Alexis LEMBLE-JEHLI, Tristan LAILLY-DORPE, Jules NEVEU
Étudiants en M1 Droit – Métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace
La saison estivale, synonyme de journées ensoleillées et de vacances, se voit désormais associée au retour des moustiques qui s’avèrent être de plus en plus nombreux durant cette période. Parmi les différentes espèces, la présence en métropole du moustique Aedes albopictus, plus communément appelé moustique tigre, semble être la plus préoccupante. En effet, détecté pour la première fois sur le territoire métropolitain français en 2004 à Menton, celui-ci est aujourd’hui présent dans 71 départements. L’une de ses caractéristiques majeures est sa capacité à se développer dans tous les milieux habités par l’Homme, aussi bien urbains que ruraux. Il peut, de ce fait, être présent tant dans les petites campagnes qu’aux abords des quartiers et lotissements des grandes villes. Sa prolifération exponentielle n’est pas sans susciter de nombreuses inquiétudes car, au-delà d’être extrêmement invasif, sa présence peut causer de multiples nuisances et constituer un risque majeur pour la santé publique. À la différence d’autres espèces, le moustique tigre ne va pas uniquement faire son apparition dès la tombée de la nuit, mais va également piquer en journée pour se nourrir de sang. Au-delà de cet aspect le distinguant, bien que sa piqûre soit le plus souvent bénigne, le moustique tigre peut être vecteur de maladies infectieuses telles que la dengue, le chikungunya, le virus Zika, la fièvre jaune ou encore le paludisme. À ce titre, le moustique tigre a été responsable d’une importante épidémie de chikungunya de 2005 à 2006 dans les territoires français situés dans l’Océan Indien, causant la contamination, à La Réunion, de 244 000 personnes et le décès de 203 personnes. La problématique liée à sa présence ne peut être ignorée compte tenu du risque, principalement sanitaire, que celui-ci peut représenter. À cela s’ajoute le fait que ce dernier sera inévitablement présent sur l’ensemble du territoire français dans les années à venir. Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est et évoluant dans un périmètre de 150 mètres autour de son lieu de naissance, le moustique tigre est parvenu à coloniser le monde entier et s’ériger parmi les espèces les plus invasives. Sa prolifération est accentuée par un contexte de mondialisation et de commerce international favorisant la multiplication des déplacements des personnes et des marchandises. En France, les cas de dengue détectés sont majoritairement des personnes ayant voyagé dans des pays où cette maladie prolifère et là où le moustique tigre y est par ailleurs présent. Là où l’inquiétude demeure plus grande est celle des cas dits « autochtones » actuellement en recrudescence, à savoir de personnes ayant été contaminées par le virus de la dengue sans avoir voyagé, par opposition aux cas « importés » évoqués précédemment.
À ce titre, la loi n°64-1246 du 16 décembre 1964 venant poser le premier cadre juridique dans la lutte contre les moustiques, était initialement destinée à la lutte contre les nuisances liées à la prolifération des moustiques dans les zones dites d’intérêt touristique. Toutefois, son champ d’application a été élargi en 2004, en raison de l’épidémie du chikungunya dans les territoires français situés dans l’Océan Indien, à la lutte contre le développement et à la transmission de maladies vectorielles (G. KOUBI « Entre surveillance sanitaire et pratique sociale : la « démoustication »» – Revue de droit sanitaire et social 2018, p. 487). Par la suite, dans une logique de simplification, le décret n° 2019-258 du 29 mars 2019 relatif à la prévention des maladies vectorielles est venu consolider au niveau national l’organisation des missions de prévention des maladies vectorielles en rappelant les compétences de chacun des acteurs y intervenant. En effet, la lutte contre les nuisances liées à la prolifération des moustiques ainsi que la lutte contre les maladies vectorielles, sont du ressort de plusieurs intervenants étatiques que sont les maires des communes, les présidents de départements ainsi que les préfets. Ces derniers travaillent également en étroite collaboration avec les Agences Régionales de Santé (ARS) qui disposent de diverses compétences attribuées par l’arrêté du 23 juillet 2019 relatif aux modalités de mise en œuvre des missions de surveillance entomologique, d’intervention autour des détections et de prospection, traitement et travaux autour des lieux fréquentés par les cas humains de maladies transmises par les moustiques vecteurs. Néanmoins, au regard du cadre réglementaire, il convient de constater dans un premier temps que celui-ci limite l’efficience des actions des Agences Régionales de Santé dans la pratique (I). De plus, les spécificités locales n’étant pas identiques sur tout le territoire, il est pertinent de relever, dans un second temps, qu’un renforcement de l’implication des communes permettrait d’apporter une réponse plus adaptée aux enjeux dans la lutte contre la prolifération du moustique ainsi que des maladies vectorielles qu’il transmet (II).
