Marie-France STEINLE-FEUERBACH
Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace
Membre fondateur et Directeur honoraire du CERDACC (UR 3992)
Mots-clés : CNESER – doctorant – enseignant-chercheur – étudiant – président – université
C’est par une pensée toute particulière pour l’écrivain britannique David Lodge récemment disparu que nous débutons ce panorama des affaires récentes relatives aux prises de risque dans le domaine universitaire. Notre tout petit monde (David Lodge, Small World, Secker and Warburg, 1984 ; Un tout petit monde, Rivages, 1991 ; Rivages poche 2014, préf. de Umberto Eco, trad. Maurice et Yvonne Couturier) universitaire français n’est guère différent de celui décrit par la plume féroce et jouissive de l’auteur. Il est composé d’universitaires (ou plutôt d’enseignants-chercheurs, selon le jargon technocratique préconisé par le ministère ; Cf. O. Beaud et F. Vatin, « La profession universitaire d’État, enseignant-chercheur, une expression malheureuse et un statut dégradé́ (I) » : Commentaire 2020/4 (N° 172), pp. 859-870) et d’étudiants, que le langage administratif considère comme un usager, au sein d’une université bien hiérarchisée avec au sommet de l’échelle un président (ou, selon une écriture que ne connaissent même pas les correcteurs orthographiques, « un.e président.e ») entouré d’un aéropage de vice-présidents.
Reste que certains agissements, tolérés à une époque pas si lointaine, peuvent maintenant être sévèrement sanctionnés et ceci de manière plus fréquente d’année en année.
Les sanctions sont essentiellement d’ordre administratif (avertissement, blâme, rétrogradation, exclusion temporaire, exclusion définitive). Agents publics, les universitaires sont soumis à la loi n° 2026-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, codifiée depuis le 1er mars 2022 dans le Code général de la fonction publique (CGFP, art. L.121-1 à L. 125-3), les procédures disciplinaires relevant de dispositions spécifiques du Code de l’éducation (C. éduc., art. R. 712-9 et s.) (Pour une étude approfondie cf. E. Marcovici, « Droit disciplinaire des enseignants-chercheurs : le difficile équilibre entre l’indépendance des enseignants-chercheurs et la protection des valeurs de l’université » : AJPF 2024 p. 330).
S’agissant des usagers, pour lesquels la sanction maximale consiste en l’exclusion définitive de tout établissement public d’enseignement supérieur, l’article 33 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a modifié les dispositions du Code de l’éducation relatives à la procédure disciplinaire les concernant. Antérieurement à cette loi, qu’il s’agisse des universitaires ou des étudiants, l’appel des décisions rendues par les organes disciplinaires compétents relevait de la compétence du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant en matière disciplinaire, un pourvoi en cassation étant ouvert devant le Conseil d’État. Cette procédure reste valable pour les universitaires (C. éduc., art. R. 232-35-1, R. 232-26, R. 232-37 et R. 232-43), mais pour les étudiants, en application de l’article 3 du décret n° 2020-785 du 26 juin 2020, les recours s’effectuent devant le tribunal administratif (C. éduc., art. R. 811-10 à R. 811-42 ; DGESIP B1-2 – Guide relatif à la procédure disciplinaire à l’égard des usagers – sept. 2024). Les poursuites sont en principe engagées par le président de l’université (C. éduc., art. R. 712-29).
Si le juge administratif est le plus fréquemment sollicité, le juge pénal n’est pas écarté lorsque les comportements sont aussi susceptibles d’une qualification pénale, le cumul des deux sanctions ne violant pas la règle « non bis idem ». Selon le Conseil d’État, « dès lors que l’institution de chacun de ces types de sanctions repose sur un objet différent et tend à assurer la sauvegarde de valeurs ou d’intérêts qui ne se confondent pas » (CE, avis, Section de l’intérieur, 29 avril 2004, n° 370136 ; Cf. Le juge administratif et les sanctions administratives, Les dossiers thématiques du Conseil d’État, mise en ligne le 09/01/2017 : https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/analyses-de-jurisprudence/dossiers-thematiques/le-juge-administratif-et-les-sanctions-administratives).
