POUR UNE GESTION DURABLE DE NOS RESSOURCES EN EAU, M. Halfya, G. Jola, Y. Kancel et R. Rajeandran

Maryem HALFYA

Étudiante en Master 1 – Droit de l’entreprise, Université de Haute-Alsace

Golven JOLA, Yasmin KANCEL et Ragini RAJEANDRAN

Étudiants en Master 1 – Métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace

 

Commentaire du décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024

 

Face à l’augmentation des risques environnementaux et sanitaires liés aux eaux impropres à la consommation humaine, des mesures concrètes sont désormais indispensables pour garantir la protection à long terme de l’environnement et des populations. Le décret du 12 juillet 2024 (Décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations des eaux impropres à la consommation humaine, article 2, JORF n°0166 du 13 juillet 2024 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049962670) marque une avancée importante en répondant aux défis environnementaux grandissants par la pollution des ressources en eau notamment avec des substances nocives telles que les PFAS (per- et polyfluoroalkylées). Ces polluants, en raison de leur persistance dans l’environnement, suscitent des inquiétudes tant sanitaires qu’écologiques (Vie Publique, « Polluants éternels : Les PFAS, un défi environnemental et sanitaire », Avril 2023 : https://www.vie-publique.fr/en-bref/289119-polluants-eternels-les-pfas-un-defi-pour-la-sante-et-lenvironnement). Ce texte réglementaire vise à encadrer strictement l’utilisation des eaux dites impropres à la consommation humaine, définissant juridiquement leur statut et établissant des normes précises pour leur exploitation. Pour faire face à ces enjeux, le gouvernement français avait déjà voulu renforcer la réglementation sur la gestion de l’eau, notamment à travers le décret n° 2022-336 du 10 mars 2022 qui encadre l’utilisation des eaux considérées comme impropres à la consommation humaine. Ce texte est désormais complété par le décret du 12 juillet 2024, qui définit juridiquement ces eaux et établit des normes pour leur utilisation. Face à ces nouvelles ressources impropres à la consommation humaine, il était nécessaire de procéder à des études comparatives internationales, réalisées par la Direction générale du Trésor, examinant la réutilisation des eaux usées dans plusieurs pays tels que l’Italie ou même le Japon (Direction générale du Trésor, « Étude comparative internationale sur la réutilisation des eaux usées », 5 mars 2024: https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/03/05/etude-comparative-internationale-sur-la-reutilisation-des-eaux-usees). Ainsi, dans un contexte d’accumulation d’eaux impropres et de pénuries d’eau croissantes, le décret du 12 juillet 2024 représente une étape importante dans la lutte contre la pollution et la préservation des ressources en eau en France.

Dans quelle mesure le décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 permet-il d’améliorer la gestion des eaux impropres à la consommation, tout en répondant aux enjeux de santé publique et de protection de l’environnement ?

Ce texte va permettre un renforcement du cadre juridique en vigueur au regard des eaux impropres à la consommation humaine tout d’abord en leur attribuant une qualification juridique mais également en instaurant de nouvelles normes sanitaires et techniques. Dans cette lignée, le décret permet la mise en place de mesures diverses visant à assurer la prévention contre le risque de contamination et ainsi la protection des populations côtoyant le réseau utilisant des eaux impropres à la consommation humaine.

 

I.- Un cadre juridique renforcé pour la gestion des eaux impropres à la consommation humaine

Dans un souci de protection de la santé publique et de l’environnement, le décret établit un cadre juridique renforcé pour régir l’utilisation des eaux impropres. Ce cadre repose d’abord sur l’attribution d’une qualification juridique des eaux impropres à la consommation (A), permettant ainsi de définir le statut et les usages autorisés. Ensuite, il fixe des critères sanitaires et techniques stricts pour garantir la sécurité dans l’utilisation de ces eaux non conventionnelles (B).