I- Un cadre réglementaire limitant l’efficience de l’action de l’Agence Régionale de Santé
Le cadre réglementaire encadrant l’action de l’Agence Régionale de Santé vient limiter l’efficience de son action en ne permettant qu’une intervention préventive en l’absence de contamination humaine et jusqu’à la colonisation de l’insecte (A) dans une commune. De plus, celui-ci concentre l’intervention de l’Agence régionale de santé uniquement aux cas de contamination humaine (B).
A- Une intervention préventive en l’absence de contamination humaine et jusqu’à la colonisation de l’insecte
Les Agences Régionales de Santé, ont notamment comme mission « […] la surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, […] la prévention collective et individuelle, tout au long de la vie, des maladies et de la douleur, […] la préparation et la réponse aux alertes et aux crises sanitaires […] » (article L. 1411-1 du Code de la santé publique). La lutte contre les moustiques trouve sa justification dans cet objectif de prévention collective et individuelle des maladies posé par l’article L. 1411-1 du Code de santé publique. Néanmoins, la marge de manœuvre des Agences régionales de santé doit répondre à un cadre réglementaire strict.
Comme détaillé en amont, l’action de l’Agence régionale de santé est encadrée par trois niveaux de réglementation : le décret n° 2019-258 du 29 mars 2019 relatif à la prévention des maladies vectorielles, l’arrêté du 23 juillet 2019 relatif aux modalités de mise en œuvre des missions de surveillance entomologique, d’intervention autour des détections et de prospection, traitement et travaux autour des lieux fréquentés par les cas humains de maladies transmises par les moustiques vecteurs et, enfin, l’instruction n° DGS/VSS1/2019/258 du 12 décembre 2019 relative à la prévention des arboviroses.
Concernant la gestion de la propagation du moustique tigre, l’arrêté du 29 juillet 2019, confère aux Agences Régionales de Santé un rôle de prévention avec plusieurs cadres d’intervention. Le premier concerne les cas en dehors de toute contamination humaine ou d’implantation, et donne à l’ARS des compétences pour établir un « programme annuel de surveillance entomologique » en concertation avec les préfets, services de l’État et collectivités territoriales concernées. L’annexe 1 de cet arrêté vient encadrer ces dispositifs de surveillance et force cette dernière à être concentrée sur les zones les plus peuplées, à savoir les unités urbaines de plus de 20 000 habitants, les points d’entrée du territoire et les sites touristiques. La surveillance doit prévenir les nouvelles implantations, détecter les introductions de nouvelles espèces vectrices et permettre d’éclairer le choix de l’intervention sur les éventuels cas de contamination. Concrètement, l’annexe prévoit deux moyens de surveillance. Le premier d’entre eux est le piège pondoir, dont un réseau doit être mis en place sur les sites à risque élevé d’importation ou de dissémination. Ensuite, le deuxième outil prévu par l’arrêté est informatique. Il s’agit du site internet www.signalement-moustique.fr qui recueille les signalements des particuliers sur la présence de moustiques. S’agissant de ce site, l’ARS a également une mission de communication pour renforcer l’efficacité de ce dispositif de collecte. Les données collectées par ce biais mais aussi par le biais d’autres circuits de signalement sont ensuite intégrées au Système d’Information national relatif à la Lutte Anti-Vectorielle (SI-LAV), qui les centralise. À titre d’exemple, environ 300 pièges ont été posés dans la région du Grand-Est. Cette surveillance active permet, dans un premier temps, de détecter la présence de moustiques et, dans un second temps, de suivre la dynamique de leur prolifération. Les données recueillies sur le terrain vont donner lieu à un enregistrement dans le SI-LAV.
