Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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AU FEU LES POMPIERS ! RESPONSABILITÉ DES PARENTS POUR UN INCENDIE PROVOQUÉ PAR LEURS ENFANTS MINEURS, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit privé à l’université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

 

Commentaire de CA Chambery, 2e ch. 5 mai 2022, n° 18/02332

Une enquête de gendarmerie ayant révélé que trois mineurs s’étaient amusés à allumer des feux aux abords d’une vieille grange et à l’intérieur du bâtiment, feux qu’ils pensaient à tort avoir éteints, les propriétaires ont entamé une procédure pour être indemnisés car l’incendie a causé beaucoup de dommages dans leur grange construite en 1930, nécessitant de coûteuses réparations. Les enfants étant tous mineurs, les juges retiennent la responsabilité de leurs parents.

Mots-clés : Incendie d’une grange provoqué par trois mineurs – feux allumés par les mineurs, cause directe du dommage – mineurs habitant chez leurs parents – responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur – responsabilité in solidum des parents des trois familles – absence de responsabilité des propriétaires dans la survenance du sinistre – indemnisation du préjudice lié aux coûts de reconstruction, mais sans tenir compte des améliorations du bâtiment.

Pour se repérer

En 2013, une vieille grange a pris feu et a été détruite. L’enquête menée par la gendarmerie a fait apparaître que, quelques heures avant le sinistre, trois enfants, Steven, Maxime et Maxence, avaient joué, briquets et allumettes à la main, à lancer des flammes autour de cette grange, alors laissée à l’abandon. Ils avaient allumé des feux à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la grange, non pas pour la détruire ou l’abimer mais pour s’amuser. Malheureusement, ils pensaient avoir éteint les flammes qu’ils avaient allumées, mais ils n’ont pas été suffisamment prudents et un sévère incendie a démarré car le feu a repris.

La grange construite en 1930 en bois sur un soubassement en maçonnerie a flambé et elle a été détruite par les flammes. Les trois propriétaires indivis de la grange dont ils avaient hérité ont demandé réparation des dommages subis du fait de de l’incendie et le tribunal de grande instance d’Albertville a condamné in solidum les parents le 9 novembre 2018. Les parents des trois enfants ont toutefois interjeté appel pour tenter d’obtenir des juges qu’ils tiennent compte du fait que la vieille grange était à l’abandon depuis 2005 et que rien n’avait été mis en place pour empêcher l’accès au local.

Pour aller à l’essentiel

Une grange s’étant enflammée parce que des mineurs avaient joué avec des flammes, les trois propriétaires ont bien intérêt à agir en indemnisation du préjudice matériel subi du fait de l’incendie provoqué des fautes d’inattention. Deux d’entre eux ont pu valablement lancer la procédure car cette action est un acte conservatoire pouvant être entrepris par n’importe quel indivisaire au nom de l’ensemble des propriétaires indivis (C. civ., art. 815-2).

L’action en réparation a pu valablement être intentée contre les parents des mineurs qui avaient provoqué l’incendie car, sur le fondement de l’ancien article 1384 du Code civil, encore applicable au moment des faits, les père et mère qui exercent l’autorité parentale sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. L’enquête de gendarmerie ayant révélé que les trois mineurs avaient joué avec des briquets et des allumettes et que rien ne permet d’exclure tout lien de causalité directe entre l’incendie et les feux allumés, tant à l’intérieur du local, qu’à l’extérieur, les juges de la cour d’appel confirment la décision des premiers juges qui avaient retenu la responsabilité des parents de l’un des auteurs du dommage et des mères des deux autres, administratrices légales en raison de leur configuration familiale.

