Blandine ROLLAND
Professeur de Droit à l’Université de Haute-Alsace,
Directrice du CERDACC (UR 3992)
et
Marie STADGE
Professeure associée de management à l’ESSCA School of management
Compte-rendu de la journée d’études « Bilan et perspectives de la Responsabilité Sociétale des Universités » (6 décembre 2022)
Le mardi 6 décembre 2022, à l’IAE Paris-Sorbonne, s’est tenue la première journée thématique de l’ADERSE (www.aderse.org) sur le thème : « Bilan et perspectives de la Responsabilité Sociétale des Universités » (Programme ICI). Cette journée bénéficiait du soutien du CERDACC (www.cerdacc.uha.fr).
Le Professeur Jocelyn HUSSER (Aix-Marseille Université et Président de l’ADERSE) accueille les participants par quelques mots. Il est ravi de cette rencontre d’experts en matière de Responsabilité Sociétale des Universités (RSU). Il tient à rappeler que l’Université n’est pas un « centre de coût » mais un investissement et un lieu de création de valeur intellectuelle au profit des jeunes générations.
Le Professeur Zahir YANAT (Vice-Président de l’ADERSE et rédacteur en chef de « Management et Sciences Sociales ») ouvre ensuite cette journée thématique. La RSU devient incontournable pour plusieurs raisons. Les « Plans verts » sont demandés par les parties prenantes qui attendent une exemplarité de la part des Universités. La RSU est un pilier de l’accréditation des Écoles au plan national et international. Le Global Compact demande l’éducation au management responsable. La RSE est un élément de légitimité des Écoles de management car les jeunes générations sont en attente de sens.
Table-ronde du matin : « Bilan des actions de RSU menées par les universités au cours de la dernière décennie »
Cette table ronde est présidée par le Professeur Blandine ROLLAND, Université de Haute-Alsace, directrice du CERDACC, Vice-Présidente du Conseil scientifique de l’ADERSE.
Les intervenants commencent à présenter leurs expériences et leurs bilans concernant leurs pratiques en matière de RSU.
Le Professeur Éric LAMARQUE (Directeur de l’IAE Paris-Sorbonne et Président du réseau IAE France) évoque les injonctions actuelles que sont la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la lutte contre la corruption, la sobriété énergétique, l’audit des risques … Elles se traduisent par une journée de formation obligatoire dans les maquettes universitaires. Le HCERES émet des points de vigilance sur ces questions dans ses fiches d’évaluation. Les organismes d’accréditation donnent des listes de cours à intégrer (climat par ex.). Ce sont des contraintes qui s’ajoutent et qui pèsent sur le budget existant et constant des Universités. Les Universités, à la différence des Écoles, ont-elles réellement les moyens de faire face à ces injonctions ?
Le Professeur Thierry COME (Directeur de l’IUT de Mantes-en-Yvelines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) vient d’une université qui a peu de moyens. Mais des actions sont mises en place en faveur de l’insertion des handicapés, sur le développement durable… En tant que directeur d’IUT, il veille à ce que des cours sur le développement durable et la RSE soient introduits (selon les départements : l’économie circulaire, la transition énergétique des véhicules, la gestion responsable …).
Le Professeur Gérard HIRIGOYEN (Professeur émérite et ancien Président de l’Université Montesquieu Bordeaux IV) évoque sa pratique entre 2000 et 2005, soit avant la loi de 2009. Il en profite pour poser des jalons afin de promouvoir des recherches théoriques sur ces pratiques. Il indique qu’il y a une différence fondamentale entre ce qui est imposé (les prescriptions actuelles) et ce qui est initié volontairement, le projet voulu à l’intérieur d’une Université. Quand on initie un mouvement, on a le pouvoir de mettre en application les croyances que l’on a. C’est un choix philosophique, on porte des valeurs et on les met en pratique. L’établissement propose dès lors un projet stratégique qui relève de la gouvernance et qui s’inscrit dans le temps. On se place dans une vision durable des choses. Il faut alors le faire partager à son successeur car les mandats sont limités dans le temps. Il a donc une vision d’une « gouvernance globale et partenariale » qui introduit les parties prenantes internes (étudiants, enseignants et personnel administratif) et externes (entreprises, associations, cité, pouvoirs publics …). Mais cette approche doit être distinguée des pratiques mises en place et qui peuvent se révéler ponctuelles.
