Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DU LAIT OU DU RÉSEAU ? E. Bourgaut, C. Choiseau, J. Cornu

Eva Bourgaut, Clara Choiseau, Juliette Cornu

Etudiantes en Master 1 Droit de l’entreprise et Droit social et ressources humaines, Université de Haute-Alsace

Commentaire de l’arrêt du Conseil d’État, 2ème chambre, 17 août 2022, n°464622

Mots-clés : accès au réseau de téléphonie mobile – antennes de télécommunications – élevage bovin – erreur de procédure – expertise – lien de causalité – péril grave –référé mesure utile – référé-suspension

À l’ère où nos besoins en télécommunications croissent, une interrogation demeure sur le risque des antennes-relais dans notre société. En effet, les antennes-relais sont un élément indispensable de l’infrastructure des réseaux mobiles et leur déploiement permet en outre d’assurer la disponibilité, mais aussi la qualité du service mobile sur le territoire national. Ainsi, afin de répondre à la demande, les opérateurs ont dû installer davantage d’antennes pour couvrir l’ensemble du territoire et de ce fait, lutter contre la présence de « zones blanches ».

Depuis 2018, le gouvernement français a engagé avec différents opérateurs un plan baptisé « New Deal mobile » c’est-à-dire un nouveau marché, d’une valeur de plusieurs milliards d’euros d’investissement afin de réduire au maximum la fracture numérique et assurer une couverture mobile de qualité sur l’ensemble du territoire. (O (C.), Communiqué de presse “New Deal mobile : Cédric O annonce le déploiement de 608 nouveaux sites 4G en zone rurale”, 16 février 2022).

Dès lors, sur la base d’un réseau pouvant être caractérisé des plus modeste, sur le territoire du département de la Haute-Loire, 56 pylônes de téléphonie devraient voir le jour avant 2027. Ainsi, sur les hauteurs de Mazeyrat-d’Allier, à proximité du GAEC du Coupet, une antenne de couverture 3G/4G implantée par Orange a été installée le 12 juillet 2021.

Pour se repérer

Une antenne de radiotéléphonie mobile 3G / 4G a été implantée sur le territoire de la commune de Mazeyrat-d’Allier dans la Haute-Loire, à proximité de l’exploitation agricole du Coupet. Depuis le 12 juillet 2021, les agriculteurs ont constaté des troubles sur leur cheptel dont une baisse de production de lait de leur troupeau de vaches laitières, une dégradation de la composition de ce lait et une hausse de la mortalité de l’élevage d’origine inconnue.

Les exploitants, estimant que ces troubles étaient créés par les ondes émises par les antennes-relais, ont saisi le Tribunal judiciaire du Puy-en-Velay afin d’obtenir la suspension du fonctionnement de cette antenne. Une ordonnance du 18 février 2022 a été rendue par le président du Tribunal judiciaire du Puy-en-Velay et a ordonné une expertise relative au comportement, à l’état sanitaire et à la baisse de production de lait de l’exploitation. Cependant, le juge judiciaire s’est déclaré incompétent pour prononcer la suspension temporaire du fonctionnement des stations radioélectriques pour les besoins de l’expertise.

Les exploitants se sont donc tournés vers le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand afin d’obtenir cette interruption temporaire. Par une ordonnance n° 2200944 du 23 mai 2022, le juge des référés de ce tribunal a fait droit à cette demande et a donc enjoint à l’État et à la société Orange “d’arrêter le fonctionnement de l’antenne de radiotéléphonie mobile implantée sur la commune de Mazeyrat-d’Allier, ainsi qu’à tous les opérateurs, pendant une durée de deux mois, à compter d’une date arrêtée en concertation avec l’expert judiciaire”. La date arrêtée était le 23 août 2023.

Les sociétés anonymes Orange, SFR, Free mobile, Bouygues télécom, ainsi que le ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ont formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État afin de demander l’annulation de cette ordonnance, et les quatre opérateurs demandent le versement d’indemnisations. Les parties requérantes estiment que le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand s’est à tort reconnu compétent parce que l’établissement de troubles anormaux de voisinage relève de la compétence du juge judiciaire, donc elles estiment que le GAEC n’a point saisi la juridiction compétente. Elles considèrent, de plus, que le juge des référés du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, à tort, estimé que les conditions du référé “mesures utiles” étaient réunies.