De plus, les juges rejettent les arguments invoqués par les familles tenant au fait que les propriétaires d’un bâtiment laissé à l’abandon auraient participé à la réalisation du dommage du fait de leur négligence. Certes, aucune mesure n’avait été prise pour interdire l’accès à la grange, grange à l’abandon depuis 2005. Ils relèvent toutefois que « nul n’est obligé de clore son bien quel que soit l’environnement de celui-ci et le fait qu’une grange désaffectée contienne encore du vieux foin ne peut être assimilé à une prise consciente d’un risque assimilable à une négligence ». Dès lors aucune responsabilité n’est à mettre à la charge des propriétaires dans la survenance du sinistre si bien que les mineurs et leurs parents sont effectivement les seuls responsables.

Toutefois le montant de l’indemnisation réclamée par les victimes a été réduit par les juges car le coût global vise des travaux d’amélioration, ce qui ne peut pas être totalement pris en charge. En conséquence, tout ne pouvant pas être pris en charge, le montant de la dette indemnitaire a été réduit à la somme de 75 300 euros HT, soit 82 830 TTC, afin que les propriétaires soient replacés « dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la sienne avant le sinistre, sans perte ni profit ». En effet, l’un des propriétaires avait évalué le coût de reconstruction à hauteur de 161 104.02 euros, néanmoins cela englobait des améliorations pour une grange très ancienne avec renforcement des murs, travaux qui ne pouvaient pas être indemnisés car cela tenait d’une rénovation et pas seulement d’une réparation.

La responsabilité des trois enfants étant équivalente, les deux parents de l’un et les mères des deux autres sont tenus d’assumer un tiers de l’indemnisation du préjudice matériel.

Pour aller plus loin

Beaucoup d’enfants aiment jouer avec le feu qui est attirant, vu ses couleurs, son mouvement, sa chaleur, souvent fascinés par les flammes. Peu d’entre eux sont toutefois sensibles au fait que le feu peut causer des incendies destructeurs. Ils ne se méfient pas assez du feu, pensant qu’ils peuvent librement jouer avec des allumettes. Les parents ont un rôle important à jouer pour anticiper les risques d’incendie.

Dans cette affaire, l’enquête de gendarmerie a révélé que trois jeunes gens sont à l’origine du sinistre, si bien que la responsabilité de leurs parents a été engagée. Pour ce faire, il suffisait que les mineurs aient commis un fait qui soit la cause directe du dommage invoqué par les propriétaires de la grange. Il est effectivement établi qu’ils sont fautifs, ayant provoqué un incendie, non pas volontairement, mais par négligence, pensant à tort avoir éteint le feu.

Dès lors la responsabilité de leurs parents est engagée en l’espèce sur le fondement de l’ancien article 1384, alinéa 4, du Code civil, devenu article 1242, alinéa 4 depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Sur la base de ce texte, le législateur a mis en place une présomption spécifique de responsabilité afin de permettre à la victime d’un dommage causé par un enfant de se retourner contre ses parents.

Conformément à l’ancien article 1384, alinéa 4 de même qu’à l’article 1242 alinéa 4 du Code civil, pour engager la responsabilité des parents, il faut réunir quatre conditions : les parents doivent exercer l’autorité parentale, l’enfant doit être mineur, il doit cohabiter avec ses parents et bien sûr avoir causé le dommage. En effet, tout parent qui exerce l’autorité parentale est responsable du fait de son enfant mineur si ce dernier a effectivement commis un fait dommageable, fautif ou non, à condition qu’il cohabite avec lui, point qui ne soulevait aucune discussion en l’espèce. Les parents sont effectivement tenus de réparer le préjudice causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux (Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-16.897 ; Cass. ass. plén., 13 déc. 2002, n° 00-13.787).

