LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DE LA SOCIÉTÉ MÈRE ET L’ORGANISATION MATRICIELLE DU GROUPE, P. Schultz

Philippe SCHULTZ

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – HDR
Membre du CERDACC

 

Observations sur Cass. crim., 16 juin 2021 (n° 20-83.098)

Mots clés : responsabilité pénale – personne morale – groupe de sociétés – représentant de fait – comité d’évaluation des risques – organe social – corruption d’agents publics étrangers – délégation – politique du groupe – organisation matricielle

Pour se repérer

Entre 2001 à 2004, la société Alcatel CIT cherchait à obtenir un maché de matériels téléphoniques au Costa Rica pour un montant de 300 millions de dollars. Pour remporter le marché, elle a versé des commissions à plusieurs agents publics de l’institut costaricien d’électricité (ICE) ainsi qu’à des personnalités politiques du Costa Rica sous couvert de contrats de consultants. Étaient plus particulièrement impliqués dans cette corruption deux directeurs de la société Alcatel CIT, MM. D. et V et la société Alcatel Standard dont le responsable était M. F. Tant la société Alcatel CIT que la société Alcatel Standard sont des filiales de la société holding Alcatel-Lucent SA.

La société holding a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée du chef de corruption active d’agent public étranger en participant, par l’intermédiaire de son représentant M. R. responsable de l’Area 1 du groupe, et de ses subordonnés, MM. D. et V. au recrutement de consultants implantés au Costa Rica en sachant que les salariés d’Alcatel CIT étaient chargés de verser des fonds à des agents publics costariciens afin que leur société, filiale du groupe Alcatel, obtienne l’attribution et la conservation de marchés conclus avec l’ICE. Ces versements ont été rendus possibles parce que le comité central d’évaluation des risques (RAC, Risk Assessment Committee) du groupe a approuvé la fiche de rentabilité du projet (IPIS, Initial Project Income Statement) dont la ligne relative aux frais d’agents. Puis ces paiements ont été validés dans le cadre de l’établissement et de l’approbation des comptes consolidés par la société mère. Par ailleurs, MM. F. et R. ont également été renvoyés devant le tribunal correctionnel.

Tant ces dernières personnes physiques ont été relaxées faute de preuve. Quant à la société-mère, elle est relaxée faute pour l’organe ou le représentant ayant agi frauduleusement pour son compte d’avoir pu être identifié.

Le ministère public et la prévenue ayant relevé appel, la société Alcatel-Lucent est condamnée le 15 mai 2020 pour corruption active d’agent public étranger à une peine d’amende de 150 000 euros par la Cour d’appel de Paris.

Dans son pourvoi, la société anonyme Alcatel-Lucent conteste alors que l’infraction ait été commise pour son compte par l’un de ses organes ou représentant. En premier lieu, elle fait valoir que pour qu’un salarié d’une filiale puisse être le représentant de la société-mère au sens de l’article 121-2 du code pénal, le juge doit établir l’existence d’une délégation de pouvoirs à son profit. Or la Cour d’appel s’est contentée de reconnaître l’existence d’un lien hiérarchique entre la société mère et les salariés de la filiale en raison de l’organisation matricielle du groupe sans établir une délégation de pouvoirs.

En second lieu, elle conteste que le « RAC central » soit un organe ou un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal susceptible d’engager la responsabilité pénale de la société Alcatel-Lucent du seul fait qu’il a validé le document IPIS ce qui lui aurait conféré un pouvoir décisionnel.

Dans son arrêt du 16 juin 2021 (n° 20-83.098), la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Alcatel-Lucent.

Pour aller à l’essentiel

Pour rejeter le pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation fait valoir que la Cour d’appel de Paris a justifié sa décision de condamnation pour corruption active d’agent public étranger d’une société holding pour des faits commis dans le cadre d’un groupe de sociétés pour le compte de la société mère en retenant la combinaison, en premier lieu, des interventions de trois salariés de filiales de la holding, représentants de fait de cette dernière en raison de l’existence de l’organisation transversale propre au groupe et des missions qui leur étaient confiées, peu important l’absence de lien juridique et de délégation de pouvoirs à leur profit, et, en second lieu, du RAC central, organe de ladite société composé de dirigeants du groupe dont la mission l’amenait à valider, pour le compte de ce groupe, le recours à des paiements illicites sous couvert de contrats de consultants.

