Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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CONSERVATION DU CORPS D’UN ENFANT SANS VIE PAR UN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ, UTILE RECADRAGE DU CONSEIL D’ÉTAT, G. Rousset

Guillaume Rousset

Maître de conférences en droit, HDR Université Jean Moulin Lyon 3 (IFROSS/CRDMS)

Directeur du CRDMS

CE, 29 sept. 2023, n° 468220

Depuis 15 ans, le régime juridique des enfants sans vie connait des évolutions importantes et nombreuses. Il faut naturellement penser au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 6 février 2008 quant à la non-application des critères de viabilité définis par l’OMS dans l’établissement de l’acte d’enfant sans vie (Cass. civ. 1re, 6 févr. 2008, n° 06-16.498, n° 06-16.499, n° 06-16.500 ; JCP G, II, 10045, note Loiseau ; D. 2008, p. 1962, note Roujou de Boubée et Vigneau). Il y a aussi les décrets et arrêtés du 20 août 2008 qui constituent la suite logique de ce revirement (décrets n° 2008-798 et n° 2008-800 et arrêtés du 20 août 2008 ; Binet J.-R, « Inscription à l’état civil des enfants nés sans vie », JCP N 2008, Actu, 611 ; Massip J., « Actes d’enfants sans vie : les deux décrets du 20 août 2008 », Defrénois 2008, 2148). Plus récemment, il faut noter la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 et son décret d’application (décret n° 2022-290 du 1er mars 2022) qui ont consacré la possibilité d’attribuer un prénom à un enfant sans vie et, plus encore, qui ont créé la possibilité d’attribuer un nom à cet enfant. Dans ce contexte normatif, il est intéressant de remarquer l’arrêt du Conseil d’État du 29 septembre 2023 en ce qu’il porte sur une question peut-être un moins traitée en la matière, celle du traitement funéraire accordé aux enfants sans vie.

Dans cette affaire, les faits commencent de manière classique malheureusement. Une femme, Mme B., accouche le 7 août 2013 dans un centre hospitalier départemental d’un enfant sans vie. Le lendemain, elle signe, avec son conjoint, à l’occasion de la sortie de la maternité, un formulaire demandant à l’établissement de réaliser les « formalités d’inhumation de l’enfant » « en [leur] lieu et place », sollicitant également la réalisation d’une autopsie, ce dont le centre hospitalier déduit qu’ils renoncent à réclamer le corps. Assez rapidement après, le 13 août 2013, le centre hospitalier organise la crémation du corps de l’enfant au centre de crémation de la commune. Plusieurs années plus tard, le 2 août 2018, Mme B. adresse un courrier au centre hospitalier par lequel elle formule une réclamation préalable tendant à l’indemnisation du préjudice moral qu’elle estime avoir subi du fait de la faute commise par le centre hospitalier dans la prise en charge du corps de son enfant. Elle reproche en effet à l’établissement de ne pas l’avoir informée du délai dont elle disposait pour réclamer le corps de son enfant afin de procéder elle-même aux obsèques. Elle reproche aussi à l’établissement d’avoir procédé à la crémation avant l’expiration de ce délai.

L’établissement gardant le silence, Mme B. saisit le tribunal administratif de Nantes afin d’obtenir sa condamnation au versement d’une indemnisation de 50 000 euros au titre des préjudices qu’elle estime avoir subis. Cette demande est rejetée dans un jugement du 21 juillet 2021. Un appel est interjeté par cette même requérante, mais sans plus de succès puisque la cour administrative d’appel de Nantes émet un rejet dans un arrêt du 1er juillet 2022. Les juges de seconde instance jugent que Mme B. et son conjoint ont donné, dès le 8 août, leur accord pour que le centre hospitalier prenne en charge le corps de l’enfant. Ils estiment par ailleurs qu’aucun texte ne prévoie l’obligation de leur délivrer une information sur cette procédure. Face à cela, Mme B. décide de se pourvoir en cassation.