Dans le cas où ces missions de surveillance mettent en évidence une présence d’insectes vecteurs sur des territoires où il était jusqu’alors absent, le second niveau, prévu par l’annexe 2 de l’arrêté du 23 juillet 2019, trouve à s’appliquer. Cette annexe fixe les réponses apportées par l’ARS en cas de signalement positif émanant soit d’un signalement d’un particulier, soit grâce à un piège. L’arrêté distingue trois situations, faisant dépendre sa réponse du statut colonisé ou non des communes du département. Aux termes de cette annexe, une commune sera considérée comme colonisée si la présence d’œufs est observée sur trois relevés successifs des pièges pondoirs ou encore si deux pièges sont positifs et sont situés à moins de 500 mètres l’un de l’autre. D’abord, si le département où se situe le signalement n’est pas colonisé, tous les signalements positifs appellent une opération de traitement et une surveillance renforcée matérialisée par une pose de pièges dans un rayon d’un kilomètre pendant 1 mois avec des relevés hebdomadaires. Ensuite, si le département où se situe le signalement est faiblement colonisé, il en est ainsi quand moins de 40% des communes du département sont colonisées, un signalement positif éloigné (plus de 30 kilomètres d’une commune colonisée) donnera lieu à un traitement suivi d’une surveillance renforcée comme détaillé précédemment, soit, si le signalement est proche d’une commune colonisée (moins de 30 kilomètres d’une commune colonisée), la réponse de l’ARS sera faible et consistera en une simple « réponse le cas échéant aux signalant ». Outre la faute de français, aucun détail n’est donné sur la nature de cette réponse. La même « réponse » sera apportée aux signalements dans un département fortement colonisé (plus de 40% des communes colonisées). L’arrêté précise que la mise en œuvre des traitements, notamment en réponse aux signalements positifs dans les départements non colonisés, est laissée à l’appréciation de l’ARS qui doit tenir compte de l’évaluation entomologique et des conditions environnementales. Ce traitement ne diffère pas de ceux exécutés en réponse aux situations visées au niveau 3 de l’arrêté, portant sur les cas de contamination humaine. L’ARS doit en tout état de cause tenir le maire et le préfet informés des interventions qui sont prévues ainsi que des moyens qu’elle a décidé de mettre en œuvre. L’arrêté précise que pour de tels traitements, les opérations se limitent à la voie publique et aux propriétés de particuliers qui acceptent l’entrée des techniciens. Comme unique mesure préalable aux traitements, l’ARS doit délivrer des informations aux populations, notamment les gestes à adopter pendant que le traitement est réalisé (ranger les jouets pour enfant, fermer les ruches, fermer les portes et fenêtres, etc.).
Dans le cas où le moustique est nouvellement implanté dans une commune, sans que les traitements mis en place par l’ARS aient été efficaces, les actions de lutte contre sa présence relèvent de la compétence de la collectivité et entrent dans les pouvoirs de police du maire (voir plus bas), sauf si la présence du moustique présente un risque pour la santé publique (risque épidémique). L’Agence Régionale de Santé ne peut réaliser par elle-même de telles opérations. Il en est de même pour celles qualifiées d’opérations de “confort”, qui visent à faire cesser ou diminuer les nuisances causées par le moustique.
Néanmoins, l’arrêté du 19 juillet 2019 lui permet de procéder à des campagnes de sensibilisation de la population en réalisant de la prospection domiciliaire en vue d’informer les particuliers quant aux endroits propices aux gîtes larvaires. Ces gîtes sont des lieux où les moustiques adultes sont en mesure de pondre des œufs. Généralement, ces gîtes se forment autour de points d’eau, souvent d’eau stagnante. L’ARS recherche donc ces gîtes pour les éliminer si cela est possible. Dans un entretien avec M. VIN, Responsable Pôle Milieux Extérieurs et Santé de l’Agence Régionale de Santé du Grand-Est (qui s’est tenu le 11 oct. 2023 en visio-conférence), celui-ci nous a donné l’exemple de coupelles de pots de fleurs, qui stockent généralement le surplus d’arrosage et forment un gîte larvaire parfait. Mais cela vise en général tous les contenants immobiles, souvent abandonnés ou peu utilisés et qui permettent un stockage à long terme d’eau, où les moustiques adultes vont donc pondre.
De même, l’article R. 3114-12 du Code de la santé publique étend la possibilité d’accomplir des mesures de désinsectisation pour la transmission des maladies vectorielles si un risque sanitaire est avéré. Ce cadre spécifique s’inscrit dans le dispositif « Organisation de la Réponse de Sécurité Civile » (anciennement. Organisation des Secours) prévu par le Code de sécurité intérieure et qui relève de la compétence des préfets. Des opérations de surveillance et d’interventions peuvent également être prévues par le préfet autour « d’installations du point d’entrée qui sont utilisées pour les opérations concernant les voyageurs, moyens de transport, conteneurs, cargaisons et colis postaux » (article R. 3115-11 du Code de la santé publique).
