Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ACCIDENT AERIEN : LE PLAFOND DE VARSOVIE N’EST PAS DE VERRE, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Observations sous :

 Civ. 2ème, 10 février 2022, n° 20-20.814 A LIRE ICI

 

En cassant l’arrêt rendu le 22 septembre 2020 par la cour d’appel de Poitiers dans le litige opposant les ayants droit de la victime d’un accident aérien, la deuxième chambre civile, par son arrêt du 10 février 2022, énonce clairement que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), légalement tenu de réparer intégralement le préjudice subi par la victime d’un accident aérien, ne peut se prévaloir du plafond de garantie de la convention de Varsovie.

 
 

Mots-clefs : accident aérien – art. 706-3 et 706-9 code de procédure pénale – art. L. 6421-4 code des transports – CIVI – Convention de Varsovie – FGTI – transport gratuit

Le 12 septembre 2013, Monsieur C.X. a pris place comme passager dans l’aéronef piloté par S.O., le père de sa compagne, Mme O. pour un vol au départ de Poitiers et à destination de Cannes. L’appareil a percuté un massif montagneux, l’accident a entraîné le décès du pilote et de son passager. Le pilote ayant été déclaré seul responsable de l’accident, l’indemnisation des ayants droit du passager a été effectuée dans les limites du plafond de Varsovie fixé par le droit conventionnel et répartie entre les différentes victimes par ricochet. Celles-ci ont saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) afin d’obtenir la réparation de l’intégralité de leur préjudice mais ont été déboutées de leur demande par la cour d’appel de Poitiers, le 22 septembre 2020. Les victimes par ricochet ont alors formé un pourvoi contre cet arrêt, le FGTI étant défendeur à la cassation.

Si la soumission des vols à titre gratuit au droit conventionnel n’est pas contestée (I), la première chambre civile affirme avec force que le FGTI ne peut profiter du plafond conventionnel (II).

I. La soumission des vols à titre gratuit au droit conventionnel

L’engagement de la responsabilité des transporteurs aériens de personnes a fait l’objet de textes successifs, d’origines diverses, dont les plus connus sont les conventions internationales de Varsovie et de Montréal (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Les trajectoires de l’obligation de sécurité du transporteur aérien de personnes » : RISEO 2010-2 A LIRE ICI). Parmi les questions relatives au champ d’application du droit conventionnel aux vols internes français (Cf. not. E. Desfougères, « Le régime juridique des baptêmes de l’air » : JAC n° 70, janv. 2007 ; « Retour sur une décennie de droit des accidents de transport en pleine mutation » :  JAC n° 100, janv. 2010) se posait celle des transports à titre gratuit.

Quelques étapes de cette dernière problématique méritent d’être rappelées au regard notamment des évolutions jurisprudentielle et législative internes. Il convient dans un premier temps de savoir si un tel vol relève du droit commun ou du droit conventionnel, puis dans le cas d’une réponse positive à la première question de déterminer si le droit applicable est bien celui de la Convention de Varsovie. Cette Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international date du 12 octobre 1929, elle a été élargie en France au transport interne par la loi du 2 mars 1957 (art. L. 322-3 du code de l’aviation civile, devenu art. L. 6421-4 du code des transports).

Si un arrêt de la cour d’appel de Grenoble, en date du 21 avril 2009, avait considéré que l’accident survenu dans le cadre d’un transport effectué à titre gracieux ne relevait pas de la Convention de Varsovie, mais du droit commun de la responsabilité délictuelle, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2009 (RCA oct. 2009 com. 297 ; P. Delebecque « Transport gratuit : des manœuvres entreprises dans des conditions dangereuses lors d’un atterrissage forcé ne constituent pas une faute inexcusable » : Revue Droit des transports, oct. 2009, p. 27 ; RFDAS 2009 p. 217), avait en revanche opté pour l’application du droit conventionnel, c’est-à-dire en l’espèce de la Convention de Varsovie.

Plus récemment, dans un arrêt du 10 septembre 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré qu’il se déduit de l’article L. 322-3 du code de l’aviation civile devenu L. 6421-4 du code des transports qu’une promenade aérienne, fût-elle effectuée par un particulier, à titre gratuit, avec un point de départ et d’arrivée identique, constitue un transport aérien soumis à la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 (Crim. 10 sept. 2019, n° 18-83.858 : D. 2019, p. 708).