En réponse, dans une décision en date du 29 septembre 2023 (n° 468220 A: AJDA 2023. 1743; ibid. 2066, concl. Roussel ; L. Carayon, Dalloz Actu., 16 oct. 2023), le Conseil d’État se fonde sur les articles R. 1112-75 et R. 1112-76 du code de la santé publique pour indiquer que les parents d’un enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil disposent d’un délai de dix jours (voire plus dans certains cas) pour faire le choix de réclamer le corps de cet enfant. Pour l’application de ces dispositions, la haute juridiction estime que l’établissement de santé est tenu de conserver le corps de l’enfant pendant la totalité de cette durée, y compris lorsque le père et la mère ont exprimé avant son terme leur accord pour confier au centre hospitalier le soin de procéder aux opérations funéraires. Les juges indiquent également qu’il appartient à l’établissement de délivrer aux parents une information complète et appropriée leur permettant d’exercer dans le délai indiqué le choix qui leur appartient (information sur l’existence de ce délai mais aussi sur les conditions dans lesquelles le corps sera pris en charge s’ils ne le réclament pas). Pour toutes ces raisons, l’établissement est condamné à verser notamment la somme de 4 000 euros au titre de dommages et intérêts.

Cette solution est particulièrement intéressante puisque, à défaut d’être la première à être rendue sur les questions funéraires des enfants sans vie, elle présente une réelle originalité sur le thème spécifique des délais de conservation de corps. Pour analyser au mieux son contenu, il semble adapté de se pencher tant sur le délai de conservation en lui-même que doit respecter l’établissement de santé (I) que sur l’obligation d’information en la matière que le Conseil d’État met nouvellement à sa charge (II).

I- Les précisions quant au délai de conservation du corps de l’enfant sans vie

Pour pouvoir étudier plus précisément la position du Conseil d’État, il est utile, à titre de préalable, de rappeler les règles applicables en la matière. Selon l’art. R. 1112-75 du CSP, les « parents » d’un enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil dispose, à compter de l’accouchement, d’un délai de dix jours pour réclamer le corps de l’enfant. L’article R. 1112-76 du CSP complète le dispositif en indiquant les deux hypothèses : si le corps est réclamé, il est remis sans délai aux personnes visées tandis que, s’il ne l’est pas après ce délai de dix jours, l’établissement dispose de deux jours francs pour prendre les mesures en vue de procéder, à sa charge, à la crémation ou, si une convention avec la commune le prévoit, à son inhumation par celle-ci. Une hypothèse spécifique est prévue in fine par cette même disposition : lorsque des prélèvements sont réalisés sur le corps de l’enfant sans vie, le délai est prorogé de la durée nécessaire à leur réalisation sans qu’ils ne puissent excéder quatre semaines après l’accouchement.

Face à ces règles, la question à laquelle le juge administratif doit répondre est parfaitement formulée par le rapporteur public : « Le délai de dix jours prévu par l’article R. 1112-75 doit-il être respecté, y compris lorsque les deux parents ont demandé à l’établissement, avant son échéance, de se charger de l’inhumation ou de la crémation ? ».

La réponse du Conseil d’État est intéressante par son contenu bien entendu, mais plus encore parce que les décisions existantes en matière funéraire au sujet des enfants sans vie ne sont pas particulièrement nombreuses. Jusqu’à présent, l’attention des juges s’est concentrée sur d’autres étapes du traitement funéraire. Cela a été le cas à propos des conditions de transport du corps avec la situation d’un établissement de santé faisant procéder au transfert du corps dans un « véhicule inapproprié » en vue de son « enterrement dans une fosse commune » hors de la présence de la mère (CEDH 5e sect., 14 févr. 2008, Hadri-Vionnet c/ Suisse, D. 2008.1435, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; note J.-P Marguénaud, « Les funérailles de l’ange », RTDCiv. 2008 p. 257). Cela a été le cas aussi, certes de manière plus indirecte, avec la mention du nom de famille sur la sépulture pour lequel la mère ne veut pas que ce soit celui de son ex-mari malgré la déclaration de paternité puisqu’il n’est pas le père biologique (CEDH sect. I, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, JCP G 2005. I. 179, n° 14, obs. Sudre ; RTDciv. 2005. 737, obs. Marguénaud). Les seules décisions existantes au sujet de la crémation portent sur le processus à respecter (CAA Lyon, 3e chambre, 18 nov. 2003, n°00LY0196 au sujet de l’incinération du corps d’un enfant mort-né à 7 mois de grossesse par erreur avec les déchets hospitaliers, sans que la famille ait été mise à même d’exprimer son souhait quant à l’organisation de funérailles ; CEDH, 12 juin 2014, n° 50132/12, aff. Maric c. Croatie à propos de l’incinération du cadavre d’un enfant mort-né considéré comme un déchet hospitalier et éliminé comme tel par un hôpital). La décision ici commentée porte, de manière originale donc, sur les délais de crémation.

