Éric DESFOUGERES
Maître de conférences HDR à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC
Commentaire des ordonnances 2022-830 et 2022-831 du 1er juin 2022 et des décrets n° 2022-976 du 1er juillet 2022 et n° 2022-978 du 2 juillet 2022
Il n’est sans doute pas totalement innocent que parmi les tous premiers textes signés par la Première Ministre Elisabeth Borne en figurent plusieurs relatifs au transport, secteur dont elle a occupé le portefeuille ministériel de 2017 à 2019 et dans lequel elle avait précédemment effectué une bonne partie de sa carrière de haute fonctionnaire. Qu’il s’agisse du mode aérien (I) ou ferroviaire (II), la préoccupation dominante semble bien être d’éviter – autant que possible – les accidents à bord des véhicules et de faciliter encore l’accès à ces derniers.
I – LA PREVENTION DE DEUX RISQUES PARTICULIERS D’ACCIDENTS AERIENS
Outre l’alignement de la responsabilité du transporteur aérien interne de personnes sur le droit international issu de la Convention de Montréal du 28 mai 1999, la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 (JORF 9 oct. 2021) dite DDADUE (dispositions diverses d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière) avait habilité le gouvernement à prendre quatre ordonnances en matière aérienne. Le 1er juin 2022 sont intervenues deux d’entre elles : n° 2022-830 (JORF 2 juin 2022) (A) et n° 2022-831 (JORF 2 juin 2022) (B) visant chacune à juguler des circonstances spéciales à l’origine de dommages plus ou moins graves (V. Xavier Delpech « Deux nouvelles ordonnances en matière de droit aérien » : D. actu., 15 juin 2022 ; AG de la SFDAS, Conférence de B. Potier et X. Delpech : JAC n° 218, juill. 2022).
A – LE CONTROLE DE L’ALCOOLÉMIE ET DE L’USAGE DES STUPÉFIANTS DANS LE DOMAINE DE L’AVIATION CIVILE
La première ordonnance, relative au contrôle de l’alcoolémie et de l’usage des stupéfiants, a été complétée par un décret n° 2022-978 du 2 juillet 2022 (JORF 3 juil. 2022) précisant sa mise en œuvre. L’obligation de soumettre les membres de l’équipage à des tests de dépistage à l’alcool ou autres substances psychoactives avait, en réalité, était introduite par un règlement européen en date du 23 juillet 2018 (UE n° 2018 /1042 JOUE 25 juil. 2022) venu modifier celui du 5 octobre 2012 (UE n° 965 /2012 JOUE 25 oct. 2022) dit « AIR-OPS » (Air Operations Easy Access Rules). Il s’agissait alors clairement d’une réaction suite au drame de Germanwings où le 24 mars 2015 un pilote de cette filiale de la compagnie allemande Lufthansa avait volontairement précipité son appareil contre une montagne dans les Alpes françaises causant ainsi le décès de 144 passagers et 6 membres d’équipage.
Ces dispositions que l’on peut désormais retrouver à l’article L 6225 du Code des transports visent l’ensemble du personnel et même les télépilotes lorsque les opérations d’aéronef sans personne à bord présentent un risque particulier pour les personnes et les biens. Par analogie aux dispositions du code de la route, les forces de l’ordre sont dès lors habilitées, même en l’absence d’infraction, à procéder à des vérifications avec interdiction d’exercer leurs fonctions pour toute concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0.20 grammes par litre ou une concentration dans l’air expiré égale ou supérieure à 0.10 milligramme par litre avec éventuellement placement en garde à vue. Le titre aéronautique des personnes concernées pourra être retenu à titre conservatoire. L’avis de rétention du titre aéronautique ou la notification d’interdiction à titre conservatoire d’exercice des fonctions étant transmis à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) qui aura alors l’opportunité de prononcer une suspension jusqu’à un an qui constituera une sanction administrative complémentaire. Ces informations devront également être communiquées à l’Agence de l’Union européenne de la sécurité aérienne (EASA) basée à Cologne. Les sanctions pénales principales qui peuvent être encourues étant elles de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 € d’amende, soit là encore des peines équivalentes à la même infraction en matière routière. Il en va de même en cas de refus de se soumettre aux vérifications. (Cf. William ROUMIER « Contrôle et sanction de l’alcoolémie et de l’usage de stupéfiants dans le domaine de l’aviation civile » : Droit Pénal juil. 2022 com. 59).
