Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DÉRAPAGE PROVOQUÉ PAR UNE ORANGE ECRASÉE SUR LE SOL ET RESPONSABILITÉ DE L’EXPLOITANT DU MAGASIN, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite à l’université de Haute-Alsace

 

Commentaire de CA Douai, 3 février 2022, n° 20/04233

 

La cliente d’un magasin a chuté et s’est blessée parce qu’elle a glissé sur un fruit écrasé qui trainait sur le sol de l’établissement où elle s’était rendue. La responsabilité de la direction de la Jardinerie est engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses car l’exploitant est gardien du sol, or le sol n’était pas en position normale au moment des faits. En effet, le personnel n’avait pas procédé à un nettoyage alors qu’une orange écrasée rendait le sol dangereusement glissant.

 

Mots-clés : chute d’une cliente – dérapage sur une orange écrasée – responsabilité du fait des choses – position anormale du sol liée au fruit écrasé – sol anormalement glissant – défaut d’entretien et de nettoyage du sol – absence de cas de force majeure – lien de causalité entre la chute et le dommage -indemnisation de la cliente

Pour se repérer

En 2014, la cliente d’un magasin a été victime d’une chute qui lui a causé une fracture de l’humérus. En effet, dans cet établissement elle a dérapé sur une orange écrasée sur le sol et s’est gravement blessée. Estimant que la direction de la Jardinerie d’Hesdigneul était responsable du dommage qu’elle avait subi, la cliente s’est rapprochée de Groupama, assureur de l’établissement pour réclamer une indemnisation de son préjudice, soutenue dans cette démarche par la Macif, son propre assureur.

Groupama rejetant la demande, la victime a assigné la Jardinerie et son assureur aux fins de voir ordonner une expertise médicale et fixer une provision de 3 000 euros. Le juge des référés a ordonné en 2015 qu’il soit procédé à l’expertise et après avoir obtenu le rapport médical en 2016, la cliente blessée a assigné la Jardinerie, Groupama et la CPAM de Blois devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer en 2019, aux fins de les voir condamner au paiement de 350 000 euros pour le préjudice qu’elle a subi et d’obtenir une contre-expertise avec désignation d’un expert mission Dintilhac.

Le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a reconnu la responsabilité de l’établissement le 21 juillet 2020, estimant que la Jardinerie avait commis une faute engageant sa responsabilité civile dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat sur le fondement de l’article L. 221-2 du Code de la consommation (devenu art. L. 421-3), suivant le raisonnement tenu précédemment par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 20 sept. 2017, n° 16-19.109). En conséquence, les juges ont condamné l’établissement et son assureur à réparer la totalité des dommages subis par la personne victime d’un dérapage provoqué par un fruit écrasé sur le sol, mais ils ont rejeté la demande de garantie formulée par la cliente à l’encontre de Groupama au profit de la Jardinerie.

Estimant ne pas être responsable de la chute accidentelle subie par la cliente de son magasin, la Jardinerie a interjeté appel.

Pour aller à l’essentiel.

S’il est vrai que la victime entrait dans la catégorie des consommateurs du magasin et que tout professionnel doit offrir à ses clients des produits et des services présentant la sécurité à laquelle on peut s’attendre, la piste suivie par les juges du fond qui avaient évoqué la violation de l’article L. 221-2 du Code de la consommation est critiquable car le magasin visé ne vendait pas de fruits.

C’est pour cette raison que les juges de la cour d’appel de Douai ont rendu un arrêt infirmatif, la piste de la responsabilité civile pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et de la faute reconnue sur le fondement de l’article L. 221-1 du Code de la consommation n’étant pas cohérente dans la mesure où l’orange, source du préjudice, n’était pas mise en vente à la Jardinerie.

Pour autant, en appel, les juges retiennent la responsabilité de l’établissement, précisant que l’action en responsabilité d’une victime ayant chuté pour avoir glissé sur un fruit écrasé sur le sol d’un magasin à l’entrée libre doit être engagée sur le fondement de la responsabilité générale du fait des choses et donc de l’ancien article 1384, alinéa 1er, du Code civil et non sur celui de l’article L. 221-1 du Code de la consommation.