 

A.- L’attribution d’une qualification juridique aux eaux impropres à la consommation humaine

Le décret du 12 juillet 2024 relatif à l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine attribue une qualification juridique aux eaux impropres à la consommation. Cette qualification juridique ainsi que ces définitions apparaissent nécessaires, puisqu’en effet, préalablement au décret, le rapport conjoint de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER), (Debrieu-Leuvrat (C.), Guery (B.), Locqueville (B.), Seffray (E.), Simon-Delavelle (F.), « Faciliter le recours aux eaux non conventionnelles » : CGAAER, IGEDD, IGAS, 10 octobre 2023, mis à jour le 25 octobre 2023 : https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/faciliter-le-recours-aux-eaux-non-conventionnelles-a3818.html) indiquait que la raréfaction de la ressource en eau obligeait à en repenser les usages et qu’il fallait apporter une définition aux recours aux eaux non conventionnelles. Ce rapport donne des recommandations, notamment concernant le fait qu’il faut prévoir un encadrement réglementaire pour l’utilisation en usage urbain d’eaux de piscine, ainsi que pour l’utilisation à des fins d’irrigation agricole des eaux issues des entreprises du secteur alimentaire. Enfin, ce rapport comporte en annexe différentes cartes et plans concernant la réutilisation des eaux usées sur les différents territoires européens. Cette nécessité se trouve déjà illustrée puisqu’en effet en 2020, le ministère de la transition écologique encourageait la récupération des eaux de pluie du fait des différents enjeux que cela présentait (Environnement – Assainissement non collectif et récupération des eaux de pluie : Droit rural n° 488, Décembre 2020, comm. 202). Il y avait alors une volonté de promouvoir la récupération des eaux de pluies par des mesures d’incitations fiscales sur le fondement de l’article L. 2224-10 du Code général des collectivités territoriales. Certaines collectivités voulaient promouvoir la récupération des eaux de pluies en prévoyant des dispositions spécifiques dans le zonage pluvial annexées au plan local d’urbanisme (PLU) ou au plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) ainsi que par des réductions de TVA de 10% et des aides de l’Agence nationale de l’Habitat.

Dès lors, il apparaissait nécessaire de qualifier juridiquement les eaux impropres à la consommation, de donner leur champ d’application et par la même occasion de les définir, ce que fait le décret du 12 juillet 2024, en venant dans un premier temps donner le champ d’application des dispositions relatives aux eaux impropres à la consommation. Tout d’abord, il commence préalablement à l’article R. 1322-87 par indiquer que le choix discrétionnaire de recourir à l’installation d’un système d’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine relève de la responsabilité juridique du propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eaux. L’article R. 1322-88 du Code de la santé publique énonce toute une série d’eaux exclues du champ d’application du décret, notamment les eaux destinées à la consommation humaine, les eaux impropres à la consommation humaine mais pouvant être utilisées dans les entreprises du secteur alimentaire, les eaux issues de processus industriels pouvant être employées pour certains usages domestiques, soumises à des conditions réglementaires propres, les eaux usées traitées ou encore les eaux de pluie pouvant être employées pour des usages non domestiques.

Une fois le champ d’application des dispositions relatives à l’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine établi, l’article R.1322-89 énonce les différentes définitions nécessaires à la bonne compréhension du décret, notamment celles des systèmes d’utilisation des eaux impropres à la consommations humaine, des usagers ou des systèmes d’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine, des eaux brutes, eaux douces, eaux-vannes, eaux issues des piscines à usage collectif mais également des lieux d’usages des eaux impropres à la consommation humaine. Après avoir qualifié juridiquement et défini les différentes eaux et utilisations d’eaux impropres à la consommation humaine, le décret, par le biais de la codification de l’article R. 1322-92 du code de la santé publique indique les usages pour lesquels l’utilisation des eaux brutes est permise. Enfin les différentes définitions données par le décret sont complétées par l’arrêté du 12 juillet 2024 (Arrêté du 12 juillet 2024 relatif aux conditions sanitaires d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques pris en application de l’article R. 1322-94 du code de la santé publique) qui définit notamment la notion d’arrosage des espaces verts à l’échelle du bâtiment, le nettoyage des surfaces extérieures, le point de conformité mais encore le point de soutirage.