La première chambre civile de la Cour de cassation a tenu le même raisonnement dans son arrêt du 8 avril 2018 (Civ. 1ère, 8 avr. 2021, n° 19-21.842 : La lettre juridique n° 866, 27 mai 2021, note P. Dupont ; RCA n° 7-8, juill. 2021, comm. L. Bloch).

Restait cependant une question en suspens, concernant plus généralement l’aviation légère, celle de l’interprétation de l’article L. 6421-4 du Code des transports aux termes duquel « La responsabilité du transporteur de personne est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie comme prévu aux articles L.6422-2 à… ». Or, jusqu’à très récemment, l’article L. 6422-2 visait  « les seules dispositions de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 ou de toute convention la modifiant ou la complétant … ». Fallait-il considérer que la Convention de Montréal ne pouvait s’appliquer dès lors qu’elle ne modifie pas celle de Varsovie, mais la remplace ? Plusieurs auteurs avaient milité pour l’application de la Convention de Montréal bien plus favorable aux victimes (J.P. Tosi, « Responsabilité du transporteur aérien : dépoussiérons le Code de l’aviation civile : D. 2005, p. 716 ; V. Grellière, « La responsabilité du transporteur aérien : de Varsovie à Montréal » : Gaz. Pal. 3 août 2006).

Finalement, la réponse à cette irritante question vient d’être apportée par la loi du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances dont l’article 8 modifie l’article L. 6421-4 du Code des transports en substituant la Convention de Montréal à celle de Varsovie (X. Delpech, « Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : aspects de droit aérien » : D. actualités 19 oct. 2021).

Dans l’arrêt du 10 février 2022, l’application du droit conventionnel n’est pas discutée et la cour d’appel énonce, pour limiter l’indemnisation par la CIVI, que ce régime, issu d’un traité international, gouverne l’indemnisation des victimes. La deuxième chambre civile fait plusieurs fois référence à la Convention de Varsovie, c’est donc bien dans le prolongement de l’arrêt de la chambre criminelle de 2019 ainsi que dans celui de la première chambre civile de 2021 précédemment cités qu’elle se place. Dans sa réponse la Cour de cassation prend bien soin de préciser qu’elle vise l’article L. 6421-4 du Code des transports dans sa rédaction applicable au litige. L’accident dont elle a ici à connaître a eu lieu le 12 septembre 2013, il est donc soumis aux dispositions du code des transports dans sa version alors en vigueur (E. Desfougères, « L’émergence d’un véritable code des transports : un premier sentiment de satisfaction inachevée » : JAC n° 109, janv. 2010). A cette date, le plafond dit de Varsovie est la limite supérieure de la dette de responsabilité du transporteur, l’expression « par siège » parfois utilisée illustre bien le fait que la somme doit être partagée par les ayants-droit. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ceux-ci tentent d’obtenir un complément d’indemnisation au-delà de ce plafond.

II. L’indemnisation intégrale par le FGTI non exclue par le droit conventionnel

L’article 706-3 du code de procédure pénale, visé par l’arrêt commenté, offre aux victimes des infractions concernées la possibilité de solliciter une demande d’indemnisation auprès de la CIVI. Instituée par  loi no 77-5 du 3 janvier 1977, la CIVI est une juridiction civile autonome par rapport aux décisions du juge pénal car il s’agit non de se prononcer sur la réalité d’une infraction mais de déterminer l’étendue du droit à indemnisation de la victime. Depuis la loi n° 90589 du 6 juillet 1990, le FGTI a la charge de régler les indemnités allouées, la solidarité nationale se substituant à l’auteur des faits pour réparer le préjudice subi (N. Faussat, « Responsabilité civile et solidarité nationale dans le régime d’indemnisation des victimes d’infractions » : Gaz. Pal. 11 avril 2015, p. 6.)

Le recours à la CIVI en cas d’accident aérien n’est guère une nouveauté, il en a déjà été ainsi lors du crash du Mont Sainte Odile, Claude Lienhard affirmant alors que « la mise en oeuvre de l’indemnisation par les CIVI ne souffre guère de discussion »  (C. Lienhard, note ss. T.G.I. Colmar (CIVI), 2 juillet 1992 : D. 1993, 208). Il ne fait guère de doute que l’article 706-3 du code de procédure pénale est applicable à l’espèce. Au moment de l’accident cet article disposait que « Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne » sous réserve de certaines conditions.  L’accident entre bien dans le champ d’application de cet article dès lors que les faits, commis sur le territoire français, ont entraîné la mort et qu’ils présentent le caractère matériel d’une infraction.

