LA PRÉSERVATION DES ESPÈCES ANIMALES ET DES HABITATS VERSUS L’IMPLANTATION D’ÉOLIENNES, B. Steinmetz

Benoit STEINMETZ

Maître de conférences HDR en Droit privé – Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

En matière d’espèces et d’habitats protégés, le principe est celui de l’interdiction de toute destruction des espèces ou de leur habitat, sous réserve de l’obtention d’une dérogation (art. L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement).

Cette disposition, reprise des textes communautaires, à savoir la directive « habitats » 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 qui impose un objectif  de maintien ou de rétablissement des espèces et habitats protégés dans « un état de conservation favorable » et interdit un ensemble de pratiques, afin de parvenir à « un système de protection stricte », mais aussi la directive « oiseaux » (directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, de leurs œufs, nids et habitats) qui vise à ce que la population soit à un niveau suffisant par rapport aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles et qu’il soit préservé, maintenu ou rétabli une diversité et une superficie d’habitats.

La mise en œuvre de cette protection, assurée par différentes juridictions, aussi bien nationales que communautaires, implique le respect de conditions qui s’expriment à deux stades successifs.

Nous verrons, tout d’abord, que l’exigence de dérogation implique un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à une espèce, ensuite, nous aborderons les conditions d’octroi de cette dérogation.

I- Les critères impliquant la nécessité d’une dérogation de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement

Dès lors qu’il y a un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à une espèce animale protégée ou à l’un de ses habitats présents dans la zone du projet, une demande de dérogation doit être déposée par le pétitionnaire, indépendamment du nombre ou de la variété de spécimens concernés. Par un avis du 9 décembre 2022 (n°463563), le Conseil d’Etat interrogé par la Cour administrative d’appel de Douai a rappelé ces exigences dans le cadre de l’implantation d’une éolienne.

En ce sens, une décision de la Cour de Bordeaux, le 22 décembre 2022 (n°20BX03058), retient la nécessité d’obtenir une dérogation pour autoriser l’implantation d’une éolienne, du fait du risque de destruction d’espèces à enjeu, en premier lieu, du lézard des murailles, des amphibiens et des oiseaux nicheurs par les engins de chantiers et, en second lieu, du crapaud accoucheur, de la grenouille agile, de la grenouille rieuse et de la grenouille verte par un changement d’occupation du sol néfaste. La Cour souligne le fait que les travaux de décapage, d’aménagement et de remblaiement soient exécutés sur une période saisonnière impliquant un dérangement moindre de la faune présente sur le site ne permet pas de diminuer le risque pour les espèces.

L’appréciation de ce risque se fait au vu des mesures d’évitement et de réduction projetées. Ce point est également rappelé par le Conseil d’Etat le 9 décembre 2022 en ces termes : « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation  » espèces protégées  » ».

La Cour administrative d’appel de Lyon, le 15 déc. 2022 (n°21LY00407), retient comme suffisantes les mesures d’évitement et de réduction suivantes : d’une part, un bridage pour assurer l’effarouchement sonore des oiseaux et dévier leur trajectoire de vol en dehors de la zone de survol des pales et, le cas échéant, une régulation des machines, avec arrêt en cas d’approche d’un rapace, d’autre part, pour les chiroptères, l’arrêt des aérogénérateurs aux périodes d’activité de ces animaux, et enfin, un ensemble de mesures tel que le suivi comportemental permettant de réduire notablement le danger de collision et de destruction d’oiseaux ou de mammifères protégés.

Dans le même sens, la Cour administrative d’appel de Nancy retenait le 11 mai 2021 (n°19NC02294)  que « les exploitants du parc s’engagent à arrêter les machines durant une semaine en cas de moissons ou de fauches et deux jours en cas de labours, lorsque ces travaux sont réalisés dans un rayon de 200 mètres autour des éoliennes, permettant ainsi aux rapaces, dont le Milan Royal, de fréquenter le site sans risque de collision » et que « la mesure de réduction « R9 » d’effarouchement ou de bridage automatique des éoliennes a pour objectif de réduire les risques de collision en période de migration de toutes les espèces d’oiseaux protégées, notamment les rapaces tels que le Balbuzard pêcheur et les grands planeurs, et pas uniquement le Milan royal ».

Ces mesures d’évitement et de réduction ne doivent pas être confondues avec les mesures de compensation (comme par exemple l’implantation de prairies, la création d’habitats favorables sous forme de tas de bois et de pierres, la plantation de chênes dans des haies ou la reconstitution de milieux humides), qui ne sont pas des critères pour écarter la nécessité de demander une dérogation (par exemple : TA  Grenoble, 20 déc. 2022, n°2002745), mais un élément pour, le cas échéant, apprécier si une dérogation doit être accordée.