Il ressort de ces deux niveaux prévus par l’arrêté du 23 juillet 2019 que l’ARS est bridée par le caractère colonisé ou non des communes concernées. Dans le cas où la présence du moustique est signalée dans une commune déjà colonisée, aucune action visant à éliminer sa présence n’est envisageable tant que celle-ci ne présente par un risque sanitaire avéré. Autrement, la compétence de lutte anti-moustiques est confiée à la collectivité territoriale concernée. L’ARS n’interviendra que sur les nouvelles détections dans des communes encore épargnées.
B- Une intervention concentrée aux cas de contamination humaine
Il découle de l’article 3 du décret du 29 mars 2019, qui porte modification de l’article R. 3114-9 du Code de la santé publique, que des mesures de « prospection, traitement et travaux » doivent être prises autour des lieux fréquentés par les cas humains signalés. Ensuite, l’arrêté du 23 juillet 2019, confirme l’attribution de la charge des mesures d’intervention, de prospection, de traitement et de travaux citées précédemment à l’ARS ou par les organismes publics ou privés qu’elle aura spécialement habilité.
Ces actions entrent dans le troisième niveau prévu par l’arrêté, le plus important. Le texte prévoit un enregistrement des cas humains qui ont été contaminés par des moustiques présents sur le territoire national. En réponse à la présence de ces cas, l’ARS doit mener des interventions que l’arrêté liste directement. Globalement, les actions vont se concentrer sur les lieux où la personne a été possiblement contaminée et ceux où elle a séjourné ou a juste été de passage pendant sa période de virémie. La période de virémie est la période durant laquelle le virus est présent dans le sang du patient malade. Outre les actions de sensibilisation de la population sur les maladies vectorielles et les moyens pour s’en prémunir et les actions de sensibilisation du maire sur les mesures qu’il peut prendre au titre de ses pouvoirs de police en matière de salubrité publique notamment, l’ARS mène une action qui se décompose en trois phases. La première est une enquête de prospection entomologique pour détecter la présence des insectes vecteurs sur les lieux où la personne malade a été potentiellement contaminée ou à l’endroit où elle a séjourné, ou bien a juste été de passage. Ces enquêtes ne visent en l’occurrence que les lieux où la présence de l’insecte vecteur n’est pas encore connue. Ensuite, les actions de l’ARS visent à supprimer les gîtes larvaires et y appliquer des traitements anti-larvaires. Outre la destruction de ces gîtes si cette action est réalisable, l’ARS mène aussi des actions de traitement anti-larvaire. Ces traitements ont pour but d’éliminer les larves, mais n’ont, par définition, aucun effet sur les adultes. Ceux-ci sont justement atteints par la troisième phase, qui est un traitement adulticide. Dans le même schéma que pour le traitement anti-larvaire, le traitement adulticide ne fonctionnera que contre les insectes vecteurs adultes. L’annexe 3 de l’arrêté donne un tableau complet des mesures à prendre en fonction de la situation rencontrée, notamment l’espèce de vecteur présent. Il cadre également l’intervention sur le plan spatial, en limitant les traitements dans un rayon de 150 à 250 mètres selon la situation à traiter.
II – Le renforcement de l’implication des communes : une réponse adaptée aux enjeux dans la lutte contre la prolifération du moustique et de ses maladies vectorielles
Le renforcement de l’implication des communes s’avère comme essentiel afin d’apporter une réponse adaptée aux enjeux dans la lutte contre la prolifération du moustique et des maladies vectorielles qu’il transmet. En effet, cela doit notamment se faire par des actions à l’initiative du maire dans le cadre de ses pouvoirs de police (A) ainsi que par la mise en place d’actions préventives et de confort à l’échelon local en lien avec les problématiques de terrain (B).
