DERAILLEMENT D’ECKWERSHEIM : UN JUGEMENT TOUT EN RIGUEUR ET PEDAGOGIE, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France STEINLE-FEUERBACH

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Membre fondateur et Directeur honoraire du CERDACC (UR 3992)

 

Retour sur la décision du tribunal correctionnel de Paris (31ème chambre correctionnelle), 10 octobre 2024

 Seuls les aspects pénaux sont abordés dans cette édition, les indemnisations seront étudiées dans le JAC de décembre 2024.

Mots-clés : accident collectif – déraillement – TGV Est – code pénal, art. 121-2, 121-3 – Code du travail, art. L. 4531-1, art. L. 4121-1 et 2, art. L. 4532-2 et s.

 

Le 14 novembre 2015 à 15h04, sur la commune d’Eckwersheim près de Strasbourg, une rame d’essai circulant sur la voie 2 de la ligne à grande vitesse LGV EST Européenne (LGVEE2) – dans le sens Paris-Strasbourg – avec à son bord 53 personnes, déraillait à l’entrée de la courbe de raccordement avec la ligne existante Paris-Strasbourg. L’accident était spectaculaire, la rame était complètement disloquée, huit voitures et deux motrices projetées en contrebas jusqu’à 150 mètres de distance. Si l’équipe de la motrice avant était entièrement rescapée il n’en a malheureusement pas été de même des autres passagers, le bilan étant de 11 décès et 42 blessés dont 21 gravement.

Malgré le nombre élevé de victimes, l’accident ne fut vraiment médiatisé qu’en Alsace, l’attaque du Bataclan survenue la veille occupant toute l’actualité des médias nationaux.  Malgré cette faible médiatisation, la qualification d’accident collectif étant évidente, le pôle accident collectif de Paris fut rapidement saisi de ce dossier particulièrement complexe (art. 706-176 et  43-1 CPP ; C. Lacroix, « Accidents collectifs et catastrophes : des avancées sous le sapin de Noël, JAC n° 203, fév. 2021 » https://www.jac.cerdacc.uha.fr/accidents-collectifs-et-catastrophes-des-avancees-procedurales-sous-le-sapin-de-noel-c-lacroix/).

Le 2 août 2022, à l’issue six années d’instruction menée par deux magistrats du pôle, sont poursuivies pour « blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité » trois personnes physiques – un conducteur principal, un cadre et un pilote ainsi que trois personnes morales – la SNCF, SNCF Réseau (gestionnaire des voies) et l’intégrateur SYSTRA (commanditaire des essais).

Le procès s’est tenu du 4 mars au 16 mai 2024. La décision rendue le 10 octobre 2024 a été appréciée par Me Claude Lienhard qui se réjouit de «la qualité de la justice de catastrophe en France, tant dans la forme que dans le fond, pour les parties civiles » (DNA,10 oct. 2024).

Il importe en effet de saluer la clarté et la rigueur du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris sur plus de 250 pages, tant en ce qui concerne l’action publique (première partie) que l’action civile (deuxième partie à paraître dans le JAC de décembre).

 

Première Partie : L’action publique

 

I. La recherche des causes de l’accident

Afin de pouvoir se prononcer sur les responsabilités, le tribunal devra rechercher les causes de l’accident, identifier les différents acteurs, tant personnes physiques que morales, concernés et distinguer leurs rôles respectifs dans la chaîne causale ayant conduit au déraillement ce qui suppose une analyse fine de l’organisation des essais.

1. Les experts sont unanimes

Plusieurs experts vont travailler simultanément sur la recherche des causes de la catastrophe et tous leurs rapports, rendus en 2015, excluent un défaut de l’infrastructure, un mauvais fonctionnement du matériel roulant ainsi qu’un incident dans la gestion des circulations par le personnel au sol.

Ces rapports ont été confirmés par ceux du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre BEA-TT (https://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/rapport-final-r256.html  ) et des experts judiciaires.  Tous se sont accordés à imputer l’accident à un freinage trop tardif du train avant la courbe du raccordement de Vendenheim, celle-ci ayant été abordée à une vitesse de 265 km/h alors que la vitesse prescrite par le programme d’essai était de 176 km/h.

Alors que la multiplicité des causes est un marqueur des catastrophes entraînant des querelles d’experts, l’unanimité de ces derniers est remarquable : la seule cause du déraillement est une vitesse excessive. Cette simplicité n’est pourtant qu’apparente et le BEA-TT affirme que ce freinage inapproprié est le produit de trois chaînes causales : « Ce freinage inapproprié est lui-même le produit de trois chaînes causales : une stratégie de freinage inadaptée, résultant d’un raisonnement erroné et prévoyant un freinage pneumatique au PK 402 pour respecter le seuil de 176 km/h au PK 403,809 ; une incompréhension entre le cadre transport traction (CTT) et le reste de l’équipage sur les modalités du freinage se traduisant par le relâchement du frein électrique par le conducteur et le maintien de la vitesse de 330 km/h jusqu’au déclenchement du freinage pneumatique ; un appel interphonique pendant le freinage qui a perturbé le CTT et l’a empêché de voir que le frein électrique avait été relâché contrairement à la stratégie qu’il avait prévue. »

2. La complexité organisationnelle des essais

Le tribunal précise le contexte de circulation du train, la réalisation de cet essai constituant la phase finale du chantier. Quatre phases d’essais avaient été prévues, la dernière correspondant notamment aux essais dynamiques par paliers successifs jusqu’à des essais en survitesse sur les deux voies, la voie 1 (V1) destinée à relier Paris à Strasbourg ainsi que la voie 2 (V 2) destinée au trajet inverse. Le 11 novembre 2015, la V1 était qualifiée, la V2 restant en attente de qualification des défauts ayant été constatés, de surplus le relief de cette ligne était particulier.

Le tribunal relève la complexité du contexte organisationnel des essais liée à la relation entre les sociétés concernées.

Il n’est pas inutile de rappeler – de manière simplifiée – les rapports entre les différents prévenus, personnes morales et personnes physiques. La SA SNCF Réseau vient aux droits de l’EPIC SNCF Réseau suite à la réforme ferroviaire, issue de la loi du 4 août 2014, ayant fusionné RFF (Réseau Ferré de France) avec une partie de la direction Infrastructure de la SNCF, pour donner naissance à une nouvelle entité : l’EPIC SNCF Réseau. SNCF Réseau était le maître d’ouvrage lors de la construction de la LGVEE2. L’employeur des équipes de conduite était l’EPIC SNCF MOBILITES aux droits duquel vient la SA SNCF. SYSTRA était le seul prestataire des essais sur la ligne nouvelle de la LGVEE2 sachant que SNCF MOBILITES était son sous-traitant.

Une autre difficulté résultait du fait que les essais devaient se dérouler à la fois sur la nouvelle ligne et sur une portion de la ligne existante, laquelle supposait le respect d’une procédure particulière afin de garantir la circulation déjà effective des trains commerciaux alors que les règles de circulation édictées par SYSTRA étaient beaucoup moins strictes pour la nouvelle partie de la ligne. Pour les essais en survitesse, le système de contrôle des vitesses (COVIT) était shunté (désactiver), aucun système automatique ne venait donc provoquer un freinage d’urgence.

Le tribunal détaille ensuite les documents destinés à organiser les modalités de circulation des trains d’essais sur la partie nouvelle, à savoir le règlement temporaire d’exploitation et de sécurité (RTES) rédigé par SYSTRA entré en vigueur à compter de la mise en service de la voie et de la caténaire, le 30 août 2015, et la procédure autorisant les circulations d’essai (PACE) rédigée par SYSTRA. La version du 6 octobre 2015 comporte les fiches de poste de chacun à bord du train. Sur la voie nouvelle, l’essai était dirigé par un chef d’essai, salarié de SYSTRA, chargé d’établir une fiche vitesse du pilote traction comportant les vitesses maximales à respecter par l’équipe de conduite sur chaque portion de la ligne délimitée par des points kilométriques (PK). Le respect par le conducteur de cette fiche vitesse était supervisé par le CTT (cadre transport traction).

L’équipe de conduite du jour de l’accident avait déjà réalisé les essais en survitesse le 11 novembre 2015 sur la V1 et il découle de l’analyse des conversations en cabine de conduite un déroulement brouillon et précipité de la marche, l’équipe de conduite évaluant les distances de freinage au « jugé » ; au surplus, un incident de dépassement de vitesse au palier précédant le raccordement de Vendenheim n’avait fait l’objet d’aucune analyse.

Le tribunal se penche ensuite sur les choix des vitesses de validation effectués par la cheffe de projet et son adjoint au point où débutait la courbe du raccordement.

Selon les experts judiciaires, la décision prise par SYSTRA quant à la vitesse n’avait pas été accompagnée d’une analyse de risques suffisamment poussée, les documents à la disposition de l’équipe de conduite et les connaissances dont elle disposait ne lui permettait pas de conduire en toute sécurité en survitesse dans le raccordement de Vendenheim. Plusieurs reproches étaient faits à deux entités de la SNCF, l’EAST (attachée à la Direction de La Traction de SNCF Mobilités) et l’AEF (Agence d’Essai Ferroviaire de SNCF Mobilités), ainsi qu’à l’intégrateur SYSTRA.

Au-delà des aspects techniques, les juges d’instruction retenaient la distinction effectuée entre les différentes causes pour classer les auteurs au sens de l’article 121-3 du code pénal.