Que penser de la position du Conseil d’Etat ? Plusieurs points ressortent de manière importante. D’abord, l’analyse des juges se fonde sur la lettre stricte des textes déjà cités, lesquels ne prévoient aucune limite spécifique au délai mis en place : rien ne prévoit que ce temps légal puisse être raccourci, ni le renoncement des « parents » à réclamer le corps ni d’autres éléments. Il faut donc attendre l’expiration du délai de dix jours fixé avant de procéder à l’inhumation ou à la crémation du corps. En plus d’être conforme à la lettre des règles, cette interprétation est fidèle à leur esprit comme le fait remarquer le rapporteur public, esprit révélé dans une certaine mesure par la circulaire du 19 juin 2009 soulignant qu’il est « souhaitable que les parents puissent revenir sur leur décision, jusqu’au départ du corps vers le cimetière ou le crématorium » (Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009 relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus).

Ensuite, il faut reconnaitre que ce strict respect du délai est d’une grande pertinence d’un point de vue humain et psychologique lorsque l’on se souvient des conditions dans lesquelles le formulaire de renoncement à la réclamation du corps de l’enfant sans vie a été signé par les « parents » dans cette affaire (le lendemain de l’accouchement, à la sortie de la maternité, en demandant par ailleurs une autopsie…). Comme a pu le souligner Lisa Carayon de manière plus générale, la survenue de la mort périnatale correspond à une « période peu propice à la prise de décision rapide » (op. cit.). Le rapporteur public le dit plus clairement encore probablement, parlant d’« un souhait formulé par les parents, souvent lors de leur sortie de l’hôpital, alors qu’ils sont encore dévastés par l’accouchement et le deuil », indiquant qu’il est « difficile alors d’être parfaitement lucide et d’assimiler pleinement la portée du choix qui vous est demandé dans un formulaire administratif ».

Enfin, il est intéressant de remarquer plusieurs éléments à l’occasion de cette décision. En premier lieu, il est utile de relever que le délai de dix jours en cause ici est identique au délai de droit commun qui s’applique pour tout corps de personne ayant acquis précédemment la personnalité juridique. Les règles en matière d’enfant sans vie ne sont donc pas dérogatoires sur ce point précis. Cela s’explique peut-être par le fait que ces règles sont issues d’une réforme initiée par le décret n° 2006-965 du 1er août 2006 dans le contexte de l’affaire de l’hôpital de Saint-Vincent-de-Paul qui a révélé, au cours de l’été 2006, les difficultés liées au sort des fœtus et enfants mort-nés. En second lieu, chacun aura remarqué que les textes appliqués comme la décision du Conseil d’État emploient l’expression « la mère ou le père » malgré l’absence de lien de filiation juridiquement établi. Aussi critiquable que cela puisse être, en tout cas d’un strict point de vue normatif, la chose n’est pas nouvelle puisque tous les textes précédents que nous avons déjà pu citer emploient ces expressions (la loi de 1993, comme les décrets et arrêtés de 2008, mais aussi la loi de 2001). Au-delà de l’absence de nouveauté, il faut aussi avouer que ces termes sont probablement les plus adaptés socialement et humainement et qu’il ne parait pas évident de savoir quels autres mots il faudrait utiliser à titre de substituts. En dernier lieu, le lecteur aura peut-être été surpris par l’expression « pouvant être déclaré sans vie » utilisée dans les textes du code de la santé publique au sujet de la réclamation du corps. Le choix n’est pas neutre puisque cela signifie qu’un acte d’enfant sans vie n’est pas requis pour réclamer le corps, ce qui constitue une différence majeure avec les autres éléments du régime juridique des enfants sans vie que sont l’attribution d’un prénom ou d’un nom et l’inscription sur le livret de famille, mais aussi dans une autre mesure le traitement funéraire ultérieur.