A- Des actions à l’initiative du maire dans le cadre de ses pouvoirs de police
Dans le cadre de la lutte contre la prolifération du moustique tigre, une implication accrue des collectivités territoriales s’avère essentielle, plus spécifiquement à l’échelon communal. En effet, en vertu de l’article L. 2112-1 du Code général des collectivités territoriales, les maires disposent d’un pouvoir de police au nom de leur commune, police municipale ayant pour objet d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (article L. 2112-2 du Code général des collectivités territoriales). Par déduction, au titre de la salubrité publique visant à assurer un ordre public sanitaire, ces derniers disposent de compétences en vue de prévenir la présence de maladies épidémiques et contagieuses. De ce fait, les maires sont directement concernés par les risques liés aux moustiques et peuvent, dans le cadre de leurs attributions, mettre en place des mesures de lutte contre le moustique et prescrire des obligations aux administrés visant à ce que les conditions favorables à la prolifération du moustique soient supprimées. À titre d’exemple, le maire peut ordonner l’élimination de pneumatiques (ces derniers étant propices à la présence de gîtes larvaires) en cas d’entassement de ces derniers, et, à un stade avancé, procéder à des opérations de démoustication avec un traitement larvicide. Par ailleurs, au-delà des pouvoirs de police énumérés, dans le cadre de ses compétences en matière d’hygiène et de salubrité, le maire « agit aux fins de prévenir l’implantation et le développement d’insectes vecteurs sur le territoire de sa commune » en vertu de l’article R. 1331-13 du Code de la santé publique.
Comme l’a évoqué Monsieur VIN dans le cadre de l’entretien précité, celui-ci a relevé sur le terrain une absence de préoccupation des communes qui ne s’emparent pas suffisamment du sujet et des risques pouvant peser sur les administrés par la présence du moustique tigre. Ce dernier a mentionné que le principal levier à activer afin d’avoir une action efficace pour limiter la prolifération du moustique, des nuisances y étant liées, ainsi que le risque épidémique, est la mise en place de véritables politiques publiques au niveau local.
Ainsi, les maires doivent prendre des mesures proactives au titre de leur pouvoir de police, telles que l’installation de pièges et la conduite de campagnes de communication, ces initiatives visant à empêcher l’implantation et la propagation du moustique tigre devant être menées en amont voire en renfort de celles diligentées par les Agences Régionales de Santé. Comme cela a été évoqué précédemment, l’intervention des Agences Régionales de Santé se montre limitée compte tenu du cadre juridique encadrant leurs compétences.
La lutte à l’échelon local doit aussi impliquer les citoyens : « La surveillance s’inscrit au cœur de rapports sociaux disciplinaires : pour surveiller les moustiques, il faut éduquer, discipliner et surveiller les humains. » (Sandrine DUPÉ, « Transformer pour contrôler. Humains et moustiques à La Réunion, à l’ère de la biosécurité », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 9,2, no. 2, 2015, pp. 213-236). Les campagnes de sensibilisation menées à l’échelon régional s’avèrent malheureusement, dans la pratique, peu efficaces compte tenu du cadre géographique d’intervention extrêmement large. Or, si la mobilisation citoyenne était menée au niveau de chaque municipalité, cela permettrait un gain d’efficacité et un gain de temps. En ce sens, l’article L. 2213-31 du Code général des collectivités territoriales impose au maire la prescription « […] aux propriétaires de mares ou de fossés à eau stagnante établis dans le voisinage des habitations d’exécuter les travaux ou de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes causes d’insalubrité. ». Dans l’éventualité où le propriétaire concerné ne prête pas son concours ou est négligeant dans la lutte contre ces lieux d’insalubrité, qui peuvent présenter un risque de prolifération des moustiques, le maire « […] dénonce au représentant de l’Etat dans le département l’état d’insalubrité constatée. ». Le préfet dispose, en application de cet article, d’un pouvoir d’ordonner, « après avis du conseil d’hygiène et du service hydraulique », la réalisation de travaux nécessaires aux frais du propriétaire, mis en demeure préalable (article L. 2213-31 du Code général des collectivités territoriales). L’Agence Régionale de Santé peut user de ses pouvoirs d’expertise pour rappeler aux communes leur devoir d’adresser aux propriétaires des lieux visés par l’article L. 2213-31 du Code général des collectivités territoriales un « courrier rappelant diverses consignes » (CA Aix-en-Provence, 4e chambre A, 8 déc. 2016, n° 13/24122 ) visant à prévenir une prolifération de moustiques. Les maires disposent d’outils juridiques peut-être insuffisants, mais permettant tout de même une action minimale pour lutter contre les moustiques. Toutefois, même si cette lutte entre dans les pouvoirs de police du maire, elle ne peut engendrer n’importe quelle mesure. Si le maire doit rester dans la dimension « hygiène » de sa compétence, il doit se conformer aux procédures d’avis et de validation imposées par la loi ou le règlement, notamment lorsque viennent à s’appliquer d’autres plans de lutte pris à l’échelle de la préfecture ou du département (CE 30 juill. 1909, Marat c/ Maire de Lyon, n° 29442, Recueil Lebon ; CE 13 déc. 1912, Marat, n° 39765, Recueil Lebon).