 

II. Les responsabilités pénales

Le tribunal explicite très clairement les termes de l’article 121-3 CP, insistant sur l’appréciation in concreto de la faute d’imprudence dont l’intentionnalité peut être très légère pour un auteur direct et la nécessité du lien de causalité entre la faute et le dommage. Ses termes mériteraient de figurer dans un ouvrage de droit pénal :

« L’article 121-3 du code pénal, en matière de délits non intentionnels, distingue deux situations, à l’aune desquelles la faute reprochée à un prévenu personne physique, pour recevoir la qualification de faute pénale, doit être analysée avec plus ou moins de sévérité :

– celle dans laquelle les actions reprochées aux personnes poursuivies ont directement causé le dommage, auquel cas une simple faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement suffit à engager la responsabilité pénale de son auteur, s’il est établi que ce dernier n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. L’intentionnalité de cette faute est par conséquent légère, et elle doit être appréciée in concreto ;

 – et celle dans laquelle ces actions n’ont pas directement causé le dommage, mais ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou démontrent que le prévenu n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, auquel cas une faute particulièrement volontaire, consciente, à l’intentionnalité caractérisée est exigée (la loi exigeant une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer). »

Les trois personnes physiques poursuivies, le conducteur Denis T., le CTT Francis L. et le pilote traction Philippe B.  sont ainsi considérées comme auteurs directs. Une faute simple suffit donc pour entrer en condamnation.

Les personnes morales ne bénéficient pas de la même bienveillance du code pénal lorsqu’il s’agit d’examiner leur responsabilité pénale en matière de délit non intentionnel. Que leurs actes aient été directement ou indirectement à l’origine du dommage, il suffit d’une imprudence, d’une négligence ou d’un simple manquement pour que la sanction pénale soit encourue. » Il en est ainsi pour les trois personnes morales poursuivies, SYSTRA, SA SNCF et SA SNCF Réseau dont la qualité d’auteurs indirects ne saurait influer sur leurs culpabilités.

Le tribunal rappelle que le lien de causalité doit être certain.

Le jugement, de manière remarquable, se prononce sur la gradation des fautes en présence de plusieurs prévenus en énonçant fort exactement que « La classification ou la gradation des fautes commises, sur une échelle de gravité, ou selon leur chronologie, ne saurait donc avoir pour conséquence d’exonérer les uns de leurs erreurs au prétexte que celles des autres prévenus seraient plus graves, prépondérantes, plus déterminantes, ou antérieures. Cette gradation des fautes respectives, une fois jugé qu’elles engagent chacune la responsabilité pénale de leur auteur, peut seulement avoir, dans un second temps, une incidence dans l’appréciation de la peine prononcée. »

Ainsi, en présence d’une pluralité de fautes de degré divers commises par les six prévenus, les fautes graves des uns ne sauraient exonérer les auteurs de fautes plus légères.

Ces principes essentiels étant rappelé, le tribunal se prononce sur la responsabilité des six prévenus, en commençant par celles des personnes physiques.

A. Les responsabilités des personnes physiques, auteurs directs

  1. Sur la responsabilité du cadre transport traction (CTT)

Francis L., CTT, est la personne physique à la responsabilité de laquelle le tribunal consacre l’essentiel de ses développements rédigés de manière très structurée.

a) Les missions et moyens du cadre traction (CTT) :

Un référentiel Missions du CTT DPX de l’EAST développe largement le contenu de la mission du CTT d’essai. Pour le tribunal ce document permet « de mesurer toute l’ampleur des responsabilités qui pesaient sur le CTT et son rôle majeur de coordination, d’interface et de garant de la sécurité, notamment en matière d’essais complexes et en survitesse. »

Ainsi, la mission d’un CTT d’essai va bien au-delà d’une simple mission d’encadrement et d’accompagnement, il devient véritable acteur du déroulement des essais.  Il assure également l’interface entre le chef d’essai et l’équipe de conduite. Un briefing cabine doit avoir lieu avant le départ de chaque marche et c’est le CTT qui est responsable du conducteur, il exerce sur lui un pouvoir hiérarchique.

Francis L. a confirmé ces pratiques et reconnu qu’il lui appartenait de surveiller l’exécution de ses consignes par le conducteur et, au besoin, de les ajuster.

Le tribunal en déduit que « Francis L. avait ainsi cette lourde et complète mission à endosser sur la campagne d’essai, et ses actions ou inactions, le 14 novembre 2015 et en amont, doivent être analysées au regard de l’ensemble de ces items dont la responsabilité lui incombait. »

b) La stratégie de freinage de la marche 318-006 :

Il s’agit ici d’apprécier deux stratégies de freinage, l’une au PK 400, l’autre au PK 402.

Les annotations figurant sur les documents de la marche de l’accident permettent de supposer qu’un débat s’est tenu lors du briefing en cabine de conduite sur ce point, mais aucune mention ne permet de savoir si le frein électrique devait être maintenu ou non entre le PK 397 et le PK 402. Selon les experts judiciaires, le train roulant à 330 km/h, le freinage maximum de service aurait dû être enclenché au PK 400.200 et non au PK 402, soit 12 secondes plus tôt, pour que la vitesse de 176 km/h soit respectée au PK 403.809, une décélération de 330 à 180 km/h sur une pente de 15 mm/m nécessitant 3670 m de freinage. Ils en ont déduit que « enclencher le freinage au PK 402 seulement conduira à passer le PK 403.809 à 270 km/h et à atteindre l’entrée du pont au PK 404.200 à une vitesse d’environ 250 km/h […] l’accident était déjà écrit sur les documents en possession de l’équipe de conduite ».

Ils ont néanmoins modulé cette affirmation en admettant qu’une autre stratégie – l’ajout du frein pneumatique – aurait été possible, mais sans aucune marge de sécurité. Faute d’annotation, le conducteur avait néanmoins respecté la stratégie de freinage définie.

A l’audience, Francis L. a plaidé qu’un freinage au PK 402 n’était pas une stratégie fautive. Toutefois, selon les experts, elle n’offrait aucune marge de sécurité et supposait d’être particulièrement bien exécutée. Il est cependant avéré que l’équipe de conduite n’était pas en mesure de calculer précisément des distances de freinage et le conducteur Denis T. a déclaré : « Ces Pk de freinage étaient déterminés « à la louche », en fonction de l’expérience et du ressenti ainsi que des freinages précédents ». Au-delà, aucun membre de l’équipe de conduite n’avait d’expérience en survitesse et avait pour seule référence la marche du matin nettement moins rapide.

Avec les seuls éléments dont Francis L. disposait avant la marche de l’accident, il était ainsi parfaitement déraisonnable de tenter une telle stratégie, insusceptible tout risque d’un dépassement de vitesse à l’entrée de la courbe du raccordement, par erreur d’appréciation, ou erreur humaine dans la réalisation.

Pour le tribunal correctionnel de Paris, « en se contentant d’annonces données à la hâte trois jours avant, à l’issue des marches du 11 novembre 2015, sans se soucier de savoir si ces recommandations avaient bien été prises en compte par le conducteur dans un contexte de marche différent, et bien retranscrites sur la feuille de marche, (…), Francis L. a indéniablement commis une imprudence, une omission, un manquement aux termes même de sa mission, qui a conduit Denis T. à réaliser un autre projet que celui qu’il prétend avoir eu en tête. »

Le tribunal ne s’arrête pas là et ajoute que la réalisation de la stratégie du prévenu avait été mal supervisée. L’action du conducteur aurait pu être corrigée si Francis L. avait été plus vigilant, il aurait dû constater que le conducteur, qui a bien enclenché le frein rhéostatique au PK 397 comme convenu, l’a relâché dès le palier 330 km/h atteint, avant de procéder à une légère accélération. Une telle manœuvre ne pouvait échapper à Francis L. Le CTT prétend avoir été distrait par un appel radio, cependant celui-ci n’a duré que 14 secondes et il restait suffisamment de temps pour corriger la mauvaise manœuvre du conducteur alors que dans les faits il est resté silencieux.

La juridiction considère que ces différents manquements « sont le résultat d’un manque complet de rigueur dans l’exécution de ses missions les 11 et 14 novembre 2015 », d’autant qu’il avait auparavant le temps de parfaire sa stratégie de freinage. Par ailleurs, Francis L. n’a tiré aucun enseignement des incidents survenus lors de la marche du 11 novembre 2015, et aucune remontée hiérarchique n’a été effectuée.

 

c) Des repères suffisants pour assurer la sécurité de la marche :

Le tribunal estime que : « si Francis L. avait rempli sa mission avec professionnalisme le 14 novembre 2015, en évitant toutes les imprudences, négligences, légèretés et omissions ci-dessus décrites, il aurait été en capacité de faire élaborer par son équipe, malgré son manque d’outils, de repères, et d’accompagnement, une stratégie qui aurait préservé le train de tout basculement lié à la vitesse. » Il est encore relevé que la stratégie de freinage du prévenu n’était pas conforme aux références dont il disposait.

Ces divers manquements conduisent le tribunal à engager la responsabilité pénale du CTT : « En conclusion, Francis L. a manqué à ses missions d’encadrement et de sécurité en n’exigeant pas de briefing avec le chef d’essai, en ne conduisant aucun briefing sérieux, clair et étayé avec son équipe sur la stratégie envisagée, ou en n’assurant pas une surveillance suffisante de son conducteur, alors qu’il en avait le pouvoir et les moyens. Ces manquements ont un lien certain et direct avec l’accident car malgré le peu d’outils dont il disposait, il était en capacité d’élaborer une stratégie de freinage plus sûre et de démontrer à son équipe que la stratégie finalement appliquée était inéluctablement accidentogène. Sa responsabilité pénale doit donc être engagée et il sera déclaré coupable des infractions qui lui sont reprochées. »

 

  1.  Sur la responsabilité du conducteur d’essai    

a) Les fonctions et missions du conducteur d’essai :

L’analyse des référentiels de la SNCF ainsi que les témoignages des rédacteurs de la consigne d’essai de SYSTRA et des membres de l’équipe EAST affectée aux essais révèle que le conducteur d’essai joue un rôle plus important que celui des conducteurs en exploitation commerciale. Les conducteurs d’essai disposent eux d’un profil spécifique, d’une longue expérience et sont rigoureusement sélectionnés. Il est précisé dans un document que le respect des aspects sécurité est placé sous la responsabilité de l’ensemble de l’équipe. Si une consigne temporaire de sécurité de l’AEF relative à la partie Réseau ferré national de la LGV Est et retrouvée à bord du train fait référence à la consigne d’essai de SYSTRA en vigueur sur le domaine privé, il existe toutefois un doute quant à l’applicabilité de cette consigne aux essais réalisés. Un autre document de l’AEF, à l’intention du personnel de conduite des essais, retrouvé à bord utilise les mêmes termes que le précédent : durant la période d’essai, « les agents de conduite sont responsables de la sécurité des circulations, du respect de la signalisation et des règlements de conduite. » Le tribunal en conclut que les conducteurs sont bien responsables de la sécurité de la circulation et que lors des essais ils ne sont pas que de simples exécutants.