Pour aller à l’essentiel

Le Conseil d’État, 2ème chambre, rend un arrêt le 17 août 2022, n°464622 (https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046203353) qui donne raison aux opérateurs. En effet l’ordonnance était entachée d’une erreur de droit.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat rejette le premier moyen des parties demanderesses au pourvoi et reconnaît la compétence du juge administratif pour statuer sur les demandes visant à obtenir l’interruption de l’émission d’ondes des antennes-relais. Cependant, il annule l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif dans laquelle il affirme que les conditions du référé “mesures utiles” sont réunies. Le Conseil d’Etat estime au contraire que la condition de péril grave n’est pas remplie. En outre, la suspension du fonctionnement des antennes-relais ferait obstacle à l’arrêté ministériel qui oblige les opérateurs à installer des stations radioélectriques de téléphonie mobile sur la commune de Mazeyrat-d’Allier.

Pour aller plus loin

L’étude de cet arrêt rendu par la deuxième chambre du Conseil d’État le 17 août 2022 est intéressante en ce qu’elle permet de rappeler que les conditions du référé “mesures utiles” sont strictes. Si elles ne sont pas remplies, son application est écartée (I.). Enfin, cet arrêt souligne également que le référé “mesures utiles” ne serait pas la seule action en justice ouverte aux justiciables et qu’ainsi le référé suspension est parfois plus adapté (II.).

I – Le rejet du référé “mesures utiles”

Le Conseil d’Etat rejette le référé “mesures utiles” car en l’espèce, il ne répond pas aux conditions requises (B.), notamment tenant à l’existence d’un péril grave (A.).

A – Un doute existant sur la caractérisation d’un péril grave

Il existe plusieurs conditions pour qu’un référé “mesures utiles” puisse être envisagé, notamment l’interdiction pour le juge des référés de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. La jurisprudence du Conseil d’Etat avait cependant assoupli cette condition en admettant une exception si la présence d’un péril grave est établie. L’agriculteur a donc invoqué l’existence d’un tel péril pour demander la coupure temporaire des antennes de télécommunication. En effet, il a constaté que son exploitation a produit seulement 42 500 litres de lait par mois en 2022 contre 60 000 en 2019. Mais le Conseil d’Etat a estimé que « Si le GAEC fait état d’un taux de mortalité important dans son cheptel, il ne l’établit pas, un tel péril grave n’étant pas non plus caractérisé par les conséquences économiques de la baisse de la production laitière et de sa qualité« . De plus, l’expert affirme qu’on ne peut pas parler de surmortalité comme le soutient l’agriculteur, car il a soulevé le fait que le taux de mortalité des vaches adultes âgées de plus de deux ans dans le cheptel était de 19% en 2019. L’expert a relevé que le taux de mortalité avait augmenté depuis l’installation des antennes-relais, ce n’est cependant pas suffisant pour parler de surmortalité. Cependant, même si le taux de mortalité des bovins est considéré par l’expert comme étant insuffisant pour caractériser un péril grave, il a tout de même relevé que les bovins avaient un état de santé très affaibli du fait de leur maigreur extrême et de leur « cachexie » (perturbation du métabolisme qui se manifeste par une perte de poids corporel, une altération métabolique et des inflammations). En effet, les bovins du cheptel font une centaine de kilogrammes alors qu’à leur âge, le poids moyen est de 340 kilogrammes (JURQUET (J.) et PLOUZIN (D.), “L’élevage des génisses en quatre questions, réponses et recommandations de la ferme des Trinottières”, juin 2020 : https://pays-de-la-loire.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/Pays_de_la_Loire/2020/2020_GEREL_Fiche_technique_no_00_L_elevage_des_genisses_en_4_question s.pdf).

Cet arrêt nous amène donc à nous demander quelle définition le Conseil a retenu pour caractériser un péril grave car il n’a pas pris en compte l’état de santé des bovins qui semble pourtant alarmant. Ce refus par le Conseil a été vivement critiqué par le sénateur de la Haute-Loire, Laurent Lacombe, qui a affirmé que c’était une décision “incohérente” au regard du “constat accablant d’une mortalité hors-normes” (DEFAY (N.), « Antenne 4G/Mazeyrat : Laurent Duplomb affligé par la décision du Conseil d’Etat », 19 août 2022 : https://www.zoomdici.fr/actualite/antenne-4g-mazeyrat-dallier-un-compte-rendu-accablant-et-frustrant).

