ou du groupe ou son OTI. Cette évaluation consistera en un « rapport sur certaines informations en matière de durabilité » (C. com., nouv. art. L. 232-6-3, IV).

Jusqu’à présent, les données de RSE étaient simplement vérifiées par l’OTI. La réforme franchit le pas et introduit une certification des données, mais seulement pour les « grandes entreprises » qui sont soumises au reporting de durabilité (C. com., nouv. art. L. 232-6-3 III.). Les données de durabilité seront désormais certifiables, au même titre que les données financières figurant dans les comptes sociaux.

Il sera évidemment intéressant de lire les premiers rapports qui seront élaborés courant 2025 en application de cette nouvelle approche et d’évaluer ainsi la pertinence de cette réforme.