Parallèlement, une autre pratique pouvant engendrer des conséquences dommageables pour l’aéronef se trouve désormais sanctionnée en vertu du même texte.
B – LA RÉPRESSION DU COMPORTEMENT DE PASSAGERS AÉRIENS PERTURBATEURS
De manière plus originale, c’est tout un arsenal administratif et pénal qui a été élaboré par la seconde ordonnance en réponse au phénomène des passagers perturbateurs ou indisciplinés dits « PAXI » ainsi définis par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) : « Passager qui ne respecte pas les règles de conduite dans un aéroport ou à bord d’un aéronef ou qui ne suit pas les instructions du personnel de l’aéroport ou des membres de l’équipage et perturbe de ce fait le bon ordre et la discipline dans l’aéroport ou à bord de l’aéronef » (Cf. Guide passagers indisciplinés/perturbateurs (PAXI) édité par la DGAC en décembre 2018). L’article L. 6421-5 du code des transports consacre tout d’abord l’obligation d’abstention pour tout passager empruntant un vol exploité en transport aérien public de ne pas, par son comportement, compromettre la sécurité de l’aéronef ou celle des personnes ou des biens à bord. Les transporteurs aériens titulaires d’une licence d’exploitation délivrée par la France sont invités à porter connaissance de tout manquement à la DGAC. Ces faits seront susceptibles d’entraîner une amende administrative ou une interdiction d’embarquement. Les transporteurs aériens, mais aussi les agences de voyages et tour-opérateurs, sont tenus de transmettre toute information et document en permettant le constat, sans que puisse leur être opposé le secret professionnel. Est mis en place tout un régime gradué de sanctions administratives s’échelonnant d’une amende administrative de 10 000 € maximum, pouvant être doublé en cas de récidive à une interdiction d’embarquement d’une durée maxime de deux ans (quatre en cas de récidive). S’y rajoutent des peines de 75 000 € et cinq ans d’emprisonnement pour le fait de compromettre la sécurité d’un aéronef en vol par la destruction ou la détérioration volontaire d’un des éléments de celui-ci ou du matériel de sécurité à bord.
C’est donc finalement toute atteinte à un élément de l’appareil dont la dégradation serait susceptible de porter atteinte à la sécurité du vol, soit directement soit indirectement, en accaparant l’attention des personnels navigants sur cet événement, réduisant leurs capacités d’engagement sur leur mission principale d’assurer la sécurité du vol qui se trouve punie (Cf. William ROUMIER « Sanctions des passagers aériens perturbateurs » : Droit Pénal juil. 2022 alerte 60).
Les pouvoirs publics se sont également préoccupés d’un autre mode de transport avec là encore le souci de fluidifier certains cas extrêmes.
II – LA PRECISION DES MISSIONS DE SNCF RESEAU DANS DES CONJONCTURES PARTICULIÈRES
La réécriture intégrale de l’article 8-1 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 (JORF 7 mai 1997) relatif aux missions de la société SNCF Réseau par le décret n° 2022-976 du 1er juillet 2022 (JORF 3 juil. 2022) est venu renforcer les tâches transversales confiées par le 7° de l’article L. 2111.9 du code des transports à une des trois principales structures publiques résultant de la dernière réforme ferroviaire, tant pour venir en aide lors d’hypothèses dramatiques imprévues (A), que pour favoriser le déplacement des personnes éprouvant des difficultés (B).
A – LA PARTICIPATION A LA GESTION DE CRISE
Désormais, SNCF Réseau, qui a pris le 1er janvier 2015 le relais de Réseau Ferré de France (RFF) en tant que principal gestionnaire du réseau ferré national français (V. Marc de MONSEMBERNARD « La constitution d’un groupe public ferroviaire : la réforme continue » : Energie – Environnement –Infrastructure avril 2015 Etude 6) et qui est devenu le 1er janvier 2020 une société anonyme à capitaux publics, se voit doter de nouvelles compétences lors de circonstances exceptionnelles. Il est ainsi expressément affirmé que la gestion de crise fait partie intégrante de la prestation de gestion opérationnelle des circulations mentionnées au I de l’article 3 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 (JORF 8 mars 2003) relatif à l’utilisation du réseau ferroviaire. Cela inclut la préparation à faire face à de tels événements imprévus à travers notamment l’organisation de sessions de formation, mais aussi d’exercices pratiques nécessaires pour améliorer en continu les réactions face à ces cas d’exception. Le processus, toujours inachevé, de libéralisation du secteur ferroviaire avec ouverture à la concurrence, sous la pression du droit de l’Union européenne, se trouve pris en compte puisque c’est bienà la demande de toute entreprise ferroviaire, et pas seulement celles issues du Groupe SNCF, ainsi que de tout gestionnaire d’infrastructure ou de gare, que SNCF Réseau peut proposer des prestations optionnelles en la matière. Concrètement, il peut s’agir d’accompagnement des familles et des proches des victimes au-delà des premières vingt-quatre heures suivant la survenance de l’accident.