Le Professeur Florence SÈDES (Vice-Présidente Responsabilité Sociétale de l’Université Toulouse III Paul Sabatier) souligne que le MESR n’est pas exemplaire lui-même. En effet, la nouvelle formation des étudiants de licence au développement durable devra se faire « à budget constant ». Or les Universités font face à un manque de moyens patent. Ce qui est proposé n’est pas toujours en phase avec la réalité.
À la question de savoir s’il existe une différence entre la responsabilité sociale des Universités et celle des Écoles, Éric LAMARQUE évoque le déséquilibre des budgets entre elles. Or pour développer une politique de RSE, il faut de l’argent. Comment s’en sortir dans les Universités ? La RSE doit être une culture engagée. Il faut naturellement intégrer des préoccupations de RSE dans les cours, dans les recherches, dans les comités de direction, ce qui doit devenir le fonctionnement normal des entités, sans même disposer de direction RSU. Il faut une exemplarité collective. Mais on constate actuellement une tension avec des injonctions politiques très fortes qui, pour Éric LAMARQUE, dérogent aux libertés académiques, ce qui peut être dangereux.
Florence SÈDES évoque le schisme entre les libertés académiques et l’organisation même des Universités qui ne sont pas toujours exemplaires, par ex. le 6% d’emplois pour les handicapés, chiffre non respecté en pratique.
Puis dans un second temps, les intervenants évoquent la recherche universitaire en matière de RSU.
Selon Éric LAMARQUE, les recherches sont qualitatives et non quantitatives en raison de la difficulté d’accéder aux sources. En effet, il n’existe pas de bases de données assez développées ce qui est un frein aux recherches de haut niveau même si cela n’empêche pas d’obtenir tout de même une qualification au CNU. Mais la RSE n’est pas au programme du concours d’agrégation. Il estime qu’il faut donc se rattacher aux disciplines traditionnelles et y « infuser » la RSE. Thierry COME intervient dans le même sens.
Par ailleurs, sous couvert de la responsabilité sociale des chercheurs, il est nécessaire de respecter l’intégrité scientifique et la charte éthique concernant la façon de collecter les données. Certaines publications exigent à ce titre un engagement éthique de l’Université ou du laboratoire. Florence SÈDES insiste sur les injonctions en matière de recherche données par l’ANR. Gérard HIRIGOYEN souligne que c’est malgré tout la qualité du papier qui prime en dernier lieu !
Tous sont d’accord pour conclure qu’il est de la responsabilité des établissements et des enseignants-chercheurs de se positionner face à ces injonctions descendantes afin de continuer à développer librement notre responsabilité sociale dans l’ensemble de nos projets et de nos pratiques.
Table-ronde de l’après-midi : « Perspectives et scenarii de la RSU pour les années à venir »
Cette table ronde est présidée par Marie STADGE qui a soutenu une thèse sur la RSU et a obtenu le premier prix de thèse de l’ADERSE/ORSE. Elle est professeure associée à l’ESCCA School of Management.
Marie STADGE demande aux intervenants comment les établissements d’enseignement supérieur exercent leur responsabilité sociétale aujourd’hui et comment ils pourraient être amenés à l’exercer demain.
Le Professeur Jérôme CHABANNE-RIVE (Université Jean Moulin Lyon 3, IAE Lyon, Délégué général de l’European Institute for Advanced Studies in Management) présente le point de vue de la CEFDG (Commission d’évaluation des formations et des diplômes de gestion) qui évalue les diplômes de gestion pour les IAE mais aussi pour les écoles de management, selon un référentiel qu’elle a dressé. La CEFDG a formé un groupe de travail relatif à l’évaluation des pratiques liées à la transition écologique et sociale. L’objectif est de définir des critères permettant d’évaluer l’engagement des établissements et la manière dont les formations proposées intègrent ces dimensions. Une réflexion autour d’un socle commun de connaissances et de compétences et en cours. En collaboration avec les parties prenantes des établissements, notamment des représentants du monde socio-économique, il s’agit de proposer des critères pour les diplômes. L’enjeu consiste de partir de l’existant et des pratiques très variées des opérateurs.