Le pilote étant lui-même décédé dans l’accident, sa responsabilité pénale ne pouvait être recherchée. S’il avait survécu, il aurait pu être poursuivi pour homicide involontaire sur le fondement de l’article 221-6 du code pénal. Le recours à la CIVI ne suppose pas une condamnation mais uniquement que soient réunis les faits matériels d’une infraction, ce qui est bien le cas en l’espèce.

Le litige porte plus précisément sur le montant de l’indemnisation, le FGTI soutenant que celle-ci ne saurait dépasser le plafond de Varsovie. La cour d’appel lui avait donné raison en affirmant que le plafond de Varsovie, issu d’une convention internationale dont la valeur, dans la hiérarchie des normes, est supérieure à la loi nationale. Cet argument, parfaitement valable s’agissant de la responsabilité du pilote, ne signifie aucunement que les victimes ne peuvent, elles, se faire indemniser au-delà du plafond. Énoncer le contraire revient à confondre responsabilité du transporteur et indemnisation des victimes or la convention de Varsovie ne concerne que la responsabilité du transporteur. La soumission de l’accident à cette convention exclut que la responsabilité du transporteur soit recherchée sur le fondement des règles françaises de la responsabilité civile, le droit conventionnel n’interdisant pas que la victime puisse être indemnisée d’une autre manière, en particulier par le recours aux mécanismes de la CIVI.

L’arrêt de la Cour de cassation, dans son exposé du litige, énonce qu’un tribunal de grande instance a déclaré le pilote seul responsable de l’accident et fixé l’indemnisation dans la limite du plafond. Il convient de préciser qu’en cas de transport gratuit, les victimes ou leurs ayant-droit ont l’obligation de prouver une faute du pilote alors qu’en cas de transport aérien à titre onéreux la responsabilité du transporteur est présumée. S’agissant d’un vol à titre gratuit, si la responsabilité du pilote n’avait pas été retenue les ayants droit n’auraient perçu aucune indemnisation en application du droit conventionnel et, le recours au droit commun étant exclu, n’auraient pu recevoir aucune indemnité au titre de l’article 706-3 CPP si le raisonnement de la cour d’appel avait été exact.

Il convient donc de saluer cet arrêt de la deuxième chambre civile qui affirme à juste titre que « la CIVI, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage, suivant les règles du droit commun de la responsabilité, sans perte ni profit pour la victime, ne peut limiter l’indemnisation mise à la charge du FGTI au plafond de garantie prévu par le dernier de ces textes, qui ne régit que la responsabilité des transporteurs aériens. »

Le principe de la réparation intégrale oblige donc le FGTI à indemniser au-delà du plafond de Varsovie. Cependant, ce même principe interdisant l’enrichissement de la victime, ne permet pas à celle-ci de cumuler les sommes versées à des titres différents pour les mêmes préjudices (pour ex. : C. Lacroix, « Indemnisation du préjudice par le juge administratif et recevabilité de la demande formée devant la CIVI : rappel de l’autonomie,  obs. ss. Civ. 2ème, 4 juill. 2019, n° 18-13.853 : Rev. Droit & Santé 2020, n°93, p. 22). La Cour souligne bien que « Mme [O] a expressément indiqué, dans ses écritures, que les sommes déjà reçues de l’assureur de l’aéronef étaient à déduire de l’indemnité réclamée devant la CIVI. »

L’arrêt d’appel encourt donc la cassation  car « En statuant ainsi, alors que le FGTI, légalement tenu de réparer intégralement le préjudice subi par la victime, indépendamment de l’étendue de son recours subrogatoire ultérieur, ne pouvait pas bénéficier du plafond de garantie institué par la convention de Varsovie en faveur du transporteur aérien, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » L’affaire est renvoyée à la cour d’appel de Rennes.

La solution adoptée pour le transport aérien à titre gratuit doit s’appliquer plus largement à toutes les situations où le droit conventionnel pose un plafond à l’indemnisation des victimes dès lors que les conditions posées par l’article article 706-3 sont satisfaites.