Silvain VERNAZ, Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Sophie HILDENBRAND, Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Madeleine LOBE-LOBAS, Maître de conférences (HDR) à l’Université de Haute-Alsace
Membres du CERDACC (UR 3992)
Interroger des pénalistes sur la nécessité du droit pénal, n’est-ce pas un brin provocateur ? La question mérite pourtant d’être posée tant elle soulève un enjeu essentiel du droit pénal contemporain.
Avec le soutien du CERDACC, un groupe universitaire de pénalistes d’Alsace-Moselle (ou bien étant passés par les universités d’Alsace-Moselle) s’est réuni pendant trois jours courant octobre 2025 pour un séminaire intensif de recherche consacré à cette question. Le format, particulièrement original et inspiré des pratiques outre-Rhin, a favorisé la réflexion : les travaux se sont déroulés dans une pension isolée au cœur de la Forêt-Noire, sans réseau mobile ni accès à Internet, et sans aucun public. Ce cadre, propice à la concentration, a permis de faire naître de véritables échanges sur la nécessité même du droit pénal.

Sur le fond, il s’agissait de mener une réflexion approfondie sur la question de savoir dans quelle mesure le droit pénal, aussi bien substantiel que processuel, répond à l’impératif de nécessité auquel il est soumis.
Le Vocabulaire juridique définit le terme « nécessaire » comme « ce qui répond à un besoin primordial » ou encore « qui est indispensable ou (…) impérieusement dicté par les circonstances » (G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige). La nécessité se réfère donc à la « situation critique qui, abolissant en fait le choix des moyens, dicte et justifie la solution (…) comme étant raisonnablement la seule de nature à sauvegarder l’intérêt légitime » (ibid). La nécessité dépasse donc la simple utilité. Si le recours au droit pénal peut être utile dans l’absolu, en ce qu’il permet de sanctionner les comportements anti-sociaux et d’assurer l’effectivité de l’application d’autres règles, il n’est pas pour autant nécessaire de le mobiliser.
Le principe de nécessité des peines est posé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (…) ». Cette disposition, combinée avec la première phrase de l’article 5 de la DDHC – « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » –, permet de fonder le principe de nécessité des incriminations. Il résulte de l’article 9 de ce texte que le principe de nécessité est également reconnu en procédure pénale : « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Malgré ces consécrations et la reconnaissance du principe de nécessité par le Conseil constitutionnel, l’inflation législative observée au sein de la matière pénale invite à s’interroger sur son effectivité.
Chaque évènement marquant conduit le législateur à adopter un nouveau texte normatif, sans réellement interroger sa nécessité ni la cohérence de son insertion au sein du système juridique.
Ainsi, en droit pénal substantiel, des incriminations sont modifiées, de nouvelles sont créées alors que l’utilité même de ces réformes apparaît discutable, tant dans leur principe que dans leur applicabilité concrète. Si leur utilité interroge, qu’en est-il, a fortiori, de leur nécessité ? Il en va de même en procédure pénale, où les règles sont parfois modifiées et où surgissent des procédures ad hoc toujours plus coercitives sans que leur nécessité apparaisse davantage établie. Cette prolifération normative invite à s’interroger sur la pertinence même de ces réformes. Comme l’affirmait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, celles qu’on peut éluder affaiblissent la législation » (Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, Livre 29, chapitre XVI).
Partant de ce constat, le groupe de recherche a choisi d’adopter une approche globale de ce qui peut véritablement être considéré comme nécessaire en droit pénal et, plus largement, sur la place que ce dernier devrait occuper dans la société du XXIe siècle. Pour nourrir cette réflexion, le séminaire a été structuré en plusieurs temps complémentaires : d’une part des présentations au cours desquelles les participants ont exposé une réflexion préparée en amont, fondée sur l’expertise acquise tout au long de leur carrière et, d’autre part, des travaux de groupe consacrés à trois sous-thèmes retenus par les organisateurs, à savoir « le ressenti », « l’aggravation » et « le danger ». À la fin du séminaire, chaque groupe a présenté une synthèse des discussions qu’il avait menées.


Il est apparu, in fine, que ce séminaire ne constituait que la première étape d’une réflexion collective appelée à se poursuivre. Les premiers résultats de cette recherche paraîtront dans le numéro de Riséo prévu pour l’été 2026 (https://www.riseo.cerdacc.uha.fr/).

De gauche à droite et de bas en haut : Sophie Hildenbrand, Jenny Frinchaboy, Chloé Fauchon, Alexandre Lucidarme, Juliette Lelieur, Véronique Jaworski, Chloé Liévaux, Silvain Vernaz, Jocelyne Leblois-Happe, Caroline Teuma, Julien Walther.
Sont absents sur la photo : Madeleine Lobe-Lobas, Raphaël Eckert


