LES CONDITIONS DE PROTECTION PAR LE CODE DE LA CONSOMMATION DU PROFESSIONNEL DÉMARCHÉ, P. Schultz

Philippe SCHULTZ

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – HDR

Directeur du Master Droit

Membre du CERDACC

 À propos de Cass. 1re civ., 31 août 2022, n° 21-11.455

Mots clés : code de la consommation – démarchage – professionnel – contrats hors établissement – droit de rétractation

Pour se repérer

La société ITAC est une société par actions simplifiée qui exploite un cabinet d’expertise-comptable.

Le 23 juin 2017, elle est démarchée par la société GE Capital équipement finance, une société de crédit-bail, avec laquelle elle souscrit un contrat de location d’un photocopieur. Par la suite, la société GE Capital équipement finance est devenue la société CM-CIC Leasing Solutions (la société CM-CIC).

Le 4 août 2017, la société ITAC demande à la société Audit Bureautique Conseils (la société ABC), qui a fourni le photocopieur, l’annulation immédiate du contrat de location en invoquant son droit de rétractation.

Afin d’obtenir le remboursement des sommes payées, la société ITAC assigne en paiement la société la société CM-CIC, mais encore la société Kotel, prise en sa qualité d’apporteur d’affaires.

Dans un arrêt du 17 novembre 2020, la cour d’appel de Versailles déboute la société ITAC de ses demandes et, considérant que le contrat a été résilié à ses torts, la condamne à restituer le photocopieur à la société CM-CIC et à lui payer la somme de 21 108 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2018 au titre des loyers impayés et à échoir, outre les pénalités pour la location du photocopieur.

Sur pourvoi formé par la société ITAC, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est cassé par une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendue le 31 août 2022 pour manque de base légale au regard de l’article L. 221-3 du code de la consommation.

Pour aller à l’essentiel

Selon l’article L. 221-3 du code de la consommation, les dispositions de ce code applicables aux relations entre consommateurs et professionnels sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

Manque de base légale au regard de ces dispositions, la décision qui retient que des contrats de location entrent dans le champ de l’activité principale d’une société d’expertise-comptable au motif que celle-ci dispose de toutes les compétences professionnelles pour apprécier les conditions financières d’un contrat de location portant sur un photocopieur, matériel de bureau indispensable à son activité principale, de sorte qu’elle ne peut bénéficier des dispositions protectrices du code de la consommation et du droit de rétractation prévu par ce code.

Pour aller plus loin

Le démarchage constitue une pratique commerciale pouvant aisément dégénérer en pratique agressive prohibées ou d’abus de faiblesse si bien que le législateur l’a très tôt encadré par la loi n°72-1137 du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile. Ce texte fondateur du droit de la consommation (J.-D. Pellier, Droit de la consommation : Dalloz, Cours, 3e éd., 2021, n° 3) a bien évidemment été intégré au Code de la consommation lors de l’adoption de la partie législative par la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 relative au code de la consommation. Les dispositions protectrices du consommateur démarché à son domicile ont ensuite étendu au cas où celui-ci est démarché sur son lieu de travail. Toutefois, la protection ne concernait que celui qui était sollicité comme consommateur : elle ne concernait pas la personne démarchée en sa qualité de professionnel.

La protection par les dispositions du Code de la consommation relatives aux contrats hors établissement des professionnels démarchés par d’autres professionnels est une innovation que l’on doit à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite Loi Hamon. L’extension insérée dans l’article L. 121-16-1, III, du Code de la consommation, se trouve formulée, à la suite de la refonte du code en 2016, dans l’article L. 221-3 selon lequel : « Les dispositions des sections 2, 3, 6 du présent chapitre [chapitre Ier : contrats conclus à distance et hors établissement] applicables aux relations entre consommateurs et professionnels, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. »

Dans l’arrêt commenté, la société d’expertise comptable démarchée entendait se prévaloir du dispositif-phare de cette réglementation : le droit de rétractation dont dispose la personne démarchée. Ce dispositif est réglementé par la sixième section de ce chapitre. En application de l’article L. 221-3, la section est étendue aux relations entre professionnels de sorte que le professionnel démarché peut s’en prévaloir. Mais encore faut-il qu’il remplisse les conditions prévues par l’article L. 221-3 du code de la consommation.