Certes, la responsabilité du fait des choses retenue par les juges pour le compte de la direction du magasin ne concerne pas l’orange, dans la mesure où la Jardinerie ne vend pas de fruits et que par ailleurs son personnel, de même que les clients, ont l’interdiction de consommer des aliments dans l’enceinte de l’établissement, néanmoins la responsabilité de l’exploitant est à prendre en compte sous un autre angle. En effet, il est responsable du fait des choses en ce qui concerne le sol de son établissement, étant gardien dudit sol. Dès lors, dans la mesure où, en l’espèce, la chute de la cliente a bien été causée par un sol devenu glissant en raison d’un fruit qui trainait par terre après avoir été écrasé, il fallait rechercher si les conditions de mise en œuvre de l’ancien article 1384, alinéa 1er, du Code civil étaient réunies.

L’exploitant du magasin est responsable de la chute du client en qualité de gardien du sol sur lequel ce dernier a glissé. La position anormale du sol a été démontrée car il était devenu glissant et l’exploitant de la Jardinerie a pu se voir imputer un défaut d’entretien et de nettoyage de son établissement. L’orange avait été écrasée et il aurait fallu que le personnel intervienne pour qu’il ne puisse pas être reproché à la Jardinerie l’état anormal de son sol au moment de l’accident.

Dès lors, le gardien du sol est tenu d’indemniser une cliente qui a perdu l’équilibre parce qu’elle a dérapé sur un fruit écrasé qui trainait par terre.

Pour aller plus loin

Il ressort de cette affaire qu’en faisant ses courses à la Jardinerie d’Hesdigneul, une femme a glissé et a été victime d’une fracture de l’humérus en raison de la présence sur le sol d’une orange écrasée, point qui n’est pas contesté (deux clients ont attesté d’un accident dû à la présence d’une pelure d’orange).

En l’espèce, la cliente n’a pas trébuché sur une orange et perdu l’équilibre pour cette raison, mais elle s’est blessée parce qu’elle a dérapé sur ce fruit après qu’il ait été écrasé, ce qui avait rendu dangereusement glissant le sol du magasin.

L’accident dont elle a été victime n’est toutefois pas en lien avec les produits vendus par l’établissement, en l’occurrence une jardinerie, raison pour laquelle il n’était pas correct de partir sur la piste de l’article L. 221-1 du Code de la consommation.

C’est bien la responsabilité du fait des choses qu’il fallait mettre en œuvre dans cette affaire (C. civ., art. 1384, al. 1er, devenu art. 1242, al. 1er à l’issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016) car chacun est responsable des choses qu’il a sous sa garde.

La décision rendue par la cour d’appel de Douai rejoint la position prise par la Cour de cassation dans une affaire à propos de laquelle la cliente d’un supermarché avait trébuché sur un panneau publicitaire (Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 19-11.882, Dalloz actualité, 14 oct. 2020, note A. Hacenele ; JAC n° 201, nov. 2020, note Corpart I.). Les juges avaient en effet retenu à cette occasion que la responsabilité de l’exploitant d’un magasin dont l’entrée est libre ne pouvait être engagée à l’égard de la victime que sur le fondement de la responsabilité du fait des choses et non sur le fondement de l’article L. 421-3 du Code de la consommation, lequel ne soumet pas l’exploitant à une obligation de sécurité de résultat à l’égard de la clientèle. Par ailleurs, pour la Cour de cassation, l’article L. 421-3 du Code de la consommation édicte une obligation générale de sécurité des produits et services au profit des consommateurs, mais ne soumet pas l’exploitant d’un magasin dont l’entrée est libre à une obligation de sécurité de résultat à l’égard de la clientèle. En l’espèce, la Jardinerie dans laquelle est survenu l’accident était aussi un magasin dont l’entrée était libre.

Il fallait partir sur la piste de la responsabilité du fait des choses, toutefois, la chose visée n’était pas le fruit écrasé car l’exploitant n’était pas gardien de l’orange, laquelle ne lui appartenait pas dans la mesure où l’établissement ne vendait pas ce type de produits. En l’espèce, cette orange n’appartenait à personne et comme elle avait été abandonnée au sein de l’établissement, il s’agissait d’une chose sans maître. En revanche, il fallait rechercher si la responsabilité du fait des choses pouvait être mise en œuvre en visant le sol dont la Jardinerie était bien la gardienne.

Il fallait dès lors apprécier l’état dans lequel se trouvait le sol au moment de la chute accidentelle pour rechercher si la responsabilité de la direction de l’établissement pouvait être invoquée sur le fondement de la responsabilité générale du fait des choses. Pour les juges de la cour d’appel qui apprécient souverainement les faits, la position anormale de l’orange écrasée sur le sol a effectivement été démontrée.