L’affaire peut encore relever du juge civil lorsque le comportement blâmable a causé un préjudice à une personne extérieure à l’université.
Bien que certains agissements fautifs soient multifactoriels, la faute pouvant être caractérisée par l’ensemble du comportement de l’universitaire ou des étudiants entre les murs de leur monde, nous tenterons une classification en deux catégories, dont l’intersection n’est pas nécessairement vide, celles des liaisons dangereuses (I) et celle des relations toxiques (II).
I.- Les liaisons dangereuses
L’université a de tous temps été un lieu particulièrement favorable aux rencontres amoureuses et nombre de couples durables s’y sont formés souvent entre étudiants mais aussi entre enseignants et étudiants. Si ces dernières relations ne sont pas a priori considérées comme inappropriées (F. Deruelle, « Sortir avec sa doctorante, un cas limite des relations sexo-affectives au travail » : Genre, sexualité & société, n° 31, Printemps 2024, https://journals.openedition.org/gss/8722), il n’en est pas de même des méthodes parfois employées lorsqu’elles s’inscrivent dans une démarche de harcèlement (A) pouvant aller jusqu’aux violences sexistes et sexuelles (B).
A.- Le harcèlement sexuel
Il a pu être constaté il y a déjà quelques années que le harcèlement sexuel à l’université était une réalité, la situation la plus problématique au niveau de la sanction administrative étant celle où l’auteur des faits est enseignant-chercheur et la victime étudiante (A. Zarca, « La répression disciplinaire du harcèlement sexuel à l’université » : Rev. DH, n°12, 2017). La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa, a étendu la définition du harcèlement sexuel en modifiant l’article 222-33 du Code pénal : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». L’article L. 133-1 du Code général de la fonction publique (Ord. n° 2021-1574 du 24 nov. 2021) destiné à protéger les agents publics de cette forme de harcèlement est une des rares fautes disciplinaires définie lorsque les faits sont commis par un autre agent. Reste cependant à l’université la tâche d’établir par tout moyen la preuve du harcèlement, quelle qu’en soit la victime. Notons qu’il en est de même pour le harcèlement moral (CGFP, art. L. 133-2).
L’université de Poitiers avait ouvert la voie de la sanction disciplinaire, en suspendant dans un premier temps un professeur agrégé de droit trop entreprenant auprès des étudiantes, puis en le révoquant. Le CNESER a validé la décision de révocation (CNESER, 10 juillet 2018, n° 1256 et 1339, BO n° 35 du 27 sept. 2018), suite à l’envoi – sous une fausse identité – de messages à caractère intimidant et menaçant à destination d’étudiantes susceptibles de témoigner dans une procédure disciplinaire pour faits de harcèlement psychologique et de relations inappropriées. L’enseignant a été radié par décret du 26 janvier 2021. Relevons, au passage, que cette université a été la première à se doter d’un référent déontologue et d’une charte de déontologie applicable à l’ensemble de son personnel. Depuis, des référents déontologues ont été créés dans toutes les administrations par la loi du 20 avril 2016 (CGFP, art. L. 124-2). Bien que la rédaction d’une charte de déontologie ne soit pas imposée, une charte française de déontologie des métiers de la recherche a été adoptée le 25 janvier 2015 par de nombreux signataires, dont les dirigeants exécutifs des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
Dans un arrêt du 21 juin 2019, le Conseil d’État (n° 424593) avait validé la décision de la section disciplinaire du conseil académique de l’université Lumière Lyon 2, qui avait infligé à un enseignant-chercheur la sanction de l’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans cet établissement pendant un an, avec privation de la totalité du traitement.
La section disciplinaire s’était fondée sur la transcription de trois conversations téléphoniques enregistrées, à l’insu de l’enseignant, par l’une de ses étudiantes. Il est intéressant de noter que dans cette affaire le parquet de Lyon avait, le 5 octobre 2018, classé sans suite la plainte déposée, pour les mêmes faits, contre cet universitaire.