Le problème juridique soumis à la Cour de cassation portait exclusivement sur les conditions d’application de l’article L. 221-3. Le chapitre visé par ce texte couvre la réglementation applicable aussi bien aux contrats conclus à distance que les contrats conclus hors établissement. Toutefois, la protection reconnue au professionnel ne concerne que la seconde catégorie de contrat (I). Même s’il conclut un contrat hors établissement, tout professionnel ne peut réclamer l’application du régime protecteur. Certaines conditions sont liées à des caractéristiques propres au professionnel (II). Ce sont précisément ces caractéristiques qui étaient en discussion dans l’arrêt du 31 aout 2022.

I. Les contrats hors établissement

La notion de contrat hors établissement couvre trois hypothèses visées à l’article L. 221-1, I, 2° du code de commerce : « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur. »

Ces dispositions visant spécifiquement le consommateur ne sont pas pleinement transposables au professionnel concluant un contrat hors établissement, du moins pour la première hypothèse. Certes dans les deux cas, le consommateur ou le professionnel démarché concluent un contrat en la présence physique du démarcheur en lieu où ce dernier n’exerce pas habituellement son activité. Mais, lorsqu’il s’agit d’un consommateur, il importe peu que le contrat soit conclu à la suite d’un démarchage spontané du professionnel ou à la demande expresse du consommateur qui a conduit le professionnel à se déplacer en-dehors de son établissement habituel. Lorsqu’il s’agit de protéger un professionnel, ce dernier doit avoir été nécessairement sollicité par l’autre professionnel. En l’occurrence, il est relevé que la société d’expertise-comptable avait été démarchée par la société de crédit-bail si bien que cette condition était remplie. On suppose aussi que ce démarchage ait conduit à la conclusion du contrat en la présence physique des représentants respectifs des sociétés dans les locaux de la société d’expertise-comptable, c’est-à-dire un lieu dans lequel la société de crédit-bail n’exerce pas habituellement son activité.

Toutefois, mêmes si la condition de contrat hors établissement était bien remplie en l’occurrence, cela ne signifie pas pour autant que le régime protecteur s’appliquait. En effet, l’article L. 221-2 du code de la consommation comporte une liste de contrats exclus du domaine d’application de ce régime, exclusion s’appliquant tant aux contrats hors établissement qu’aux contrats à distance et tant aux consommateurs qu’aux professionnels sollicités. Parmi ces exclusions, on trouve notamment les contrats portant sur les services financiers. En l’occurrence, le contrat litigieux était décrit comme un contrat de location d’un photocopieur. En soi, s’il s’agit d’un pur louage de chose (C. civ., art. 1709), il ne s’agit pas d’un service financier. Cependant, l’activité du cocontractant de la société d’expertise-comptable conduit à s’interroger sur la nature exacte de ce contrat. La société GE capital équipement finance, devenue la société CM-CIC Leasing Solutions est une société spécialisée dans le crédit-bail proposant des locations financières de photocopieurs (V. par exemple : Cass. com., 9 juin 2022, n° 20-20.974). Si celle-ci avait acquis la photocopieur auprès de la société ABC en vue de le louer à la société d’expertise-comptable avec la possibilité d’acquérir le bien loué, moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers, l’opération serait un crédit-bail au sens de l’article L. 313-7 du code monétaire et financier. Dans ce cas il se serait agi d’un démarchage sur un service financier régi le code monétaire et financier (Art. L. 341-1 et s.). Or un tel démarchage est expressément exclu du domaine d’application des contrats hors établissement prévu par le Code de la consommation. Cette question n’est plus évoquée devant la Cour de cassation. Mais ce moyen avait été soulevé par la société CM-CIC Leasing Solutions devant la Cour d’appel de Versailles (V. CA Versailles, 13e ch., 17 nov. 2020, n° 19/07946). Il a précisément été écarté au motif que le contrat de location de longue durée qui a pour objet la mise à disposition de la société ITAC d’un photocopieur en contrepartie du paiement d’un loyer n’est pas un service financier au sens de l’article 2 de la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, qui définit le service financier comme étant tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux pensions individuelles, aux investissements ou aux paiements (V. dans le même sens, CA Angers, ch. civ. A, 28 sept. 2021, n° 19/00176. – CA Lyon, ch. A, 9 juin 2022, n° 19/02788).

Si cette question de qualification n’avait pas échappé aux parties, la discussion devant la Cour de cassation portait fondamentalement sur les qualités du professionnel démarché.

II. Les conditions relatives au professionnel démarché

Avant la réforme apportée par la loi Hamon, l’ancien article L. 121-22 du code de la consommation excluait formellement des règles protectrices applicables en matière de démarchage, « les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu’elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d’une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession. » Le critère du rapport direct avec l’activité professionnelle conduisait à exclure de manière ces dispositions lorsque le contrat était passé pour les besoins de l’activité (Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 11-27.698 ; Cass., 1er civ., 19 juin 2019, 17-31.259), même s’il s’agit d’une activité complémentaire (Cass., 1re civ., 2 juillet 1996, n° 94-15.694).