 

B.- Des critères sanitaires et techniques pour l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine

La mise en place de critères est essentielle en raison de l’imprécision du terme de l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine.

Ces critères sanitaires et techniques ont été clarifiés, par le décret du 29 août 2023 qui codifie au sein du code de l’environnement, des dispositions relatives aux critères d’utilisation des eaux de pluie conditionnée à certains usages de consommation tels que l’hygiène (Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées). Ainsi, ces critères proviennent de textes nationaux ou européens comme la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine qui intègre de nouveaux critères sanitaires relatifs aux nouvelles substances dans les analyses sanitaires de l’eau, comme les pesticides (directive (UE) 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, 16 décembre 2020 (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32020L2184). Dans ce cas, c’est aux États membres de définir une valeur qui servira de base dans la gestion de ce paramètre.

En outre, cette directive européenne a connu une application nationale par l’Ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, qui a refondé le code de la santé publique pour ajouter notamment, l’article L. 1321-1 B qui décrit la charge incombant aux communes ou aux établissements publics de coopération concernant l’accès à l’eau dédié à la consommation humaine. Ces textes vont inspirer le décret du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations des eaux impropres à la consommation humaine, notamment en son article 1er et qui va codifier dans le code de la santé publique toute une série de critères concernant l’utilisation de ces eaux.

Tout d’abord, il existe des critères tenant au type d’eau impropre à la consommation humaine. L’article R. 1322-91 du code de la santé publique précise que les eaux pouvant être utilisées directement ou après traitement sont les eaux brutes, les eaux grises et les eaux issues des piscines à usage collectif. Toutefois, certaines eaux peuvent être prohibées en fonction de leur usage comme précisé dans l’article R. 1322-97 du code de la santé publique, c’est le cas des eaux-vannes et des eaux grises traitées pour certaines utilisations comme l’alimentation. Ces critères de qualités sont eux-mêmes soumis à des conditions de forme, car en vertu de l’article R. 1322-94 du code de la santé publique, les critères de qualité imposés pour les eaux impropres à la consommation doivent faire l’objet d’un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’environnement et d’un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Une fois que le type d’eau impropre à la consommation humaine entre dans ces critères, il convient de répondre à des conditions liées au lieu d’utilisation. En effet, l’article R. 1322-95 du code de la santé publique dispose que l’utilisation d’eaux impropres à la consommation est autorisée dans certains bâtiments comme dans l’enceinte des bâtiments pour les parties intérieures et extérieures, les établissements recevant du public, les lieux de travail, les bâtiments d’habitation collective. De plus, l’article R. 1322-96 du code de la santé publique ajoute que les eaux impropres à la consommation humaine ne peuvent être utilisées que dans les lieux d’où elles proviennent sauf dérogation spécifique. La conformité des eaux impropres à la consommation humaine doit être assurée par un traitement proportionné et adapté comme l’indique l’article R. 1322-99.

De même, ce décret du 12 juillet 2024 a fait l’objet d’une application par l’arrêté du 12 juillet 2024 mentionné précédemment. Cet arrêté consacre en annexe les critères de qualité permettant de déterminer la conformité des eaux impropres à la consommation. En l’espèce, certains paramètres doivent atteindre une certaine valeur pour être considérés comme conformes. Cette valeur change en fonction de la qualité A+ ou A, par exemple, pour le pH de ces eaux, la valeur doit se situer entre 5,5 et 8,8 pour que l’eau soit qualifiée de qualité A+. Ce même arrêté comprend des dispositions sanctionnant le non-respect de ces critères de conformité. Aussi, l’article 11 de cet arrêté dispose que si un critère de qualité de l’eau n’est pas respecté, le propriétaire a l’obligation d’arrêter le système de distribution d’eaux impropres à la consommation et procéder à des actions rectificatives pour répondre à ces critères.