En l’espèce, il apparaît d’abord que les deux parents de l’un des auteurs et les mères des deux autres sont bien titulaires de l’autorité parentale. Ensuite, les trois enfants auteurs du sinistre sont encore mineurs (la minorité devant être appréciée lors de l’incendie et non lors du procès) et aucun d’entre eux n’a été émancipé (le mineur émancipé n’est plus sous l’autorité de ses parents : C. civ. art. 413-7). Il importe aussi que l’enfant réside habituellement au domicile de l’un de ses parents (Cass. 2e civ., 20 janv. 2000, n° 98-14.479 ; adde A. Ponseille, « Le sort de la condition de cohabitation dans la responsabilité civile des père et mère du fait dommageable de leur enfant mineur », RTD civ. 2003, p. 645), ce qui est bien le cas pour les jeunes auteurs de l’incendie de la grange. Enfin, la dernière condition étant liée au fait dommageable, il fallait que l’enquête de gendarmerie confirme que l’incendie avait bien été provoqué par les flammes avec lesquelles les trois enfants s’étaient amusés, peu important qu’ils aient eu ou non conscience des conséquences de leur comportement. Selon l’enquête menée par la gendarmerie, cette condition est bien remplie puisque ce sont les mineurs en question qui ont commis le fait dommageable. Ils avaient en effet tous joué avec des briquets ou des allumettes, raison pour laquelle leur responsabilité est encourue contrairement à une autre affaire dans laquelle le feu d’une grange avait été provoqué par l’attitude d’un seul enfant qui avait utilisé un briquet, l’autre ayant seulement participé aux préparatifs pour faire des grillades en mettant le feu à un tas de paille (CA Rennes, 10 nov. 2015, JAC n° 162, mars 2016, note I. Corpart).

Les conditions de mise en œuvre de l’article 1242, alinéa 4, du Code civil étant réunies en l’espèce, la seule solution pour que les parents ne soient pas tenus d’indemniser les propriétaires de la grange aurait été de pouvoir rapporter la preuve d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime du dommage (CA Rouen, 5 janv. 2012, n° 11/00852 ; Cass. 2e civ., 4 juin 1997, Bull. civ., II, n° 56).

Dans la mesure où les juges de la cour d’appel estiment que le fait d’avoir laissé le bâtiment à l’abandon sans restreindre son accès n’est pas fautif (à l’inverse le fait de ne pas avoir équipé un hangar d’une borne incendie alors qu’il renfermait de grandes quantités de produits chimiques qui avaient accéléré la propagation d’un incendie avait permis d’exonérer partiellement les parents de leur responsabilité : Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, Bull. civ. II, n° 281), les parents ne peuvent pas être exonérés de leur responsabilité. Il ne suffit pas qu’ils prouvent ne pas avoir commis de faute de surveillance ou d’éducation.

En l’espèce, les parents des trois enfants sont solidairement responsables et ils doivent contribuer ensemble au paiement de la dette indemnitaire fixée par les juges en prenant en charge un tiers des travaux de réparation de la grange. Il est relevé aussi par les juges que « dans la mesure où les assurances respectives des père et mères ne dénient pas leur garantie, elles seront tenues à leurs côtés, à hauteur d’un tiers chacune également ».

Mettre le feu n’est pas un jeu et il est normal que les propriétaires indivis de la grange détruite par un incendie provoqué par des enfants inattentifs et maladroits puissent démarrer des travaux de reconstruction.

* * *

CA Chambéry, 2e chambre, 5 mai 2022, n° : 18/02332

(…)

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 22 août 2013, à Bonvillard, un incendie a détruit une vieille grange à l’abandon, édifiée sur trois parcelles cadastrées G 919, 920 et 921.

L’enquête de gendarmerie réalisée à la suite de ce sinistre a révélé que dans les heures qui ont précédé l’incendie, trois enfants mineurs, Steven G., Maxime S.-M. et Maxence U., ‘s’étaient amusés’ à allumer des feux dans et à l’extérieur de cette grange, feux qu’ils pensaient à tort avoir éteints.

Le 3 mars 2014, Mme Claudette T. née E., M. Bernard E., Mme Andrée B. née P.’h., M. Claude P. et M. Eric P., se présentant comme les propriétaires indivis de cette grange ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d’Albertville sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 15 avril 2014, cette juridiction a confié une expertise judiciaire à M. F., dont la mission consistait notamment à décrire les dommages subis du fait de l’incendie et les réparations nécessaires à mettre en oeuvre.

