Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DE LA SANTÉ PUBLIQUE À LA SANTÉ AU TRAVAIL : AVANCÉES ET BLOCAGES PROCÉDURAUX, B. Wiart

Benjamin WIART,

Avocat au barreau de Lyon

 

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle et ses décrets d’application, dont celui du 23 avril 2019 n°2019-356, ont bouleversé la procédure d’instruction par les Caisses primaires d’assurance maladie (« CPAM ») sur le caractère professionnel des accidents du travail et maladies professionnelles. Nous vous proposons quelques sommaires observations pour prendre la mesure des conditions de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie lesquelles pourront être développées dans le cadre de la table ronde « De la santé publique à la santé au travail ».

I- Sur le principe du contradictoire

La réforme remanie, entre la Caisse primaire et les assurés / employeurs, les temps de dialogue qui organisent le caractère contradictoire de la procédure pour déterminer si un sinistre doit être qualifié de professionnel.

Les délais d’instruction en matière de maladie professionnelle sont rallongés. L’article R 461-9 nouveau du code de la sécurité sociale octroie à la Caisse primaire un délai de 120 jours francs pour statuer sur le caractère professionnel ou saisir le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles. En cas de saisine de ce dernier, elle dispose alors d’un nouveau délai de 120 jours francs pour se prononcer.

La réforme clarifie aussi les temps d’échanges. Les administrés disposent désormais d’un délai de trente jours francs pour retourner le questionnaire d’instruction communiqué. Surtout, elle offre de nouvelles possibilités d’intervention. En effet, elle octroie aux administrés une nouvelle période de (seule) consultation du dossier constitué par l’organisme social après la période déjà acquise sous l’empire des anciennes dispositions d’une période de consultation et d’émission d’observations dans un délai de dix jours francs. Cette réforme a ainsi l’avantage d’offrir plus de temps aux entreprises et aux assurés pour prendre connaissance des éléments leur faisant griefs. Espérons-le, les Caisses primaires d’assurance maladie bénéficieront dorénavant d’un temps suffisant pour prendre connaissance des observations émises par les administrés dans la dernière ligne de la procédure. Il s’agit d’une amélioration importante puisque que la Caisse Nationale avouait dans sa circulaire 28/2019 que les organismes sociaux ne disposaient auparavant pas d’un temps suffisant : « I- 1.3 Renforcer le contradictoire : Auparavant la caisse devait prendre sa décision dès l’expiration du délai de consultation et n’avait matériellement pas le temps de prendre en compte dans sa décision les observations apportées lors du contradictoire ».

II- Sur les effets asymétriques persistants

Il n’a pas été jugé opportun de résoudre quelques difficultés présentes dans l’ancienne procédure d’instruction régie par le Décret 2009-938 du 29 juillet 2009. Certaines dispositions conservent concomitamment des effets à la faveur des assurés et à la défaveur des employeurs. Pour exemple, l’alinéa 2 de l’article R 441-18 nouveau du code de la sécurité sociale mentionne : « l‘absence de notification dans les délais prévus aux articles R. 441-7R. 441-8R. 441-16R. 461-9 et R. 461-10 vaut reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, de la maladie, de la rechute ou de la nouvelle lésion ». Ainsi, l’absence de notification de la décision provoque un effet favorable à l’endroit des assurés puisqu’ils voient leur demande de reconnaissance du caractère professionnel aboutir favorablement et, a contrario, les employeurs se voient opposer un effet défavorable à leurs intérêts lorsqu’ils ont dénoncé la demande de l’assuré. Il persiste ainsi une asymétrie entre les droits des assurés et les droits des employeurs ce qui ne nous paraît pas équitable au prisme du principe de l’indépendance des rapports Caisse/assuré et Caisse/employeur.

III- Une réforme à poursuivre

Les conditions d’application des droits issus de la législation professionnelle restent à ce jour voilées en matière de maladie professionnelle pour les employeurs. En effet, la notion de « contestation d’ordre médical » présente à l’article R 142-8 nouveau du code de la sécurité sociale qui conditionne la saisine des toutes nouvelles Commissions Médicales de Recours Amiable (« CMRA ») n’est pas définie. Dans ces conditions, il n’est pas possible de savoir quand il convient de saisir la CMRA ou la Commission de recours amiable (« CRA »), notamment sur des motifs de contestation tenant à la désignation de la pathologie ou aux arrêts et soins. Le recours par-devant la CMRA nous apparaît en conséquence ineffectif, surtout si les Caisses primaires ne mentionnent pas dans leur décision ce qui relève de la contestation d’ordre médical et les voies spécifiques de recours afférentes. Le nouvel article R 142-9-1 n’est pas de nature à résoudre la difficulté en centralisant les recours par-devant la CRA quand des contestations d’ordre non médical et d’ordre médical sont à présenter.

Notons également qu’il sera intéressant dans l’avenir de s’attarder sur les jurisprudences de la Cour de cassation relatives au non-respect des délais impartis aux Caisses primaires pour prendre leur décision. Pour mémoire, la Haute Cour considère sous l’empire des anciennes dispositions que les délais n’ont aucune force contraignante à l’endroit des organismes sociaux (Cass. 2ème Civ. 7 novembre 2019, pourvoi n°18-22411 ; Cass. 2ème Civ. 9 juillet 2020, pourvoi n°19-11400). Vu la nouvelle dimension acquise dans le Décret du 23 avril 2019, il est légitime de s’attendre à ce que les demandes d’inopposabilité fassent l’objet d’une attention prétorienne nouvelle, sauf à vider d’office de toute substance une partie de cette réforme.

Enfin, les dispositions relatives au taux prévisible d’incapacité de 25% nécessaire à une reconnaissance d’une pathologie hors tableau n’ont pas été saisies pour être améliorées. La difficulté de contester le rapport d’incapacité prévisible devrait persister. Il s’agit d’une occasion manquée de répondre clairement aux critiques qui ont pu être émises par les employeurs sur le refus de la Cour de cassation d’ouvrir l’inopposabilité de la décision de prise en charge au motif que le taux d’incapacité permanente partielle reconnu est inférieur à 25% quand le taux prévisible a été reconnu comme supérieur à 25% (Cass. 2ème Civ. 19 janvier 2017, pourvoi n°15-26655 ; Cass. 2ème Civ. 24 mai 2017, pourvoi n°16-18141 ; Cass. 2ème Civ. 9 mai 2018, pourvoi n°17-17323).