Bien que les critères d’utilisation de ces eaux impropres à la consommation humaine soient assez spécifiques, ils répondent à différentes problématiques comme le manque de ressources en eaux. Prenons l’exemple de Mayotte, connaissant une importante crise d’eau potable, avec 29 % de la population qui ne dispose pas d’eau courante et qui voit les eaux impropres à la consommation humaine comme un ultime recours. En effet, le territoire de Mayotte utilise principalement de la pluie comme eau pour la consommation humaine (Meynaud-Zeroual (A.), « Ressources – N(eau) future ? » : Droit Administratif, Janvier 2024).

Le non-respect de certains critères entraîne une pénalisation réglementée par l’ordonnance n° 2018-21 du 17 janvier 2018, codifiée à l’article L. 1324-3 du code de la santé publique. Ainsi, une personne fournissant de l’eau destinée à la consommation humaine sans avoir confirmé son usage, encourt un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette disposition n’a pas été remise en cause par le décret du 12 juillet 2024.

Ces nombreux critères ont pour but de protéger la santé humaine et prévenir des risques. Pour cela, des mesures rigoureuses sont mises en place.

 

II. L’instauration de mesures de prévention et de protection

Dans leur objectif de protection de la santé publique, les nouvelles dispositions du Code de la santé publique vont être déterminantes dans la mise en place du contrôle administratif quant à l’autorisation et au suivi de l’utilisation de réseaux d’eaux impropres à la consommation humaine (A), permettant de prévoir une meilleure gestion du risque de contamination si celui-ci venait à se présenter (B).

 

A.- La mise en place d’un contrôle administratif rigoureux

La gestion des eaux impropres à la consommation humaine repose sur des critères sanitaires et techniques stricts définis dans le Code de la santé publique. Ces règles visent à protéger la santé des personnes et exigent d’arrêter l’utilisation en cas de contamination. Dans cette lignée, il est nécessaire de prévoir une réglementation stricte préalable à l’accord de l’administration vis-à-vis de l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine afin d’éviter au plus le risque sanitaire issu de la contamination de ces réseaux.

Cette idée, bien qu’inédite dans le Code de la santé publique, s’ancre pourtant dans une continuité normative déjà perçue dans le Code de l’environnement en son article R. 211-23, donnant lieu à la transposition quasi-identique du régime procédural des autorisations administratives observé chez les agriculteurs au niveau des réseaux domestiques, instituant toutefois un contrôle administratif plus assidu pour les particuliers (Février (J.), « La réutilisation des eaux usées traitées, entre droit commun et spécificités des usages agricoles » : Revue de Droit rural n°12, décembre 2023, étude 20)

Dès lors, l’article premier du décret du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations des eaux impropres à la consommation humaine va codifier ces mesures dans la partie réglementaire du Code de la santé publique, notamment en faisant état de la procédure rigoureuse à respecter conditionnant l’autorisation d’utilisation de ces ressources aux articles R. 1322-100 à 1322-105. Le propriétaire du réseau doit donc déclarer de manière officielle sa volonté de faire usage d’eaux impropres à la consommation humaine au préfet. Cette déclaration s’effectue avant la mise en service du réseau et est assortie d’un dossier complémentaire permettant d’analyser la compatibilité des lieux visés avec la protection de la population riveraine. Cette autorisation est obligatoire dans la mesure où les eaux impropres utilisées entrent notamment dans le cadre des tâches ménagères, ou encore de l’alimentation de fontaines, des usages pouvant engendrer la dispersion d’agents pathogènes issus de la contamination des eaux impropres à la consommation humaine. Le préfet peut se faire assister de plusieurs organismes, dont l’Agence régionale de santé, statuant chacun dans des délais variés et dont le silence gardé vaut avis défavorable. Ces consultations permettent une véritable prévention du risque de contamination et conditionnent l’autorisation du préfet. Ce contrôle administratif initial est d’autant plus détaillé par l’arrêté du 12 juillet 2024 précité, faisant état des étapes entreprises par le préfet conditionnant son accord. Il va ainsi pouvoir échanger avec le propriétaire du réseau afin de s’assurer que celui-ci ait procédé à toutes les mesures préventives nécessaires au bon fonctionnement du système, voire ordonner l’établissement de contrôles techniques des réseaux pour disposer d’un avis professionnel sur l’efficacité des installations. Cela permet d’établir si les mesures engendrées par le propriétaire du réseau sont conformes ou non aux attentes du préfet, et donner lieu à l’attribution d’un délai supplémentaire visant à permettre à ce propriétaire de procéder à des mesures correctives conditionnant l’accord du préfet.