L’affaire du département d’arts plastiques de l’université de Toulouse Jean-Jaurès mérite davantage notre attention, car elle nous semble révélatrice du rôle joué par les syndicats et associations d’étudiants ainsi que de son traitement médiatique. Dans un article du 22 octobre 2022, sous la plume d’Emmanuel Riondé, Médiapart titre « Harcèlement : radiés de l’université, deux enseignants toulousains relaxés en appel », faisant en cela suite au communiqué de presse publié le 19 octobre 2022 par le Collectif de lutte contre le harcèlement sexiste dans l’enseignement supérieur (Clasches) qui énonce, de manière on ne peut plus péremptoire, que « “La déontologie, ça n’existe pas” : le CNESER se surpasse et relaxe ». Le 10 novembre 2022, Rozenn Kevel de CGT Chronodrive reprend à son tour cette assertion : « Harcèlement moral et sexuel : le CNESER relaxe deux professeurs radiés par la fac du Mirail ». Si toutes ces communications pointent bien deux professeurs, nous n’avons pu relever au BO qu’une seule décision du CNESER concernant cette affaire (6 juill. 2022, n° 1780, BO n° 35 du 22 sept. 2022) visant un « professeur agrégé » du département d’arts plastiques, enseignant depuis 26 ans. La section 18 du CNU ne connaissant pas le concours de l’agrégation de l’enseignement supérieur, il s’agit très probablement, non d’un enseignant-chercheur mais d’un professeur du secondaire en poste à l’université (ESAS). Agent public, il est alors soumis au Code général de la fonction publique. Il est reproché à cet enseignant chevronné « des pratiques pédagogiques contraires à la déontologie de l’enseignant, ayant eu pour conséquence de placer les étudiants et étudiantes dans une situation de harcèlement moral et sexuel », en particulier, : « d’avoir tenu de manière réitérée des propos à caractère sexuel ou sexistes, relatifs à une situation économique ou familiale, à l’apparence physique, à l’appartenance ethnique supposée, à la tenue vestimentaire et à la vie personnelle des étudiants et étudiantes, jusque dans leurs aspects les plus intimes…des pratiques inadaptées, la menace d’exclusion d’une étudiante,…des faits et propos humiliants, dégradants et discriminants » comme « des propos ambigus tenus à l’encontre d’étudiant-e-s dans le cadre de sa pratique pédagogique et lors de l’appréciation des travaux des étudiants tels que “le naturisme, ça devrait lui plaire”… ». Sanctionné par une interdiction définitive d’exercer des fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur, il avait, au soutien de son appel devant le CNESER contesté la régularité de la décision en invoquant le non-respect du principe du contradictoire ainsi que celui de la personnalité des peines, deux enseignants étant visés sans qu’il soit possible d’identifier les actes et les propos de chacun d’entre eux. Au soutien de son appel, il avance notamment que les poursuites ont été effectuées à l’initiative d’une étudiante syndiquée sous la forme de lettres anonymes et qu’il fait l’objet d’une : « chasse à l’homme pour ne pas dire de chasse à courre, d’attaques en meute telles qu’on les voit se déchainer sur les réseaux », qu’il explique par : « trois motivations principales à l’entreprise de mes diffamateurs : un règlement de compte politique à propos de sa situation lors du dernier blocage de l’université, un second règlement de compte pour purger les rancunes qu’ont pu susciter deux altercations qu’il a eues avec deux étudiantes, et enfin de retour à la censure. » Le CNESER a conclu à l’absence de preuve d’un harcèlement, les accusations se situant : « dans un contexte de conflit social au sein de l’université auquel le déféré a pris position. »
Dans son communiqué de presse du 19 octobre 2022, le Clasches avait signalé qu’il : « se tient à la disposition de l’Université Toulouse Jean Jaurès pour l’assister dans l’éventualité d’un recours devant le Conseil d’État. » L’Université a obtenu gain de cause devant le Conseil d’État qui a annulé la décision du CNESER (CE, 20 déc. 2023, n° 468551).
Ajoutons que les faits ont également été portés par la présidente de l’université Toulouse Jean-Jaurès devant le procureur de la République, lequel a classé l’affaire sans suite. Précisons que l’exclusion de l’enseignement supérieur ne signifie pas nécessairement la fin de sa carrière en tant que professeur agrégé dans l’enseignement secondaire.