Ils considèrent que cela faisait en l’espèce un moment que le fruit trainait par terre, puisque c’est parce qu’il a été piétiné et écrasé que le sol est devenu glissant, ce qui a provoqué la chute accidentelle. En conséquence, c’est bien l’anormalité du sol qui est relevée dans cette affaire à propos d’une chose inerte ; anormalité due au fait que le personnel n’a pas procédé en temps utile au nettoyage des lieux ; nettoyage indispensable pour assurer la sécurité des clients. Dans la mesure où les témoins ont relevé que l’orange était écrasée, cela signifie que l’orange ne s’est pas trouvée sur le sol juste avant le passage de la cliente et qu’il y a bien eu un défaut de nettoyage et d’entretien. C’est ce défaut de nettoyage qui a rendu le sol dangereux.

L’établissement dont la responsabilité est établie aurait pu invoquer un cas de force majeure pour échapper au paiement de l’indemnité car la présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien de la chose, défini comme étant celui qui exerce les pouvoirs d’usage, de direction, de contrôle et de surveillance, est écartée si le gardien parvient à établir l’existence d’une cause étrangère. Toutefois, en l’espèce, l’exploitant de la jardinerie, gardien du sol, n’est pas parvenu à rapporter une telle preuve. Par ailleurs, les juges écartent la piste de l’imprévisibilité ou de l’irrésistibilité de l’événement car ils retiennent l’attestation d’un salarié faisant état de la présence occasionnelle de déchets végétaux dans l’enceinte de l’établissement, ce qui oblige à nettoyer régulièrement les locaux.

La responsabilité délictuelle de l’exploitant a pu être retenue car il est bien gardien du sol de son local. Puisqu’il est devenu anormalement glissant par un manque d’entretien, entraînant la chute d’une cliente, une indemnisation est due à cette dernière sur le fondement de la responsabilité générale du fait des choses conformément à l’article 1384, alinéa 1er, applicable au moment des faits, la victime ayant pu démontrer que la chose visée, à savoir le sol, se trouvait dans une position anormale et en mauvais état, ce qui a effectivement été l’instrument du dommage. Malgré son inertie, la chose a bien joué un rôle actif lors de la survenance de l’accident.

En l’espèce, les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses sont réunies car il est démontré que la chute est due aux débris d’orange écrasée qui ont rendu le sol du local fort glissant et que les blessures dont souffre la cliente du magasin à l’entrée libre ont bien été provoquées par cette chute (preuve du lien de causalité). La preuve du rôle actif de la chose inerte pesait sur la cliente blessée qui a dû caractériser l’anormalité du sol rendu glissant par le fruit écrasé et a convaincu les juges du fond que ce sol glissant et donc dangereux était à l’origine du dommage (la démonstration du caractère anormal ou dangereux de la chose est exigée lorsqu’il est question d’une chose inerte tel le sol : une distinction est à faire entre les choses inertes/non dangereuses et les choses en mouvement/dangereuses). Il fallait qu’elle rapporte la preuve que la chose a été l’instrument du dommage ainsi que l’anormalité de son positionnement ou de son mauvais état (condition supplémentaire lorsqu’il est question d’une chose inerte), ce qu’elle est parvenue à faire pour une chose, certes inerte, mais rendue dangereuse du fait de l’absence de nettoyage et d’entretien.

CA Douai, 3 février 2022, n° 20/04233

EXPOSE DU LITIGE

Les faits et la procédure antérieure :

Le 10 août 2014, Mme Jeanine C. a fait une chute dans le magasin de la SARL Jardinerie d’Hesdigneul (la Jardinerie) lui ayant causé une fracture de l’humérus.

Considérant que la responsabilité de la Jardinerie était engagée, Mme C. et la Macif, son assureur protection juridique, se sont rapprochées de la compagnie Groupama Nord Est (Groupama), assureur de la Jardinerie, afin d’obtenir une indemnisation de son préjudice.

Suite au refus de Groupama, Mme C. a assigné la Jardinerie, Groupama et la caisse primaire d’assurance maladie de la Côte d’Opale (CPAM) par acte du 19 et 21 mai 2015 aux fins de voir ordonner une expertise médicale et fixer une provision de 3 000 euros.

Par ordonnance du 1er juillet 2015, le juge des référés a ordonné une expertise médicale de Mme C. et a désigné pour y procéder le docteur André G., lequel a déposé son rapport le 24 août 2016.