Pour le tribunal, « bien que cette participation à la définition du cours de la marche ne soit pas explicitement décrite dans les référentiels, elle résulte avec évidence d’une situation objective dans laquelle le conducteur dispose de l’expérience, de la pratique, de la maîtrise de sa machine avec laquelle il fait corps, sur laquelle il est habilité ». Le CTT s’appuie sur l’expérience de conduite et le ressenti de la machine des conducteurs. Denis T. connaissait parfaitement ces pratiques et il peut lui être reproché de ne pas avoir donné un avis éclairé au CTT.

 

b) Les compétences du conducteur d’essai :

Denis T. disposait de la capacité à agir en préservant la sécurité du train, il avait notamment effectué précédemment des marches en survitesse et avait pu tester les distances et les capacités progressives de freinage. Lors de la marche du matin du 14 novembre 2015, il n’avait pas tenu le palier à 320 km/h, carence relevée par le chef d’essai qui lui avait demandé de tenir le palier à 330 lors de la marche suivante. Mais, pour le tribunal, Denis T. ne s’est pas livré à une analyse sérieuse de ce qu’il avait réalisé le matin et a proposé de faire plus audacieux encore lors de la marche 318-004 en termes de point de freinage, alors même qu’il devait rouler à une vitesse supérieure et qu’il ne bénéficiait pas de la même courbe de freinage. Le tribunal considère dès lors que Denis T., qui a perdu de vue l’impératif de sécurité, a commis une imprudence coupable, sa responsabilité pénale doit donc être engagée.

 

  1. Sur la responsabilité du pilote traction

Sont reprochés à Philippe B. une imprudence qu’il aurait commise en proposant, à l’instar de Denis T., un point de freinage accidentogène, ainsi que de ne pas avoir attiré l’attention de l’équipe de conduite sur les particularités de la voie quant à la pente et la courbe de raccordement. Ces deux manquements sont, conformément à l’article 121-3 CP, analysés in concreto, au regard de ses missions, de ses pouvoirs et de ses compétences.

a) L’étendue des fonctions et missions du pilote traction :

La ligne ne relevait pas de la réglementation ferroviaire applicable pour les essais sur le RFN, elle n’avait jamais été parcourue par des conducteurs TGV SNCF, qui n’y disposaient par conséquent d’aucune habilitation. En conséquence, un salarié de SYSTRA connaissant les particularités de la voie devait assister les équipes de conduite pendant les essais.  Il était prévu que « le conducteur est toujours accompagné sur le domaine d’essais par un pilote traction ».

Ce pilote traction était Philippe B., ancien conducteur de TGV de la SNCF à la retraite depuis 2013. Il avait signé  un contrat avec SYSTRA, le 22 juillet 2015, dans lequel était précisé que le pilote traction était chargé de « connaître parfaitement le profil et les caractéristiques de la LGVEE2, de renseigner le CTT ligne sur les caractéristiques de la LGV pendant les marches, de vérifier visuellement qu’aucun élément n’est susceptible d’entraver la circulation des rames d’essais et d’aviser par dépêches l’opérateur essais » Sa fiche de poste confirmait que « Le pilote traction est chargé de renseigner le Cadre transport traction ligne sur les caractéristiques de la LGV pendant les circulations d’essais. »

Mais pour le tribunal, « Malgré la clarté de ces documents contractuels, une certaine confusion des rôles et missions du pilote traction a pu infuser à la fois les consignes de sécurité mais aussi les esprits, ceux des recruteurs de Philippe B, ceux des équipes de conduite de l’EAST, et celui même du pilote traction, portant sur sa place au sein de la cabine de conduite, et l’étendue de son rôle dans la traduction des feuilles de marche en gestes métier. »

Philippe B. ne faisait pas partie de l’équipe de conduite, son rôle se limitant à l’informer des particularités de la ligne. Le tribunal correctionnel en déduit que Philippe B. a commis une imprudence en participant à un débat qui n’était pas de sa responsabilité et si cette imprudence était susceptible de peser sur les décisions de l’équipe de conduite, il n’avait en réalité aucun pouvoir pour discuter les décisions prises par le CTT en entente avec le conducteur. De plus, le CTT n’a pas toujours accordé de crédit aux raisonnements du pilote traction et aucun charisme ou ascendant de Philippe B. sur les autres membres de la cabine n’a jamais été signalé.

En définitive, « seuls Francis L. et Denis T. étaient chargés de la sécurité de la conduite sur cette marche, de par l’étendue de leurs missions. L’imprudence commise par Philippe B. n’est par conséquent pas pénalement répréhensible et sa responsabilité ne saurait être engagée parce qu’il a proposé ou acquiescé, sans réflexion suffisante, à la fixation d’un point de freinage trop tardif, sans avoir le pouvoir de l’imposer (relevant du seul CTT) ou de l’exécuter lui-même (relevant du seul conducteur). » L’irresponsabilité du prévenu sur ce point est donc la conséquence de son absence de pouvoir, tant de par son statut, que, de manière pragmatique, le jour de l’accident.

 

b) L’information donnée par le pilote traction sur les particularités de la voie :

La mission de Philippe B. consistait précisément à renseigner les équipes de conduite sur les particularités de la voie et il convenait de vérifier si cette mission avait été bien exécutée le 14 novembre 2015, si Philippe B. avait suffisamment informé l’équipe de conduite du profil de la voie au niveau du raccordement – pente, rayon de courbe et point de départ de la courbe – au niveau du raccordement afin qu’elle puisse prendre conscience du fait qu’une décision relative au point de freinage avait un impact bien plus important sur la sécurité qu’en ligne droite.

Or, les conditions dans lesquelles le briefing en cabine a été mené laissent supposer que l’équipe de conduite n’avait pas conscience de la dangerosité de la courbe, ce qui est confirmé par l’équipe. Il apparaît donc clairement que le pilote traction n’a pas rempli sa mission.

Le tribunal démontre que Philippe B. avait pourtant toutes les connaissances nécessaires pour exercer sa mission, il avait même emprunté le raccordement une trentaine de fois, dont une à pied sur 5 km. Il soutient que s’il n’avait pas été assez explicite le 14 novembre 2015, il avait attiré l’attention des équipes de conduite sur ce passage de nombreuses fois et, si les équipes changeaient, il avait renseigné Francis L., le conducteur transport traction, sur les particularités de raccordement et parcouru la voie avec lui à de nombreuses reprises. Plusieurs témoignages sont en sa faveur.

Le tribunal conclut de l’ensemble de ces éléments :

  • « d’abord que Philippe B. a été mis en mesure de remplir sa mission, même si les moyens ont parfois pu lui sembler insuffisants ;
  • qu’il connaissait ensuite parfaitement la ligne le 14 novembre 2015, après plus d’un mois et demi à la parcourir chaque jour ;
  • qu’il existe un doute sérieux sur le fait qu’il n’aurait pas suffisamment informé l’équipe de conduite de la marche de l’accident sur le danger de la pente et de la courbe du raccordement de Vendenheim, ces précisions ayant pu être données bien en amont de la marche de l’accident ;
  • enfin que la plus-value apportée par Philippe B. aux équipes de conduite n’était plus déterminante le 14 novembre 2015, auprès de personnels qui, en grande partie, avaient déjà parcouru tout le linéaire et avaient intégré les particularités de la voie avec l’expérience.»

Ainsi, « ce second grief n’est donc pas suffisamment étayé, ni en lien de causalité certain avec la décision de fixation du point de freinage au PK 402, pour qu’une quelconque responsabilité soit mise à la charge de Philippe B. au titre d’une faute commise dans l’exercice de ses missions. »

La faute n’étant pas suffisamment démontrée et le lien de causalité entre une faute éventuelle n’étant pas certain, Philippe B. est relaxé des infractions dont il est prévenu.

 

B. Les responsabilités des personnes morales

Pour engager la responsabilité pénale d’une personne morale, l’article 121-2 du code pénal exige l’identification d’un organe ou d’un représentant ayant agi pour le compte de la personne morale. Une telle identification n’est pas toujours aisée (J. Lasserre Capdeville, « La notion d’organe ou de représentant de la personne morale » : AJ Pénal 2018, p. 550) et la Chambre criminelle, tout en exigeant toujours cette identification semble afficher parfois une certaine souplesse (E. Dreyer, « Quasi-présomption d’intervention de l’organe ou du représentant (Crim. 15 fév. 2022, n° 21-82.165) » : Gaz. Pal. 10 mai 2022 p. 36). L’obligation de désigner un représentant pour condamner la SNCF suite à un accident a été affirmée depuis longtemps (P. Delebecque, « Accident de train et responsabilité pénale de la SNCF : l’infraction doit avoir été commise par les organes ou les représentants de la personne morale », note ss. Crim. 18 janv. 2000 n°99-80318 » : BJS août 2000 p. 808). Cependant, à l’évidence, les personnes physiques poursuivies ne sont pas des représentants des personnes morales (M-F Steinlé-Feuerbach, « Le pilote d’essai n’est pas le représentant de la société exploitante de l’aéronef » : JAC n°224, fév. 2023), en conséquence, pour se conformer exactement aux termes de l’article 121-2 CP, le tribunal prend soin, après s’être prononcé sur la faute, de désigner le représentant de chaque personne morale poursuivie susceptible d’engager la responsabilité pénale de celle-ci.