Pour aller plus loin

En application de l’article 121-2 du code pénal, les personnes morales sont responsables pénalement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. En l’occurrence, la société anonyme Alcatel-Lucent était poursuivie pour corruption active d’agents publics étrangers pour des faits matériellement commis par des salariés de ses filiales au Costa Rica, infraction incriminée par l’article 435-4 du code pénal. En l’occurrence, la matérialité de l’infraction n’était pas contestée. Divers versements de commissions avaient été réalisés auprès d’agents publics ou d’hommes politiques costariciens afin d’obtenir un marché de matériels téléphoniques. Les versements étaient effectués par le biais de contrats de consultant conclus avec les agents ou politiciens corrompus par des salariés de la société Alcatel CIT.

La question juridique de l’affaire soumise à la Cour de cassation se concentrait sur l’une des conditions d’engagement de la responsabilité d’une société anonyme à savoir que l’infraction a été commise pour le compte de cette personne morale par ses organes ou ses représentants. La difficulté tenait au fait que la personne morale poursuivie était une société holding située en France alors que les éléments matérialisant la corruption étaient commis au Costa Rica par des salariés de filiales de la société condamnée.

Dans son pourvoir, la société condamnée déniait aux salariés de sa filiale la qualité de représentant en l’absence de délégation de pouvoirs. Elle contestait aussi que le comité central d’évaluation des risques (RAC central) fût un organe permettant d’engager sa responsabilité pénale.

Ce moyen est rejeté en se fondant sur une combinaison entre une représentation de fait de la société mère par les salariés de la filiale en raison de l’organisation matricielle du groupe et la mission du RAC central qui le conduisait à valider les versements illicites.

Il apparaît ainsi que si l’intervention des salariés de la filiale était nécessaire pour engager la responsabilité pénale de la société mère (I), elle n’était pas forcément suffisante : celle-ci devait se combiner avec l’approbation d’un organe de la société mère (II).

I. Les salariés de la filiale, représentants de fait de la société mère

Le pacte de corruption a été conclu non pas par des salariés de la société mère condamnée, mais par des salariés d’une filiale costaricienne. Pour engager la responsabilité de la société holding, il fallait que les salariés pussent se voir reconnaître la qualité de représentant de cette société. S’ils ne pouvaient être des représentants de droit faute de lien juridique avec ladite société (A), l’organisation matricielle transversale du groupe a justifié qu’ils puissent au moins être déclarés représentants de fait (B).

A. L’indifférence d’un lien juridique entre les salariés de la filiale et la société mère

Au sein d’une société anonyme, le pouvoir de représentation est d’abord reconnu au directeur général et aux directeurs généraux délégués (C. com., art. L. 225-56) ou, dans les sociétés comportant un conseil de surveillance, au président du directoire ou au directeur général unique (C. com., art. L. 225-66). S’agissant de dirigeants de droit, ils ont d’abord des organes légaux. À ce titre, ils sont déjà susceptibles d’engager la responsabilité pénale de la personne morale en qualité d’organe au sens de l’article 121-2 du code pénal (J. Lasserre Capdeville, La notion d’organe ou de représentant de la personne morale : AJ Pénal 2018 p. 550).

La notion de représentant trouve son utilité lorsqu’il s’agit d’un représentant n’ayant pas la qualité d’organe légal ou statutaire. À compter de 1998, la jurisprudence a admis le principe qu’une personne morale pouvait engager sa responsabilité pénale en vertu d’une délégation de pouvoirs (Cass. crim., 1er déc. 1998, 97-80.560 : Bull. crim., n° 325 ; Cass. crim., 14 déc. 1999, 99-80.104 : Bull. crim., n° 306). Cette solution a ensuite été confirmée au sujet d’un salarié titulaire d’une telle délégation en énonçant par principe que « le salarié d’une société titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, et comme tel investi dans ce domaine de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission, est un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal, et engage la responsabilité de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation » (Cass. crim., 25 mars 2014, 13-80.376 : Bull. crim., n° 94. – V. aussi : Cass. crim., 16 déc. 2014, 13-87.342).