L’expertise s’est déroulée au contradictoire des personnes suivantes :

– les époux Thierry et Monique G., parents du jeune Steven G., et la société Axa,

– Mme Sylvie D., mère du jeune Maxime S.-M. et la Caisse d’Epargne BPCE, d’une part, et la Banque Postale Assurances Iard, d’autre part,

– Mme Annick U., mère du jeune Maxence U., et la société Pacifica.

  1. F. a déposé son rapport le 21 septembre 2015.

Par actes des 9 et 10 novembre 2015, Mme Claudette T. née E., M. Bernard E., et Mme Andrée B. née P.’h. ont fait assigner les personnes suivantes devant le tribunal de grande instance d’Albertville aux fins d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice :

– les époux Thierry et Monique G. et la société Axa,

– Mme Sylvie D. et la Caisse d’Epargne BPCE,

– Mme Annick U. et la société Pacifica.

La Banque Postale est intervenue volontairement à l’instance en sa qualité d’assureur de responsabilité civile de Mme D..

Mme Andrée B. née P.’h. est décédée le 26 octobre 2018

Par jugement du 9 novembre 2018, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance d’Albertville a :

– reçu l’intervention volontaire de la SA Banque Postale,

– déclaré recevable l’action engagée par Mme Claudette E. épouse T., M. Bernard E. et Mme Andrée P.’h. épouse B.,

– condamné in solidum :

. Mme Annick U. en sa qualité d’administratrice légale de son fils Maxence U. et la compagnie d’assurances Pacifica,

. Mme Monique G. et M. Thierry G. en leur qualité d’administrateurs légaux de leur fils Steven G. et la SA Axa assurances,

. et Mme Sylvie D. en sa qualité d’administratrice légale de son fils Maxime S. M.,

à payer à Mme Claudette T., M. Bernard E. et Mme Andrée B., la somme de 193 324,82 euros TTC au titre de la réparation de leur préjudice matériel, sous réserve de l’application de la franchise pour les assureurs,

– mis hors de cause la compagnie d’assurance Caisse d’Epargne BPCE,

– condamné Mme Sylvie D. ès qualités et la SA Banque Postale à relever et garantir Mme Annick U. ès qualités et la compagnie Pacifica à hauteur d’un tiers des condamnations prononcées à leur encontre,

– condamné Mme Sylvie D. ès qualités à relever et garantir Mme Monique G. et M. Thierry G. ès qualités et la société Axa assurances à hauteur d’un tiers des condamnations prononcées à leur encontre,

– condamné Mme Annick U. ès qualités et la compagnie Pacifica à relever et garantir d’une part Mme Monique G. et M. Thierry G. ès qualités et la société Axa assurances, et d’autre part Mme Sylvie D. ès qualités et la SA Banque Postale, à hauteur d’un tiers des condamnations prononcées à leur encontre,

– condamné Mme Monique G. et M. Thierry G. ès qualités et la société Axa assurances à relever et garantir d’une part Mme Sylvie D. ès qualités et la SA Banque Postale, et d’autre part Mme Annick U. ès qualités et la compagnie Pacifica des condamnations prononcées à leur encontre,

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

– condamné in solidum Mme Annick U. ès qualités et la compagnie Pacifica, Mme Monique G. et M. Thierry G. ès qualités et la société Axa assurances, et Mme Sylvie D. ès qualités et la SA Banque Postale :

. aux dépens dont distraction au profit de Maître C.,

. à payer à Mme Claudette T., M. Bernard E. et Mme Andrée B. la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme Claudette T., M. Bernard E. et Mme Andrée B. à payer à la Caisse d’Epargne BPCE la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 12 décembre 2018, Mme Annick U. en sa qualité d’administratrice légale de son fils Maxence U. et la société Pacifica ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, Mme U. ès qualités et la société Pacifica demandent à la cour de réformer le jugement déféré et statuant à nouveau de :

‘ déclarer irrecevable l’action initiée pour défaut de qualité à agir des consorts E.,