Nicolas GRAVE (Ingénieur économiste des Ponts et Chaussée Paris Tech et membre du Collectif « Pour un réveil écologique ») fait le constat d’un manque de formation des jeunes aux enjeux de la transition écologique et sociale. À travers son engagement au sein du Collectif « Pour un réveil écologique »,il cherche à faire évoluer les enseignements. Il a participé à l’élaboration du rapport « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur » (Rapport J. JOUZEL, 2022 remis au MESR en début d’année 2022). Ce rapport propose de nombreuses actions pour faire en sorte que tous les « apprenants » de l’enseignement supérieur soient formés à ces enjeux. Il s’agit de faire bouger les choses de l’intérieur pour promouvoir de nouveaux enseignements, former et accompagner les directeurs d’établissements, évaluer différemment les diplômes … Ce travail s’inscrit dans le contexte d’une montée en puissance des attentes des étudiants. On a notamment vu certains « bifurquer » et prendre leurs distances par rapport à leur formation.
Le Professeur Olivier GALLET (Cergy-Paris Université et Chargé de mission « Transition sociale et environnementale ») parle également du récent rapport Jean JOUZEL auquel il a contribué en co-pilotant l’axe « Freins et leviers » avec Gérald Majou de la Débutrie. Ce travail vise tous les étudiants, notamment les apprenants dans le cadre de la formation continue. Mais les préoccupations de développement durable et de responsabilité sociétale ne sont pas intégrées également par toutes les promotions d’étudiants. Il convient donc de développer un socle commun de connaissances et de compétences. Il apparaît que le responsable transition écologique et sociale adopte une démarche d’« assurance qualité ». En cela, il endosse le rôle « d’empêcheur de tourner en rond » comme autrefois le « responsable qualité » dans les entreprises. Aujourd’hui, les démarches qualité ont été complètement intégrées par la plupart des organisations. Quant à l’enseignant, à travers son cours, il peut prendre des exemples pour illustrer des enjeux de transition écologique. Mais un des freins pour les enseignants-chercheurs est la difficulté d’accéder aux informations et de se former aux enjeux du Développement Durable. Quels sont les leviers pour aider l’enseignant-chercheur ou le chercheur à y parvenir ? Il faut tenir compte, dans sa progression de carrière, des démarches qu’il a pu développer pour se former (le HCERES et le CNU sont d’accord). D’ailleurs, le HCERES va mettre désormais un point de vigilance sur les questions de développement durable et/ou de responsabilité sociétale en demandant notamment le bilan carbone de l’établissement et des laboratoires. Les appels à projet nationaux (PIA, ANR) et européens sont également autant d’opportunités d’orienter les efforts vers la résolution des problématiques sociétales.
Jérôme CHABANNE-RIVE précise qu’il existe un glossaire commun dans le cadre de l’évaluation des formations. Il faut également tenir compte de la politique de site et de la diversité des opérateurs. Les critères d’attribution d’un label doivent être revus pour intégrer l’approche territoriale qui elle-même peut être multiple (plusieurs sites et campus, y compris à l’international). Derrière un socle de connaissances et de compétences se joue l’employabilité qui suppose le suivi des stages ou de l’apprentissage. Quelle est la responsabilité sociétale d’une université ? La question de la personne, du développement de l’homme, la notion de territoire doivent être pris en compte.
Olivier GALLET indique que dans le rapport JOUZEL, cinq compétences sont mises en avant : appréhender les équilibres et les limites de notre monde par une approche systémique, saisir les ordres de grandeur et les incertitudes par une approche prospective, co-construire des diagnostics et solutions, utiliser les outils pour mettre en œuvre des transitions (compétences interpersonnelles et intrapersonnelles) et « agir en responsabilité ». Mais comment s’assurer que ces compétences ont bien été acquises par les étudiants et comment les évaluer ? Les enseignants sont incités à s’en inspirer sans que cela leur soit imposé.
En outre, il faut absolument recruter des personnels pour la gestion globale des formations et libérer du temps pour que les enseignants-chercheurs fassent de l’enseignement et de la recherche ! Le point critique, ce sont toutes les tâches administratives qui sont demandées aux enseignants-chercheurs alors qu’ils n’ont pas été formés à cela !
Nicolas GRAVE demande aussi une reconnaissance des étudiants qui sont fortement engagés. Or cette reconnaissance est très variable selon les établissements.
Conclusions
Le Professeur Marc BONNET (Université Jean Moulin Lyon 3, IAE Lyon) conclut cette journée consacrée à la RSU, ce qui correspond à l’un des axes de l’ADERSE. Cette journée a donc permis un brain storming sur la RSU en vue de propositions de communications qui sont attendues nombreuses pour le prochain congrès de l’ADERSE. Ce 19ème Congrès se tiendra à la Rochelle les 1er et 2 juin prochains et débouchera sur des publications dans des revues classées.
Voir de plus amples renseignements sur ce prochain Congrès : http://www.aderse.org/