Cette solution jurisprudentielle bien établie suppose d’une part que le salarié soit engagé par la personne morale dont la responsabilité pénale est recherchée et d’autre part qu’il dispose de la délégation de pouvoirs suffisante. En réalité, les juges étaient déjà allés plus loin puisqu’ils avaient admis que la personne morale employant la victime de blessures involontaires pouvait engager sa responsabilité pénale en étant représenté par un délégataire qui n’était pas son salarié (Cass. crim., 14 déc. 1999, 99-80.104 : Bull. crim., n° 306). Pour qu’un salarié d’une filiale puisse devenir le représentant de la société mère, il fallait ainsi qu’il fût pourvu d’une délégation de pouvoirs. C’était le premier reproche opposé par la société mère à la Cour d’appel qui l’a condamnée. Cette dernière n’avait aucunement caractérisé l’existence d’une délégation et avait seulement reconnu la présence d’un lien hiérarchique en raison de l’organisation matricielle du groupe de sociétés.

L’argumentation développée par l’auteur du pourvoi péchait par faiblesse face à la vision jurisprudentielle large de la notion de représentant au sens de l’article 121-2 du code pénal. En effet, la jurisprudence avait à plusieurs reprises admis que la représentation pouvait résulter d’une délégation de fait (Cass. crim., 28 février 2017, 15-87.378, au sujet du délit de discrimination commis par une société exploitant une discothèque commis pour son compte par ses représentants, deux salariés chargés de filtrer les entrées en vertu d’une délégation de pouvoirs de fait. – Cass. crim., 27 février 2018, 17-81.457, concernant une condamnation du chef d’entrave à l’exercice régulier des fonctions d’un délégué du personnel). Il n’y a donc aucune raison de s’étonner pas que, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation précise que l’existence d’un lien juridique ou une délégation de pouvoir n’est pas nécessaire pour que les deux salariés puissent être des représentants.

En l’occurrence, c’est l’organisation matricielle transversale qui conduit à conférer aux salariés la qualité de représentants de fait.

B. La représentation de fait fondée sur une organisation matricielle transversale

Le pacte de corruption avec les agents publics et hommes politiques costariciens afin de permettre à la société Alcatel CIT de remporter le marché avec l’ICE avait été conclu par deux de ses salariés. Ceux-ci s’intégraient dans une organisation complexe dont la description faite par la Cour d’appel de Paris est reprise par la chambre criminelle.

Dans les années 90, la société holding Alcatel avait mis en place une organisation matricielle avec la création de deux entités virtuelles et transversales, dépourvues de personnalité juridique, regroupant d’une part les secteurs d’activités (les business groupes) d’autre part des zones géographiques (les Areas). Cette organisation ignorait les structures juridiques liant la société mère à ses nombreuses filiales. En effet, même si chaque employé d’une business division ou d’une Area était juridiquement rattaché à une filiale, cette organisation matricielle, même dépourvue de personnalité juridique, impliquait des liens hiérarchiques à l’intérieur des business groups et des zones géographiques. Il en ressortait qu’une double hiérarchie se superposait pour chaque agent : d’une part, de droit, au sein de la filiale qui le salariait et d’autre part, de fait, au sein de l’organisation matricielle et transversale à laquelle il était nécessairement intégré.