Une fois cette procédure terminée, l’arrêté d’autorisation d’une validité de 5 ans est rendu par le préfet qui fixe les critères de qualité à respecter pour l’usage domestique des eaux impropres à la consommation. La demande de renouvellement doit être déposée au moins six mois avant son expiration. Une fois l’accord final donné, le propriétaire recevra une fiche d’attestation de conformité du réseau. Un contrôle mensuel les deux mois suivant l’attestation sera tout de même effectué afin d’évaluer le fonctionnement du réseau après sa mise en marche. Pour assurer une prévention contre le risque de contamination des environs du réseau, une continuité de la procédure de contrôle administratif est assurée par un suivi périodique au sein des dispositions réglementaires du Code de la santé publique dans ses articles R. 1322-106 à R. 1322-108. Ce dispositif de suivi est d’autant plus important dans le cas de modifications des systèmes d’exploitation des eaux impropres à la consommation, permettant au préfet d’instaurer une cartographie du risque éventuel et d’assurer une bonne gestion en cas d’incident. Toute modification ayant une incidence sur les dangers encourus ou mettant en péril la protection de la santé humaine nécessite la délivrance d’une nouvelle autorisation. Cette procédure, bien que conséquente, permet réellement de mettre en place une base solide quant à la prévention contre le risque de contamination. Il convient d’établir des mesures de police administrative afin d’assurer ce contrôle et éventuellement rappeler à l’ordre, voire sanctionner les personnes violant les autorisations accordées pour l’utilisation des eaux. C’est pourquoi le décret du 12 juillet 2024 va introduire les articles R. 1322-109 et R. 1322-110 au Code de la santé publique instaurant le contrôle administratif du respect des mesures imposées par le préfet par le propriétaire du réseau utilisant des eaux impropres à la consommation humaine, un non-respect pouvant bénéficier de délais de correction, voire dans les cas les plus drastiques faire l’objet d’une cessation totale d’utilisation du réseau. La conséquence matérielle de ce contrôle continu est déjà constatée au sein de la jurisprudence, notamment dans un  arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nancy saisie en référé rendu le 04 octobre 2024, refusant une expertise des eaux d’un domicile touché par une dégradation de la santé de ses habitants, une mesure justifiée en raison de contrôles périodiques conformes aux exigences de qualité effectués par l’Agence régionale de la santé (CAA NANCY, Juge des référés, 04 octobre 2024, 24NC01658: Inédit au recueil Lebon). Un tel contrôle de qualité des eaux a également été observé lors des différents prélèvements effectués dans la Seine en prévision des Jeux Olympiques de Paris tenus en 2024 pour assurer une baignade dans des eaux impropres à la consommation humaine surveillées afin de prévenir le risque de transmission de bactéries nuisibles à la santé humaine (Boullet (P.), « JO Paris 2024 : comment la Seine est-elle dépolluée ? », 15 mars 2024 mis à jour le 17 juillet 2024 : https://www.linfodurable.fr/sante/jo-paris-2024-comment-la-seine-est-elle-depolluee-44246). Enfin, de plus en plus d’acteurs sont sensibilisés par la thématique de la pollution des eaux, comme l’entreprise VEOLIA, qui a mis en place des mesures de prévention contre le risque de contamination des eaux et de propagation. Celle-ci se fonde majoritairement sur les dispositions nouvelles du Code de la santé publique, notamment en ce qu’elle préconise le suivi assidu des eaux impropres à la consommation humaine dans le but de favoriser la prévention des risques pour une meilleure gestion des risques en cas d’incident (VEOLIA, “Pollution aux PFAS : quelles solutions pour les ressources en eau ?”, Août 2024: https://www.veolia.fr/pollution-aux-pfas-quelles-solutions-ressources-eau).

