Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DES PRODUITS DÉFECTUEUX DANS LE DOMAINE DE LA VINIFICATION, I. Corpart

Isabelle Corpart,
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC


Commentaire de Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-17.724

Avis aux vignerons et aux consommateurs de vin. Quand le vin est défectueux, faut-il le boire mais surtout, est-il possible d’obtenir une indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ?

Pour les juges, l’utilisation de produits chimiques dans la vinification suffit à considérer que le produit est défectueux pour avoir entraîné une altération du vin, quand bien même la consommation de cet alcool n’est pas en elle-même dangereuse, le vin étant resté inoffensif malgré son goût prononcé de bouchon.

 

Mots-clefs : Responsabilité du fait des produits défectueux – vinification – utilisation de produits chimiques – dégradation du vin – pollution – risques pour les consommateurs (non) – vin inoffensif – sécurité à laquelle on peut s’attendre – défaut de sécurité – preuve de la défectuosité – imputabilité des désordres – dommages et intérêts

 

Pour se repérer

La société Domaine du Moulin à l’or, productrice de vin, confie la filtration, le dégazage et l’électrodialyse de l’ensemble de ses vins millésimés 2014 à la société Filtration services. Celle-ci fait appel à la société Eurodia pour la préparation de l’appareil d’électrodialyse. Le problème vient du fait que cette société utilise alors de l’acide nitrique et de la lessive de soude, produits acquis par la société Filtration services auprès de la société Groupe Pierre Le Goff (le vendeur) et fabriqués par la société Brenntag (le producteur).

Plusieurs entreprises sont au cœur de cette affaire liée à la vinification, l’entreprise viticole ayant fait appel à un sous-traitant qui lui-même utilise les services d’une autre entreprise. Au terme de ces opérations de traitement du vin et en particulier de l’électrodialyse des vins, une altération du produit est détectée. Il ressort de l’analyse que la pollution des vins est liée à l’usage de produits chimiques : lessive de soude et acide nitrique.

L’entreprise agricole, la société Domaine du Moulin à l’or et son sous-traitant, la société Filtration services, entament une procédure judiciaire pour obtenir une indemnisation. Ils assignent en responsabilité le producteur ainsi que le vendeur des produits litigieux et également leurs assureurs.

Le vendeur est mis hors de cause et la requête des demandeurs n’est pas entendue par la cour d’appel qui juge que la preuve de la défectuosité des produits n’est pas rapportée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants (devenus art. 1245 et s. depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016).

Elle estime que les produits litigieux ne peuvent pas être considérés comme défectueux dans la mesure où la santé des consommateurs n’est pas menacée, le vin étant inoffensif bien que la pollution du vin soit constatée, et que son goût soit effectivement fort altéré, voire désagréable. N’ayant pas décelé de danger anormal et excessif, elle considère qu’il n’y a pas de défaut de sécurité et rejette la demande.

La société Filtration services se pourvoit alors en cassation estimant que la responsabilité du fait des produits défectueux doit être mise en œuvre dans cette affaire en raison de l’altération du vin ; l’entreprise viticole également (pourvoi incident).

 

Pour aller à l’essentiel

La Cour de cassation casse la décision des juges du fond (CA Dijon, 2 avr. 2019, n° 17/00957) en rappelant le principe posé par l’article 1386-4, alinéas 1 et 2 (aujourd’hui art. 1245-3, al. 1 et 2) : « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment, de la présentation du produit et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu ».

Dès lors, la cour d’appel ne pouvait pas se contenter de relever que les produits ne présentaient pas un danger anormal et excessif et qu’aucun défaut de sécurité n’était établi.

Elle aurait dû tenir compte des circonstances et examiner à la fois la présentation et l’usage raisonnablement attendu des produits dont la défectuosité était invoquée pour rechercher s’ils « présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre ».

Il est vrai que le vin traité avec les produits chimiques visés dans cette affaire avait un goût de bouchon mais que cela était inoffensif pour les consommateurs.

Néanmoins, encore fallait-il rechercher si le vin ayant été traité avec les machines nettoyées avec ces produits, ils offraient véritablement la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.

Les juges de la cour d’appel avaient bien constaté l’altération des vins consécutives à leur pollution par les produits chimiques mais elle n’en tire pas les bonnes conséquences. En effet, considérant que les produits n’étaient pas défectueux, elle a violé l’article 1386-2 du Code civil (devenu art. 1245-1) et l’art. 1er du décret n° 2005-113 du 11 févr. 2005 lequel fixe une franchise de 500 euros.

