Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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L’AVOCAT DE L’ENFANT, SOUTIEN A OFFRIR AUX JEUNES VICTIMES SOUS ASSISTANCE EDUCATIVE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

 

Lorsque des mineurs ont dû être placés sous assistance éducative, cela signifie que leur situation est complexe, souvent victimes des agissements malveillants de membres de leur famille. Il faut les aider par tous les moyens et la proposition que vient de faire le Conseil national des barreaux lors de son assemblée générale du 4 juin 2021 est à saluer. Il profite des travaux actuels en matière de protection de l’enfance pour réclamer que le droit évolue et rende obligatoire la représentation automatique de ces mineurs par un avocat.

Mots-clefs : mineurs placés sous assistance éducative – danger – désignation automatique d’un avocat – protection et accompagnement des mineurs sous assistance éducative – enfants en danger – enfants rencontrant des difficultés – enfants victimes de maltraitances – amélioration des modes de défense des mineurs victimes – Conseil national des barreaux – extension du rôle des avocats dans les procédures d’assistance éducative

Une mesure d’assistance éducative est ouverte par le juge des enfants lorsque l’enfant se trouve aux prises de risques familiaux. Conformément à l’article 375 du Code civil, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises. Dans tous ces cas, l’autorité parentale ne peut pas être exercée normalement.

En fonction du degré du danger encouru par les mineurs, les parents peuvent être parfois soutenus dans leur parentalité, l’assistance éducative ne supprimant pas la qualité de titulaire de l’autorité parentale pour des parents, par exemple, immatures, maladroits ou empêchés de veiller à l’intérêt de leur enfant. On peut alors prévoir des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) pour aider ces adultes à bien prendre leur enfant en charge, en leur apportant aide et conseil (C. civ., art. 375-2). En revanche, des mesures plus contraignantes, notamment de placement hors de la famille, sont à prévoir lorsque l’enfant est face à un péril qui menace son intérêt. Il convient donc d’harmoniser les mesures d’assistance éducative en tenant compte des critères du danger et de sa gravité.

Si le juge des enfants estime que l’enfant est face à un danger ou que les conditions de son éducation ou de son développement sont gravement compromises, il lui revient de mettre en place des mesures d’assistance éducative.

Il faut toutefois qu’il soit d’abord saisi, or il peut l’être par l’un ou l’autre parent de l’enfant, la personne ou le service à qui l’enfant a été confié le cas échéant, son tuteur en cas d’ouverture d’une tutelle, le mineur lui-même, le ministère public, sachant que le juge des enfants peut même se saisir d’office (C. civ., art. 375).

Une fois saisi, il convoque les parties en vue d’une audience, entendant le mineur et ses parents et ordonnant éventuellement des mesures d’investigation éducative. Le mineur est forcément confronté à la justice en ce cas, or se pose alors la question de savoir comment et par qui il est défendu. Précisément, il est soutenu de longue date par des professionnels de l’enfance, des institutions et des associations spécialisées dans la cause enfantine que la parfaite protection des enfants passe par la désignation d’un avocat. Précisément, bien accompagner les mineurs et les défendre à chaque fois qu’ils sont confrontés à la justice devrait être considéré comme essentiel, notamment quand ils risquent d’être visés par des mesures d’assistance éducative en raison des dangers encourus au sein de leur famille.

Pour assurer une parfaite protection des enfants, il faudrait qu’un avocat spécialisé dans la cause enfantine soit désigné or, pour le moment cette désignation est facultative (I). Profitant des débats menés actuellement autour de l’avant-projet de loi relatif à l’enfance (à l’étude au Conseil d’État et présenté au conseil des ministres le 16 juin) et de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 18 mai 2021 (proposition déposée par Perrine Goulet visant à protéger les enfants), le Conseil national des barreaux (CNB), réuni en assemblée générale le 4 juin 2021, souhaite que les textes soient plus en accord avec l’intérêt et les droits de l’enfant, afin que l’on rende automatique la désignation de l’avocat pour les mineurs en danger à chaque fois que l’on prévoit de mettre en place pour eux des mesures d’assistance éducative (II).

