Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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FAUTE DISCIPLINAIRE COMMISE PAR UN AUXILIAIRE DE PUÉRICULTURE AYANT OUBLIÉ UN JEUNE ENFANT DANS UNE CRÈCHE, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Commentaire de CAA Marseille 12 mai 2022, n° 21MA01009

Oublier un enfant dans une crèche, fermer la structure et le laisser tout seul, est fautif car la mission d’un auxiliaire de puériculture est d’assurer la sécurité et la protection des enfants qui lui sont confiés. Que la personne responsable de cette grave maladresse soit sanctionnée se justifie pleinement, raison pour laquelle les juges de la cour administrative d’appel de Marseille ont suivi les juges du tribunal de Toulon le 12 mai 2022 en décidant d’annuler l’avis rendu par le conseil de discipline de recours pour maintenir l’exclusion de fonction.

Mots-clés : oubli d’un enfant dans une halte-garderie – manquement à des obligations professionnelles – faute disciplinaire – sanction disciplinaire : exclusion temporaire de fonctions – surveillance, protection et sécurisation des enfants confiés au personnel d’une crèche

Pour se repérer

Mme D., auxiliaire de puériculture dans la halte-garderie « Les Gardinous » de la commune de La Garde a oublié un petit enfant de 21 mois dans un dortoir et, quittant les lieux avant l’heure normale de fermeture, elle l’a enfermé, le laissant sans surveillance le 7 septembre 2017. Le maire de la commune lui a reproché d’avoir commis cette faute professionnelle alors que l’intéressé était sous sa garde et sa surveillance.

Dans la mesure où il s’agit de faits involontaires (a fortiori dépourvus de toute idée de maltraitance) qui n’ont pas eu d’incidence sur la santé ou l’état de l’enfant abandonné, ses parents n’ayant pas non plus envisagé d’agir contre Mme D., auxiliaire de puériculture, et de lui réclamer éventuellement des dommages et intérêts, l’affaire n’a pas débouché sur la mise en œuvre d’une action en responsabilité (ce qui aurait été le cas si une faute grave de surveillance avait été à l’origine d’un accident : Crim. 16 févr. 2016, n° 15-80.474).

En revanche, souhaitant tenir compte de l’attitude de l’intéressée, le maire a pris un arrêté le 28 mars 2018 dans le but de lui infliger « une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée d’une année assortie d’un sursis de 6 mois ». Mme D. a tenté de faire supprimer cette mesure en contactant le conseil de discipline de recours de la région Provence-Alpes-Côte d’azur, lequel, par un avis rendu le 15 juin 2018 a fait savoir qu’aucune sanction ne devait être infligée à l’auxiliaire de puériculture. Cet avis a toutefois été annulé par le tribunal administratif de Toulon le 22 janvier 2021, saisi par la commune de La Garde, et Mme D. a interjeté appel de ce jugement, estimant qu’aucune faute ou manquement à ses obligations ne pouvait lui être reprochée et que la sanction était disproportionnée aux faits qui lui étaient reprochés.

Pour aller à l’essentiel

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille du 12 mai 2022 (n° 21MA01009) revient sur les obligations des personnels qui ont pris les jeunes enfants en charge dans un établissement d’accueil et qui doivent veiller à leur sécurité. Quitter les lieux en laissant un enfant enfermé dans la crèche est passible de sanctions. En l’espèce, Mme D., auxiliaire de puériculture a oublié et enfermé dans les locaux de la halte-garderie un enfant qui avait été placé sous sa garde et sa surveillance. Cette faute involontaire lui est reprochée car, non seulement elle a délaissé un enfant, mais aussi car elle n’avait pas instauré une procédure de pointage fiable des enfants à la sortie de l’établissement ou de contrôle de leur présence en son sein.

L’employeur, en l’occurrence le maire, peut sanctionner les agents qui ont méconnu leurs obligations lorsqu’un intérêt majeur le justifie. Dès lors, il appartient au juge administratif, saisi d’une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un agent public, d’apprécier la légalité de la décision au regard des pièces ou documents qui lui sont transmis. En l’espèce, il s’agissait de savoir si les faits reprochés à Mme D. dans le cadre de la sanction disciplinaire prise par le maire de la commune de La garde, constituaient des fautes pouvant conduire à la mise en place de cette sanction (exclusion temporaire de fonctions) et de mettre en parallèle la gravité des fautes et la sanction. Des images extraites de la vidéo de surveillance installée devant la halte-garderie et des attestations font effectivement état de ce que Mme D., agent le plus qualifié de la halte-garderie après la directrice, a été la dernière à quitter les lieux et à fermer la structure le 7 septembre 2017, en oubliant un enfant de 21 mois qui dormait dans le dortoir et en ne respectant pas les horaires d’ouverture de l’établissement. L’oubli et l’enfermement sur place de ce dernier justifient qu’une sanction disciplinaire soit infligée à l’auxiliaire de puériculture affectée à la halte-garderie « les Gardinous » car elle a manqué à ses obligations professionnelles. Après avoir eu connaissance de cette décision, elle avait saisi le conseil de discipline de recours de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, lequel avait rendu le 15 juin 2018 un avis considérant que cette attitude ne devait pas conduire à la sanction prise contre elle, toutefois les juges du tribunal administratif de Toulon, suivis par ceux de la cour administrative d’appel de Marseille ont convenu d’annuler ledit avis, estimant qu’une faute a bien été commise en l’espèce, la protection de l’enfant n’ayant pas été assurée.