‘ subsidiairement,

– dire et juger que Maxence U. n’a commis aucun acte fautif à l’origine de l’incendie de la grange,

– dire et juger que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants ne sont donc pas réunies à l’encontre de Mme U.,

– en conséquence, débouter les consorts E. de l’intégralité de leurs demandes,

‘ en tout état de cause,

– condamner les époux Thierry G. et leur assureur, la société Axa, et Mme D. et la Banque Postale, à les relever et garantir de toutes les condamnations susceptibles d’être prononcées à leur encontre,

– ramener à de plus justes proportions le quantum des réclamations sollicitées par les consorts E.,

– condamner in solidum les consorts E. à leur payer la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les consorts E., ou qui mieux le devra, aux entiers dépens de l’instance avec distraction au profit de la SCP Le R. B. D. par application de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, les époux Thierry et Monique G. ès qualités et la société Axa France Iard demandent à la cour de :

‘ dire et juger recevable et fondé leur appel incident,

‘ en conséquence, réformer partiellement le jugement entrepris,

‘ dire et juger que les consorts E. ne justifient pas de leurs droits de propriété sur la parcelle cadastrée G 920 et en conséquence les débouter de leur demande,

‘ à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité des parents des trois enfants mineurs avec partage de responsabilité par tiers entre eux,

– réduire dans de très importantes proportions les sommes réclamées par les consorts E. pour leur préjudice matériel,

– condamner in solidum Mme U. et la société Pacifica, ainsi que Mme D. et la Banque Postale à les relever et garantir à hauteur d’un tiers chacun des condamnations mises à leur charge,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les consorts E. de leur demande au titre du préjudice de jouissance,

– dire et juger que la société Axa est fondée à opposer sa franchise contractuelle aux consorts E.,

– condamner les consorts E. à leur payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les consorts E., ou qui mieux le devra, aux dépens, ceux d’appel étant distraits au profit de la SCP M.D.T..

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, Mme D. ès qualités et la Banque Postale demandent à la cour, sur leur appel incident, d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

‘ à titre principal,

– dire et juger irrecevable l’action des consorts E. pour défaut d’intérêt et de qualité à agir,

– dire et juger que la responsabilité de Mme D. sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er du code civil n’est pas engagée,

– débouter les consorts E. de l’intégralité de leurs demandes,

‘ à titre subsidiaire,

– dire et juger que la responsabilité civile encourue au titre de l’incendie doit être partagée à parts égales entre Mme D., Mme U., les époux G. et chacun des consorts E.,

– dire et juger que la garantie de la Banque Postale se limitera à la part virile de son assurée, Mme D.,

‘ encore plus subsidiairement, condamner Mme U., la société Pacifica, les époux Thierry et Monique G. et la société Axa à relever et garantir Mme D. de toutes condamnations mises à sa charge à hauteur des deux tiers,

‘ en tout état de cause,

– dire et juger que les préjudices de jouissance et liés aux travaux de couverture et de charpente ne sont pas justifiés,

– rejeter les préjudices de jouissance et de remise en état,

– subsidiairement, dire et juger que le préjudice des consorts E. doit être limité à la somme de 126 364,16 euros HT,

– réduire la somme réclamée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ,

– condamner la société Pacifica ou qui mieux le devra à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Pacifica aux entiers dépens de l’instance.

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, Mme Claudette E. épouse T. et M. Bernard E. demandent à la cour de :

‘ confirmer le jugement déféré,

‘ en conséquence,

– déclarer recevable leur action,

– dire et juger que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur sont réunies s’agissant de Mme U.,

– condamner in solidum Mme Annick U. en sa qualité d’administratrice légale de son fils Maxence U., Mme Sylvie D. en sa qualité d’administratrice légale de son fils Maxime S.-M., et les époux Thierry G. en leur qualité d’administrateurs légaux de leur fils Steven G. :

. à leur payer la somme de 193 324,82 euros TTC au titre de la réparation de leur préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

. aux entiers dépens de l’instance.