En réalité, la question de la gestion de crise était déjà présente dans un document de référence interne à la SNCF datant de septembre 2016 (www.sncf-reseau.com) avec notamment une distinction fondamentale à opérer entre les situations perturbées n’ayant que des conséquences mineures sur le plan de transport, et dont la gestion demeure de la compétence des organismes opérationnels permanents, et les crises ferroviaires se caractérisant par un fort degré d’incertitude quant au rétablissement de l’exploitation ferroviaire dans des délais rapides et un risque d’impact élevé sur la clientèle et/ou l’image du Système ferroviaire. En cas de crise, il incombe à SNCF Réseau une fonction essentielle de coordination se traduisant par le fait d’informer les entreprises ferroviaires, d’organiser la circulation avec des restrictions (vitesse limité, détournement…), d’établir un plan de transport adapté et d’effectuer la remise en état. Ces dispositions étaient initialement fondées sur le décret n° 2006-1279 du 19 octobre 2006 (JORF 20 oct. 2006) relatif à la sécurité des circulations ferroviaires, désormais remplacé par le décret n° 2019-525 du 27 mai 2019 (JORF 28 mai 2019).
Le décret du 1er juillet 2022 vise également une des missions de SNCF Réseau pouvant se trouver à être en lien, notamment, avec des victimes d’accidents ou de catastrophes.
B – L’AMÉLIORATION DE LA MISE EN ACCESSIBILITE DU SYSTÈME DE TRANSPORT FERROVIAIRE NATIONAL
Il s’agit là d’une préoccupation similaire de confier, au gestionnaire du réseau un rôle de coordination et d’interlocuteur de référence pour toute question relative à l’accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite, notamment en se concertant avec des associations nationales. Cette démarche implique plusieurs acteurs dont les instances européennes qui ont déjà adopté différents textes en la matière (notamment le règlement européen du 23 octobre 2007 JOUE (UE n° 2007 /1371 JOUE 3 déc. 2007) – commentaire Christophe PAULIN « Règlement relatif aux droits et obligations des voyageurs ferroviaires » : Revue de droit des transports, mars 2008, comm. 25 et Xavier DELPECH « Vers une amélioration des droits des usagers du train en Europe » : Juristourisme, nov. 2017, p.7). L’Etat, qui avait chargé le Groupe SNCF de l’élaboration et du pilotage d’un schéma directeur national d’accessibilité-agenda d’accessibilité programmée (SDNA-Ad-AP) validé par un arrêté du 29 août 2016 (JORF 18 sept. 2016), est aussi associé, tout comme les autorités organisatrices des transports et des mobilités. En cas d’événements d’ampleur exceptionnelle, cela suppose une coordination de la mise en œuvre par SNCF Réseau.
La question de l’accessibilité aux différents modes, et en particulier dans le ferroviaire, renvoie en fait à la mise en œuvre du principe du droit au transport, suivant lequel les transporteurs doivent rendre effectif le droit qu’à toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d’un handicap de se déplacer, affirmé dès l’article L. 1111.2 du code des transports. La mise en œuvre reste toujours loin d’être optimale, en dépit de l’intervention de quelques condamnations pénales ou civiles ayant frappé la SNCF pour discrimination ou manquement à l’obligation d’information (Cf. Eric DESFOUGERES «Tourisme, transport et handicap » in Regards croisés sur le handicap en contexte francophone (sous la direction de Maria Fernanda ARENTSEN et Florence FABERON) Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise PASCAL, coll. Handicap et Citoyenneté, 2020, p. 319)
Ne reste plus qu’à souhaiter que ces premières incursions du nouveau gouvernement dans le domaine des déplacements ne demeurent pas une initiative sans lendemain, tant les mesures commentées concernent des sujets latents depuis plusieurs années et tant les chantiers à ouvrir ou à poursuivre sont encore nombreux.