  1. Sur la responsabilité de la SA SNCF réseau

Il est reproché à la SA SNCF Réseau une mauvaise évaluation et prévention des risques liés aux circulations d’essais en survitesse pour n’avoir pas pris en compte le risque de déraillement et cela à la fois dans la mise en œuvre de son obligation générale de prévention des risques (art L. 4531-1 du code du travail renvoyant aux art. L. 4121-1 et 2 du même code) et dans le cadre de la mise en œuvre de son obligation de coordination générale de la sécurité (art. L. 4532-2 et s.) mettant à la charge du maître d’ouvrage une obligation de sécurité de son chantier.

 

a) Les essais, une activité faisant partie de l’opération de génie civil de construction de la LGVEE2 :

Le tribunal se concentre d’abord très longuement sur la qualification de l’activité d’essai, démêlant habilement les méandres organisationnels et contractuels de la personne morale pour en déduire, contrairement à ce que soutenait SNCF Réseau, que « la phase des essais faisait donc bien partie de l’opération globale de génie civil de la LGVEE2, et les obligations prescrites par le code du travail à la charge du maître d’ouvrage au cours de ce type d’opération étaient bien applicables à la SA SNCF Réseau pour cette phase. »

 

b) Le respect des règles de coordination de sécurité

Après une analyse de l’article L. 4532-2 du code du travail relatif à la coordination en matière de sécurité pour les chantiers où sont appelés à intervenir plusieurs entreprises ou travailleurs indépendants, le tribunal énonce que « Lorsque l’opération entre dans ce cadre, le maître de l’ouvrage doit désigner un coordonnateur de sécurité dès la phase d’élaboration du projet (L. 4532-4 du code du travail), s’assurer de son expérience et de sa compétence, et lui donner les moyens et l’autorité nécessaire pour accomplir sa mission (L. 4532-5 du code du travail). Le coordonnateur exerce ses missions sous la responsabilité du maître d’ouvrage (R. 4532-11du code du travail). »

L’opération de construction de la LGVEE2 devait respecter toutes ces exigences en matière de coordination de sécurité. Il importait de vérifier si tel avait bien été le cas notamment lors de la phase d’essais dynamiques au cours de laquelle l’accident est survenu.

Après de longs développements, certainement précieux pour les spécialistes de ces domaines, le tribunal correctionnel observe que le risque de déraillement en survitesse lié à la désactivation du système de sécurité du train n’est pas un risque de co-activité. Il n’y avait en réalité bord du train aucune co-activité au sens du code du travail.

Ce grief ne sera donc pas retenu : « Ainsi il ne peut être reproché à SNCF Réseau au titre du chapitre II du code du travail de n’avoir pas supervisé la coordination entre les acteurs des différentes entités au sein du train d’essai, de même qu’il ne peut lui être fait grief de ce que la sécurité du personnel à bord du train vis-à-vis du risque de déraillement lié à la survitesse n’ait pas été prise en compte dans le cadre de son obligation de coordination de la sécurité. »

 

c) L’obligation générale de prévention du maître de l’ouvrage :

Le tribunal se livre ensuite à l’étude des principes généraux de prévention édictés par l’article L. 4531-1 du code du travail étendus aux maîtres d’ouvrage en précisant l’absence d’une obligation de sécurité de résultat, la responsabilité est partagée avec le maître d’œuvre et avec le coordonnateur de sécurité. Dès lors cette responsabilité, qui est qualifiée de résiduelle, ne s’applique qu’aux décisions qui ne relèvent que d’eux.

L’article L. 4121-1 du code du travail impose au maître de l’ouvrage une vigilance particulière dans le choix des professionnels, obligation dont il ne peut s’alléger simplement qu’en recrutant des spécialistes. Le non-respect de cette obligation générale de prévention, si elle n’est pas sanctionnée pénalement en tant que telle, peut caractériser une imprudence ou une négligence.

Pour le tribunal, « Il est donc nécessaire de déterminer s’il peut être reproché à SNCF Réseau de ne pas s’être assurée que les risques liés à la circulation en survitesse des trains d’essai pour les personnes à bord du train soient pris en compte, dans le cadre de son obligation générale d’évaluation et de prévention des risques professionnels. »

La directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la sécurité des chemins de fer communautaires a contraint chaque État à se doter d’une autorité de sécurité ferroviaire indépendante. Elle a été transposée, en France, par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a créé l’EPSF (établissement public de sécurité ferroviaire). Cette autorité était chargée en 2015 d’autoriser tous les essais devant se dérouler sur le réseau ferré national. Étaient toutefois exclus les essais réalisés sur un « domaine privé » comme pour la partie nouvelle de la LGVEE2 ce qui, pour le tribunal, impliquait une vigilance particulière de SNCF Réseau.

Au sein de SNCF Réseau, le projet de la LGVEE2 était supervisé par la direction de la LGV Est Européenne, dirigée par Alain C. comme lors de la première phase de construction de la LGVEE. Il travaillait sur ce projet depuis 1992 et le tribunal souligne son implication et son professionnalisme, il entretenait des relations de proximité avec son homologue chez SYSTRA, Jean-Claude Z., les deux étant présents dans la rame le 14 novembre 2015. Le tribunal en déduit que « la SNCF Réseau, via Alain C, n’était pas un maître d’ouvrage novice ou distant, peu au fait des enjeux et exigences de sécurité. Elle avait toutes les données en main pour percevoir la portée et les risques des demandes effectuées et modifications de programme induites. »

Les choix initiaux faits par la maîtrise d’ouvrage, ont d’abord eu un impact conséquent sur les délais disponibles pour dérouler le programme d’essais et gérer les éventuels incidents.

Concernant l’élaboration du projet de la LGVEE2, le tribunal souligne qu’il a été dans une logique de rétroplanning interdisant tout retard, la date butoir de la mise en service commercial ayant été fixée au 3 avril 2016, la campagne d’essais dynamiques devant impérativement être terminée fin novembre 2015.

De plus, les négociations financières ont également eu un impact sur les modalités d’élaboration du programme d’essai. Plusieurs journées de marche initialement prévues ont été réalisées la même journée, il en a été ainsi des marches en survitesse sur le raccordement de Vendenheim.

Le tribunal en déduit : « Dès lors que l’accident a résulté notamment des difficultés de l’équipe de conduite pour gérer les transitions de vitesse entre pleine ligne et raccordement, et faire décélérer le train en sécurité de la survitesse en pleine ligne à la survitesse sur le raccordement alors que le contrôle de vitesse du train était désactivé, on mesure donc à quel point ces choix de programmation dictés par une méthode impérative de rétroplanning et par des considérations financières ayant conduit à limiter drastiquement le temps de location de la rame, ce qui laissait peu de marges à la gestion des aléas, ont pu contribuer à créer une situation qui a amené au désastre. »

Par ailleurs, est questionné le choix de partenaires contractuels et le souhait de mettre en avant des cabinets d’ingénierie extérieurs à la SNCF, alimentés initialement par du personnel SNCF. Pour la campagne LGVEE2, le programme initial des essais qui devait être appliqué à compter du 28 septembre 2015, avait été construit par SYSTRA avec l’aide de l’AEF qui avait également réalisé des études de faisabilité, pour confirmer que le train pouvait bien rouler aux vitesses prévues sur les différents tronçons de voie étudiés. Mais le programme initial élaboré par l’AEF avait subi des modifications qui, d’après le tribunal « ont placé l’équipe de conduite en difficulté ». Pour lui, l’accident ne se serait pas produit si les études de faisabilité effectuée par l’ingénieur de l’AEF avaient été suivies.

Le choix des vitesses d’homologation est également discuté. La question de ce choix s’est posée pour SYSTRA à plusieurs endroits de la voie, portant l’EPSF n’a jamais été questionné quant à ses exigences, il a simplement été procédé à une estimation à partir des campagnes précédentes alors que le profil non rectiligne de la voie posait problème et a conduit à autoriser les équipes de conduite à s’écarter des vitesses de circulation prévues dans les études préalables, SYSTRA a associé le maître d’ouvrage à ce choix. Ce dernier avait indiscutablement un impact sécuritaire.

Enfin, le processus normal de rattrapage a été profondément modifié en cours de campagne à la demande ou avec l’accord du maître de l’ouvrage, notamment quant aux journées en survitesse. Le programme des marches du 14 novembre 2015 ne permettait pas de respecter les dispositions contractuelles et selon le tribunal, le maître d’ouvrage a pêché par manque de vigilance. Il aurait dû observer que le processus normal de montée en vitesse n’était pas respecté et qu’un risque de sécurité pouvait émerger de cette reprogrammation.

Le maître d’ouvrage a donc été omniprésent de la négociation du contrat d’intégration jusqu’aux essais. Ses demandes ont toutes été suivies. « Ce poids et cette implication lui conféraient une responsabilité supplémentaire dans le domaine de la sécurité des essais en survitesse ». Lorsqu’il a constaté que le planning initial ne pouvait être tenu, « il a fait le choix, plutôt que de reporter une date de fin de projet ambitieuse, de modifier en profondeur un programme dont la logique et la progressivité avaient pourtant fait l’objet d’études préalables et de réflexions approfondies de l’intégrateur assisté de l’agence des essais ferroviaires, chevronnée en matière de planification d’essais. » Ces reprogrammations mises en œuvre par SYSTRA n’ont pas fait l’objet d’une véritable analyse des risques sur des zones qui n’avaient jamais été circulées en grande vitesse (le tronçon du PK 398.770 au PK 403.809 et le raccordement de Vendenheim).