Désormais, les professionnels peuvent être protégés lorsqu’ils sont sollicités par démarchage si deux conditions sont cumulativement remplies. La première repose sur la taille de l’entreprise : le professionnel doit employer au plus cinq salariés. Cette première condition n’était pas contestée par les parties devant les juges du fond (encore faut-il que ce fait soit dans les débats pour que le juge puisse s’y appuyer : Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-22525) La seconde condition tient à l’objet du contrat conclu hors établissement : celui-ci ne doit pas entrer dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité.

Le critère du « rapport direct » a été remplacé par un critère moins restrictif, celui des contrats n’entrant pas dans le champ d’activité principale du professionnel (CA Nîmes, 1re ch. civ., 6 janv. 2022, n° 20/03182) ce qui conduit mécaniquement un élargissement du droit de la consommation aux professionnels (CA Bordeaux, 1re ch. civ., 12 mai 2022, n° 19/03268).

Pour apprécier cette condition, le juge doit ainsi confronter l’objet du contrat avec l’activité principale du professionnel sollicité qui entend se prévaloir des dispositions du Code de la consommation. Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1re civ., 12 sept 2018, n° 17-17.319 : Bull. civ., I, n° 149. – Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-22525).

En l’occurrence, pour juger que la société ITAC ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices du code de la consommation et du droit de rétractation qu’il prévoit, la Cour d’appel de Versailles avait retenu que celle-ci disposait de toutes les compétences professionnelles pour apprécier les conditions financières d’un contrat de location portant sur un photocopieur, matériel de bureau indispensable à son activité principale.

La démarche retenue par la Cour d’appel consistant à apprécier l’activité principale par rapport aux compétences du professionnel sollicité n’est isolée. D’autres juges du fond adoptent la même méthode. Ainsi, il a pu être jugé que si le contrat litigieux, en ce qu’il est destiné à promouvoir via internet l’activité d’une avocate est en relation directe avec son activité professionnelle, il reste que cette dernière, professionnelle du droit, n’a de ce fait aucune compétence en matière de programmation informatique, de création de site web, de communication et de publicité si bien que le bon de commande relevait de l’application des dispositions protectrices du code de la consommation (CA Nîmes, 1re ch. civ., 6 janv. 2022, n° 20/03182). De même, il est jugé que l’exercice d’une activité d’orthophoniste ne confère au professionnel aucune compétence particulière pour apprécier l’intérêt tant matériel que financier à s’engager dans une opération englobant la location d’un photocopieur, sa maintenance et son renouvellement éventuel dans le cadre du partenariat mis en place de sorte que les services proposés étant étrangers à son champ de compétence, le professionnel sollicité peut invoquer le bénéfice de l’article L. 221-3 du code de la consommation (CA Montpellier, ch. com., 10 mai 2022, n° 19/06686. – Dans le même sens au sujet du même type de contrat souscrit par un professionnel ayant pour activité la location immobilière : CA Montpellier, ch. com., 10 mai 2022, n° 19/06987).

La démarche suivie par la Cour d’appel de Versailles est directement critiquée par le moyen du pourvoi. La société ITAC fait valoir que, pour lui refuser le bénéfice des dispositions protectrices du Code de la consommation, la Cour d’appel a appliqué un critère lié au champ de compétence du professionnel, critère étranger à celui imposé l’article L. 221-3 et tiré de l’inclusion de l’objet du contrat dans champ de l’activité principale du professionnel, en l’occurrence celle d’expert-comptable, à laquelle un contrat de location de photocopieur ne se rapporte pas si bien qu’elle a violé les dispositions de ce texte.

Le moyen a porté puisque la Cour de cassation a censuré, pour manque de base légale au vu de l’article L. 221-3 du Code la consommation, l’arrêt de second degré en usant d’une motivation assez laconique reprochant à la Cour d’appel de Versailles des motifs impropres à établir que les contrats de location entrent dans le champ de l’activité principale de la société ITAC.

Ce contrôle normatif de motivation ne remet pas en cause le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en ce domaine. Mais il leur appartient de mieux motiver en fait leur décision (J.-F. Weber, Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile : Bulletin d’information de la Cour de cassation, n°702, 15 mai 2009, p. 6).

L’apport de la décision est surtout négatif, comme souvent pour une cassation pour manque de base légale. Il permet de comprendre ce qu’il ne faut pas faire : la compétence du professionnel sollicité ne doit pas être prise en compte pour déterminer si l’objet du contrat entre ou non dans son activité principale.