La clôture est intervenue le 10 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l’action de Mme Claudette E. épouse T. et de M. Bernard E.

Il résulte des pièces produites aux débats que :

– selon l’attestation de propriété établie par notaire le 26 novembre 2005 (pièce 2 des époux G. et de la société Axa), la parcelle G 919, sur laquelle est pour partie édifiée la grange litigieuse, appartient en indivision à Mme Claudette E. épouse T. et à M. Bernard E.,

– selon donation du 16 octobre 2015, Mme Claudette E. épouse T. est devenue propriétaire de la parcelle G 921 sur laquelle est pour partie édifiée la grange litigieuse, parcelle dont Mme Andrée P.’h. épouse B. était propriétaire.

Aucune des pièces produites aux débats n’établit que les consorts E. sont propriétaires de la parcelle G 920 sur laquelle est pour partie édifiée la grange litigieuse, la cour restant dans l’ignorance de l’identité des propriétaires de cette parcelle.

Il n’en demeure pas moins que Mme Claudette E. épouse T. et M. Bernard E. sont propriétaires indivis de la grange litigieuse, ce qui leur donne intérêt pour agir en indemnisation du préjudice matériel subi suite à l’incendie de ce bâtiment.

Ainsi que l’a parfaitement analysé le premier juge, cette action est un acte conservatoire que l’article 815-2 du code civil leur donne la qualité de faire seuls, quelle que soit la proportion de leurs droits dans l’indivision.

En conséquence, Mme Claudette E. épouse T. et M. Bernard E. sont recevables en leur action, dont il convient toutefois de préciser qu’ils l’exercent en qualité d’indivisaires pour l’ensemble de l’indivision.

Sur la responsabilité

Dans sa rédaction en vigueur au jour de l’incendie, soit le 22 août 2013, l’article 1384 du code civil disposait que ‘On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre (…) / Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.’

En vertu de ce texte sur lequel les consorts E. fondent leur action, il suffit qu’un mineur ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime pour que la responsabilité de ses parents, avec lesquels il habite, soit présumée.

Seule l’enquête de gendarmerie permet d’appréhender les circonstances de l’incendie. Il en ressort clairement que des feux ont été allumés à l’extérieur de la grange par chacun des trois mineurs, que des feux ont été allumés à l’intérieur de la grange par Steven G. et Maxime S.-M., que ces feux n’ayant pas été éteints, ils ont communément provoqué l’incendie de la grange.

Contrairement à ce que soutient Mme U., aucun des éléments de l’enquête ne permet d’exclure tout lien de causalité directe entre l’incendie de la grange et les feux allumés à l’extérieur de celle-ci, ce d’autant moins que ces derniers étaient situés à proximité immédiate du bâtiment.

En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité des parents de Steven G. et des mères de Maxime S.-M. et de Maxence U..

Mme D. et la Banque Postale soutiennent que les propriétaires de la grange ont participé à la réalisation de leur dommage par leur négligence.

Cette négligence serait constituée par le fait qu’aucune mesure n’avait été prise pour interdire l’accès à la grange alors que, d’une part, elle contenait du foin, matériau inflammable, outre l’un des briquets ayant servi à allumer certains feux et que, d’autre part, Mme Claudette T. avait conscience du danger puisqu’elle a déclaré lors de son audition par la gendarmerie qu’elle n’était ‘pas surprise que ce genre de faits se produise à Bonvillard, beaucoup de personnes se plaignant de l’incivilité de plusieurs mineurs’.

Outre que la présence dans la grange d’un des briquets utilisés pour allumer les feux ne ressort pas clairement de l’enquête de gendarmerie et ne peut pas être raisonnablement déduite des auditions des mineurs concernés, nul n’est obligé de clore son bien quel que soit l’environnement de celui-ci et le fait qu’une grange désaffectée contienne encore du vieux foin ne peut être assimilé à une prise consciente d’un risque assimilable à une négligence.