Pour aller plus loin

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 décembre 2020, n° 19-17.724 offre une intéressante application de la responsabilité du fait des produits défectueux au domaine vinicole. Il apporte des précisions sur le caractère défectueux des produits chimiques ainsi que sur la preuve de cette défectuosité et sur la recherche de la sécurité à laquelle une entreprise vinicole peut légitimement s’attendre.

Sur le fondement des articles 1386 et suivants et du décret du 11 février 2005, il convient de considérer que la responsabilité du fait des produits défectueux doit être mise en œuvre pour réparer un dommage qui résulte d’une atteinte à la personne et tout dommage supérieur à 500 euros (franchise fixée par le décret), résultant d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, dans la mesure où il provoque sa destruction ou, comme en l’espèce, son altération.

Dès lors que les produits chimiques contenant certaines quantités de trichloroanisole et de tétrachloroanisole ont bien contaminé l’ensemble de l’appareil d’électrodialyse et surtout ont provoqué la dégradation du vin en altérant son goût, les juges d’appel ne pouvaient pas se contenter de relever que la pollution des vins millésimés n’était pas de nature à « nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité ».

On a parfaitement constaté une altération des vins en lien avec l’utilisation des produits dont la défectuosité était invoquée et les juges auraient dû en tenir compte.

Ils ont privé leur décision de base légale en ne recherchant pas si les produits litigieux présentaient un défaut de sécurité, laquelle doit être appréciée en vérifiant la sécurité à laquelle peut légitimement s’attendre un producteur de vin.

Le fait que le vin ne soit pas nocif à l’arrivée, à savoir ne nuise pas à la santé des consommateurs, ne suffit pas exclure la qualification de produit défectueux.

Au vu de tous ces éléments, il fallait donc prévoir l’indemnisation de l’entreprise vinicole car son vin a bien été altéré lors de ces différentes opérations.

Tout l’intérêt de l’arrêt est de préciser la notion de produit défectueux. Il est essentiel de considérer que tel est le cas si le produit litigieux conduit à une dégradation d’un bien. Il en va de même lorsque c’est la bouteille de vin qui est défectueuse et qui affecte le vin qu’elle contient (Cass. 1ère civ., 1er juillet 2015, n° 14-18.391).

Dès lors, à partir du moment où des produits chimiques altèrent des vins millésimés de 2014, l’appareil d’électrodialyse ayant été contaminé, la responsabilité du fait des produits défectueux peut être engagée sur le fondement des articles 1386 et suivants du Code civil.

Force est de constater qu’il y a bien un défaut de sécurité en l’espèce même si la pollution des vins ne les a pas rendus nocifs pour la santé des consommateurs et ne nuit pas à leur intégrité.

Assurément les produits chimiques utilisés dans le domaine vinicole n’ont pas offert la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre. Le vin traité avec les machines nettoyées avec ces produits litigieux a effectivement été altéré et le caractère défectueux desdits produits est établi dans la mesure où un défaut de sécurité en résulte.

* * * * *

 Cass. 1re civ., 9 décembre 2020, n° 19-17.724

Faits et procédure

1.Selon l’arrêt attaqué (Dijon, 2 avril 2019), la société Domaine du Moulin à l’or a confié la filtration, le dégazage et l’électrodialyse de l’ensemble de sesvinsmillésimés 2014 à la société Filtration services, qui a fait appel pour la préparation de l’appareil d’électrodialyse à la société Eurodia ayant utilisé à cet effet de l’acide nitrique et de la lessive de soude, acquis par la société Filtration services auprès de la société Groupe Pierre Le Goff (le vendeur) et produits par la société Brenntag (le producteur). A l’issue des opérations, une pollution des vins a été décelée provenant de la lessive de soude et de l’acide nitrique et provoquant des désordres organoleptiques.