Par actes du 11, 15 et 18 avril 2019, Mme C. a assigné la Jardinerie, Groupama et la CPAM de Blois devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer aux fins de les voir condamner au paiement de 350 000 euros à valoir sur le préjudice subi et de voir ordonner une contre-expertise avec désignation d’un expert mission Dinthilhac.

Le jugement dont appel :

Par jugement du 21 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a notamment :

– déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Blois ;

– dit que la Jardinerie avait commis une faute engageant sa responsabilité civile à l’égard de Mme C. dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat au titre de l’article L. 221-1 du code de la consommation, devenu l’article L. 421-3 du même code ;

– dit que la Jardinerie et Groupama étaient tenues de réparer la totalité des dommages subis par Mme C. lors de l’accident du 10 août 2014 ;

– déclaré irrecevable la demande de garantie formulée par Mme C. à l’encontre de Groupama au profit de la Jardinerie ;

– débouté Mme C. de sa demande de provision ;

avant dire droit,

– ordonné une expertise confiée au docteur Eric P. ;

– réservé les autres demandes et les dépens.

La déclaration d’appel :

Par déclaration du 21 octobre 2020, dans des conditions et formes qui ne sont pas critiquées, la Jardinerie a interjeté appel de ce jugement, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de garantie formulée par Mme C. à l’encontre de Groupama et l’a déboutée de sa demande de provision.

Les prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 21 janvier 2021, la Jardinerie et Groupama demandent, au visa des anciens articles 1147, 1148 et 1384 du code civil, de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer le 21 juillet 2020 en ce qu’il a jugé Mme C. irrecevable en sa demande de garantie formulée à l’encontre de Groupama,

– réformer le jugement en ce qu’il a :

. déclaré le jugement opposable à la CPAM de Blois ;

. dit qu’elle avait commis une faute engageant sa responsabilité civile à l’égard de Mme C. dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat au titre de l’article L. 221-1 du code de la consommation, devenu l’article L. 421-3 du même code ;

. dit qu’elle et son assureur, Groupama, étaient tenus de réparer la totalité des dommages subis par Mme C. lors de l’accident du 10 août 2014 ;

. ordonné une expertise avant-dire droit sur le préjudice et ses dispositifs y afférents ;

statuant de nouveau,

– débouter Mme C. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– la condamner au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Elles soutiennent que :

– Mme C. a varié dans le fondement de ses demandes, la responsabilité de la Jardinerie ne peut être retenue sur un terrain contractuel ;

– sa responsabilité du fait des choses ne peut être retenue également ;

– Mme C. ne produit que des pièces attestant de sa chute mais ne démontre pas de défaut d’entretien ou de nettoyage de la jardinerie ni de lien de causalité entre un défaut d’entretien et sa chute ;

– les allées du magasin étant bordées de végétaux, il est naturel que des détritus organiques puissent tomber de ces végétaux sur le sol, néanmoins, elle prend toutes les mesures de sécurité nécessaires et respecte les obligations d’entretien en faisant balayer les allées du magasin tous les matins et soirs, ce dont elle atteste ;

– il est par ailleurs interdit aux salariés et au public de manger dans l’enceinte de l’établissement ;

– la preuve de l’anormalité du carrelage n’est pas rapportée ;

– il n’existe pas de preuve de l’existence d’une chose sur laquelle Mme C. aurait glissé, les déclarations ayant alternativement mentionné une pelure d’orange située sur une grille de fer, ou sur le carrelage, ou encore une feuille de plante ;

– au surplus, il n’est pas démontré que la présence d’un détritus sur le sol d’une jardinerie est anormale ni que la garde de la chose en question était détenue par elle ;

– à titre subsidiaire, si la cour venait à considérer que sa responsabilité devait être engagée dans le cadre de cette chute, il convient de retenir la force majeure car cet événement serait imprévisible et irrésistible aux motifs qu’elle ne peut, d’aucune manière, prévenir toute chute de feuille ou d’élément organique sur le sol d’un magasin comprenant par nature toutes sortes de végétaux ni prévenir le fait qu’un client mal intentionné ne respecte pas l’interdiction de manger au sein du magasin et fasse tomber une pelure d’orange sur le sol.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 avril 2021, Mme C., partie intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré la Jardinerie responsable de sa chute, et ce en application de l’article 1384 ancien du code civil, ou à titre subsidiaire, en application de l’article 1147 ancien du même code ;

– confirmer la désignation d’un expert judiciaire avec mission dite Dintilhac telle que reprise par les premiers juges ;

– confirmer le sursis à statuer sur la liquidation du préjudice dans l’attente du rapport d’expertise et donc renvoyer cette liquidation devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer ;

– infirmer et condamner solidairement la Jardinerie et Groupama au paiement des indemnités procédurales et des dépens de première instance ;

– les condamner solidairement à lui payer les sommes de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner aux entiers frais et dépens.