II- Les nouveautés quant à l’obligation d’information de l’établissement de santé

Au-delà du respect du délai de conservation du corps de l’enfant sans vie, le Conseil d’État prend position de manière plus forte encore sur l’autre point de cette affaire qu’est l’information que l’établissement de santé doit délivrer en la matière aux « parents ». Cela a été dit précédemment, la juridiction suprême fait ici œuvre créatrice en indiquant que l’établissement est débiteur de cette obligation, ce qui est une interprétation extensive mais pertinente.

Une interprétation extensive, d’abord, car aucune disposition législative ou règlementaire ne semble prévoir cette obligation. En première instance comme en appel, les juges du fond indiquent en effet que l’obligation d’information ne trouve son existence dans aucune disposition, bien que le tribunal administratif puisse le regretter d’ailleurs. Le rapporteur public le relève avec clarté : ni les textes généraux sur l’obligation d’information du patient prévue dans le code de la santé publique (articles L. 1111-7 et L. 1112-1 du CSP), ni les textes spécifiques sur cette question de la récupération du corps (articles R. 1112-75 et s. du CSP) ne peuvent constituer la source d’une telle charge pour l’établissement. Certes, la circulaire du 19 juin 2009 déjà citée aborde cette question, ce que relève la cour administrative d’appel notamment, mais selon ses juges, il ne résulte « d’aucune disposition ni d’aucun principe que les ministres qui ont édicté les dispositions de cette circulaire avaient la compétence pour ce faire », analyse que ne partage pas le rapporteur public. Cette circulaire mentionne pourtant des éléments essentiels à propos du devenir du corps : « Les établissements veilleront à ce que les parents aient connaissance des possibilités qui s’offrent à eux dans ce domaine. ll est important d’adopter des modalités d’information suffisamment neutres et souples permettant aux parents de faire un choix en toute liberté. lls doivent bénéficier d’un temps suffisant de réflexion avant de faire connaître leur décision. Lorsqu’ils font le choix de ne pas prendre en charge l’inhumation ou la crémation du corps et que celui-ci fait l’objet d’une crémation prise en charge par l’établissement, il est recommandé de proposer aux parents de leur communiquer, s’ils le souhaitent, un document indiquant la date et l’heure de la crémation. Dans tous les cas, il convient de s’assurer que les parents ont reçu une information complète sur le devenir du corps ». Il est d’ailleurs utile de noter que cette circulaire n’est pas la première à aborder cette question puisque celle du 30 novembre 2001 posait déjà cette exigence (avec une formule plus impérative : « Lorsque l’enfant est né vivant, mais non viable, ou lorsque l’enfant est mort-né quelle que soit la durée de gestation, l’établissement de santé est tenu d’informer la famille sur les différentes possibilités de prise en charge du corps »).

Une interprétation pertinente, ensuite, puisque cette information est essentielle à un double titre. Elle l’est de manière générale au vu de la technicité des règles, spécialement dans un domaine – le funéraire – auquel les citoyens sont peu confrontés dans leur vie et dans un contexte psychologique délicat par nature. Elle l’est de manière spécifique aussi au vu de la particularité du deuil périnatal qui peut rendre plus fort l’effet de sidération que cause la survenance de la mort. Ces deux utilités ressortent très bien de manière croisée des lignes du rapporteur public : « Si nul n’est censé ignorer la loi, bien peu sont ceux qui connaissent la réglementation en question, et les parents qui viennent d’être touchés par un deuil se trouvent dans une situation psychologique particulièrement délicate, qui exige un accompagnement particulier de la part du personnel de l’établissement. L’exigence d’information paraît d’autant plus impérieuse compte tenu des conséquences définitives qui s’attachent à l’expiration du bref délai imparti aux intéressés pour faire connaître leur décision ».

Tous ces éléments démontrent que le régime juridique des enfants sans vie se fonde à nouveau sur la nécessaire prise en compte de la dimension humaine et compassionnelle, prouvant, s’il en était encore besoin, que le droit est au service de l’Homme.