Il en résulte que « Cette négligence dans le respect de son obligation de prévention qui aurait dû l’amener à s’interroger sur les risques induits par ses demandes, est en lien certain avec la survenance de l’accident. »

 

d) L’engagement de la responsabilité pénale de SNCF Réseau :

Ayant établi les fautes d’imprudence commises par la personne morale, il restait au tribunal à désigner son représentant. Après avoir étudié la chaîne de délégations signées par le PDG de l’organe dirigeant de l’EPIC SNCF Réseau, il constate qu’Alain C. disposait d’une délégation de pouvoirs en bonne et due forme, comportant expressément les aspects sécurité.  « Il a agi dans le cadre de cette délégation, dans l’intérêt et pour le compte de son entreprise, et a ainsi engagé sa responsabilité ». Il est à noter qu’aucune faute n’est reprochée à Alain C. ce qui n’est pas contraire à l’interprétation de l’article 121-2 dans le domaine des infractions non-intentionnelles (Crim. 14 sept. 2004, « la responsabilité de la personne morale n’est pas subordonnée à la caractérisation, à la charge de ses organes ou représentants, d’une faute entrant dans les prévisions de l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal » : Dr. pén. 2005, n°11, obs. M. Véron).

La SA SNCF Réseau est donc déclarée coupable « du grief qui lui est reproché au titre de la violation des dispositions des articles L. 4531-1 et suivants du code du travail. »

 

  1. Sur la responsabilité de la SA SNCF

Trois griefs sont adressés à la SA SNCF, venant aux droits de l’EPIC SNCF MOBILITES, comme causes de l’accident : « une formation insuffisante de son personnel, notamment de conduite ; un défaut de communication et de coordination avec l’intégrateur ; et une mauvaise analyse de risques, en sa qualité d’employeur. »

En réponse à la SNCF qui soutient en défense qu’aucune faute ne peut lui être imputée, en raison de l’imprévisibilité pour elle des éléments ayant entraîné de manière certaine le dommage, le tribunal se livre à une appréciation in concreto de la situation pour établir que SNCF SA avait dans le cadre des diligences normales relevant de sa mission, les moyens et le pouvoir de prévenir ces différents évènements.

a) Sur la formation des équipes de conduite de l’EAST :

A la SNCF qui considère que les raisons du freinage tardif n’ont pas été élucidées de manière certaine, le tribunal rétorque que des manquements ont été caractérisés à l’encontre de Francis L., le conducteur transport transaction (CTT), tenant au choix d’une stratégie risquée mal expliquée au conducteur de communication avec son équipe, mal expliquée au conducteur et qu’il convient de déterminer si elles ont ou non résulté d’une insuffisance de formation et de préparation qu’il conviendrait d’imputer à son employeur. Ensuite, étant donné la manière dont l’équipe de conduite a adopté une stratégie non sécuritaire, « il est donc nécessaire d’examiner si, dans sa formation et sa préparation, l’équipe de conduite de l’EAST avait été correctement armée pour répondre aux difficultés présentées par la marche 318-006 du 14 novembre 2015. »

Le code du travail impose à l’employeur plusieurs obligations de formation dont une obligation générale sur les risques pour la santé et la sécurité du poste de travail occupé (art. L. 4141-1 et suivants du code) ainsi que des textes réglementaires spécifiques, plus particulièrement pour la conduite de véhicules de toute nature, étant précisé que « En cas de changement de poste de travail ou de technique, le travailleur exposé à des risques nouveaux ou affecté à l’une des tâches définies à l’article R. 4141-15 bénéficie de la formation à la sécurité prévue par ce même article » ; également une obligation de formation dans le cadre de la formation professionnelle continue (art. L. 6321-1). Or, la réalisation d’essais d’engins de matériel roulant exige d’autres compétences que la conduite en exploitation commerciale.

Il est d’abord incontestable que la réalisation d’essais d’engins de matériel roulant, ou de ligne nouvelle présente pour les conducteurs et les CTT de nouveaux défis et exige d’eux de nouvelles compétences listées par le tribunal. Ce besoin de compétence spécifique est consigné dans des documents internes à la SNCF. Pourtant, aucune habilitation particulière n’était exigée.

En réalité, selon les témoignages unanimes de Denis T., de Francis L. et du second pilote, aucune formation spécifique ne leur été prodiguée. Ces propos ont été corroborés par les autres conducteurs et le CTT de la campagne. La formation semblait se résumer à un partage de connaissance entre les personnels concernés.

La SNCF a reconnu l’absence de formation spécifique, tout en soutenant que d’autres modes de transmission du savoir avaient été mis en place : le compagnonnage, le tuilage, et la désignation d’un CTT référent. Toutefois, ces modes de transmission du savoir se sont avérés dans les faits non satisfaisants, insuffisants, voire inexistants et les lacunes de formation se sont manifestées quant aux équipements de sécurité fondamentaux des essais de validation de la nouvelle ligne.

Par cette absence de formation, « la SNCF n’a pas mis Denis T. et Francis L. en capacité de déceler les risques et difficultés des essais qu’il leur a été demandé de réaliser les 11 et 14 novembre 2015, ni de se préparer et de se coordonner de façon satisfaisante avec le chef d’essai, et entre eux. L’approximation de leurs méthodes, leur absence apparente de conscience des dangers engendrés par ce type de marches et de la lourde responsabilité qui leur incombait résulte indéniablement d’une formation insuffisante, qui les a conduits à banaliser l’exercice. »

Le tribunal en déduit que « la SNCF avait par conséquent l’obligation, les moyens et le pouvoir de prévenir ces risques dont la matérialisation a conduit de manière certaine à l’accident. »

Il en a été de même en ce qui concerne les distances de freinage pour lesquelles la SNCF avait fait le choix de ne pas dispenser de formation préalable spécifique à ses équipes d’essai composées de ses tractionnaires habituels, avec comme résultat que les « Pk de freinage étaient déterminés « à la louche », en fonction de l’expérience et du ressenti ainsi que des freinages précédents. » L’écoute des vidéos GoPro du 11 novembre 2015 atteste de ces approximations.

En conséquence, la SNCF, en faisant le choix de recourir pour les essais à des conducteurs issus du monde de l’exploitation commerciale, sans leur apporter de formation théorique supplémentaire sur les distances de freinage, s’imposait une responsabilité supplémentaire : leur assurer d’exercer leur mission de conducteurs d’essai au cours de programmes d’essais adaptés à leur niveau de compétence, leur garantissant individuellement une prise de repères progressive sur la voie pour les mettre en capacité de faire freiner le train en toute sécurité.

Le tribunal considère « qu’il était particulièrement imprudent de ne pas fournir à ses équipes de conduite, mises à disposition d’un intégrateur distinct de l’AEF, et donc de la SNCF, tous les outils nécessaires pour faire face à des demandes impliquant des circulations à grande vitesse, et en survitesse. » Pour apprécier cette imprudence il était nécessaire de déterminer comment la SNCF a organisé le travail de ses équipes de conduite, sous la direction de SYSTRA.

 

b) Sur le manque de communication et de coordination avec SYSTRA :

Le seul interlocuteur de SYSTRA était l’AEF, à laquelle il appartenait de faire le lien entre SYSTRA et l’EAST lors de la préparation et de la réalisation des essais.

Plusieurs audits ont été réalisés pour améliorer la sécurité des essais et une consigne (TT 01500) a été rédigée pour formaliser les bonnes pratiques (utilisation de l’interphonie entre cabine de conduite et laboratoire, réalisation des briefings avec le chef d’essai, prise en compte de l’avis de l’équipe de conduite, transmission à l’avance des documents de préparation de l’essai). Il a été imposé que « l’EAST soit intégrée à ce processus [de conception et organisation d’un essai] le plus en amont possible afin d’apporter son expertise métier à l’évaluation et à la maîtrise des risques » ; pour « pour les essais complexes mettant en œuvre des circulations en survitesse ligne ou engin », l’EAST désigne un cadre traction en charge d’identifier les risques spécifiques et qui prend contact avec une personne identifiée à l’AEF.

La consigne TT 01500 a enfin prévu des modalités particulières de briefing, ainsi que leur traçabilité en cas de marche en survitesse, et la mise en œuvre d’un logiciel de surveillance de vitesse, s’appuyant sur l’alarme instabilité existant déjà, pour les marches en survitesse.

Ainsi, l’EAST doit être associée à l’analyse des risques, le plus en amont possible via un CTT référent, notamment en cas de survitesse avec contrôle de vitesse désactivé et l’EAST doit être destinataire des documents afférents aux circulations envisagées pour pouvoir étudier à l’avance parcours et difficultés des essais envisagés. La réalisation de marches en survitesse impose donc une collaboration renforcée pour assurer la sécurité des essais.

Or, cette consigne TT 01500, document interne à la SNCF destiné uniquement à s’appliquer dans les relations entre AEF et EAST sur des campagnes d’essai gérées en interne, n’était pas connu de SYSTRA qui avait rédigé sa propre consigne.

Sans aller plus avant dans les considérations de la juridiction sur la complexité des relations entre les différentes entités, le constat est fait que la SNCF n’a pas fixé à SYSTRA «  une quelconque exigence par rapport à l’association de la traction à l’analyse préalable des risques (comme cela ressort de la consigne TT 01500) ou à la conception du programme, et pour que SYSTRA intègre la notion de montées progressives en vitesse comme une condition de la réalisation des marches par les équipes de conduite en toute sécurité. En conséquence, il lui appartenait d’assurer elle-même une interface efficace entre ses équipes de conduite et SYSTRA et d’être vigilante quant au respect du programme initialement conçu. »

L’interface avec l’EAST fait également l’objet de sévères critiques. Alors que l’AEF a travaillé sur le projet depuis 2012, l’EAST n’a été saisie d’une commande d’effectifs qu’en juin 2015. Les CTT n’ont pas été associés à une quelconque analyse des risques avant le démarrage des essais.