Elle soutient que :

– deux témoins attestent de sa chute en raison de la présence d’une pelure d’orange ;

– la jardinerie doit être régulièrement nettoyée afin de préserver la sécurité des clients, la faute est ainsi indiscutable du fait du défaut d’entretien ;

– les conditions de la responsabilité du fait des choses sont réunies puisqu’il est démontré la chute du fait de la pelure d’orange et le lien de causalité entre la chute et les blessures ;

– Groupama avait acquiescé au jugement, reconnaissant ainsi la responsabilité de son assurée.

La CPAM de Blois, partie intimée, n’a pas constitué avocat en cause d’appel.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate que la chute et le dommage subi par Mme C. ne sont pas contestés.

Sur la responsabilité de l’exploitant d’un magasin en libre accès :

En cause d’appel, les parties s’accordent à dire, à titre principal, que la responsabilité de la Jardinerie ne peut être engagée sur un fondement contractuel.

S’il est exact que l’article L. 221-1 du code de la consommation, devenu L. 421-3 du code de la consommation prévoit que les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes, la responsabilité de l’exploitant d’un magasin dont l’entrée est libre ne peut être engagée, à l’égard de la victime d’une chute survenue dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l’origine, que sur le fondement de l’article 1384 du code civil, devenu 1242 alinéa 1 du code civil, à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état, a été l’instrument du dommage.

Sur la responsabilité du gardien de la chose :

Aux termes de l’article 1384 alinéa 1 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, devenu l’article 1242 alinéa 1er du même code, on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.

En application de ces dispositions, la preuve du rôle actif de la chose inerte dans la survenue du dommage pèse sur la victime, et implique que soit caractérisée une anormalité ou dangerosité de cette chose à l’origine du dommage.

La présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien de la chose, défini comme étant celui qui exerce les pouvoirs d’usage, de direction, de contrôle et de surveillance, est toutefois écartée lorsque le gardien établit l’existence d’une cause étrangère, revêtant les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

En l’espèce, Mme C. produit :

– une attestation du 28 septembre 2014, dans laquelle Mme Paulette V. témoigne de ce que Mme C. a glissé sur « une partie d’orange écrasée au milieu d’une allée » ;

– une attestation de Mme Jacqueline J. en date du 10 septembre 2014, laquelle déclare que « Madame C. a glissé sur une pelure d’orange sur le carrelage ».

Si la Jardinerie soutient que différentes versions des faits ont pu être exposées, la cour constate à la lecture des pièces que les témoins directs, et Mme C. n’ont pas fait de déclarations contraires et que les seuls éléments factuels divergents émanent des assureurs et de la gérante du magasin qui déclare que la chute a été causée par « une feuille de plante tombée à terre », alors qu’il n’est pas établi qu’elle ait personnellement assisté à la chute.

Le caractère convergent des déclarations émanant des deux témoins directs permet de retenir la présence d’un tel débris d’orange sur le sol de la Jardinerie.

Sur la garde de l’orange :

Pour contester sa responsabilité, la Jardinerie estime que sa qualité de gardienne de l’orange n’est pas établie.

À cet égard, la Jardinerie justifie qu’elle ne vend pas des produits comme une orange et qu’elle interdit à ses salariés et clients de manger à l’intérieur du magasin.

Il en résulte que ce débris d’orange s’analyse comme une chose sans maître ou abandonnée, qui n’est pas susceptible d’engager la responsabilité de la Jardinerie en qualité de gardienne.

Pour autant, Mme C. met en cause l’entretien du sol lui-même, pour invoquer l’application de l’article 1384 alinéa 1 du code civil.

Sur la garde du sol :

Il résulte des constats énoncés ci-dessus qu’un déchet organique se trouvait sur le sol du magasin. Il est également relevé qu’un témoin atteste que ce déchet était écrasé, ce qui indique que ce déchet ne s’est pas retrouvé sur le sol juste avant le passage de Mme C..