Or le pacte de corruption consistant à verser des commissions à des agents publics et politiciens costariciens grâce à des contrats de consultant supposait le respect d’une procédure de recrutement des consultants qui s’inscrivait pleinement dans cette organisation matricielle. En effet, la procédure supposait le contrôle et la signature de différents documents. Ainsi la fiche de rentabilité du projet (IPIS) qui mentionnait le taux de commissions à verser aux consultants était examinée par le RAC local et central pour les contrats conclus au Costa Rica. Le recours à un consultant était décidé par les salariés d’une filiale (la société Alcatel CIT) avec l’accord du directeur de zone (M. R.). Puis devait être émis un échéancier des dépenses, mentionnant les commissions à verser, qui était signé par le président de zone (M. R.), celui d’Alcatel CIT (M. F.), les présidents des business divisions et le président d’Alcatel Standard. Enfin, un dernier document (SAR) qui identifiait les bénéficiaires des commissions et d’autres modalités étaient signés par le président de zone et le président d’Alcatel Standard.

La Cour d’appel déduit de cette organisation matricielle que le directeur de zone et le président d’Alcatel Standard ont agi en qualité de représentant de la société mère en signant ces divers documents, de même que les deux salariés placés sous l’autorité hiérarchique matricielle du directeur de zone. Elle ajoute surtout que cette organisation complexe prévoyant une multitude de documents et une pluralité d’intervenants  « n’avait d’autre but que de diluer les responsabilités, chacun des intervenants ayant une responsabilité déterminée, et permettre, sous une apparence de légalité, la poursuite des contrats d’agents permettant des paiements illicites à des décideurs publics étrangers qui étaient déterminants pour les résultats commerciaux de l’entreprise. » De la sorte cette corruption constituait bien l’expression d’une politique du groupe déterminée par la société holding Alcatel Lucent.

Pour la Cour d’appel comme pour la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, il apparaît que, dès lors que la société mère met en place une organisation complexe pour masquer la corruption lui permettant de réaliser des profits, tous les acteurs qui, en connaissance de cause, prennent une part de responsabilité dans cette organisation ont, en fait, la qualité de représentant de la société mère.

Cet arrêt marque ainsi une nouvelle extension de la notion de représentant au sens de l’article 121-2 du code pénal (Sur l’interprétation jurisprudentielle large de la notion de représentant, voir : H. Matsopoulou, Répertoire des sociétés, V° Responsabilité pénale des personnes morales, n° 67 et s. ; J.-Y. Maréchal, JCl. Pénal Code, art. 121-2, fasc. 20 : responsabilité pénale des personnes morales,  n° 90 et s.). Envisagée de manière isolée, cette extension n’est pas satisfaisante. En effet, les représentants de fait intervenant pour la mise en œuvre du pacte de corruption avaient certainement conscience de commettre une infraction pour le compte de la filiale qui les employait et qui allait profiter du marché. En revanche, il n’était pas clairement établi qu’ils avaient conscience d’agir pour le compte de la société holding qui en définitive est condamnée. Au demeurant, la Cour d’appel de Paris semble elle-même implicitement l’admettre en constatant que cette organisation « n’avait d’autre but que de diluer les responsabilités ». Face au morcellement des opérations, comment chaque intervenant pouvait-il avoir conscience d’une convergence nécessaire vers la société à la tête du groupe ?

La seule représentation de fait des salariés de la filiale n’était ainsi pas suffisante pour engager la responsabilité pénale de la société mère. En réalité, l’entrée en condamnation est rendue possible parce qu’elle s’est combinée à l’intervention d’une structure centrale laquelle s’est vu reconnaître la qualité d’organe au sens de l’article 121-2 du code pénal.

II. La combinaison avec l’approbation d’un d’organe central

Pour que la responsabilité pénale de la société holding puisse être retenue au sein du groupe de sociétés (B) alors que les faits étaient matériellement commis à l’étranger par des salariés de filiales, il fallait que cette corruption soit validée par un organe central à la tête du groupe (A).