2.Les sociétés Domaine du Moulin à l’or et Filtration services ont assigné en responsabilité et indemnisation le producteur et le vendeur, ainsi que leurs assureurs respectifs, les sociétés Generali IARD, et AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe. Le vendeur a été mis hors de cause.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Énoncé du moyen

3.La société Filtration services fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors que « les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produitsdéfectueuxs’appliquent à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, c’est-à-dire lorsqu’il risque de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique des individus, ou bien de provoquer la destruction ou la dégradation d’un bien ; qu’en retenant, pour juger que la preuve de la défectuosité des produits n’était pas rapportée, qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité desdits produits n’est établi dès lors que la pollution des vins traités n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité, le vin restant inoffensif s’il est ingéré même si son goût s’avère désagréable, quand l’altération du goût des vins en raison de leur pollution par les produits en cause caractérisait un défaut de sécurité du produit, la cour d’appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4 du code civil, désormais articles 1245-1 et 1245-3 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, et l’article 1 du décret n 2005-113 du 11 février 2005 :

4.Il résulte de ces textes que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produitsdéfectueuxs’appliquent à la réparation, d’une part, du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne, d’autre part, du dommage supérieur à 500 euros, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, en provoquant sa destruction ou son altération.

5.Pour rejeter les demandes de la société Filtration services, l’arrêt retient que si l’utilisation des produits chimiques, qui contenaient des quantités plus ou moins importantes de trichloroanisole et de tétrachloroanisole, a contaminé l’ensemble de l’appareil d’électrodialyse et provoqué la dégradation duvinen altérant son goût, les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors que la pollution des vins n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité.

6.En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté une altération desvinsconsécutive à leur pollution par les produits dont la défectuosité était invoquée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7.La société Domaine du Moulin à l’or fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors « que, pour l’application du régime de responsabilité du fait des produitsdéfectueux, un produit estdéfectueux lorsqu’il n’offre pas, à l’égard des personnes ou des biens, la sécurité, à laquelle on peut légitimement s’attendre ; qu’en se bornant, pour écarter le caractère défectueux des produits Brenntag, à relever que le vin traité avec ces produits, s’il avait un goût de bouchon, était inoffensif pour les consommateurs, sans examiner si les produits litigieux offraient, pour le vin traité avec les machines nettoyées avec ces produits, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, la cour d’appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4, devenus les articles 1245-1 et 1245-3, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil :

8.Aux termes de ce texte, un produit estdéfectueuxlorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment, de la présentation du produit et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu.

9.Pour statuer comme il a été dit, l’arrêt retient que les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits n’est établi.

10.En se déterminant ainsi, sans examiner si au regard des circonstances et notamment de leur présentation et de l’usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, les produits dont la défectuosité était invoquée présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il met hors de cause la société Groupe Pierre Le Goff, l’arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ;

Remet, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Condamne la société Brenntag et la société AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe, aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Brenntag, AIG Europe, Groupe Pierre Le Goff et Generali IARD, et condamne les sociétés Brenntag et AIG Europe à payer aux sociétés Filtration services et Domaine du Moulin à l’or, chacune, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP B.-V., F.-D. et S., avocat aux Conseils, pour la société Filtration services, demanderesse au pourvoi principal.

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Filtration Services de l’ensemble de ses demandes en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

AUX MOTIFS QUE « Sur l’imputabilité des désordres

* sur la responsabilité au visa de l’article 1245 du code civil (anciennement 1386-1 du code civil)

Attendu qu’en vertu de l’article 1245 du code civil (anciennement 1386-1), le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;

qu’aux termes de l’article 1245-3 du même code (anciennement 1386-4), un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ; que dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et, notamment, de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; qu’un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu’un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation ;

que l’article 1245-8 du code civil (anciennement 1386-9) précise que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

qu’il ressort de l’ensemble de ces dispositions que le demandeur doit établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux ; que cette preuve peut être rapportée par des présomptions pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ; que le producteur a quant à lui la charge de la preuve d’une cause exonératoire ou de la faute de l’utilisateur ;

attendu, en l’espèce, que l’EARL Domaine du Moulin à l’Or n’agit qu’à l’encontre des sociétés Brenntag et Aig et au seul visa des articles précités ; que la S. Filtration service se prévaut également de ces dispositions pour former ses demandes indemnitaires à l’encontre des appelantes ;

qu’en réponse, la SA Brenntag et la société Aig soutiennent que ni l’EARL Domaine du Moulin à l’Or, ni la société Filtration service, ni même la société Le Goff ne rapportent la preuve qui leur incombe des conditions requises aux articles 1245 et suivants du code civil, notamment pas la preuve d’un défaut de sécurité des produits Brenntag ;

attendu qu’il est constant que la simple implication d’un produit dans la réalisation d’un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens des articles 1386-1 ancien et suivants du code civil, et qu’un produit est considéré comme étant défectueux lorsqu’il est anormalement dangereux ;