En conséquence, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’indivision propriétaire de la grange une quelconque part de responsabilité dans la survenance du sinistre.

Sur l’indemnisation du préjudice matériel

Il convient de rappeler que l’indivision propriétaire de la grange doit obtenir la réparation intégrale de son préjudice, ce qui signifie qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la sienne avant le sinistre, sans perte ni profit.

Il ressort de l’enquête de gendarmerie et notamment de la propre audition de Mme T. que la grange datait de 1930 et était à l’abandon depuis 2005, qu’elle était construite en bois sur soubassement en maçonnerie, sur plusieurs niveaux, et que sa toiture était composée de poutres et de tôles. Aucune photographie du bâtiment avant sinistre n’est produite aux débats.

En l’espèce, il serait concevable de fixer le plafond d’indemnisation du préjudice subi par l’indivision dont sont membres les consorts E. à la valeur patrimoniale qui était celle de cette grange au jour de l’incendie, ce d’autant que Mme Claudette T. a indiqué qu’elle avait, avant le sinistre, l’intention de la transformer en un chalet. Mais la cour ne dispose d’aucun élément sur cette valeur, la valorisation à 300 euros d’une partie de cette grange lors de la donation consentie le 16 octobre 2015 à Mme Claudette T. par Mme Andrée B. ne pouvant pas être considérée puisqu’à cette date, l’incendie avait déjà détruit la grange réduite à l’état de ruine.

  1. F. a évalué le coût de reconstruction d’une grange à la somme HT de 161 104,02 euros.

‘ Mais cette somme correspond au coût de construction, selon les méthodes actuelles, d’un bien neuf, c’est-à-dire d’un bien sensiblement différent de celui qui existait au jour du sinistre. Cette somme ne peut donc constituer une référence que sous réserve de l’application d’un coefficient de minoration.

‘ Par ailleurs, cette somme est ventilée de la manière suivante :

‘ 24 385,60 euros HT au titre des travaux de maçonnerie.

Il convient d’observer que ces travaux sont pour partie des travaux d’amélioration, qui ne peuvent pas être considérés. Il s’agit notamment des travaux relatifs aux fondations (2 400 euros HT) et à la réalisation d’un enduit après renforcement des murs (6 985 euros HT)

‘ 122 072,60 euros HT au titre des travaux de charpente et de couverture.

Ces travaux avaient été évalués par l’entreprise R. à la somme HT de 91 400 euros, dans un devis établi à la demande des propriétaires indivis de la grange et communiqué par ceux-ci à l’expert. M. F. a considéré que les prix unitaires de ce devis étaient bas, sans toutefois l’être de manière anormale. Dès lors que cette entreprise locale, notoirement connue, n’avait aucun intérêt à sous-évaluer les travaux qui étaient susceptibles de lui être confiés, il n’y avait pas lieu d’écarter le chiffre de 91 400 euros HT, ce d’autant qu’il n’était pas critiqué par les propriétaires de la grange sinistrée.

Par ailleurs, certains des postes de travaux constituent manifestement des postes d’amélioration de l’ouvrage qui ne peuvent pas être considérés : il en est ainsi de l’écran de sous toiture bitumée (poste suns’x alu d’un montant HT de 3 600 euros), de la zinguerie dont il n’est pas établi que la grange était équipée, aucun élément d’une ancienne zinguerie n’ayant été retrouvé dans les décombres (4 312 euros HT + 3 380 euros HT), et des tôles choisies pour la toiture dont le coût total HT de 10 500 euros est manifestement supérieur au coût de remplacement à l’identique des anciennes tôles.

‘ 14 645,82 euros HT au titre des honoraires de maîtrise d’oeuvre, alors que la nécessité de recourir à un maître d’oeuvre pour la reconstruction d’une grange ne justifiant que de l’intervention non simultanée de deux professionnels différents n’est pas démontrée.

Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, la cour réduit le montant de l’indemnisation à la somme HT de 75 300 euros, soit 82 830 euros TTC.

