Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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APPRÉCIATION DES CONDITIONS DE RÉPARATION DU PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE, M. Lobé Lobas

Madeleine Lobé Lobas,

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

CA Riom, 15 mars 2023 n° 21/01610[1] A LIRE ICI

Le constat de l’existence d’une pollution ne suffit pas à constituer en soi un préjudice écologique réparable par l’octroi de dommages et intérêts

Mots clés : Préjudice écologique – Preuve – Indemnisation

À la suite d’un déversement dans les ruisseaux et rivières de l’Alagnon de substances polluantes provenant d’une cuve à fioul d’un bâtiment appartenant au domaine de la société SNCF Réseau, la fédération départementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA) du Cantal a intenté une action en justice afin d’obtenir réparation de différents préjudices.  Le tribunal a accordé une réparation pour le préjudice moral, mais rejeté les demandes relatives aux préjudices écologique et financier. La cour d’appel de Riom devait se pencher sur la preuve des préjudices invoqués.  

I. Sur les préjudices moral et financier

Le régime applicable à ces deux préjudices est le régime classique de la responsabilité délictuelle par les articles 1240 et suivants du code civil lesquels exigent l’établissement d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Mais l’appréciation des deux préjudices obéit à des logiques différentes.

S’agissant du préjudice moral invoqué par la fédération départementale, la cour d’appel confirme la décision du tribunal judiciaire et considère que ce préjudice doit être apprécié au regard de l’objet de la fédération tel qu’il résulte de la décision d’agrément. La fédération ayant parmi ses missions statutaires la protection des milieux aquatiques, la mise en valeur et la surveillance du domaine piscicole départemental, son préjudice moral résulte nécessairement de l’atteinte portée à l’environnement aquatique par la pollution, même involontaire (dans le même sens Crim. 29 juin 2021, n° 20-82245 : il suffit de constater une infraction environnementale pour que le préjudice moral d’une association agréée de protection de l’environnement soit présumé).

La solution est toute autre s’agissant du préjudice financier. Le demandeur doit démontrer les conséquences directes de la pollution sur le plan matériel et financier. En l’espèce, si la fédération départementale présente des factures attestant des dépenses effectuées pendant 7 ans sur le bassin, les juges considèrent que ces éléments ne suffisent pas à caractériser un préjudice financier direct découlant du déversement en cause. La fédération départementale a été déboutée de sa demande parce qu’elle n’a établi que les frais exposés étaient liés à lutte contre la pollution imputée à la société SNCF Réseau.

II. Sur le préjudice écologique

La fédération départementale a demandé l’octroi d’une somme de 7 000 euros au titre de la réparation du préjudice écologique. Sa demande a été déboutée par le tribunal judiciaire qui lui a reproché de ne pas avoir prouvé la réalité d’une atteinte non négligeable à l’environnement, faute d’éléments sur la nature la substance nuisible déversée, la quantité ni les circonstances du déversement. Devant la cour d’appel, la fédération départementale produit un procès-verbal constatant le déversement d’une quantité de fioul de 4000 litres, estimant que cette quantité permettait de caractériser une atteinte non négligeable à l’environnement, même en l’absence de mortalité des poissons.

La cour d’appel, sans doute dans un souci de pédagogie, prend le soin de rappeler les principes posés par les articles 1246 à 1249 du code civil en ce qui concerne la réparation du préjudice écologique qui incombe au délinquant écologique. Le préjudice écologique réparable doit consister en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. La réparation en nature est privilégiée. Des dommages et intérêts ne peuvent être octroyés qu’en cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation et dans ce cas, ils doivent être affectés à la réparation de l’environnement. Le juge doit également, lorsqu’il évalue le préjudice, tenir compte des mesures de réparation déjà effectuées.

Après avoir énoncé ces principes, la cour d’appel de Riom déclare que le constat de l’existence d’une pollution ne suffit pas à constituer en soi un préjudice écologique réparable par l’octroi de dommages et intérêts. La juridiction d’appel ne s’est pas prononcée sur la nature non négligeable de l’atteinte même si elle note que la fédération départementale n’a fourni aucun constat sur la faune et la flore concernées, ni aucune analyse de l’eau en cours de dépollution ou après. Elle se montre plus ferme en ce qui concerne les modalités de réparation du préjudice écologique. La cour d’appel constate que la fédération départementale ne démontre ni l’impossibilité de la réparation en nature (Crim. 4 avril 2023, 22-82999), ni l’insuffisance d’une telle réparation dès lors qu’une entreprise avait été chargée de la dépollution et qu’une certaine quantité de fioul avait été retirée des eaux. En conséquence, des dommages et intérêts ne pourraient être alloués. La cour d’appel reproche en outre à la fédération départementale de ne pas prouver la destination des indemnités demandées qui ne sont pas à la libre disposition du bénéficiaire. La fédération départementale aurait dû démontrer que les sommes serviraient par exemple pour le repeuplement du cours d’eau ou le financement des travaux consécutifs à la pollution. Par cette décision, la cour d’appel de Riom se montre ferme et apprécie de manière rigoureuse les conditions de la réparation du préjudice écologique.


[1] Mes remerciements à Me Marius Combe pour la communication de l’arrêt