A. Le comité central d’évaluation des risques, un organe social de validation

La personne morale engage aussi sa responsabilité pénale lorsque l’infraction est commise pour son compte par l’un de ses organes. Dans une société anonyme à conseil d’administration, telle la société Alcatel Lucent, cette qualité est d’abord reconnue aux organes légaux que sont le président du conseil d’administration ou le directeur général (C. com., art. L. 225-51-1) et les directeurs généraux délégués (C. com., art. L. 225-53). Elle est aussi reconnue à l’organe collectif que constitue le conseil d’administration (C. com., art. L. 225-17). Une comité exécutif prévu par les statuts s’est également vu reconnaître la qualité d’organe dans une autre affaire de corruption d’agents publics étrangers  (Cass. crim., 14 mars 2018, n° 16-82.117 au sujet d’un COMEX). En revanche, la doctrine est partagée au sujet des organes légaux de contrôle que sont les assemblées d’associés ou le conseil de surveillance des sociétés anonymes dualistes (B. de Lamy et M. Segonds, JCl. Pénal des affaires, V° Notions fondamentales, fasc. 7, Responsabilité pénale des personnes morales, n° 33).

En l’occurrence, aucun des organes exécutifs prévus par loi n’est intervenu dans le pacte de corruption. L’organisation mise en place supposait l’intervention du RAC (Risk Assessment Committee) central du groupe, le comité central d’évaluation des risques. Cette émanation située au niveau de la tête du groupe, n’est aucunement imposée par la loi. Et la décision ne mentionne pas qu’il serait imposé par les statuts. Il s’agit en toute vraisemblance d’un comité que le conseil d’administration a le pouvoir de mettre en place (C. com., art. R. 225-29). La question se posait alors si ce comité avait la qualité d’organe au sens de l’article 121-2 du code pénal.

Dans l’organisation, celui-ci avait pour mission de valider le document IPIS, c’est-à-dire la fiche de rentabilité du projet. À partir de cette validation, d’autres documents étaient émis, notamment ceux qui finançaient les commissions versées aux consultants costariciens si bien que le comité approuvait ces financements. La Cour d’appel en déduisit que le comité avait un pouvoir décisionnel. En outre, dans sa composition, le comité réunissait différents dirigeants du groupe. Par sa composition et son pouvoir de validation, la Cour de cassation reconnaît ainsi au RAC central la qualité d’organe de la société-mère.

Pareille qualité d’organe avait déjà été reconnue à des comités internes telle une commission d’attribution des logements d’une société d’habitations à loyer modéré (Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 16-82.426). Mais dans cette affaire, l’infraction de discrimination était matériellement commise par la commission. Au contraire, dans le groupe Alcatel, le RAC n’avait pas matériellement représenté la société-mère dans la conclusion du pacte de corruption. Son rôle était de valider le processus de recrutement de consultants costariciens auxquels des commissions illicites seraient ensuite versées.

Si son rôle combiné aux représentant locaux a été déterminant pour condamner la société mère, en revanche, la Cour de cassation ne semble pas reprendre à son compte un élément sur lequel s’est fondé la Cour d’appel de Paris, à savoir la prise en considération des paiements illicites lors de l’établissement et l’approbation des comptes consolidés. En effet, la chambre criminelle ne vise en définitive que le RAC comme organe engageant la responsabilité de la société mère. Or l’établissement des comptes consolidés relève de la compétence du conseil d’administration de la société. Quant à leur approbation, elle relève de l’assemblée générale ordinaire annuelle. Le conseil d’administration avait évidemment la qualité d’organe au sens de l’article 121-2 du code pénal. Mais l’établissement des comptes consolidés était certainement insuffisant pour révéler l’existence de l’infraction au niveau de la filiale. Bien plus, cet établissement intervient a posteriori, après que le versements de commission et, par conséquent, après la conclusion du pacte de corruption. Il en ainsi, a fortiori, pour l’assemblée générale qui ne fait qu’approuver les comptes consolidés.

Pour être associée à la conclusion du pacte de corruption, il fallait qu’un organe de la société mère intervînt en amont. C’était la mission du RAC central pour les opérations réalisées au Costa Rica. L’intervention de cet organe central situé au niveau de la société mère a permis d’engager la responsabilité pénale de cette société pour corruption d’agents publics étrangers.