Cette solution est justifiée en droit, mais interroge davantage en opportunité. De lege lata, le critère légal ne fait aucune référence à la compétence du professionnel, comme le soulevait l’auteur du pourvoi. Pour autant, la compétence du professionnel sollicité n’est pas absente du fondement de cette extension légale du droit de la consommation au professionnel. La protection est justifiée parce qu’un professionnel sollicité développe une activité qui ne l’a pas familiarisé avec l’objet du contrat conclu hors établissement. En somme, faute d’expérience en ce domaine, il manque de compétence pour apprécier l’opportunité du contrat conclu lors d’un démarchage. C’est ce qu’expriment les arrêts précités de la Cour d’appel de Nîmes au sujet d’un avocat ou de la Cour d’appel de Montpellier au sujet d’un orthophoniste ou d’un loueur d’immeuble. De lege ferranda, aucune protection n’est plus nécessaire si le professionnel a acquis dans son activité une expérience lui permet d’appréhender pleinement l’opportunité d’un contrat pour lequel il a été sollicité par un autre professionnel.

Certaines juridictions ne font aucune référence à la compétence et se contentent de constater lapidairement que la location d’un photocopieur n’entre pas dans le champ de l’activité principale de la société exploitant un hôtel (CA Lyon, 3e ch. A, 24 juin 2021, n° 19/05780) ou que la location d’un site Internet n’entre pas dans le champ de l’activité principale d’un tatoueur (CA Bordeaux, 1re civ., 12 mai 2022, n° 19/03268). La motivation attendue des juges du fond devrait être plus précise pour satisfaire le syllogisme juridique. Pour autant, la Cour de cassation se contente parfois d’une motivation aussi succincte (Cass. 1re civ., 12 sept. 2018, n° 17-17.319 : Bull. civ., I, n° 149, rejetant le pourvoi contre une décision ayant retenu que la communication commerciale et la publicité via un site Internet n’entraient pas dans le champ de l’activité principale d’un architecte. – Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-22525, au sujet d’un contrat d’insertion publicitaire passé par un professionnel de la production et de la fourniture de bois de chauffage. – Contra : Cass. 1re civ., 29 mars 2017, 16-11.207, qui casse pour violation de l’article L. 121-16-1, III, du code de la consommation, devenu L. 221-3 du même code, un jugement ayant retenu que le bon de commande d’insertion publicitaire dans un annuaire local pratique signé par une sophrologue démarchée par une société [la même que celle à l’origine du litige ayant conduit à l’arrêt précédent] avait un objet principal qui n’entrait pas dans l’activité principale de la sophrologue tout en constatant qu’elle avait été démarchée dans le cadre de son activité professionnelle).

En toute rigueur, les juges du fond devraient procéder, d’une part, à l’analyse de l’objet du contrat litigieux et, d’autre part, à celle de l’activité principale du professionnel sollicité pour apprécier si le contrat est extérieur ou non à cette activité. L’objet du contrat correspond à l’opération juridique à réaliser (Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, Les obligations, Sirey Université, 17e éd. 2020, n° 1250).  Il s’identifie par l’obligation principale et caractéristique qu’il engendre (R. Cabrillac, Droit des obligations : Dalloz, Cours, 15e éd. 2022, n° 80). Or dans un démarchage, l’obligation caractéristique n’est jamais assumée par le professionnel démarché puisque son obligation porte le plus souvent le paiement d’une somme d’argent. L’objet du contrat s’identifie alors par l’obligation principale assumée par le démarcheur : obligation de transférer la propriété d’une chose, prestation de service… En réalité, l’analyse doit dépasser l’obligation principale pour s’intéresser à l’objet réel de la prestation, c’est-à-dire le bien sur lequel porte le service particulier promis (Sur cette notion :  Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, Les obligations, Sirey Université, 17e éd. 2020, n° 1252). Sinon un professionnel de la vente ne serait jamais protégé lorsqu’il est démarché par un autre vendeur. Ainsi, lorsqu’un démarcheur vend une caméra de vidéosurveillance à une mercière, l’objet du contrat – transférer la propriété d’une chose – entre dans l’activité principale de la professionnelle du tissu et du fil qui consiste à transférer la propriété de choses qu’elle a elle-même achetées. Mais, l’objet de la prestation de l’un et l’autre vendeur n’est pas le même : l’un porte sur une caméra, l’autre sur des produits de couture. C’est à l’aune de cet objet que la comparaison doit s’opérer.