La problématique appelle d’abord à adopter des mesures de prévention à l’égard des citoyens, avant d’appliquer des sanctions contre ceux qui ne s’y conforment pas. Les maires doivent donc encourager la participation active des habitants en fournissant des informations claires et pratiques sur la manière dont ils peuvent contribuer à la lutte contre les moustiques. Cela inclut d’abord la sensibilisation, puis les instructions sur l’élimination des eaux stagnantes, la gestion des déchets, l’utilisation appropriée des répulsifs et autres mesures de protection personnelle. Il est recommandé que les actions de sensibilisation soient diversifiées et adaptées aux spécificités de chaque commune. L’utilisation des médias locaux et des plateformes en ligne pourraient par exemple aider à diffuser des messages clés sur la prévention et la gestion des risques liés aux moustiques tigres. Les associations locales peuvent également jouer un rôle crucial dans la diffusion d’informations et la mise en place d’initiatives de sensibilisation au sein de leurs réseaux respectifs. En outre, des partenariats avec des établissements scolaires, des entreprises locales et des organisations non gouvernementales peuvent amplifier l’impact des campagnes de sensibilisation. La réaction efficace en cas de détection de cas humains de maladies transmises par les moustiques est également un aspect relevant du rôle des maires. Ils doivent assurer une gestion rapide et ciblée du risque épidémique, en collaboration avec les autorités sanitaires.
En outre, les actions menées par les maires dans le cadre de leur pouvoir de police dans la lutte contre le moustique tigre et de ses maladies vectorielles, viennent renforcer l’action menée par les Agences Régionales de Santé en permettant une action plus efficiente à leur échelon. Néanmoins, cela doit passer par une implication plus forte des élus.
B- L’efficacité de la mise en place d’actions préventives et de confort à l’échelon local en lien avec les problématiques de terrain
L’intégration des actions de confort dans la lutte contre le moustique tigre par les collectivités territoriales soulève plusieurs défis significatifs. En effet, ces défis s’inscrivent dans un contexte où les attentes des citoyens évoluent, notamment en matière de respect de l’environnement et de réponse aux maladies vectorielles. La loi du 7 août 2015, portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe), a renforcé les rôles des communautés de communes, transférant des compétences optionnelles et obligatoires de la commune à ces structures intercommunales. Ce changement de paradigme impose aux collectivités territoriales de revisiter leurs approches et stratégies en matière de lutte antivectorielle.
Un des principaux défis réside dans la gestion des potentiels conflits entre les mesures de confort et les exigences environnementales. Les actions de confort, souvent demandées par les citoyens pour réduire les nuisances causées par les moustiques, doivent être menées en tenant compte des préoccupations environnementales croissantes. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’efficacité des mesures de démoustication et leur impact sur l’écosystème local. Les collectivités territoriales doivent donc faire preuve de prudence dans le choix et l’application des insecticides, veillant à minimiser les risques pour la biodiversité et la santé publique.
En outre, la sensibilisation des citoyens aux enjeux environnementaux liés à la démoustication est cruciale. Les collectivités doivent non seulement informer les résidents sur les risques associés aux produits chimiques utilisés, mais également promouvoir des alternatives écologiques et des pratiques de prévention efficaces. Cela peut inclure des méthodes de contrôle biologique, l’élimination des habitats de reproduction des moustiques, et l’utilisation de produits moins nocifs pour l’environnement.
Le défi majeur pour les collectivités territoriales est d’intégrer ces actions de confort dans une stratégie globale et cohérente, qui prend en compte à la fois la protection de la santé publique et la préservation de l’environnement. Cette approche nécessite une coordination étroite entre les différentes communes et les communautés de communes, ainsi qu’une collaboration continue avec l’ARS et d’autres acteurs concernés.
Les collectivités doivent également s’adapter aux nouvelles compétences et responsabilités conférées par la loi NOTRe. Cela implique une réorganisation des ressources, une formation adaptée des agents, et une planification stratégique pour gérer efficacement les risques liés aux moustiques. L’implication des citoyens et des parties prenantes locales dans la prise de décision et la mise en œuvre des mesures est également un aspect clé pour assurer une gestion réussie et acceptée par la communauté.