Également dénoncés par le Clasches, des comportements inappropriés envers les étudiantes ont été reprochés à un maître de conférences de la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg conduisant, par une décision du 8 août 2023, la section disciplinaire du conseil académique de son établissement à prononcer la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement et/ou de recherche dans l’établissement pendant une durée de trois ans, assortie de la privation de la totalité du traitement, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel. Suite à la requête de l’enseignant, le CNESER, dans une décision du 18 avril 2024 (n° 1561, BO n° 19 du 9 mai 2024), a suspendu la sanction en application du quatrième alinéa de l’article R. 232-34 du Code de l’éducation selon lequel : « Le sursis peut être prononcé si les moyens présentés dans la requête paraissent sérieux et de nature à justifier l’annulation ou la réformation de la décision attaquée. » En l’espèce, la décision du conseil académique était entachée de vices de procédure à la fois pour non-respect du délai de convocation et pour défaut de caractère contradictoire de la procédure, deux documents, dont un témoignage important d’un collègue ayant été adressés à l’intéressé après l’expiration du délai de dix jours mentionné à l’article R. 712-35 du Code de l’éducation. À la suite de cette décision du CNESER, l’université de Strasbourg a procédé à la réintégration du maître de conférences avec effet rétroactif, le 24 avril 2024. Une pétition a été lancée par un syndicat étudiant appelant à sa démission ou à son exclusion (DNA, 2 oct. 2024). Par une décision du 15 octobre 2024 (n° 2407017), le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté une requête de cet enseignant-chercheur visant à enjoindre au président de l’université de Strasbourg de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle (CGFP, art. L. 134-1 et L. 134-5) qui lui a été refusée, une première fois de manière implicite et une seconde fois de manière expresse le 25 septembre 2023, ainsi qu’à mettre : « à la charge de l’université de Strasbourg l’ensemble des frais exposés et à venir en relation avec les attaques, violences, harcèlement, menaces, atteintes, injures et diffamations dont il est victime. » Le CNESER s’étant borné à retenir un vice de procédure pour prononcer le sursis à exécuter, le tribunal administratif de Strasbourg en conclut que le requérant : « n’est pas fondé à soutenir que, en l’état de l’instruction, il existe un doute sérieux sur l’appréciation à laquelle s’est livrée l’université de Strasbourg pour considérer que les griefs retenus contre lui étaient constitutifs d’une faute personnelle détachable du service pour lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle ». Affaire à suivre…
B.- Les violences sexistes et sexuelles
La définition juridique de ces violences n’est pas évidente et nous la renvoyons aux spécialistes (C. Leborgne-Ingelaere, « La prévention des violences sexuelles et sexistes au travail » : Lexbase 28 juill. 2023). Bien que commises dans le cadre d’une relation privée, elles sont susceptibles de fonder une sanction administrative dès lors qu’elles ont un retentissement certain au sein même de l’établissement. Il en a été ainsi pour des faits ayant conduit le président de l’École normale supérieure de Lyon à exclure, pour une durée de deux ans, un étudiant en première année de la formation conduisant au diplôme de master de philosophie et de la préparation à l’agrégation. L’intéressé avait entretenu pendant plusieurs mois avec deux autres élèves de l’École une relation amoureuse caractérisée par de la violence physique et verbale, notamment lors de rapports sexuels. Des élèves ont été témoin de propos humiliants et de violence de la part de cet étudiant à l’encontre des deux jeunes filles qui ont porté plainte pour des faits de violence, ainsi que de viol pour l’une des deux. Pour le tribunal : « Ces faits, bien que commis dans le cadre d’une relation privée entre un étudiant et des élèves de l’école, ont eu un retentissement certain tant sur la santé et la scolarité des deux victimes que sur le climat régnant entre les étudiants et les élèves de l’école, lesquels ont, pour certains, été amenés à prendre parti… » Le tribunal administratif de Lyon (17 juill. 2024, n° 2110145) a confirmé la décision d’exclusion, admettant à la fois la preuve par témoignages et les résultats d’une enquête menée par une agence privée.