I – L’avocat de l’enfant, un soutien possible pour les mineurs bénéficiant de mesures d’assistance éducative

Pour l’heure on peut recourir aux services d’un avocat mais rien ne l’impose, ce qui est dommage quand on analyse les conséquences positives pour les mineurs de bénéficier des services d’un avocat.

1. La désignation de l’avocat de l’enfant

Il est pertinent qu’un avocat soit présent aux côtés d’un enfant en danger car, du fait de son âge, l’enfant est une victime particulièrement fragile et vulnérable (C. Neirinck, L’enfant, être vulnérable, RDSS 2007, p. 5). Cela découle notamment de l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui précise que l’enfant a le droit d’exprimer son opinion et d’être assisté d’un conseil.

Il est en effet possible de recourir à un avocat pour que l’on parvienne à soutenir les personnes dans le cadre de procédures en matière d’assistance éducative. Conformément à l’article 1186 du Code de procédure civile on peut noter que « le mineur capable de discernement, les parents, le tuteur ou la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié peuvent faire choix d’un conseil ou demander au juge que le bâtonnier leur en désigne un d’office. La désignation doit intervenir dans les huit jours de la demande. Ce droit est rappelé aux intéressés lors de leur première audition ».

Pourtant, en l’état actuel du droit, sa représentation par un avocat est seulement obligatoire en matière pénale. L’intervention d’un avocat est effectivement prévue en ce domaine depuis l’Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (art. 4-1) : « le mineur poursuivi doit être assisté d’un avocat » et sa place est maintenue dans le nouveau droit pénal des mineurs (voir toutefois J. Taxil, L’avocat de l’enfant et le Code de la justice pénale des mineurs : un acteur oublié ?, Dr. famille 2021, n° 3, p. 33).

En matière civile, on pense parfois que l’avocat n’a pas sa place car l’enfant est soutenu par sa famille et c’est la famille qui vient au premier rang quand il faut défendre ses intérêts tout en le protégeant ou un administrateur ad hoc quand il est en conflit avec les titulaires de l’autorité parentale.

Pour le moment, un avocat peut être désigné mais ce n’est pas automatique. Il est vrai que le mineur est partie à la procédure d’assistance éducative, habilité à saisir le juge mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il sera toujours accompagné d’un avocat.

Néanmoins l’article 1186 du Code de procédure civile impose au juge des enfants d’aviser l’enfant, dès la première audition, de sa possibilité d’être assisté d’un conseil. En réalité, cela n’est pas fréquemment le cas car l’enfant n’est pas informé de manière suffisamment explicite à la fois de l’intérêt de cette représentation et de la possibilité pour lui de bénéficier de l’aide juridictionnelle (Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, art. 9-1 : « dans toute procédure le concernant, le mineur entendu dans les conditions mentionnées à l’article 388-1 du code civil, s’il choisit d’être entendu avec un avocat ou si le juge procède à la désignation d’un avocat, bénéficie de droit de l’aide juridictionnelle »).

2. Le rôle de l’avocat de l’enfant

C’est le juge des enfants qui apprécie le danger encouru par les mineurs ou le caractère gravement compromis des conditions de son éducation ou de son développement. Néanmoins, des pistes peuvent être précisées par l’avocat de l’enfant qui a étudié le dossier et entendu le mineur. Il n’est pas rare en effet que l’on passe à côté d’éléments préoccupants et, face à une situation complexe, l’intervention d’un professionnel du droit est appréciable.

Le mineur sera aussi auditionné par le juge et là encore, il est souhaitable que l’intéressé soit accompagné par son avocat.

Avec les années, les textes ont accru la présence de l’avocat aux côtés des enfants pour qu’il puisse être bien entendu dans toute procédure les concernant (C. civ., art. 388-1) et les avocats se sont mobilisés et formés pour remplir pleinement leur rôle de défenseur des enfants.

Quand un avocat est désigné, il peut prendre connaissance de l’intégralité du dossier et en obtenir copie pour sauvegarder au mieux les intérêts de l’enfant. Il peut lui expliquer la procédure, les retombées de la mise en place des mesures d’assistance éducative, le préparer au retrait du foyer familial et au placement le cas échéant, faire connaître au juge ses besoins réels et lui expliquer les décisions que prendra le juge des enfants.