Pour l’anecdote : Francis L. a obtenu les plans de signalisation par son neveu travaillant chez SYSTRA !!!

L’EAST n’a jamais été associée à une quelconque réflexion et les équipes de conduites ne recevaient les avis journaliers d’essai que la veille ou le matin même des essais, les fiches de vitesse ne leur étant communiquées qu’avant le départ de chaque marche et les conducteurs ne recevaient leur planning qu’au dernier moment.

La liste des manquements est longue et il est aisé d’en déduire « qu’une fois les équipes de conduite désignées par Jérôme A, la SNCF n’a pas veillé à ce qu’elles bénéficient de conditions de travail similaires à ce qui était préconisé pour des essais en interne. »

Concernant la surveillance de la programmation, avant la campagne d’essai, plusieurs documents avaient été élaborés entre SYSTRA et l’AEF pour une programmation commune entre les deux entités, dont le macro-planning du 3 avril 2014 définissant les grands principes à respecter pour les vitesses pour garantir l’absence de risque de basculement du train à la vitesse envisagée sur chaque tronçon. Ce programme prévoyait les premières semaines de montée en vitesse uniquement sur la pleine ligne, avec arrêt avant les raccordements.

Le tribunal considère que ce programme était satisfaisant et qu’au stade de la préparation des essais : « l’AEF avait coconstruit avec SYSTRA un programme conforme à ses habitudes, élaboré de façon à ce que des imprécisions quant au freinage de la rame ne soient pas susceptibles d’entraîner un quelconque accident. »

Le constat est toutefois fait que « SYSTRA a cependant rapidement apporté des modifications à ce programme qui auraient dû incontestablement alerter l’AEF. »

Il en a été ainsi du choix des vitesses de validation, notamment une demande exceptionnelle de Cécile L., cheffe de projet adjoint, dont, selon le tribunal « le caractère inhabituel et risqué était flagrant » quant aux vitesses de circulation dans le tunnel de Saverne et avant le raccordement de Vendenheim. Elle a réclamé à l’AEF « la disponibilité des relais verts dès le début de la campagne, alors même qu’aucune survitesse n’était planifiée, afin de pouvoir désactiver (“shunter”) le système de contrôle de vitesse du train tenant compte via la TVM des limitations plus impératives de vitesse de la signalisation. » Le tribunal s’interroge : « comment concevoir que l’AEF accepte le retrait des contrôles automatiques du train, en dehors de toute survitesse, pour faire échec aux séquences de décélération de la TVM, sans même consulter l’EAST et le CTT référent sur ce sujet, reportant toute la charge de la sécurité des personnels à bord sur ses équipes ? » C’est pourtant bien ce qui s’est passé et à plusieurs reprises, sans réaction de la SNCF.

SYSTRA n’a pas limité les modifications apportées au programme initial au seul choix de vitesses de référence distinct de celui que la SNCF pouvait penser logique et évident. Il a en effet été démontré que faute de journées de réserve suffisantes à un stade du planning où la réalisation des marches en survitesse, telles que prévues initialement, ne pouvait plus trouver de place, il était devenu nécessaire, à défaut de pouvoir repousser la date de fin des essais, de combiner plusieurs marches entre elles pour regagner le temps perdu.

Selon les experts aucun palier supérieur à 160 km/h n’avait été effectivement validé sur le tronçon s’étendant du PK 398.770 au PK 403.809.

La juridiction déduit des expertises que, « sur la campagne LGVEE2, la modification de la programmation aboutissant à l’introduction de marches en long en survitesse n’avait rien de classique ni d’ordinaire, parce qu’elle ne correspondait à aucune logique de construction du programme. Elles ont été planifiées les 11 et 14 novembre 2015, sans que personne ne s’assure ni de ce que l’équipe de conduite prévue ces jours-là ait bénéficié de suffisamment de marches antérieures, au moins sur la pleine ligne, ni qu’elles soient précédées de suffisamment de marches de montées en vitesse pour que l’équipe de conduite puisse appréhender au mieux les distances de ralentissement nécessaires avant l’entrée sur le raccordement. » Pourtant, la reprogrammation avait été faite suffisamment à l’avance pour que ses lacunes soient identifiées par la SNCF.

« Ainsi la SNCF a commis à l’égard de ses équipes de conduite de lourdes négligences, susceptibles de les placer en situation de grande difficulté, en « fournissant » ces équipes à SYSTRA sans lui donner de mode d’emploi, sans lui poser d’exigence ni de limite dans la manière dont elle allait pouvoir utiliser son propre personnel, et sans veiller elle-même à ce que ces équipes ne soient pas confrontées à des missions à la limite de leurs compétences, dont la SNCF avait parfaitement conscience. »

Par ailleurs, un logiciel de surveillance de vitesse avait été développé par l’AEF à la suite d’incidents de dépassement de vitesse sur le RFN, il permettait de contrôler la faisabilité du polygone de vitesse en fonction des capacités de décélération prises en compte. En entrant les données de la marche du 14 novembre 2015 dans ce logiciel celui-ci signale immédiatement une distance de freinage insuffisante sur le tronçon compris entre le PK 398,770 et le PK 403,809, et suggère de limiter la vitesse cible sur ce tronçon à 309 km/h. Si ce logiciel avait été utilisé l’accident aurait été évité, or son existence n’a pas été partagé avec SYSTRA, ce qui explique qu’aucune alarme ne s’est déclenchée le 14 novembre 2015.

La SNCF a donc mis à disposition de SYSTRA ses équipes de conduite, sans leur garantir non plus l’utilisation d’un outil destiné à préserver la sécurité du train et à parer à toute erreur humaine possible, alors que l’usage de cet outil était devenu obligatoire dans le cadre des essais AEF-EAST. Cette négligence a conduit à faire reposer la sécurité des survitesses sur les seules équipes de conduite, alors que ni leur formation, ni leur accompagnement sur la campagne ne leur permettaient de faire face aux demandes de marches des 11 et 14 novembre 2015 avec une marge de sécurité satisfaisante.

« En conclusion, alors que la SNCF défend une formation de ses équipes parfaitement ajustée à la manière dont doivent se passer les essais, cette posture impliquait plusieurs obligations :

  • fournir à SYSTRA les éléments nécessaires pour apprécier comment et dans quelles conditions travaillent des équipes de tractionnaires ;
  • à défaut, s’assurer que SYSTRA associe suffisamment les équipes de conduite à la préparation et à la programmation des marches, conformément à ses propres référentiels ;
  • à défaut encore, veiller de manière proactive à ce que SYSTRA utilise ses équipes dans le cadre d’un programme qu’elles ont les compétences de mettre en œuvre ;
  • à défaut garantir à ses équipes de conduite l’existence d’une boucle de rattrapage fiable de leurs erreurs humaines possible .»

Mais aucune de ces obligations n’a été remplie or, si une seule d’entre elles l’avait été les lacunes dans la formation de conduite des équipes n’auraient jamais entraîné l’accident.

 

c) Une analyse de risques insuffisante :

La SNCF est bien poursuivie en tant qu’employeur puisque son personnel était à bord, elle devait donc respecter les dispositions des article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail relatives à la sécurité de ses salariés. Il a été constaté précédemment une formation insuffisante des équipes de conduite, une analyse superficielle et incomplète des dangers et des besoins induits par les souhaits de reprogrammation de SYSTRA, un manque de communication et d’échange avec SYSTRA sur les modes de collaboration et outils techniques pour garantir la sécurité du train et de ses passagers.

La SNCF s’était bien livrée à une analyse des risques de manière générale comme le démontre la consigne TT 01500, mais elle a été défaillante dans la mise en œuvre de ses propres préconisations. Le tribunal détaille ensuite tous les manquements en disséquant la NPSPS (note particulière de sécurité et de protection de la santé) bien trop sommaire rédigée par la SNCF.

En rappelant toutes les carences constatée le tribunal estime qu’elles sont « constitutives de négligences sans lesquelles ce risque aurait pu être pris en compte et géré sur l’ensemble de la ligne à valider. »

 

d) Sur l’engagement de la responsabilité de la SNCF :

Restait encore à désigner un représentant, tâche particulièrement délicate étant donné les différentes délégations de pouvoirs données tant à l’AEF qu’à l’EAST. L’AEF est structurée en plusieurs pôles dont le pôle « dynamique et structure » managé par Jérôme C. S’agissant de l’EAST, son chef Jérôme A. disposait d’une délégation de pouvoirs implicite.

Contrairement à la désignation purement formelle du représentant que la juridiction avait effectuée pour engager la responsabilité de SNCF Réseau dont aucune faute n’avait été caractérisé à son encontre, il est ici précisé que c’est « à travers les actes ou omissions commis par Jérôme C. et Jérôme A. que la responsabilité de la SNCF est recherchée. »

Jérôme C. devait assurer la coordination avec l’EAST à la fois dans la préparation du programme et au moment de ses modifications, ce qui n’a pas été fait. De plus, alors qu’il avait connaissance de l’existence du logiciel de surveillance de vitesse, qu’il soit utilisé sur la totalité de la campagne. Jérôme A., quant à lui, devait veiller à la compatibilité entre les compétences de ses tractionnaires et les missions qu’il leur était demandé de réaliser. S’il a pris de bonnes décisions comme la création du CTT référent, sa veille a été insuffisante, mais cela ne peut lui être reproché à titre personnel dès lors, qu’arrivé à la tête de son service qu’en juillet 2014, il ne disposait pas du recul nécessaire.

 

  1. Sur la responsabilité de SYSTRA

Il est reproché à SYSTRA une mauvaise coordination avec son sous-traitant, la SNCF, un défaut de formation de son personnel, un choix de palier dangereux, et une analyse de risques insuffisante.