Pour aller plus loin

Travailler dans le secteur de la petite enfance et en particulier en crèche donne pour mission d’accueillir les jeunes mineurs et d’assurer leur garde au sein d’une structure adaptée. S’il s’agit avant tout de participer à leurs activités d’éveil et de bien les accompagner au quotidien en s’adaptant à leurs besoins, tout auxiliaire de puériculture doit veiller à la sécurité des lieux, notamment à la propreté du local, des jouets et du matériel nécessaire au change, mais avant tout à la sécurité des enfants en les surveillant de manière effective et constante. Tout manquement peut conduire à la mise en œuvre d’une action en responsabilité et à diverses sanctions.

Une crèche doit être un lieu paisible d’accueil pour les enfants et il est essentiel que les professionnels de la petite enfance assurent leur développement tout en les sécurisant. Oublier un enfant dans les locaux d’une crèche constitue bien une faute disciplinaire, justifiant assurément une sanction disciplinaire. Responsable de la crèche de la commune, le maire a pu exclure temporairement Mme D. de ses fonctions car, conformément à l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, « toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale », les sanctions étant précisées par l’article 89 de la loi du 26 janvier 1984. Cette sanction est confirmée par le tribunal administratif de Toulon et par la cour d’appel administrative de Marseille car l’oubli et l’enfermement d’un enfant dans les locaux d’un établissement d’accueil caractérise un manquement aux obligations professionnelles, ce qui justifie qu’une sanction disciplinaire soit prise même si c’était de manière involontaire et si l’enfant n’a pas subi de lourdes incidences à la suite de cette attitude. Peu importe également que les parents n’aient pas intenté de procédure contre l’auxiliaire de puériculture et qu’ils aient maintenu leur confiance à l’établissement, laissant leur enfant dans cette halte-garderie. Par ailleurs, l’argument de Mme D. qui expose s’être fiée au fait qu’habituellement aucun enfant ne dormait dans la crèche en fin de journée n’est pas recevable.

Dans un autre dossier, un bébé de 18 mois a été oublié dans une micro-crèche privée de Courbevoie le 11 juin 2019 et sa mère a trouvé porte close en arrivant dans l’établissement si bien qu’elle a dû prévenir les forces de l’ordre. Elles ont dû passer par la fenêtre pour le faire sortir (Ouest-France, 13 juin 2019) et le père a porté plainte. Dans cette affaire, ayant été informée de ce drame, l’adjointe au maire a proposé à la famille une place dans un établissement municipal pour soutenir parents et enfant.

L’arrêt rendu le 12 mai 2022 permet de remettre l’accent sur la responsabilité de tous les professionnels de la petite enfance, responsabilité engagée au quotidien. Tout manquement peut être lourd de conséquences pour les victimes, de même que pour les personnes mises en cause, aussi est-il essentiel que la prévention des risques soit maintenue au cœur des missions des établissement d’accueil de jeunes enfants (il en va de même en matière de transport : sanction disciplinaire pour abandon d’un enfant dans un bus, CAA Nancy, 14 juin 2007, n° 06NC01090). Sanctionner une personne qui s’est mal comportée se justifie pleinement car cela rappelle au personnel qu’il ne faut pas être négligent lorsque l’on a pour mission de s’occuper des enfants. Tout doit être fait pour assurer la sécurité et le bien-être des enfants (notamment en prévenant tout risque d’accident domestique : CA Nîmes, 25 juin 2019, n° 17/02919). Diverses sanctions sont envisageables car il pourrait être question de versement de dommages et intérêts si des actions en responsabilité sont engagées, des exclusions provisoires de fonction comme en l’espèce ou des licenciements pour faute grave (CA Versailles, 6 mai 2020, n° 17/03102) car le personnel doit s’assurer que tous les enfants sont partis lors de la fermeture de la crèche, étant garant de l’absence d’enfants ou de tiers en contrôlant les dortoirs, les aires de jeux, les salles d’accueil et toute la structure, l’idéal étant de disposer d’un logiciel de pointage des enfants.

Tout doit être fait pour éviter l’oubli d’un enfant à l’intérieur de la crèche car il faut garantir la santé et la sécurité des enfants accueillis, en respectant les consignes et en organisant une surveillance effective et constante. En l’espèce, le jeune enfant n’a pas été victime de retombées particulières (n’ayant pas apparemment subi de dommages) mais laisser un mineur seul dans un établissement inaccessible peut lui faire courir des risques qu’il est important de pouvoir éviter.