Certaines juridictions du fond mènent une analyse plus développée de l’objet de la prestation contractuelle née du contrat hors établissement pour apprécier s’il entre ou non dans l’activité principale du professionnel démarché en vue de lui accorder ou non la protection offerte par les dispositions du Code de la consommation. Ainsi, au sujet d’un contrat de location portant sur un défibrillateur automatique externe par une infirmier libéral, il est jugé que, aucun texte n’impose aux infirmiers exerçant en libéral de disposer d’un défibrillateur, lequel ne constitue donc pas un équipement nécessaire ou spécifique à l’exercice de cette profession, dont l’activité principale est de dispenser des soins, l’objet du contrat n’entre pas dans le champ de l’activité principale de la professionnelle sollicitée (CA Angers, ch. civ. A, 28 sept. 2021, n° 19/00176). À l’inverse, au sujet d’un contrat de location portant sur le matériel Strator « TPV » (terminal point de vente) souscrit à la suite d’un démarchage par l’exploitant d’un tabac, il est jugé qu’il entre dans le champ de son activité en ce qu’il permet à la fois le paiement électronique par carte bancaire, l’édition du ticket de caisse et la gestion des stocks et s’avère indispensable à l’activité vis à vis de l’administration fiscale qui exige une caisse dotée d’un logiciel lui permettant d’opérer ses contrôles (CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 13 déc. 2021, n° 20/06687). Les deux décisions précitées mettent alors l’accent sur la nécessité du contrat par rapport à l’activité principale. Sous cet angle, la compétence de la personne démarchée est écartée de l’appréciation. Mais le critère de la nécessité du contrat n’est pas davantage celui retenu par l’article L. 221-3. Celui-ci rappelle davantage le critère ancien du « rapport direct », certes renforcé, qui permettait d’exclure la protection quel que soit l’objet du contrat lorsque celui-ci permettait de satisfaire un besoin de l’activité professionnelle. Au demeurant, ce critère était incidemment utilisé par la Cour d’appel de Versailles censuré par la décision commentée puisqu’elle relevait que le photocopieur était un matériel de bureau indispensable à son activité principale.

Pour conclure, il y a lieu de s’interroger si le démarcheur professionnel peut s’affranchir du droit de la consommation par une clause insérée dans le contrat hors établissement lorsqu’il traite avec un autre professionnel. L’article L. 221-29 du code de la consommation dispose que les dispositions du présent chapitre [chapitre 1er Contrats conclus à distance et hors établissements] sont d’ordre public. Mais ce caractère d’ordre public s’applique-t-il aux relations entre professionnels ? Au sujet d’un litige né à propos d’un contrat de location portant sur un serveur informatique équipé d’un logiciel applicatif conclu par démarchage par un exploitant d’un commerce de chaussures et prêt-à-porter, il a été jugé que les articles L. 221-8 et L. 221-9 du Code de la consommation, c’est-à-dire des dispositions incluses dans le chapitre consacré aux contrats hors établissement, sont d’ordre public (CA Lyon, ch. A, 9 juin 2022, n° 19/02788). Pourtant, la solution ne s’impose pas. En effet, l’article L. 221-3 dispose seulement que « les dispositions des sections 2, 3, 6 du présent chapitre […] sont étendues » aux professionnels démarchés remplissant les conditions précitées. Or l’article L. 221-29 est l’unique disposition de la section 7, laquelle n’est pas étendue aux relations entre professionnels. Néanmoins, certaines dispositions isolées du chapitre visé présentent, au moins implicitement, un caractère d’ordre public entre professionnels et plus particulièrement celles des articles L. 221-9 et L. 221-10, relatives au formalisme de la conclusion et de l’exécution des contrats hors établissement, dispositions contenues dans la section 3. En effet, leur non-respect est explicitement sanctionné par la nullité du contrat (C. conso., art. L. 242-1). On peut en dire autant, par extension, de la clause conduisant à l’abandon du droit de rétractation qui est réputée non écrite (C. conso., art. L. 242-3). En revanche, au sujet des obligations d’informations précontractuelles pesant sur le démarcheur prévues par la section 2, si l’article L. 221-7 du Code de la consommation met à la charge du professionnel la preuve qu’il a rempli ses obligations envers un consommateur, la clause contractuelle inversant la charge de la preuve ne semble pas illicite lorsqu’il traite avec un professionnel, faute de sanction particulière et de renvoi, par l’article L. 221-3, à la section 7 conférant de manière générale un caractère d’ordre public aux dispositions du chapitre régissant les contrats hors établissement.

image_pdfimage_print