Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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URGENCE SANITAIRE ET DECISIONS COLLECTIVES DES SOCIETES : UN PREMIER DECRET D’APPLICATION , P. Schultz

Philippe SCHULTZ

Maître de conférences HDR à l’Université de Haute-Alsace
Membre du C.E.R.D.A.C.C.

 

 

Sources. L’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 a adapté les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants tant des personnes morales que des entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19 (Ph. Schultz, Urgence sanitaire et droit des sociétés : J.A.C. n° 195). Son article 10 renvoie à un décret le soin de préciser les conditions d’application de l’ordonnance « en tant que de besoin ». Un premier décret est paru le 11 avril 2020 : il s’agit du décret n° 2020-418 du 10 avril 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19. Ce décret ne sera vraisemblablement pas le seul : son article 11 renvoie lui-même à un autre décret pour expliciter ses propres dispositions, plus particulièrement celles de l’article 8.

Domaine d’application dans le temps. Le décret est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues jusqu’au 31 juillet 2020 (D. 2020-418 du 10 avril 2020, art. 13, al. 1er). La majorité de ces dispositions d’exception connaît aussi une application rétroactive au 12 mars 2020, à l’instar des dispositions de l’ordonnance n° 2020-231. Il en va ainsi des articles 1er, 3 à 7 et 9 et 10 du décret (D. 2020-418 du 10 avril 2020, art. 13, al. 2).

En revanche, l’article 2 concernant la forme de la délégation de convocation et l’article 8 sur la présidence de l’assemblée ne s’appliquent sans effet rétroactif.

Domaine d’application. Fort logiquement, le décret s’applique aux mêmes personnes morales et entités visées par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-231 du 25 mars 2020 (D. 2020-418 du 10 avril 2020, art. 1er). Il s’agit notamment :

  • Les sociétés civiles et commerciales ;
  • Les masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers ;
  • Les groupements d’intérêt économique et les groupements européens d’intérêt économique ;
  • Les coopératives ;
  • Les mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles ;
  • Les sociétés d’assurance mutuelle et sociétés de groupe d’assurance mutuelle ;
  • Les instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale ;
  • Les caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel ;
  • Les fonds de dotation ;
  • Les associations et les fondations.

Outre des dispositions communes à toutes ces personnes morales ou entités (I), le décret comporte aussi des dispositions spécifiques aux sociétés par actions et aux S.A.R.L. (II). Il existe enfin des aménagements relatifs aux mutuelles d’assurances (non traités).

I.    Dispositions communes

Forme de la délégation. En application de l’article 4 de l’ordonnance précitée, l’organe compétent pour convoquer une assemblée peut déléguer ce pouvoir au représentant légal. Rappelons que cette option n’est ouverte que si l’assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires. À ce jour, l’interdiction des rassemblements prévue par l’article 7 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 doit, dans une configuration très optimiste, prendre fin au 15 avril. Bien que l’ordonnance a vocation à s’appliquer aux assemblées réunies jusqu’au 31 juillet 2020, cette mesure ne pourra plus jouer à l’expiration de l’interdiction de réunion.

Cette délégation intéresse les sociétés et autres organisations dans lesquelles ce n’est pas le représentant légal qui convoque les assemblées. Ainsi, dans la société anonyme, l’organe compétent est en principe le conseil d’administration, le directoire ou le conseil de surveillance (C. com., art. L. 225-103). Le conseil d’administration peut déléguer son pouvoir au directeur général ou le directoire à son président en leur qualité de représentant légal de la société (C. com., art. L. 225-56 et art. L. 225-66). La question se pose aussi dans les sociétés par actions simplifiée, les groupements d’intérêt économique ou les associations dans lesquels la compétence pour convoquer l’assemblée des membres peut être confiée statutairement à un organe intermédiaire qui n’est pas le représentant légal. Au contraire, cette disposition est sans intérêt dans les sociétés ou organisations où le représentant légal déjà légalement ou statutairement compétence pour convoquer l’assemblée, comme dans les sociétés dotées d’un gérant (par pour la S.A.R.L. : C. com., art. L. 223-27). Il en va de même pour la convocation d’une assemblée d’obligataires qui peuvent déjà être convoquées par le représentant légal de la société : C. com., art. L. 228-58).

L’article 2 du décret 2020-418 apporte des précisions sur la forme et le contenu de la délégation : elle doit être écrite et mentionner sa durée de même que l’identité et la qualité du délégataire. Cette exigence ne s’applique que pour les délégations intervenues à compter du 12 avril 2020.

Une question n’est pas résolue par le texte. La forme écrite est-elle exigée à titre de preuve ou s’agit-il d’un formalisme ad validitatem ? Dans les sociétés anonymes, la délégation ne peut techniquement procéder que d’une délibération soit du conseil d’administration soit du directoire. Dans le premier cas, la délibération est constatée par un procès-verbal qui est nécessairement écrit (C. com., art. R. 255-22). Dans le second cas, le constat des délibérations par un écrit peut résulter d’une clause statutaire (C. com., art. L. 225-64, al. 4). Or l’absence de constat des délibérations des organes de direction et d’administration des sociétés anonymes est expressément sanctionnée par la nullité de la délibération (C. com., art. L. 235-14). Quoi qu’il en soit, une régularisation reste toujours possible en application du droit commun des nullités des délibérations des sociétés (C. civ., art. 1844-11 et 1844-13 ; C. com., art. L. 235-3 et L. 235-4) qui est aussi applicable aux GIE (C. com., art. L. 251-5).