La cour observe par ailleurs que les photographies produites par la Jardinerie pour attester du bon entretien de son sol ne sont pas datées et ne démontrent pas que le sol était bien nettoyé au moment de la chute de Mme C..

Il est établi qu’un défaut d’entretien et de nettoyage a rendu glissant le sol des locaux dont elle est gardienne, dans des conditions établissant tant son rôle actif dans le dommage subi par Mme C. que son anormalité, étant au surplus précisé qu’il est indifférent que ce caractère anormalement glissant résulte de la présence d’un débris d’orange ou de tout autre objet.

Sur la force majeure :

Il appartient à la Jardinerie d’établir que le dommage créé par la chose dont elle est gardienne résulte d’une force majeure, présentant les caractères d’extériorité, d’irrésistibilité et d’imprévisibilité.

À cet égard, la cour observe que :

– il n’est pas démontré que la présence de la pelure d’orange sur le sol est le fait d’un client et non d’un salarié de la Jardinerie ;

– le nettoyage du magasin lui incombe et les salariés s’en occupent eux-mêmes, comme en atteste la Jardinerie elle-même, or, le défaut de nettoyage étant à l’origine de la dangerosité de son sol, la Jardinerie ne peut prétendre que cette cause est extérieure ;

– il n’est pas imprévisible que des déchets se retrouvent sur le sol d’un magasin, ce que reconnaît la Jardinerie elle-même, notamment lorsqu’elle indique que « la présence d’un détritus organique sur le sol d’une jardinerie ne présente aucune anormalité » ;

– la présence d’un déchet sur son sol ne présente pas les caractéristiques d’un événement irrésistible d’autant plus que Mme Ludivine L., gestionnaire de rayon du magasin, atteste qu’elle balaye « l’espace le matin et/ou le soir. Je balaye aussi systématiquement les rayons dès que je vois une feuille, un tige je la ramasse aussitôt. Je donne également les mêmes consignes aux personnes avec qui je travaille. Ses consignes de nettoyage existent depuis des années », démontrant ainsi qu’il n’est pas inhabituel que des déchets organiques se retrouvent sur le sol du magasin et qu’il n’est pas impossible ni irrésistible pour les salariés du magasin de les retirer du sol.

Il s’ensuit que la Jardinerie échoue à démontrer la force majeure.

En définitive, le jugement critiqué est infirmé en ce qu’il a retenu que la Jardinerie avait commis une faute au titre de l’article L. 221-1 du code de la consommation, devenu l’article L. 421-3 du même code, dès lors que la responsabilité civile de la Jardinerie à l’égard de Mme C. est en réalité engagée au titre de l’article 1384 alinéa 1 du code civildans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Sur l’expertise des préjudices avant dire droit

Les éléments produits par les parties ne permettent pas de remettre en cause le bien fondé de la contre-expertise ordonnée par le jugement querellé. La cour observe d’ailleurs que la Jardinerie et Groupama demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a ordonné une contre-expertise, mais ne présentent aucun moyen à cette fin, de sorte qu’elles ne remettent pas en cause la contre-expertise en tant que telle, ce qui était déjà leur position devant le tribunal judiciaire.

Il convient ainsi de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné une expertise avant dire droit.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de la présente instance

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement querellé sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

La Jardinerie et Groupama qui succombent devant la cour seront condamnées aux entiers dépens d’appel et à payer in solidum à Mme C. la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 21 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer sauf en ce qu’il a dit que la Jardinerie avait commis une faute engageant sa responsabilité civile à l’égard de Mme C. dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat au titre de l’article L. 221-1 du code de la consommation, devenu l’article L. 421-3 du même code,

L’infirme de ce chef,

Statuant à nouveau,

Dit que la Jardinerie a engagé sa responsabilité civile à l’égard de Mme C. au titre de l’article 1384 du code civil,

Y ajoutant,

Condamne la SARL Jardinerie d’Hesdigneul et la compagnie Groupama Nord Est aux entiers dépens d’appel,

Condamne in solidum la SARL Jardinerie d’Hesdigneul et la compagnie Groupama Nord Est à payer à Mme Jeanine C. la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel.

La Greffière Le Président

Harmony Poyteau Guillaume Salomon

Décision(s) antérieure(s) tribunal judiciaire Boulogne sur Mer 21 Juillet 2020 19/01629