La société SYSTRA avait une triple obligation de veiller à la sécurité du projet : en sa qualité d’intégrateur et de seul interlocuteur du maître de l’ouvrage et de ses coordonnateurs SPS d’abord ; en sa qualité d’entreprise principale responsable du projet ensuite ; et enfin en sa qualité d’employeur. Plusieurs obligations découlent du marché d’intégration, l’intégrateur étant le responsable du pilotage et de l’organisation de l’ensemble de l’opération, « il portait donc à l’égard du maître de l’ouvrage la responsabilité de la sécurité afférente à ces prestations du contrat, même s’il a fait le choix de les sous-traiter ensuite. »

Il résulte encore du contrat de sous-traitance que la sécurité à bord du train ne relevait que de SYSTRA. « Ainsi il appartenait bien à SYSTRA, tant légalement que contractuellement, de réfléchir et de veiller à prévenir l’ensemble des risques du projet, sur la voie, au cours des circulations, et dans le train. » Dès lors, SYSTRA ne pouvait prétendre que la sécurité de la conduite n’était pas de son ressort.

Le tribunal décrit ensuite le rôle du chef d’essai lors des essais de montée en vitesse, celui-ci a « donc totalement la main sur l’écriture de la « partition » à réaliser par l’équipe de conduite » et la mise en œuvre d’une partition sécuritaire dépend des échanges entre les conducteurs et le chef d’essai afin de prendre la mesure des difficultés éventuelles de conduite.

Pour ce qui est du freinage, un échange est explicitement prévu et le chef d’essai doit tenir compte des observations du CTT pour assurer la sécurité de la marche. Pour ce qui est du pilote traction présent dans la cabine de pilotage, son rôle est de renseigner l’équipe de conduite sur le profil de la voie.

SYSTRA devait s’intéresser au cadre de travail des équipes de conduite et leur accorder une place correspondant à celle qu’auraient dû occuper des acteurs de la sécurité, qu’importe que son sous-traitant soit un spécialiste.  « A l’égard de ses salariés, et de son maître d’ouvrage, SYSTRA avait en tout état de cause le devoir de s’assurer de la conduite en sécurité du train. »

 

a) Une analyse de risques insuffisante :

Le risque qui n’avait pas suffisamment été pris en compte n’était pas celui de déraillement, mais le risque spécifique de déraillement lors d’un dépassement de vitesse dans le cadre d’essais en survitesse réalisés sans le contrôle de vitesse automatique du train.

Si en circulation commerciale, des systèmes de sécurité ont été développés de telle sorte qu’un déraillement devienne impossible, sur une campagne d’essai avec la désactivation du système de contrôle automatique du train, délivrer à l’équipe de conduite une fiche de vitesse mentionnant des points kilométriques entre lesquels une vitesse maximale autorisée est indiquée ne peut évidemment pas être considéré comme suffisant pour prévenir tout dépassement de vitesse aux PK indiqués. « La société SYSTRA ne peut donc alléguer avoir rempli son obligation de sécurité et de prévention du risque de déraillement en délivrant un document interdisant à l’équipe de conduite de franchir les vitesses maximales indiquées. »

Aucun expert en matière de conduite n’a participé à l’analyse des risques faite par SYSTRA et le risque de dépassement de vitesse lié à la réalisation de marches en survitesse avec inhibition du COVIT n’y est pas envisagé comme cause possible d’un déraillement. Le tribunal déplore que l’analyse de risques, « abordant de précieux items, n’ait pas conduit ses rédacteurs à élaborer immédiatement des contre-mesures concrètes et qu’elle n’ait pas réellement été prise en compte au stade de la rédaction effective des documents opérationnels : des risques qui ont parfaitement été identifiés, n’ont ainsi pas reçu de réponse complète et adaptée » et en conclut que « l’analyse de risques de SYSTRA apparaît comme un document purement formel, rédigé en interne pour les besoins de la procédure, mais dont le contenu et les suites n’ont vraisemblablement pas été conçus sur le plan opérationnel. Il s’agissait d’un document intéressant, bien qu’incomplet, mais totalement dépourvu de portée et d’efficience. »

 

b) Une formation insuffisante du personnel d’essai :

Le tribunal s’est encore interrogé sur la formation et l’expérience du personnel de SYSTRA affecté à la campagne : Cécile L., Philippe B., et Freddy M. Il est établi que les deux premiers ont bénéficié d’une formation suffisante mais qu’en revanche il n’en a pas été de même pour Freddy M., lequel, de surplus, n’a pas eu de binôme, et a été directement affecté à son poste de chef d’essai.

Cette situation a été lourde de conséquences. Il est relevé que Freddy M. a commis deux erreurs cruciales le 11 novembre 2015, qui démontrent ses lacunes sur le sujet de la sécurité des circulations sans COVIT. « Ce manque de formation, ou à tout le moins d’accompagnement et de sensibilisation à l’importance des échanges avec les conducteurs du train, a indéniablement conduit à créer les conditions de survenance de l’accident. Ce grief est par conséquent également fondé. »

 

c) Un défaut de communication et de coordination avec l’AEF

Il est reproché à SYSTRA de ne pas avoir communiqué au personnel de conduite suffisamment à l’avance les documents nécessaires à la prise en considération des contraintes propres à la marche 318-006 du 14 novembre 2015, cependant il n’est pas démontré que cette lacune soit en lien de causalité certain avec l’accident. N’est pas davantage retenu le fait que SYSTRA n’ait pas mentionné dans la fiche de vitesse du pilote traction les phases de transition entre paliers, et de ne pas avoir défini dans ses consignes un processus de retranscription de la FVPT en gestes de conduite.

En revanche, s’agissant des vitesses il est établi que SYSTRA n’a pas respecté dans sa reprogrammation les exigences de sécurité sur le tronçon précédant le raccordement de Vendenheim, aucune marche intermédiaire n’a été réalisée alors que des marches supplémentaires auraient permis à l’équipe de conduite d’adapter son freinage à l’approche du raccordement. « En s’affranchissant de la contrainte de franchir tous les paliers intermédiaires que son choix de valider la voie à 330 km/h sur ce tronçon imposait d’autant plus, SYSTRA a commis une faute qui est en lien certain avec l’accident. »

Il est aussi fait grief à SYSTRA de ne pas avoir tenu compte des contraintes, besoins et alertes des équipes de conduite alors que la coordination opérationnelle sur le train n’était pas assurée par la SNCF mais par le chef d’essai SYSTRA. Les experts ont indiqué que « ce n’est pas parce que la prestation de conduite était sous-traitée que SYSTRA devait se désintéresser des conditions de sa réalisation, et en particulier celles relatives à la sécurité de la marche du train ».

Au-delà, SYSTRA a procédé à la reprogrammation, sans s’adresser à l’AEF laquelle n’a été questionnée que sur la disponibilité des équipes.

 

d) Un choix de palier dangereux et inutile :

Il est aussi reproché à SYSTRA d’avoir présenté à l’équipe de conduite une feuille de marche avec une vitesse de 330 km/h entre le PK 398.770 et le PK 403.809, sans un palier de vitesse à 187 km/h entre le PK 400.880 et le PK 403.809 alors que l’AEF avait proposé deux documents et une étude dynamique du raccordement de Vendenheim destinée à déterminer si le train pouvait rouler en sécurité sur la voie aux vitesses prévues pour une vitesse de validation de 187 km/h sur ce tronçon.

Pour le tribunal, il y a une certitude : « si ce palier intermédiaire avait été prescrit dans la FVPT, une erreur dans la stratégie de freinage choisie n’aurait jamais entraîné l’accident, puisqu’elle aurait été commise en ligne droite, en amont du PK 400.880, plusieurs kilomètres avant la courbe, et que ce palier intermédiaire à basse vitesse offrait une marge de sécurité satisfaisante avant l’entrée sur le raccordement. Un lien de causalité certain, bien qu’indirect, existe donc entre le choix fait par SYSTRA et la survenance de l’accident. »

Les aspects techniques de ce choix de validation sont longuement débattus. Le BEA-TT n’a pas considéré que le choix de valider la voie à la vitesse de signalisation la plus élevée devait figurer dans son arbre des causes de l’accident, le tribunal estime que « Sur le plan pénal cependant, si ce choix de vitesse de validation ne peut être considéré comme fautif au seul motif qu’il aurait été fait en violation d’une règle prescrite par une norme ou un référentiel, il est nécessaire de déterminer s’il n’était pas particulièrement imprudent, sans autres précautions destinées à garantir que les objectifs de ce choix de vitesse de « fond de ligne » étaient bien compris par tous. » Cette prise de position illustre bien le fait que la juridiction qui n’est pas lié par le rapport du BEA et, qu’ainsi que l’affirme Claude Guibert en matière aérienne, « Il est donc bien nécessaire de faire prospérer deux enquêtes distinctes et complémentaires : l’une administrative et l’autre judiciaire » (C. Guibert, « Regard de l’expert en aéronautique sur la judiciarisation des catastrophes » in La judiciarisation des grandes catastrophes – Approche comparée du recours à la justice pour la gestion des grandes catastrophes (de type accidents aériens et ferroviaires) ss. la dir. de C. Lacroix et M-F Steinlé-Feuerbach, Dalloz Thèmes et Commentaires 2015, p.159 et s.)

Il résulte du contrat EURAILTEST l’obligation pour SYSTRA de fournir une commande tenant compte de ces phases de ralentissement, celles-ci devant pouvoir être réalisées dans de bonnes conditions de sécurité, et sans utilisation du freinage maximal de la rame était imposée dans le contrat de sous-traitance. Il importait encore à SYSTRA de tenir compte de la capacité des matériels roulants. « De ce fait, si le choix de valider la ligne nouvelle à la vitesse de « fond de ligne » – c’est-à-dire de la vitesse de signalisation ne tenant pas compte des limitations plus impératives de vitesse – n’était pas fautif, dans l’absolu, il devait néanmoins s’accompagner, sur ces zones particulières de décélération en sortie de LGV, de précautions dont l’initiative ne reposait évidemment pas que sur l’équipe de conduite. »

Malgré plusieurs avertissements, Cécile L. persistait à faire le choix de la vitesse de « fond de ligne » dans toutes les zones de ralentissement prévues par la TVM ce qui la conduisait à solliciter l’inhibition du système de contrôle de vitesse du train dès le début de la campagne alors que ce dispositif devait en principe ne concerner que les marches en survitesse.