Signalons que le CNESER s’était montré par le passé plus indulgent envers un professeur d’université déclaré coupable pour un acte d’agression sexuelle sur une personne vulnérable, fille majeure handicapée d’une de ses collègues (CNESER, 3 déc. 2013, n° 935, BO n° 8 du 20 fév. 2014).
Des faits de nature privée, commis par un fonctionnaire en dehors du service, peuvent effectivement faire l’objet d’une sanction disciplinaire dès lors que : « les manquements commis sont par leur matérialité, leur récurrence et leur degré de gravité, de nature à compromettre le fonctionnement normal du service et à porter une atteinte grave et durable au crédit et à l’image de la fonction publique » (TA Marseille, 15 janv. 2024, n° 2105073). Dans cette espèce, un ingénieur au centre d’étude et de recherche sur les qualifications – établissement public national à caractère administratif situé à Marseille – représentant ce centre dans différentes instances nationales et internationales et dont l’épouse travaillait dans le même service, avait été condamné le 25 mai 2020 par le tribunal correctionnel de Marseille pour des faits de violences conjugales d’une particulière gravité, à une peine d’un an ferme sous bracelet électronique et trois ans avec sursis. Après avoir été suspendu de ses fonctions le 29 mai 2020 à la demande de la directrice du centre de recherche, la sanction de révocation pour manquements graves aux obligations statutaires et déontologiques avait été prononcée contre lui par le ministre de l’enseignement et de la recherche, le 29 mai 2020.
Un bel exemple d’humour « carabin » nous est donné par un professeur des universités et praticien hospitalier en fonction à l’hôpital Bichat, relevant de l’AP-HP, lequel au cours d’une seule intervention chirurgicale, réalisée en avril 2023, a réussi l’exploit de cumuler : « des avances de nature sexuelle très directes et répétées » adressées à une étudiante en médecine avec « un comportement relatif au respect des règles d’hygiène et de sécurité, susceptible de mettre en danger le patient opéré » – à savoir : monter sur un tabouret pour danser au son de la musique qu’il diffusait, mettre un pied sur le respirateur du patient opéré et faire tomber de la poussière en direction de ce dernier. S’agissant des avances, l’intéressé soutient pour sa défense qu’il a seulement complimenté l’étudiante sur son physique en lui proposant une rencontre avec ses fils ; cependant, selon des témoins présents au bloc, il a aussi diffusé une chanson dont les paroles présentent un caractère sexuel dénué d’équivoque, l’étudiante ayant clairement manifesté son malaise. Quelques jours plus tard, lors d’une altercation verbale qui l’a opposé à plusieurs étudiants, dont la jeune femme, il a tenu : « des propos menaçants et provocateurs, alors que sa position aurait dû l’inciter à faire preuve de modération et à chercher l’apaisement. » Au-delà, il a encore tenu sur le réseau social X (anciennement Twitter) des propos : « de nature, par leur crudité et leur caractère sexiste, et alors que le profil de l’intéressé mentionne sa qualité de professeur des universités et praticien hospitalier, à jeter le discrédit sur le service public auquel il est appelé à concourir. » Rien de surprenant donc, à ce que le Conseil d’État (CE, 8 oct. 2024, n° 489574), soucieux de mettre fin au trouble généré par le comportement du requérant au sein de l’établissement, rejette sa demande d’annulation de l’arrêté par lequel le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministre de la santé et de la prévention l’ont suspendu de ses fonctions universitaires et hospitalières avec réduction de moitié de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers.
Force est de constater que dans toutes ces affaires les victimes sont des jeunes femmes. Faut-il en déduire que les jeunes hommes sont à l’abri entre les murs des universités tant en ce qui concerne le harcèlement que les violences sexuelles ? Ce constat pourrait s’expliquer par des données statistiques ou encore ou encore, plus vraisemblablement, sociologiques. Le phénomène #Metoo qui a libéré la parole des victimes est pour l’instant féminin, il se pourrait également que l’activisme des associations étudiantes de lutte contre les violences sexistes s’attachent prioritairement à la protection des jeunes femmes, pour exemple, le Clasches se revendique comme une association féministe.
En revanche, une telle distinction n’apparaît pas avec autant d’évidence dans les affaires concernant les relations de travail toxiques au sein de l’université.