Ces décisions complètent celle rendue le 4 mars 2021 par la CJUE (n° C-473/19 et C-474/19), qui précisait que lorsque l’activité en cause est autre que la mise à mort ou la perturbation d’espèces animales, le régime des interdictions de l’article 12 de la directive « habitats » (directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels) n’implique pas une incidence négative sur l’état de conservation des espèces concernées ou un risque que cet état se dégrade, mais une atteinte ou un risque d’atteinte à un habitat naturel d’espèce protégées, entendu comme la perte permanente de sa fonction écologique de repos ou de reproduction.

A partir du moment où une dérogation est nécessaire du fait de la présence d’espèces protégées et d’un risque suffisamment caractérisé, il convient de répondre aux conditions d’octroi de la dérogation.

II- Les conditions à l’octroi de la dérogation de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement

A partir du moment où une dérogation est exigée, plusieurs conditions s’imposent pour que cette dernière soit délivrée.

Ces conditions sont vues par le Droit communautaire, en l’occurrence les Directives « habitats » 92/43/CEE et « Oiseaux » 2009/147/CE. Le 4 mars 2021, la CJUE (cf. supra) relevait que, dans le cadre du régime de dérogation à la destruction d’un habitat protégé, seront prises en compte l’incidence de l’atteinte à un habitat sur l’état de conservation des populations des espèces concernées, la nécessité de cette activité et l’absence de solutions alternatives. En revanche, l’importance de l’espèce ou le bon état de conservation de l’espèce ne constituent pas des motifs suffisants à justifier de l’octroi d’une dérogation au principe de protection.

L’article L. 411-2 du Code de l’environnement prévoit quant à lui une dérogation à l’interdiction de principe de destruction, quand trois conditions cumulatives et distinctes sont réunies : l’absence de solution alternative satisfaisante ; le maintien des espèces protégées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle ; une justification relevant d’une liste limitative, parmi laquelle figure un intérêt public majeur du projet, du fait de sa nature et des intérêts économiques et sociaux.

Cette appréciation tient compte des mesures d’évitement, de réduction, mais aussi de compensation comme la rappelle le Conseil d’Etat dans son avis du 9 décembre 2022(n°463563)  : « compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l’état de conservation des espèces concernées… ».

En ce sens, il est possible de se référer, entre autres :

– à une décision de la Cour administrative d’appel du 7 octobre 2021 (n°20PA03478) : « compte tenu des impacts résiduels du projet, après mesures de réduction, de compensation et d’accompagnement et alors qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte, pour cette appréciation, les effets sur les espèces protégées des aménagements susceptibles d’être réalisés sur la ZAC du Triangle de Gonesse, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les mesures prévues par les arrêtés attaqués ne sont pas suffisantes au regard de l’objectif de maintien dans un état de conservation favorable des populations d’espèces protégées auxquelles il est porté atteinte du fait de la réalisation du projet de ligne 17… »

– à une décision du Conseil d’Etat en date du 28 décembre 2022 (n°449658) : « Pour déterminer si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l’ensemble des aspects mentionnés au point 4, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire et de l’état de conservation des espèces concernées ».

L’examen des conditions pour octroyer la dérogation doit se faire en deux étapes. Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 28 décembre 2022 (n°449658), précise que « pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l’état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci ».

Ces décisions de la juridiction administrative peuvent être rapprochées de celle de la Cour de cassation qui souligne que l’exigence d’une dérogation s’applique, alors même que l’atteinte concerne une espèce dont l’état de conservation s’améliore (Cass. civ. 3ème, 30 novembre 2022, n°21-16.404). En l’occurrence, la Cour précisait que « la cour d’appel, qui n’a pas substitué son appréciation à celle de l’administration quant aux prescriptions assortissant les autorisations de poursuite d’exploitation délivrées en 2014 au titre de la police spéciale des installations classées applicable aux éoliennes, a retenu à bon droit que ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l’exercice des pouvoirs reconnus à l’autorité administrative le fait, pour le juge judiciaire, saisi, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, d’une action en responsabilité fondée sur la destruction d’une espèce sauvage protégée, de constater la violation des dispositions de l’article L. 411-2, 1°, du code de l’environnement sans justification, par les contrevenants, d’une dérogation accordée par l’autorité administrative ».

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