Messages électroniques. L’article 3 du décret autorise le recours aux messages électroniques soit pour ce qui est des instructions de vote en cas de vote par correspondance à une assemblée, soit pour transmettre une procuration à l’adresse électronique indiquée dans la convocation. Cette faculté est cependant soumise à certaines conditions. D’une part, le vote par correspondance ou par procuration dans le cadre d’une assemblée doit être déjà prévu par la loi, le règlement, les statuts ou, pour les masses de porteurs de valeurs mobilières, le contrat d’émission. D’autre part, c’est l’auteur de la convocation, qu’il s’agisse de l’organe légal ou, sur délégation, du représentant légal, qui doit autoriser l’usage de la forme électronique, ce qui suppose, évidemment, qu’il indique une adresse électronique dans la convocation.

La portée de cette mesure n’est pas la même selon qu’il s’agisse du vote par correspondance en assemblée ou de la procuration. En ce qui concerne le vote par correspondance en assemblée, cette faculté est exclue est exclue dans les sociétés pour lesquelles ni la loi, ni les statuts ne le prévoient parce qu’il existe déjà la possibilité de prendre des décisions par consultation écrite en dehors de toute assemblée. Il en va ainsi des sociétés civiles (C. civ., art. 1846), des sociétés en nom collectif (C. com., art. L. 221-6, al. 2) et des sociétés à responsabilité limitée (C. com., art. L. 223-27). Pour les GIE, GEIE et les associations, tout dépend des statuts. Si les statuts prévoient ce mode de participation, les exigences statutaires des formulaires électroniques de vote par correspondance doivent être respectées. Au contraire, le vote par procuration est réglementé dans la S.A.R.L. (C. com., art. L. 223-28), ce qui permet de rendre efficace le mandat par courrier électronique. Pour les autres sociétés émettant des parts non négociables, les associations les GIE et GEIE, il faut se référer aux statuts pour savoir si le vote par procuration est autorisé.

C’est certainement dans les sociétés par actions que cette mesure pourrait avoir la portée la plus large puisque tant le vote par correspondance en assemblée que le mandat de voter sont réglementés. En réalité, pour le vote par correspondance, le recours à des formulaires de vote électronique est déjà prévu en temps normal si bien que cette mesure exceptionnelle n’apporte rien (C. com., art. R. 225-75 à R. 225-78). En revanche, pour ce qui est de la procuration par voie électronique, elle n’est prévue en temps ordinaire que pour les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (C. com., art. R. 225-79, al. 5). L’article 3 du décret étend ainsi temporairement la forme électronique des procurations aux sociétés non-cotées. Le même régime s’applique aux assemblées de masses de porteurs de valeur mobilières (C. com., art. R. 228-68).

Contenu du procès-verbal. Lorsqu’il est fait usage de certaines mesures d’exceptions prévues par les articles 4 à 6 de l’ordonnance n° 202-321 mention doit en être portée dans le procès-verbal de délibération (D. 2020-418 du 10 avril 2020, art. 4).

Ainsi doivent figurer dans le procès-verbal les mentions que :

  • La convocation a été effectuée par le représentant légal, sur délégation de l’organe compétent ;
  • L’assemblée ou la réunion s’est tenue, sur décision de l’auteur de la convocation, sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle. Dans ce cas, le procès-verbal doit aussi mentionner la mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires justifiant le recours à la dématérialisation de l’assemblée ou la réunion.
  • L’auteur de la convocation a décidé que sont réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité les membres des assemblées qui participent par une conférence téléphonique ou audiovisuelle, même en l’absence de clause statutaire ;
  • La délibération collective a été prise par consultation écrite, nonobstant l’absence de clause statutaire ou toute clause statutaire contraire.
II.  Dispositions applicables aux S.A.R.L. et sociétés par actions

Adaptations réglementaires. L’article 5 du décret 2020-418 adapte à la partie réglementaire du Code de commerce le dispositif déjà prévu par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-321, à savoir permettre aux associés de S.A.R.L. et aux actionnaires de participer à des assemblées par un moyen de visioconférence ou de télécommunication, même si les statuts ne l’ont pas expressément prévu. Il en va de même pour les assemblées de masses de porteurs de valeurs mobilières.