B. La responsabilité pénale de la société mère au sein du groupe de sociétés

Retenir une responsabilité pénale en présence d’un groupe de sociétés soulève nécessairement des difficultés qui ont été déjà mises à jour (M. Pariente, Les groupes de sociétés et la responsabilité pénale des personnes morales : Rev. Sociétés 1993, p. 247.  – V. Malabat, À la recherche de la responsabilité pénale perdue au sein du groupe de sociétés : Droit et Patrimoine, 1er mai 2017, n° 269). En effet, si les personnes morales peuvent engager leur responsabilité pénale en application de l’article 121-2 du code pénal, ce n’est pas le cas d’un groupe de sociétés qui n’est pas doté de la personnalité juridique. Le principe de responsabilité personnelle doit conduire à engager pénalement la seule société pour le compte de laquelle l’infraction a été matériellement commise (En ce sens, V. Malabat, préc.). La mise en place d’entités juridiques autonomes emporte, selon toute probabilité, que les infractions sont commises au niveau des filiales et des sous-filiales opérationnelles tout particulièrement si la société mère est une holding dont l’objet est de gérer exclusivement des participations.

L’organisation d’un groupe permettrait ainsi de conduire à une quasi-impunité pénale de la société mère alors même que c’est au niveau central qu’est conçue la politique générale du groupe dans l’intérêt duquel des infractions sont commises. Pour tenter de faire remonter la responsabilité à la société mère, on a imaginé, sans grande conviction, s’appuyer sur l’état de nécessité économique (M. Pariente, préc.). On a aussi songé à recourir à la complicité par instigation (ibid. – V. Malabat, préc.).

L’arrêt de la chambre criminelle du 16 juin 2021 ouvre une nouvelle voie, celle de la combinaison d’organes et de représentants intervenant à tous les niveaux pour mettre en œuvre un politique de groupe organisée au niveau central. Si, depuis l’arrêt Rozenblum (Cass. crim., 4 févr. 1985, n° 84-91.581 : Bull. crim., n° 54), la politique du groupe était un élément prise en compte comme l’un des éléments permettant d’échapper à une condamnation au titre d’un abus de biens sociaux, dans l’arrêt commenté, elle devient un élément de condamnation en tant qu’auteur principal de l’infraction.

En matière de responsabilité pénale des personnes morales, la prise en compte de la politique commerciale comme élément de condamnation n’est pas totalement nouvelle. Ainsi dans un arrêt du 25 juin 2008, la chambre criminelle a affirmé que des infractions de faux et complicité de faux « s’inscrivent dans le cadre de la politique commerciale des sociétés en cause et ne peuvent, dès lors, avoir été commises, pour le compte des sociétés, que par leurs organes ou représentants » (Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-80.261 : Bull. crim., n° 167). Mais il s’agissait alors de justifier l’engagement de la responsabilité pénale d’une société sans que l’organe ou le représentant n’ait pu être clairement identifié. Cette jurisprudence critiquée qui a trouvé application d’abord au sujet d’infractions non intentionnelles à compter de 1998 a ensuite été abandonnée à compter de 2011 (V. J-Y. Maréchal, op. cit., n° 97 et s.).

L’arrêt du 16 juin 2021 n’encourt pas les mêmes critiques puisque tant les représentants que l’organe central ayant agi pour le compte de la société mère ont été parfaitement identifiés. La condition posée par l’article 121-2 du code pénal est bien respectée. Ce qui est remarquable dans la formulation employée par la chambre criminelle est que le rôle du RAC dans le processus conduisant au pacte de corruption n’était de valider les paiements illicites pour le compte de la société condamnée, mais « pour le compte du groupe ». Or, le groupe n’est pas une personne morale. Il n’encourt aucune responsabilité pénale. C’est la société mère qui est condamnée. C’est parce que, à la tête du groupe, elle est la conceptrice de la politique globale de l’entreprise filialisée et vers laquelle convergent les effets de sa mise en œuvre qu’elle devient le réceptacle de la responsabilité pénale du groupe de sociétés. Cet arrêt publié ouvre ainsi de novelles perspectives en matière de responsabilité pénale au sein des groupes de sociétés.

image_pdfimage_print