Le Conseil n’a pas non plus retenu le fait que la perte de production de lait peut entraîner une perte de revenu pour l’agriculteur, voire une perte de son exploitation, alors que l’article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE dispose que « toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée« . Or si l’implantation des antennes a un impact sur son exploitation et engendre une diminution de ses revenus, cela vient entraver son droit de travailler librement. Dans son commentaire d’arrêt, Vincent DOEBELIN a employé l’expression du « serpent qui se mord la queue » pour qualifier la situation de l’exploitant. En effet, les exploitants ne peuvent pas prouver la présence d’un péril grave, ni un lien de causalité entre ce péril et l’implantation des antennes-relais si leur fonctionnement ne s’arrête pas momentanément. L’exploitant est donc bloqué et n’a pas de moyen de prouver l’existence d’un péril grave. (DOEBELIN (V.), “Santé d’un élevage bovin : le recours manqué au juge des référés mesures utiles ” : Revue droit rural février 2023, p 60).

B – Le défaut des conditions du référé “mesures utiles”

Dans son ordonnance du 18 février 2022, le juge des référés du Tribunal judiciaire du Puy-en-Velay a ordonné qu’une expertise soit menée, il s’est cependant reconnu incompétent pour prononcer la suspension du fonctionnement des antennes. Le GAEC, en se fondant sur l’expertise, a demandé au Tribunal administratif de Clermont d’ordonner la suspension, ce qu’il a accepté. Les opérateurs de téléphonie mobile ont contesté la compétence du Tribunal administratif devant le Conseil d’Etat en invoquant que les troubles anormaux de voisinage relevaient de la compétence du Tribunal judiciaire. Le Conseil va cependant écarter ce moyen et reconnaître la compétence du juge administratif. Il affirme que celui-ci est seul compétent pour statuer sur la suspension du fonctionnement des antennes-relais puisqu’une telle mesure “implique une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes” (Voir MALVERTI (C.) Conclusions du rapporteur public sur les pourvois des opérateurs N° 464622, 464652, 464743, 464760, 464763, 17 août. 2022 : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2022-08-17/464622?download_pdf ).

Néanmoins, le Conseil affirme qu’une erreur de procédure existe puisque le juge des référés a estimé que les conditions d’ouverture du référé “mesures utiles” prévues à l’article L. 5321-3 du code de justice administrative étaient réunies. Ce référé a un caractère subsidiaire, ce que le Conseil d’Etat a rappelé dans un arrêt de 2016. Il affirme que le juge saisi sur le fondement de ce référé ne peut pas prescrire des mesures si “leurs effets pourraient être obtenus par les autres procédures de référé” (CE, sect., 5 févr. 2016, n° 393540 : JurisData n° 2016-001645 ; AJDA 2016, p. 474, obs. L. DUTHEILLET de LAMOTHE et G. ODINET).

Le juge des référés peut prescrire des mesures provisoires, d’une part si la demande n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, et d’autre part si une urgence justifie cette mesure. De plus, il faut que la mesure ordonnée ne se heurte à aucune contestation sérieuse et qu’elle ne fasse pas obstacle à l’exécution d’une décision administrative. La seule exception permettant cette suspension serait l’existence d’un péril grave (Voir supra). Le tribunal a estimé que la suspension provisoire ne faisait pas obstacle à l’exécution d’une décision administrative. Or, selon le Conseil, la limitation dans le temps des effets d’une mesure est sans incidence sur l’appréciation. Cela lui permet de juger que cette mesure constitue un réel obstacle à l’exécution de la décision de l’ARCEP du 15 novembre 2018 (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, Décision n° 2018-1389, du 15 novembre 2018 : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gsavis/18-1389.pdf) ainsi que de l’arrêté ministériel du 12 juillet 2019 (ministère de l’Economie et des Finances, Arrêté définissant la deuxième liste des zones à couvrir par les opérateurs de radiocommunications mobiles, 12 juillet 2019 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038777456/). Or ces deux textes donnent précisément pour mission aux opérateurs d’installer des stations de téléphonie mobile sur la commune (ARCEP, Grand dossier “La couverture mobile en métropole : La couverture des zones peu denses”, 11 juillet 2023 : https://www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-reseaux-mobiles/la-couverture-mobile-en-metropole/la-couverture-des-zones-peu-denses.html

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur le fond puisque l’erreur de procédure, à elle seule, remet en cause la validité du jugement du tribunal administratif. Cette erreur profite ainsi aux opérateurs téléphoniques puisque le jugement qui ordonne la suspension du fonctionnement de leurs antennes est annulé. L’erreur de procédure a, ainsi, été prioritaire, au détriment du fond de l’affaire. L’expert Jean-Dominique Puyt a qualifié cette annulation “d’entrave au bon fonctionnement de la justice, car elle empêche la manifestation de la vérité” (PUYT (J-D), Rapport d’étape Affaire GAEC du Coupet c/ SA Orange France, Ordonnance de référé du 18 février 2022 N° RG 2022/00007 Ordonnance de référé du 18 août 2022 N° RG 2022/00075 : https://www.zoomdici.fr/sites/default/files/upload/documents/Rapport%20Gaec%20Coupet%202023.PDF), celle-ci empêchant l’enquête d’aboutir devant le juge civil.