Comprenant le ressenti de l’enfant, l’avocat de l’enfant est le plus à même de l’accompagner lors des audiences au tribunal et il porte sa parole quand l’intéressé n’est pas en mesure de s’exprimer lui-même. Autant de bonnes raisons qui justifient pleinement la demande de modification de l’article 1186 du Code de procédure civile réclamée par le Conseil national des barreaux.

II – L’avocat de l’enfant, un soutien systématique pour les mineurs bénéficiant de mesures d’assistance éducative

Personnes vulnérables en raison de leur âge, les mineurs sont encore plus en situation de vulnérabilité quand les circonstances nécessitent que soient prononcées des mesures d’assistance éducative parce qu’ils sont en danger ou parce que les conditions de leur éducation ou de leur développement sont gravement comprises (C. civ., art. 375). Leur protection doit être assurée avec le plus grand soin et la proposition faite par le Conseil national des barreaux améliorerait leur situation. Elle le serait assurément si les jeunes victimes étaient systématiquement accompagnées par un avocat lors des procédures d’assistance éducative.

1. La demande du Conseil national des barreaux de rendre obligatoire la désignation d’un avocat

Cela fait déjà longtemps que, régulièrement, la question de faire intervenir systématiquement un avocat aux côtés des mineurs est évoquée quand il s’agit notamment de prendre pour eux des mesures d’assistance éducative.

En ce domaine, un avocat de l’enfant a un grand rôle à jouer (Y. Benhamou, Réflexions en vue d’une meilleure défense en justice de l’enfant, D. 1993, n° 15, p. 103 ; F. Rault, Le rôle de l’avocat dans le placement de l’enfant, AJ famille 2007, p. 76), tout comme on peut noter que son intervention est essentielle dans l’accompagnement des populations en situation de vulnérabilité (S. Amrani Mekki, L’avocat protecteur des personnes vulnérables, Gaz. Pal. 2 avril 2021, n° 400y3, p. 8).

Prévoir systématiquement un avocat pour les mineurs sous assistance éducative ou pour lesquels ces mesures sont envisagées permet de mieux recueillir leur parole (M. Picot, L’avocat de l’enfant, Dr. famille 2006, n° 7, p. 31 ; R. Sancho Andréo, L’accès au droit, l’accès à la parole, Rev. jur. des barreaux 1998, n° 54, p. 61 ; Table ronde, La parole de l’enfant devant la justice civile, Dr. famille n° 3, mars 2016, dossier 8) et donc de mieux les assister.

Cela permet aussi de les soutenir quand ils sont auditionnés (C. Zarlowski, L’audition du mineur victime, AJ pénal 2014, n° 1, p. 13). Or précisément, l’audition du mineur est une priorité en assistance éducative et il important de ne pas le laisser seul face au juge s’il est convoqué par lui ou s’il demande à être entendu (l’audition est obligatoire sauf absence de discernement dûment justifiée : Cass. 2e civ., 2 déc. 2020, n° 19-20.184, Dr. famille 2021, n° 2, p. 32, note C. Siffrein-Blanc ; JCP G 2021, p. 16, note P. Giraud ; C. Neirinck, Absence de discernement d’un mineur, procédure d’assistance éducative et choix de son avocat, note sous Cass. 1re civ. 23 nov 2011, n° 10-16.367, Dr. famille 2012, n° 2, comm.30 ; C. Siffrein-Blanc, Le droit d’être entendu, un droit absolu pour l’enfant discernant, note sous Cass. 1ère civ., 14 avr. 2021, n° 18-26.707, Dr. famille 2021, n° 6, comm. 90).

Le fait que le mineur bénéficie toujours des services d’un avocat évitera aussi que sa parole soit manipulée (R. Bazin, De l’audition du mineur dans les procédures relatives à l’autorité parentale, Gaz. Pal. 2014, n° 199-200, p. 9 ; A. Cheynet de Beaupré, Inféodation et discernement, note sous Cass. 1ère civ., 5 mars 2014, n° 13-13.530, RJPF 2014-5, p. 44 ; M. Douchy-Oudot, Audition du mineur en justice, note sous Cass. 1ère civ., 28 sept. 2011, n° 10-23.502, Procédures 2011, n° 1, p. 19 ; A. Gouttenoire, La parole de l’enfant sous influence, note sous Cass. 1ère civ., 5 mars 2014, n° 13-13.530, Lexbase hebdo, Edition privée générale 2014, n° 566). Tout doit être fait pour le protéger et protéger sa parole.