Ce choix de palier ne laissait aucune marge de sécurité avant la courbe du raccordement en cas d’erreur de conduite, la sécurité de la marche ne reposait plus que sur l’humain ; aucune analyse de l’incident du 11 novembre 2015 ayant été faite et sans briefing sérieux avant la marche, ce choix de palier est devenu selon le tribunal « particulièrement dangereux et imprudent. »

Les « erreurs cumulées n’auraient jamais eu de telles conséquences si un choix plus raisonnable de palier avait été opéré, et si un palier supplémentaire de décélération avait été imposé aux équipes de conduite avant la courbe. Il caractérise donc une cause indirecte mais certaine du dommage, sans laquelle l’accident ne serait jamais survenu. »

 

e) L’engagement de la responsabilité pénale de SYSTRA :

La recherche du représentant conduit à écarter Cécile L. qui assurait la direction du projet d’intégration, car elle ne elle ne disposait que d’un simple mandat d’affaires.

L’organigramme des délégations désigne Jean-Claude Z., Directeur Adjoint France en charge de grands projets ferroviaires et projets innovants, qui reconnait avoir supervisé le projet de longue date et a été impliqué dans les choix de reprogrammation. Il a participé aux réunions destinées à choisir le personnel qui serait employé sur la campagne d’essai, et notamment Freddy M. « Par conséquent, Jean-Claude Z., en chapeautant les cheffes de projet successives et en validant toutes les décisions qui ont contribué à la survenance du dommage, a engagé la responsabilité pénale de la société SYSTRA. »

 

En conclusion, le tribunal correctionnel de Paris énonce que « les fautes successives de chacun des prévenus : l’impatience du maître de l’ouvrage, l’empressement de SYSTRA à satisfaire son client, l’absence de vigilance de la SNCF, la légèreté de l’équipe de conduite, ont toutes conduit à l’accident. Si un seul des prévenus avait rempli sa mission avec prudence, même à l’exception de tous les autres, l’accident aurait été évité.

Francis L, Denis T, la SA SNCF Réseau, la SA SNCF et la SA SYSTRA sont par conséquent tous responsables pénalement des homicides et blessures involontaires commis. »

 

Sur les peines

Le tribunal se veut particulièrement pédagogue en rappelant les fonctions de la peine selon l’article 130-1 du code pénal : punitive, dissuasive et réparatrice, elle doit concilier la protection de la société et l’intérêt des victimes ainsi que favoriser la réinsertion du condamné.

Il rappelle également les termes l’article 132-1 du code pénal sur l’individualisation de la peine.

Il ajoute encore qu’au-delà de sa fonction dissuasive, la peine doit réparer le trouble causé à l’ordre public par l’auteur de l’infraction.

La juridiction revient sur les attaques du 13 novembre 2015, veille de l’accident, ayant pu dans un premier temps faire penser à un attentat, actualité plus grave car résultant d’actes volontaires et terroristes, en considérant que le déraillement d’Eckwersheim « a causé un trouble exceptionnel à l’ordre public, en raison du caractère inconcevable du déraillement d’un tel moyen de transport, considéré y compris par les professionnels comme le plus sûr de tous, et de l’absolue gravité de son bilan, lié à la vitesse particulière de circulation du TGV et à la violence consécutive du choc provoqué. »

Le jugement ajoute que le sentiment profond d’injustice qu’il a provoqué parmi les proches des victimes est principalement le résultat de l’initiative prise par SYSTRA, approuvée par ses partenaires, d’accueillir à bord de la rame d’essai des passagers non professionnels qui n’avaient pas conscience que les marches d’essai étaient destinées à tester le train en survitesse, sans système automatique de sécurité.

« Cette grave imprudence, résultant indubitablement d’une inexcusable inconscience du danger plutôt que d’un mépris du risque ou de la vie des personnes concernées, a considérablement accru le bilan humain de l’accident et entraîné une profonde incompréhension des victimes, renforcée par la résonance médiatique des vidéos du 11 novembre 2015 imprimant dans l’esprit collectif le sentiment désastreux de l’incompétence et du manque de préparation des équipes des sociétés concernées. Les huit années d’investigations complexes et de procédure d’indemnisation n’ont pas effacé les douleurs, l’émotion et le traumatisme, encore palpables à la barre du tribunal, elles aussi entretenues par les dénégations de concert de tous les prévenus. A ce titre les peines prononcées doivent avoir une vertu réparatrice que la loi reconnaît. »

 

Francis L., conducteur transport traction (CTT), qui n’a pas été sanctionné en interne, bénéficie de trois circonstances atténuantes : « il n’a pas démérité tout au long de la campagne d’essai, investissant avec sérieux ses missions de vigilance et de sécurité, jusqu’aux journées de marches en long; la charge morale de l’accident a ensuite lourdement pesé sur Francis L. et profondément modifié son parcours professionnel, son estime de lui-même, et sa santé personnelle, son attitude défensive à l’audience a mal dissimulé un sentiment de culpabilité lourd et latent dont l’aspect punitif doit suffire à couvrir cette dimension traditionnelle de la peine ; enfin il a été mis en difficulté par son propre employeur et placé dans une situation dans laquelle il aurait dû être accompagné, outillé, tutoré.

Il sera condamné à une peine d’emprisonnement de quinze mois, assortie intégralement du sursis simple.

 

Denis T., pilote traction, qui n’a pas non plus fait l’objet de sanctions internes a été accompagné à sa reprise pour pouvoir progressivement reprendre la conduite de TGV. Il est le dernier maillon de la chaîne de sécurité avant l’accident. Il a aussi « pâti d’avoir été placé dans une situation qui exigeait de lui une rigueur totale et une réflexion sans faille, à un stade de la campagne où le relâchement était palpable et l’enthousiasme de la fin des essais réel. »

Il sera condamné à une peine d’emprisonnement de sept mois, assortie intégralement du sursis simple.

 

La société anonyme SNCF Réseau avait déjà fait l’objet de deux condamnations blessures et d’homicide involontaire au moment des faits dont une amende de 400 000 euros par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains (« Accident collectif, collision entre un train et un car scolaire : un jugement remarquable (Trib. corr. Thonon-les-Bains, 26 juin 2013) » : JAC n° 136, juil. 2013). L’état de récidive sera donc retenu. Les orientations stratégiques, le calendrier et les desiderata de la SA SNCF « avaient conduit les opérateurs à travailler dans des configurations organisationnelles complexes et propices à la déresponsabilisation, et à effectuer des choix de circonstance inhabituels, sans réflexion suffisante sur la sécurité. » Il est remarquable que le tribunal justifie le prononcé d’une amende de 150 000 euros par sa volonté « de dissuader la SA SNCF Réseau d’imprimer à l’avenir de telles orientations sans s’assurer de manière suffisante que la temporalité de ses projets soit de nature à préserver sans compromis l’impératif de sécurité ».

 

Le casier judiciaire de la société anonyme SNCF fait mention de de vingt-cinq condamnations prononcées entre les 18 novembre 1999 et 25 janvier 2021, dont treize pour homicide involontaire. Il est précisé qu’une condamnation prononcée le 26 octobre 2022 par le tribunal judiciaire d’Evry dans l’affaire dite de « Bretigny-sur-Orge » à une amende de 300 000 euros pour des faits d’homicides et blessures involontaires consécutifs au déraillement d’un train en gare le 12 juillet 2013 (« Déraillement de Brétigny-sur Orge : condamnation de La SNCF et indemnisation en demi-teinte des victimes (Trib. corr. d’Évry, 26 oct. 2022 : JAC n° 222, déc. 2022), devenue définitive, ne figure pas encore sur le casier judiciaire. La récidive est à nouveau retenue. « La responsabilité de la SNCF ne peut qu’être considérée comme centrale dès lors que les fautes ayant directement conduit à la catastrophe ont été commises par son propre personnel, mal préparé à intervenir dans un schéma organisationnel inhabituel, et confronté à une programmation que son employeur ne devait pas accepter. » Comme pour SNCF Réseau, la peine de 400 000 euros prononcée se veut exemplaire : « afin d’inciter la SNCF à toujours placer au premier plan la sécurité des conditions de travail de ses salariés, quel que soit le contexte contractuel dans lequel elle y a recours ou le partage de savoir-faire que cela peut impliquer avec d’autres opérateurs. »

 

La société anonyme SYSTRA révélant un manque d’expérience opérationnelle, elle n’a jamais voulu admettre la précipitation de ses chefs de projet. L’impact de ses négligences a été décuplé par le choix d’inviter des tiers dans la rame d’essai. Une amende de 225 000 euros est prononcée « afin d’inciter SYSTRA à adopter des processus de sécurité à la hauteur des enjeux des projets qu’elle coordonne, et de se saisir pleinement de son rôle de responsable de la sécurité quels que soient ses partenaires et leurs compétences supposées, enfin de dissuader définitivement SYSTRA d’associer du public, par excès de confiance, à des évènements purement professionnels. »

 

Aucun appel n’ayant été interjeté dans le délai légal de dix jours suivant le délibéré, ces condamnations sont définitives, seule la procédure au civil pour les indemnisations va se poursuivre. Pour Me Claude Lienhard, « C’est une bonne chose. Un nouveau procès aurait ravivé des cicatrices et des blessures (…) les condamnations sont satisfaisantes » (DNA, 23 oct. 2024).

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