II.- Les relations toxiques
Le terme générique de « professeur » par lequel sont parfois désignés les enseignants est extrêmement trompeur car il recouvre en réalité toute une gamme de statuts allant du doctorant, simple chargé de travaux dirigés, dont le sort dépend, non seulement de ses propres capacités intellectuelles mais aussi, et parfois surtout, de ses relations avec son directeur de thèse, ainsi que de l’influence de ce dernier, au plan tant local que national, jusqu’au « grand » professeur qui se situe au sommet de la hiérarchie. Ce titre très envié confère bien entendu un traitement plus confortable et des avantages matériels (bureau particulier bien situé, participation à des congrès internationaux…), mais l’essentiel n’est pas là, il réside davantage dans les pouvoirs qui l’accompagnent, particulièrement lorsqu’il se double de la qualité de directeur d’un centre de recherche, ou de « labo » dans le vocabulaire des sciences dites dures. Les fameuses tâches administratives qui complètent le duo enseignement et recherche pour former le triptyque dont l’évaluation rythme les carrières ne sont pas dépourvues de potentialité de pouvoirs. Elles peuvent mener jusqu’au pouvoir suprême incarné par le président de l’université dont l’influence sur les carrières a été renforcée par la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (C. Chauvet, « Clientélisme universitaire » : AJDA 2024 p. 2337).
Rien d’étonnant donc à ce que les relations entre les membres du tout petit monde soient parfois houleuses. Sans même aller jusqu’au harcèlement moral (B), il est possible de constater dans les décisions récentes l’existence de comportements mettant en péril la sérénité indispensable au travail universitaire (A).
A.- Les comportements délétères
À titre d’illustration, une universitaire, maître de conférences au sein du département de linguistique appliquée et de didactique des langues de l’université de Strasbourg avait, lors de réunions entre collègues ou devant des étudiants, dénigré des collègues en termes injurieux, tenant notamment des propos dégradants sur les capacités intellectuelles de personnes étrangères. Elle avait également fait remplir à ses étudiants un questionnaire nominatif de personnalité comportant des questions inappropriées, en particulier sur leur orientation sexuelle sans que les étudiants soient avertis de son projet d’utiliser les résultats dans le cadre d’une recherche.
Alors que la section disciplinaire avait infligé à l’universitaire la sanction de l’interdiction d’exercice de toutes fonctions d’enseignement dans l’établissement pour une durée de trois ans, avec privation de la moitié du traitement, le CNESER, par une décision du 27 novembre 2019 avait prononcé sa relaxe. Le Conseil d’État (CE, 14 mars 2022, n° 438191) a annulé la décision de relaxe, renvoyant l’affaire devant le CNESER, lequel a renouvelé le prononcé de la relaxe le 15 mars 2023 (n° 1497, BO n° 18 du 4 mai 2023). Suite au pourvoi introduit par l’université, le Conseil d’État (CE, 29 oct. 2024, n° 47579) décide qu’ : « eu égard à la gravité des fautes commises par Mme B…, tant en ce qui concerne la nature des manquements qui lui sont reprochés qu’en ce qui concerne leur diversité et leur étendue dans le temps, il convient de la sanctionner en lui interdisant d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de l’université de Strasbourg pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement. »
Le parcours procédural de cette affaire illustre la tendance du Conseil d’État à contrecarrer l’indulgence du CNESER (R. Reneau, « L’insoutenable légèreté de la sanction : à propos de l’annulation d’une sanction disciplinaire insuffisante infligée par le Cneser » : AJPF 2023 p. 289), tendance confirmée depuis (CE, 27 sept. 2024, n° 488978).