Sur l’obligation à la dette indemnitaire

La cour constate que les consorts E. ne présentent en cause d’appel plus aucune demande à l’encontre des sociétés Axa, Pacifica et Banque Postale qui sont respectivement les assurances de responsabilité civile des époux Thierry G., de Mme U. et de Mme D..

Ainsi, la demande de la société Axa tendant à juger qu’elle est fondée à opposer sa franchise contractuelle aux consorts E. est sans objet.

En conséquence, seuls les parents de Steven G. et les mères de Maxence U. et de Maxime S.-M. sont condamnés in solidum à payer aux consorts E. la somme de 82 830 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018, date du jugement dont appel.

Sur la contribution à la dette de chacun des obligés et la garantie de leurs assureurs

Dans la mesure où, ainsi que l’a justement retenu le premier juge, il convient de considérer que les trois mineurs ont une responsabilité équivalente dans la survenance de l’incendie, leurs parents contribueront à la dette indemnitaire ci-dessus mise à leur charge in solidum à hauteur d’un tiers pour chacun d’entre eux.

Et dans la mesure où leurs assurances respectives ne dénient pas leur garantie, elles seront tenues à leurs côtés, à hauteur d’un tiers chacune également, ce qui satisfait à la demande de la Banque Postale tendant à juger que sa garantie est limitée à la part virile de son assurée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel doivent être mis à la charge in solidum des époux Thierry G., de Mme Annick U. et de Mme Sylvie D., avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Didier C. s’agissant des dépens de première instance.

Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur des demandeurs initiaux.

Sur ce point, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il leur a alloué la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés en première instance.

En revanche, en équité, la cour déboute les consorts E. de leur demande au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS, après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour statuant publiquement et contradictoirement,

‘ Constate que le jugement dont appel n’est pas critiqué en ce qu’il a

– mis hors de cause la Caisse d’Epargne BPCE et lui a alloué une indemnité de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– reçu l’intervention volontaire de la SA Banque Postale,

Réformant partiellement les dispositions critiquées du jugement dont appel et statuant à nouveau sur le tout pour davantage de clarté,

‘ Déclare recevable l’action exercée par Mme Claudette E. épouse T. et M. Bernard E., au nom de l’indivision propriétaire de la grange édifiée sur les parcelles cadastrées G 919, 920 et 921, de la commune de Bonvillard,

‘ Constate que les consorts E. ne dirigent aucune de leurs demandes à l’encontre des sociétés AXA, Pacifica et Banque Postale, en leur qualité d’assureurs de responsabilité civile des époux Thierry et Monique G., de Mme Annick U. et de Mme Sylvie D.,

Dit en conséquence qu’est sans objet la demande présentée par la société AXA relativement à l’opposabilité de sa franchise contractuelle aux consorts E.,

‘ Condamne in solidum les époux Thierry et Monique G., parents de Steven G., Mme Annick U., mère de Maxence U., et Mme Sylvie D., mère de Maxime S.-M., à payer à Mme Claudette E. épouse T. et à M. Bernard E., pour le compte de l’indivision propriétaire de la grange incendiée le 22 août 2013, la somme de 82 830 euros de dommages-intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018,

‘ Dit que dans leurs rapports entre eux,

– les époux Thierry et Monique G., Mme Annick U. et Mme Sylvie D. contribueront au paiement de cette indemnité, à hauteur d’un tiers chacun,

– leurs assurances respectives, soit la société Axa, la société Pacifica et la société Banque Postale, seront également tenues à un tiers de l’indemnité mise à leur charge,

‘ Condamne in solidum les époux Thierry et Monique G., Mme Annick U., et Mme Sylvie D. :

– aux dépens de première instance, Maître Didier C. étant autorisé à recouvrer directement à leur encontre ceux dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision,

– aux dépens d’appel,

– à payer à Mme Claudette E. épouse T. et à M. Bernard E. la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Déboute les parties de toutes les autres demandes, plus amples ou contraires.

Ainsi prononcé publiquement le 05 mai 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.