II – Vers une autre action en justice ?

Malgré son rejet du référé “mesures utiles”, le Conseil d’Etat laisse la porte entr’ouverte. Il renvoie en effet les parties vers le référé-suspension dont on peut douter que les conditions soient remplies (A.) alors même qu’il demeure un doute sur la pertinence des preuves en l’espèce (B.).

A – Les conditions d’un référé-suspension ?

Le Conseil d’Etat ne semble pas donner raison aux opérateurs sur le fond puisqu’il ne remet nullement en cause les effets néfastes des ondes électromagnétiques. En effet, il affirme que, si les exploitants se pensent fondés, ces derniers pourraient rechercher la suspension de l’arrêté ministériel en demandant la mise en œuvre d’un référé suspension prévu à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. Ce référé permettrait d’obtenir la suspension temporaire de la décision administrative contestée, donc de l’arrêté ministériel, qui est défavorable aux agriculteurs en l’espèce.

Le référé-suspension est une procédure d’urgence, ainsi, le juge des référés du Tribunal administratif est saisi par une requête préalable. S’ensuit le prononcé d’une décision dans un délai compris entre 48 heures et un mois après l’audience, ce délai de réponse rapide se justifiant par l’urgence invoquée. Le jugement prononcé par le Tribunal administratif est provisoire, et son effet ne cesse que lorsque l’affaire est tranchée par le juge qui se prononce sur le fond. Cette suspension laisserait un délai dans l’objectif de pouvoir mener les expertises nécessaires, afin de démontrer l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’installation des antennes-relais et les changements constatés chez les bovins.

L’une des conditions de ce référé demeure la démonstration de l’urgence de suspendre l’exécution de la décision. C’est sur ce point que se poserait toute la difficulté puisque l’urgence s’apprécie au cas par cas, elle relève donc de l’appréciation du juge. Selon Madame Karine BUTERI, la présidente de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, “la définition de l’urgence repose sur les conséquences de l’exécution de l’acte attaqué et son appréciation intègre les conséquences de la suspension dudit acte” (BUTERI (K.), “La condition d’urgence dans la procédure du référé-suspension” : Petites affiches n°253 du 20 décembre 2001, p. 17). Si on applique cette définition, l’urgence s’apprécie en fonction des conséquences de la suspension de l’arrêté ministériel. En l’espèce, cette suspension stopperait temporairement les antennes et pourrait permettre à l’expert de démontrer si celles-ci ont un réel impact négatif sur la santé des bovins. C’est ce délai qui, dans ce cas précis, a manqué puisque l’expert Jean-Dominique PUYT n’a pas pu approfondir ses études alors même qu’il a pu constater que les animaux d’élevage souffraient de “cachexie” ainsi que d’une “maigreur extrême” selon son rapport d’étape (PUYT (J-D), Rapport d’étape Affaire GAEC du Coupet c/ SA Orange France, préc.), sans oublier l’affirmation des agriculteurs sur l’existence d’un taux important de mortalité dans leur élevage, ce qui n’est pas établi selon le Conseil d’Etat.

La deuxième condition réside dans l’existence d’un doute sérieux concernant la légalité de la décision attaquée, c’est-à-dire en l’espèce l’arrêté ministériel qui enjoint aux sociétés de téléphonie d’implanter des antennes-relais dans certaines zones définies. À première vue, ce texte gouvernemental ne semble pas être entaché d’illégalité, mais la notion de « doute sérieux » étant assez subjective, elle sera soumise à l’appréciation du juge saisi.

Ce référé-suspension ne serait donc accordé par le juge que si celui-ci estimait d’une part que la nécessité de mener à bien les expertises, au regard de l’état de santé accablant des bovins, représente une urgence qui justifierait la suspension de l’exécution de la décision administrative, et d’autre part s’il reconnaissait l’existence d’un doute sérieux concernant la légalité de la décision contestée. Ces deux conditions sont dépendantes de l’appréciation du juge des référés.

Bien que le Conseil d’Etat semble orienter les parties vers cette autre action en justice, cette décision a entraîné la colère des riverains. A la suite de cette décision, ils ont eux-mêmes pris la décision de couper les fils d’alimentation des antennes, se faisant justice à eux-mêmes. Cependant il faut bien mettre en balance la détresse des agriculteurs qui voient leur exploitation s’affaiblir, avec l’arrivée des antennes de télécommunication et la nécessité d’établir un système de téléphonie dans ces zones. Or la suspension du fonctionnement des antennes signifierait l’absence d’accès au réseau durant ce laps de temps. Le débat reste donc ouvert en attendant une prochaine décision de justice qui suppose que soit résolue la question des preuves de la causalité.