Une autre affaire concerne le comportement agressif reproché à Madame X, professeur des universités, affectée à l’UFR de psychologie de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Alertée par un rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), la présidente de l’université a engagé, le 29 mars 2023, des poursuites disciplinaires contre Madame X. Le dossier ayant été renvoyé par le CNESER devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université Lyon 1 Claude Bernard, celui-ci a prononcé une sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans l’établissement Paris 8 pendant une durée de trois ans, assortie de la privation de la totalité du traitement. Mme X demande au CNESER l’annulation et le sursis en exécution de cette décision. Elle conteste le rapport de l’IGÉSR entaché selon elle de partialité et elle réfute : « le comportement agressif qu’on lui impute ; que le climat de tension existant au sein de l’UFR ne lui est pas imputable », de même qu’« un mauvais usage de son autorité ». Elle estime encore n’avoir « pas manqué à l’obligation de réserve en répondant à un journaliste du Monde et en évoquant un fait certes grave mais présenté de manière anonyme ». Dans sa décision du 15 juillet 2024 (n° 1805, BO n° 34, 12 sept. 2024), le CNESER ne prend pas position sur le fond de l’affaire, se contentant de sursoir à l’exécution de la décision pour non-respect de la procédure.
B.- Le harcèlement moral
Selon l’article L. 132-2 du Code général de la fonction publique : « Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Nous avons pu relever au moins trois cas de harcèlement moral, l’un soumis à un tribunal administratif, les deux autres relevant du Conseil d’État. Dans aucune des trois affaires, le requérant n’a obtenu gain de cause.
Ainsi, le tribunal administratif de Nantes (25 nov. 2024, n° 2201824) a rejeté la requête en annulation de la décision par laquelle le président directeur général de l’Institut national de santé et de la recherche médicale (INSERM) a prononcé à l’encontre d’un directeur de recherche du laboratoire « stress oxydant et pathologies métaboliques » une exclusion temporaire de fonctions d’une durée de six mois sur le fondement de l’article L. 133-2 de Code général de la fonction publique (Ord. n° 2021-1574 du 24 nov. 2021) ainsi que le report de son affectation au sein d’une autre unité de l’INSERM. Il est précisément reproché à ce directeur de recherche : « d’avoir fait régner un climat persistant de peur et de stress dans l’unité dont il assurait la direction, et d’avoir dénigré et dévalorisé des agents placés sous son autorité, ces agissements ayant engendré une dégradation globale des conditions de travail et une altération de l’état de santé physique et mentale de trois agents », faits constituant du harcèlement moral. Outre le signalement du médecin de prévention qui avait alerté l’université, de nombreux témoignages ont fait état : « du comportement managérial abusif, manipulateur et tyrannique (du directeur de l’unité) pendant plusieurs années. » Au harcèlement moral s’ajoute le harcèlement sexuel car il est encore révélé que ce directeur a eu un comportement déplacé envers le personnel féminin au point que plusieurs agentes, craignant de se de se retrouver seules dans un bureau en sa présence, ont mis en place des stratégies d’évitement.
Le 28 mai 2024, le Conseil d’État, par deux décisions publiées au Recueil Lebon, a confirmé la suspension à titre conservatoire, par le ministre de chargé de l’enseignement supérieur, des fonctions d’un enseignant-chercheur (n° 474617) et d’un président d’université (n° 488994) pour faits de harcèlement moral, sur le fondement de l’article L. 951-4 du Code de l’éducation. L’intérêt de la doctrine a été éveillé par les effets que les juges du Palais Royal attachent à une telle suspension, notamment à l’égard d’un président d’université (A. Courrège, « Le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions sur les mesures de suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur, prise sur le fondement de l’article L. 951-4 du Code de l’éducation » (obs. sous 28 mai 2024) : Droit Administratif août 2024 Alerte 91 ; E. Maupin, « Suspension d’un président d’université, quelles conséquences ? » (obs. sous 28 mai 2024 : AJDA 3 juin 2024, p. 1087 ; C. Friedrich, « Enseignement supérieur – Quels sont les effets d’une suspension provisoire, notamment à l’égard d’un président d’université ? » (CE, 28 mai 2024, n° 488994 et CE, 28 mai 2024, n° 474617) : JCP G n° 24, 17 juin 2024, act. 777 ; R. Chambon, « Suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur » (concl. sous CE 28 mai 2024) (2 espèces) : AJDA 22 juil. 2024 p. 1497 ; J. Bousquet, « Suspension conservatoire d’un Président d’Université : quels effets ? » (obs. sous CE 28 mai 2024) (2 espèces) : AJFP oct. 2024 p. 531).
