MIEUX ENDIGUER LES DANGERS DU NUMERIQUE POUR LES MINEURS, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Proposition de loi n° 99 tendant à la protection des mineurs face au numérique, enregistrée au Sénat le 5 novembre 2019

Lorsque les usagers d’internet ne sont pas majeurs, leur vulnérabilité risque d’en faire des proies de personnes mal intentionnées et ils peuvent accéder à des données qui ne leur sont pas destinées car ils sont encore trop jeunes.

Les abus de faiblesse peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les mineurs qu’il importe de protéger, même contre eux-mêmes.

Des garde-fous doivent être posés et la protection déjà en place est à renforcer !

Mots-clefs : mineurs – faiblesse – vulnérabilité – protection – numérique – service de communication en ligne – loi pour la confiance dans l’économie numérique – sanctions pénales – vérification préalable de l’âge des utilisateurs

Problématique : la nécessaire protection due aux mineurs

 Par hypothèse, les mineurs sont des personnes fragiles et influençables, raison pour laquelle le législateur prévoit leur incapacité juridique. En effet, ils ont des droits mais ne peuvent pas les exercer eux-mêmes, aussi doivent-ils toujours être représentés par leurs parents, titulaires de l’autorité parentale ou par l’un d’entre eux, voire par un tuteur ou un administrateur ad hoc (C. civ., art. 388, 388-1-1, 388-2).

S’ils ne peuvent pas contracter seuls et sont ainsi déjà protégés contre certains méfaits d’internet et notamment contre les contrats à distance car les actes ainsi passés sans le consentement du représentant légal sont annulables, ce sont aussi les accès à différents sites ou leur consultation qui peuvent poser de graves problèmes, en particulier si les mineurs se sont faits connaître, ont laissé leur identité ou leurs coordonnées, de même que leurs photos.

Il est essentiel de sécuriser davantage l’accès à internet pour les jeunes enfants lorsque des sites ou des applications sont annoncés comme leur étant interdits mais qu’en réalité, aucun contrôle n’est effectué en amont et qu’aucun cadre juridique n’est réellement posé.

Certains de ces sites peuvent s’avérer dangereux. On peut comprendre, en effet, que si la consultation d’un site dédié aux achats de livre ou de CD d’occasion ne soit guère problématique, de même que celle d’une application facilitant la location de vélos ou de trottinettes, laisser des mineurs accéder librement à un site de rencontre, de jeu d’argent ou à un site pornographique soulève de réelles difficultés, des enfants pouvant se trouver mis en danger face à des adultes qui tentent de profiter de leur inexpérience et de leur manque de maturité.

Piste de réflexion : la nécessaire vérification de l’âge des usagers

L’une des préconisations de la proposition de loi enregistrée au Sénat le 5 novembre 2019 tend à écarter systématiquement, de certains sites ou de différents services ouverts à la communication du public en ligne, les usagers qui n’ont pas encore fêté leur dix-huitième anniversaire.

Il est ainsi prévu de compléter la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (JO du 22 juin) qui s’est engagée dans la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article 421-2-5 du Code pénal ou, encore, contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 dudit code.

Afin de sécuriser l’accès à de tels sites, conformément à l’article 6-1 de la loi, il est possible de demander le retrait des contenus qui posent problème.

L’autorité judiciaire peut également imposer en référé ou sur requête aux personnes responsables de prendre toutes les mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne (art. 6 de la loi), pour éviter tout dérapage.

La proposition de loi entend aller plus loin en ajoutant à la loi du 21 juin 2004 un article 6-2 selon lequel « les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne interdit aux mineurs s’assurent que les usagers sont majeurs ». Cette obligation est imposée aux personnes physiques ou aux dirigeants de fait ou de droit des personnes morales dont la mission est d’éditer ledit service et il n’est pas possible d’y déroger. Il convient aussi de s’assurer de la fiabilité du processus permettant de faire ces vérifications.

Surtout une lourde sanction est prévue pour les contrevenants dans l’alinéa 2 de ce texte qui envisage un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, sachant que les personnes morales peuvent aussi être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues à l’article 121-2 du Code pénal (al. 3 du texte ; pour les pénalités et l’interdiction d’exercice, voir C. pén., art. 131-38 et 131-39).

Grâce à ce texte, l’accès aux sites pornographiques pourrait être enfin véritablement verrouillé pour les mineurs (on pourrait s’interroger pour le cas des mineurs émancipés qui restent quand même à protéger même s’ils peuvent contracter).

Avancées de la proposition de loi : le renforcement de la protection des mineurs sur internet

Le système actuel a montré ses lacunes !

En effet, à présent, c’est aux intéressés qu’il est demandé de confirmer leur âge sans qu’aucune vérification ne soit entreprise, ce qui est véritablement consternant car les parents ne sont pas toujours à même d’empêcher leurs enfants d’accéder à ces sites.

Il ne suffit pas, comme on le pense, de s’attacher au fait qu’ils disposent d’une carte bancaire (avant de consulter un site pornographique, les internautes doivent rentrer leurs données de carte bancaire). Se référer uniquement à cette carte n’est pas pertinent car de nombreux sites sont gratuits et, en outre, de nombreux mineurs peuvent détenir une telle carte prépayée dès l’âge de douze ans ou même subtiliser celle de leurs parents.

Cette mesure, qui entend renforcer les contrôles de l’âge des usagers, s’inscrit dans une réflexion plus générale, une mission interministérielle ayant effectivement été désignée pour réfléchir à la protection des mineurs sur internet. Ses membres, issus en particulier du secrétariat d’État au numérique et du secrétariat d’État à l’égalité femmes-hommes, ont été invités à dégager des pistes d’action avant la fin de l’année.

Leur tâche n’est pas aisée car il faut, d’un côté, pouvoir vérifier l’âge des visiteurs de ces sites, tout en veillant, de l’autre côté, au respect des données personnelles, de la vie privée et de l’identité numérique qui ouvre aujourd’hui de vases débats, notamment autour de la reconnaissance faciale (voir les réserves formulées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, CNIL).

À partir du moment où des sites sont interdits officiellement aux mineurs, il est essentiel que seuls les usagers majeurs puissent y accéder librement. La proposition de loi déposée le 5 novembre 2019 entend poser de nouvelles exigences visant l’ensemble des services de communication au public mis en ligne.

Cette proposition de loi doit être soutenue car il y va de la sécurité de nos enfants et elle devrait être soutenue par toutes les associations de protection de l’enfance ! L’accès à de tels sites constitue bien une violence faite aux enfants.

Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL prévoira ensuite ses modalités d’application et il faudra mettre au point des moyens performants de vérifier à distance l’âge des usagers.

Il est, en effet, plus facile de parler des contrôles à effectuer que de les mettre en place en pratique !

Pour encadrer ces sites, il faudra aussi convenir d’une définition pour la pornographie, la violence, le terrorisme…, ce qui sera loin d’être évident !

Il ne faudra pas oublier non plus de continuer à préparer les enfants en leur éduquant avec bienveillance, en leur expliquant les risques encourus mais sans leur voiler la face car tous ces débordements existent bien dans le monde dans lequel nous vivons, pour qu’ils ne pensent pas que c’est encore une manière de les contraindre et que la loi à venir n’est pas acceptable car liberticide, une fois de plus.

 

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