2. L’intérêt pour les mineurs sous assistance éducative d’être toujours représentés par un avocat

Confier les mineurs en assistance éducative ou les mineurs victimes à un avocat de l’enfant permet de leur accorder une aide et un soutien très précieux car on ne fait pas mieux comme porte-parole et défenseur des droits des jeunes victimes (J.-M. Salzard, Plaidoyer pour l’avocat de l’enfant obligatoire en matière d’assistance éducative, Journal du droit des jeunes 2008/5, n° 275, p. 38 ; P. Verdier, Le choix de l’avocat de l’enfant dans les procédures d’assistance éducative, Journal du droit des jeunes 2007/5, n° 265, p. 34). Ils peuvent ainsi leur offrir une défense personnalisée et efficace.

En effet, l’avocat auxiliaire de justice devient aussi un auxiliaire de justice sociale. Il joue alors pleinement son rôle de protecteur des justiciables. Il lui revient d’entendre les besoins spécifiques du mineur qui n’est plus soutenu par sa famille et de faire entendre sa voix. Il va aussi faire en sorte que la procédure soit conforme à l’intérêt de l’enfant (A. Atiback, L’intérêt de l’enfant dans les procédures d’assistance éducative, Dr. famille 2006, n° 4, p. 4).

Les avocats spécialisés savent recueillir et prendre en compte la parole de l’enfant. Ils ont, pour ce faire, suivi une formation spécifique concernant le droit des mineurs et notamment les procédures et les aspects afférents à l’enfance en danger, leur rôle ayant évolué en la matière au fil du temps (D. Attias, Un acteur inconnu de la protection de l’enfance, Enfance & Psy 2013/3, p. 76).

Leur présence est essentielle car un enfant et même un adolescent ont du mal à faire connaître leur point de vue devant un juge, surtout quand ils sont en conflit avec leurs père et mère.

Il est souhaitable que tous les enfants visés par des mesures d’assistance éducative soient représentés par un avocat, protecteur naturel, porte-parole, conseil spécialisé.

Prévoir une assistance par un avocat permet assurément de libérer la parole de l’enfant (J. Bigot, La parole de l’enfant en justice, in I. Corpart, C. Lacroix et M-F. Steinlé-Feuerbach (dir.), Université et prétoire, Mélanges en l’honneur de Monsieur le Professeur C. Lienhard, L’Harmattan 2020, p. 281 ; I. Corpart, La parole de l’enfant, RRJ, Revue de droit prospectif 2005/4, p. 1809 ; L. Gebler, Le juge aux affaires familiales et la parole de l’enfant : et si on avançait ?, Journal du droit des jeunes janv. 2007, n° 261, p. 19). Il n’est pas évident effectivement que l’enfant s’exprime seul quand il est en conflit avec ses parents ou l’un d’entre eux.

Toutes les mesures qui permettent d’apporter du soutien aux enfants, a fortiori s’ils sont victimes et sont tenus de faire appel à la justice, doivent être encouragées et la proposition du Conseil national des barreaux ouvrirait de belles perspectives en ce sens. Il est en effet important que les enfants victimes soient accompagnés quand ils ont affaire à la justice. Espérons que l’article 1186 du Code de procédure civile soit réécrit et prévoie que le mineur doit être assisté systématiquement d’un avocat, en supprimant aussi la référence au fait que l’intéressé doit être capable de discernement. En matière d’assistance éducative, si la famille, le tuteur ou l’administrateur ad hoc n’opèrent pas ce choix, il faudra alors qu’un avocat commis d’office soit désigné en ce cas pour accompagner l’enfant. Une telle mesure permettra d’assurer un soutien efficace au cours des procédures d’assistance éducative aux enfants victimes et de les faire accompagner de manière efficace par des avocats spécialement formés et bien à leur écoute.