qu’or, ainsi que le souligne la S. Filtration service dans ses écritures, la pollution des vins traités n’est, en l’occurrence, pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité; que le vin reste inoffensif s’il est ingéré, même si son goût s’avère désagréable (goût de bouchon) ; qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits Brenntag n’est établi par les intimées ; que la preuve de la défectuosité des produits par la société Brenntag au sens de l’article 1245 du code civil n’est donc pas rapportée ;

que l’EARL Domaine du Moulin à l’Or et la S. Filtration service doivent donc être déboutées de leurs demandes à l’encontre de la SA Brenntag et de la société Aig au titre de la responsabilité des produits défectueux » ;

ALORS QUE les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s’appliquent à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, c’est-à-dire lorsqu’il risque de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique des individus, ou bien de provoquer la destruction ou la dégradation d’un bien ; qu’en retenant, pour juger que la preuve de la défectuosité des produits de la société Brenntag n’était pas rapportée, qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité desdits produits n’est établi dès lors que la pollution des vins traités n’est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité, le vin restant inoffensif s’il est ingéré même si son goût s’avère désagréable, quand l’altération du goût des vins en raison de leur pollution par les produits en cause caractérisait un défaut de sécurité du produit, la cour d’appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4 du code civil, désormais articles 1245-1 et 1245-3 dudit code.

Moyen produit par la SCP D. et P., avocat aux Conseils, pour la société Domaine du Moulin à l’or, demanderesse au pourvoi incident.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté l’Earl Domaine du Moulin à l’Or de sa demande de condamnation des sociétés Brenntag et Aig Europe limited à l’indemniser de son préjudice ;

AUX MOTIFS QU’en vertu de l’article 1245 du code civil (anciennement 1386-1), le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ; qu’aux termes de l’article 1245-3 du même code (anciennement 1386-4), un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ; que dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et, notamment, de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; qu’un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu’un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation ; que l’article 1245-8 du code civil (anciennement 1386-9) précise que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu’il ressort de l’ensemble de ces dispositions que le demandeur doit établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux ; que cette preuve peut être rapportée par des présomptions pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ; que le producteur a quant à lui la charge de la preuve d’une cause exonératoire ou de la faute de l’utilisateur ; qu’en l’espèce, l’Earl Domaine du Moulin à l’Or n’agit qu’à l’encontre des sociétés Brenntag et Aig et au seul visa des articles précités ; que la S. Filtration service se prévaut également de ces dispositions pour former ses demandes indemnitaires à l’encontre des appelantes ; qu’en réponse, la SA Brenntag et la société Aig soutiennent que ni l’Earl Domaine du Moulin à l’Or, ni la société Filtration service, ni même la société Le Goff ne rapportent la preuve qui leur incombe des conditions requises aux articles 1245 et suivants du code civil, notamment pas la preuve d’un défaut de sécurité des produits Brenntag ; qu’il est constant que la simple implication d’un produit dans la réalisation d’un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens des articles 1386-1 ancien et suivants du code civil, et qu’un produit est considéré comme étant défectueux lorsqu’il est anormalement dangereux ; qu’or, ainsi que le souligne la S. Filtration service dans ses écritures, la pollution des vins traités n’est, en l’occurrence, pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité ; que le vin reste inoffensif s’il est ingéré, même si son goût s’avère désagréable (goût de bouchon) ; qu’aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits Brenntag n’est établi par les intimées ; que la preuve de la défectuosité des produits par la société Brenntag au sens de l’article 1245 du code civiln’est donc pas rapportée ; que l’Earl Domaine du Moulin à l’Or et la S. Filtration service doivent donc être déboutées de leurs demandes à l’encontre de la SA Brenntag et de la société Aig au titre de la responsabilité des produits défectueux » ;

ALORS QUE, pour l’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas, à l’égard des personnes ou des biens, la sécurité, à laquelle on peut légitimement s’attendre ; qu’en se bornant, pour écarter le caractère défectueux des produits Brenntag, à relever que le vin traité avec ces produits, s’il avait un goût de bouchon, était inoffensif pour les consommateurs, sans examiner si les produits litigieux offraient, pour le vin traité avec les machines nettoyées avec ces produits, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, la cour d’appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4, devenus les articles 1245-1 et 1245-3, du code civil.