Les deux décisions respectent l’anonymat du requérant, respectivement Mme D… pour le professeur des universités enseignant à CY Cergy Paris Université et M. E…, professeur des universités, président de l’université de D… Mais, s’agissant de la seconde affaire, l’anonymat est tout relatif puisque, lors de la décision de suspension prise par un arrêté du 6 octobre 2023, un communiqué de presse du ministère chargé de l’Enseignent supérieur et de la recherche publié le même jour, annonçait que « La ministre de l’ESR a pris la décision de suspendre le président de l’université de La Réunion de ses fonctions à titre conservatoire et engage une procédure disciplinaire ».
Pour la première affaire, le harcèlement visait les doctorants dont Mme D… dirigeait la thèse et consistait en : « des propos déplacés, des agissements humiliants et des sollicitations abusives à leur égard ».
S’agissant du président, le ministère avait été destinataire : « d’un signalement effectué par sept personnes occupant ou ayant occupé des fonctions au sein de l’université de D…, auprès de la ministre chargée de l’enseignement supérieur, faisant état de dysfonctionnements graves au sein de l’établissement se traduisant par des faits de harcèlement et de pressions exercées sur certains membres du personnel de l’université, en particulier à l’encontre du personnel féminin. » Ce signalement conduisit la ministre à saisir l’IGÉSR pour conduire une enquête administrative.
Le rapport de l’IGÉSR fait état « notamment de la mise en place d’un » système harcelant institutionnalisé « , » suscité et permis par le président « , dont » le déploiement et la permanence reposent aussi sur l’appui de certains membres de l’équipe présidentielle et de cadres administratifs « , ainsi que des faits de harcèlement moral commis par le président au préjudice d’au moins trois agents de l’université et le fait qu’au minimum dix autres personnes connaissent ou ont connu dans l’établissement, au cours de la période récente, » des situations de mal-être ou d’atteinte à leur dignité par des actes de management inapproprié « ». Par ailleurs, le procureur de la République avait été saisi en application de l’article 40 du code de procédure pénale (sur les suites de cette affaire devant les juridictions pénales, cf. M. Dominati, « Quelques rappels à propos de l’interdiction de diriger une université » (obs. ss. Crim., 17 oct. 2023, F-B, n° 23-80.751) : D. actualité, 20 oct. 2023).
Des enseignements relatifs à la sanction de suspension provisoire sont à tirer de ces deux malheureuses affaires. Selon l’arrêt n° 474617, la suspension des fonctions emporte nécessairement celle du droit d’accéder aux locaux de l’établissement, tout en préservant cependant la possibilité d’exercer un mandat électif. En revanche, dans son arrêt n° 488994, le Conseil d’État décide que la suspension provisoire d’un président d’université de ses fonctions fait « obstacle à ce qu’il continue de présider le conseil d’administration de l’établissement et d’y siéger comme de préparer et d’exécuter ses délibérations », ce qui signifie concrètement la suspension de son mandat de président. Par cette interdiction provisoire d’exercer les fonctions de président d’université, le Conseil d’État adopte une position divergente de celle prise par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans la même affaire (Crim., 17 oct. 2023, F-B, n° 23-80.751, préc.). La sévérité du Conseil d’État se justifie car, ainsi que le souligne avec pertinence Clemmy Friedrich, « La suspension aurait été platonique si elle portait uniquement sur les fonctions d’enseignement et de recherche, alors que le président en est déchargé (D. n° 84-431, 6 juin 1984, art. 7, IV) » (JCP G n° 24, 17 juin 2024, act. 777, loc. cit). Un administrateur provisoire a été nommé jusqu’aux prochaines élections. Une telle solution n’est cependant possible que si, conformément à la tradition, le président de l’université est bien un universitaire (O. Beaud, « Jusqu’où descendront les universités ? » : AJDA 2016 p. 2119).
Ainsi que nous venons de le constater, les universitaires sont donc bien exposés à des risques même s’ils se croient à l’abri entre les murs du « tout petit monde » de leur propre établissement : risque d’être victimes mais également risque d’être durement sanctionnés s’ils violent les règles qui leur sont imposées.