B – La pertinence des expertises ?

D’après le rapport d’étape de Jean-Dominique Puyt (PUYT, l’expert qui a été missionné par le tribunal judiciaire de Puy-en-Velay (J-D), Rapport d’étape Affaire GAEC du Coupet c/ SA Orange France, préc.), aucune réelle cause médicale, sanitaire, alimentaire ou zootechnique n’a pu être identifiée comme étant à l’origine du désordre survenu dans le troupeau laitier. Le seul élément connu est la mise en service de l’antenne de télécommunication de 3G et 4G. Le rapport d’expert a bien constaté qu’une baisse de production journalière de lait avait eu lieu à partir du mois de juillet 2021, date qui coïncide avec la mise en service de l’antenne de télécommunication. Néanmoins, malgré les nombreux tests qui ont été faits, l’expert n’a pas réussi à justifier la cause de la baisse de production de lait du troupeau. En effet, l’expert a manqué de temps du fait de la décision du Conseil d’Etat refusant l’arrêt temporaire des antennes-relais, décision qui a eu pour effet d’interrompre l’expertise et de ne pas permettre son approfondissement. L’exploitant avait demandé l’arrêt temporaire des antennes de télécommunication afin de pouvoir comparer l’état de ses vaches avec et sans les antennes. Si une fois les antennes arrêtées les vaches avaient repris leur poids et la production de lait avait augmenté, le lien avec les antennes de télécommunication eût été plus facile à démontrer.

D’autre part, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a fait de nombreux essais de terrains sur différentes espèces animales telles que des bovins, ovins, équins et oiseaux vivants à proximité de lignes à haute tension émettant des ondes électromagnétiques. Elle affirme que, malgré ses tests, il demeure difficile de tirer des conclusions de ces résultats, et cela à cause de la diversité d’intensité des champs électromagnétiques ainsi que de la durée d’exposition. En ce sens, les données sont encore aujourd’hui trop limitées pour avoir la possibilité de conclure à un lien de causalité directe entre champs électromagnétiques et comportements des animaux. Toutefois, dans ce rapport, elle affirme que des tests ont déjà pu confirmer l’impact des champs électromagnétiques sur la fertilité d’un troupeau de bovins suédois (ANSES, “Demande d’approfondissement de l’expertise scientifique relative aux conséquences des champs électromagnétiques d’extrêmement basses fréquences sur la santé animale et les performances zootechniques“ 28 août 2015, p. 8 : https://www.anses.fr/fr/system/files/SANT2013sa0037Ra.pdf). Ces enquêtes ont pu parfois sembler fructueuses puisqu’en 2021, lors d’un cas similaire mais lié à l’installation d’un champ d’éoliennes, les comités d’experts ont reconnu que les champs électromagnétiques présents au niveau des éoliennes étaient un élément contribuant à des effets sur les bovins. Ce n’était cependant pas un facteur unique puisque trois autres agents physiques ont été reconnus. Les comités avaient estimé qu’il existait d’autres sources potentielles (ANSES, Saisine n°2019-SA0096 “Imputabilité à un champ d’éoliennes d’effets rapportés dans deux élevages bovins”, 13 octobre 2021, p. 8 : https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2019SA0096Ra.pdf). De plus, dans un rapport rendu par l’OPECST (office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) le 25 mars 2021, il avait été reconnu que les installations électriques pouvaient créer des courants et des tensions parasites sur les différents éléments métalliques des exploitations. Les changements de comportement ne seraient donc pas seulement liés aux ondes électromagnétiques. Il y a encore trop peu d’éléments pour l’affirmer, mais il y a plus de certitude qu’ils soient causés par les courants parasites engendrés par les installations (BOLO (P.), “Impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage”, Rapport de l’OPECST du 25 mars 2021 : https://www.senat.fr/rap/r20-487/r20-4871.pdf).

Ainsi, à l’heure actuelle, les ondes électromagnétiques ont pu parfois être reconnues comme sources de désordres, mais elles ne sont que très rarement retenues comme seul facteur des changements chez les animaux d’élevage. Il n’est pas possible d’affirmer si oui ou non les ondes électromagnétiques possèdent un réel effet négatif sur les bovins, le manque de données sur le sujet n’ouvrant pas la possibilité d’établir un lien de causalité directe entre ces éléments. Cependant, la question n’est pas close en raison de la détermination des opposants aux antennes-relais.