Délai de réception des mandats. Dans les sociétés par actions autres que la SAS, les procurations données par voie électronique doivent parvenir à la société au plus tard à 15 heures, heure de Paris, la veille de la réunion de l’assemblée générale (C. com., art. R. 225-80). Aucun délai n’est légalement prévu pour les procurations sous format papier : mais les statuts peuvent prévoir une date limite de réception pour permettre de contrôler le quorum de l’assemblée. En pratique, ce délai est de trois jours avant l’assemblée. Quoi qu’il en soit, un délai plus long serait interdit lorsqu’il est fait usage d’un formulaire unique pour le vote par procuration et la formule de vote par procuration (C. com., art. R. 225-77). L’article 6 du décret 2020-418 prolonge ces délais légaux au profit de la société et, par voie de conséquence, au détriment des actionnaires : tant les mandats sous forme papier que les mandats sous forme électronique ne peuvent valablement parvenir à la société que jusqu’au quatrième jour précédant la date de l’assemblée générale.

Changement du mode de participation. En principe, lorsqu’un actionnaire a exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d’admission ou une attestation de participation, ce choix est irrévocable. Il ne peut plus choisir un autre mode de participation à l’assemblée, sauf stipulation statutaire contraire (C. com., art. R. 225-85, III). Le 7e article du décret 2020-418 vient autoriser le changement de mode de participation même si les statuts ne l’ont pas prévu. On comprend aisément que si une attestation de participation a été initialement demandée par un actionnaire souhaitant se présenter physiquement à l’assemblée, il doit pouvoir changer de mode de participation pour préserver sa santé et celle des autres. D’ailleurs, ce changement de mode participation est inévitable si l’assemblée initialement convoquée sous la forme physique est finalement organisée exclusivement sous la forme dématérialisée, conformément à l’article 7 de l’ordonnance 2020-321 du 23 mars 2020. À l’inverse, si le choix de voter à distance pouvait se justifier à un moment où le confinement interdisait le déplacement, l’actionnaire doit pouvoir changer son mode de participation si entre le l’avis de convocation et la réunion de l’assemblée le déconfinement permet de se présenter physiquement à l’assemblée qui doit se tenir avant le 31 juillet 2020.

Dans ce contexte, le choix de l’actionnaire concernant sa participation est révocable, même s’il est parvenu à la société. Toutefois, cette modification ne peut produire ses effets que si elle parvient à la société au plus tard le quatrième jour précédant la date de l’assemblée générale.

Bureau de l’assemblée. Dans les sociétés par actions autres que la SAS, le bureau de l’assemblée se compose d’un président et de deux scrutateurs. Il désigne un secrétaire qui , sauf disposition contraire des statuts, peut être choisi en dehors des actionnaires (C. com., art. R. 225-101). En principe, les assemblées d’actionnaires sont présidées par le président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, selon le cas, ou, en son absence, par la personne prévue par les statuts. À défaut, l’assemblée élit elle-même son président (C. com., art. R. 225-100). Les scrutateurs sont les deux actionnaires qui disposent du plus grand nombre de voix et qui acceptent cette fonction. Les règles sur la composition du bureau des assemblées des masses d’obligataires sont identiques (C. com., art. R. 228-73).

L’article 8 de décret apporte une dérogation importante à la composition du bureau lorsque l’assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires si bien que l’organe compétent pour la convoquer ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe décide qu’elle se tiendra sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle.

Dans ce cas, si l’assemblée ne peut être présidée par le président du conseil d’administration ou de surveillance ou la personne désignée par les statuts, elle est présidée par une personne désignée par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance parmi ses membres. En cas d’indisponibilité des membres, le président peut être choisi parmi les mandataires sociaux. Il faut entendre par là le directeur général, un directeur général délégué, le directeur général unique ou un membre du directoire qui ne sont respectivement ni membre du conseil d’administration ni membre du conseil de surveillance. Le choix du président de l’assemblée suppose ainsi une décision du conseil d’administration. Pour être cohérent, le conseil d’administration qui délègue au directeur général sa compétence pour convoquer l’assemblée, en application de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-321, devrait aussi lui confier la présidence de l’assemblée, si le président du conseil d’administration est indisponible. Dans les sociétés anonymes avec directoire, l’organisation est plus complexe. La délégation pour convoquer l’assemblée peut être donnée par le directoire à son président alors que la désignation de ce dernier comme président de l’assemblée sera l’œuvre du conseil de surveillance.

Concernant les scrutateurs, la dérogation est encore plus importante. Leur désignation ne résulte plus d’une condition légale, à savoir le nombre de voix. Elle appartient à l’auteur de la convocation. Dans la mesure du possible, il doit désigner des actionnaires. À défaut, il peut aussi désigner des tiers. En revanche, le secrétaire reste normalement désigné par les membres du bureau.

Ces dispositions contenues dans l’article 8 pourront encore être complétées par un futur décret. Rappelons que leur application dans le temps n’a pas d’effet rétroactif contrairement aux autres dispositions – hormis l’article 2. Toutefois, il y a bien une différence entre la désignation du président et celle des scrutateurs. En effet, la possibilité de désigner un président autre que celui du conseil d’administration ou du conseil de surveillance peut être adoptée dès l’entrée en vigueur du décret, c’est-à-dire en application de l’article 1er du Code civil, le 12 avril 2020, même si l’assemblée a été convoquée avant cette date. En revanche, pour ce qui de la désignation des scrutateurs, la règle dérogatoire n’est applicable qu’aux assemblées dont la convocation intervient après le 12 avril 2020.