 

B.- Une gestion des risques pour la santé publique et l’environnement

Le décret du 12 juillet 2024 établit un cadre pour gérer les risques sanitaires et environnementaux liés à l’utilisation des eaux impropres à la consommation humaine, mettant en place des dispositifs d’urgence et des mesures spécifiques pour les établissements sensibles. Des actions immédiates telles que la désactivation des réseaux contaminés et l’alimentation d’urgence en eau potable, visent à limiter les impacts néfastes. Cette approche réactive ne permet pas de bénéficier d’une véritable prévention à long terme, particulièrement avant la survenance de la crise. De plus, une expérimentation encadrée sur l’utilisation des eaux grises est introduite, limitée aux usages domestiques et soumise à des normes strictes. Cette expérimentation visant à explorer des alternatives aux ressources en eau conventionnelles est prévue jusqu’au 31 décembre 2034.

Bien que cette date limite puisse favoriser des ajustements, elle soulève le doute quant à la durabilité de ces pratiques sur le long terme. Lorsqu’un risque de contamination est détecté, le décret impose l’arrêt immédiat du réseau selon l’article R. 1322-108 du Code de la santé publique. Cette mesure vise à limiter la propagation des polluants et à protéger la santé publique. L’intervention du préfet prévue par l’article R. 1322-112 du même code centralise les actions, ce qui pourrait limiter la réactivité locale. Une approche décentralisée permettrait une réaction plus rapide en cas d’urgence. En effet, le préfet joue un rôle central dans la coordination des actions en cas de contamination. Or, cette centralisation pourrait être un frein en cas de crise à grande échelle, où la réactivité locale serait plus efficace. L’article R. 1322-108 et l’article 11 de l’arrêté du 12 juillet 2024 permettent la désactivation immédiate des réseaux mais le temps de coordination nécessaire pour une réponse efficace pourrait ralentir l’intervention. De même, la gestion des risques repose sur une responsabilité partagée entre les autorités publiques, les gestionnaires de réseaux d’eau et les acteurs privés. Chaque acteur joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre des mesures. Par ailleurs, une gestion décentralisée des risques pourrait être renforcée pour permettre aux gestionnaires de réseaux d’avoir plus d’autonomie et réagir plus rapidement face à une contamination. La communication en temps réel est cruciale pour la gestion des crises, le décret impose donc aux gestionnaires des réseaux d’informer les autorités compétentes et la population en cas de contamination, garantissant une gestion coordonnée du risque. Cette transparence et cette traçabilité sont essentielles pour prévenir l’amplification des risques. L’exemple de Daikin à Lyon, où l’extension des activités a été suspendue en raison de contaminations aux PFAS, illustre l’importance d’une communication proactive pour éviter la propagation des risques (Le Monde, « Dans l’affaire des “polluants éternels” », 21 juin 2024) https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/06/21/dans-l-affaire-des-polluants-eternels-la-justice-suspend-l-extension-des-activites-de-daikin-a-lyon_6242162_3244.html).

Le décret prévoit également un système de surveillance continue, avec des contrôles réguliers imposés par les articles R. 1322-106 à R. 1322-108 pour garantir la qualité de l’eau distribuée. Une telle application de ce suivi dans des zones rurales ou des petites communes où les ressources humaines et financières sont limitées peut poser problème. Ce suivi est essentiel, mais sa mise en œuvre efficace reste un défi dans certains contextes locaux. Par ailleurs, les établissements sensibles tels que les hôpitaux, écoles ou maisons de retraite, qui abritent des populations vulnérables, nécessitent une gestion particulièrement rigoureuse des risques. L’article R.1322-98 du Code de la santé publique et l’arrêté du 12 juillet 2024 imposent des analyses régulières et des mesures correctives immédiates en cas de contamination. Toutefois, pour garantir une protection optimale, il est important que ces contrôles soient adaptés aux spécificités de chaque établissement et que les ressources nécessaires pour les réaliser soient effectivement disponibles.

Bien que le décret du 12 juillet 2024 établisse un cadre rigoureux pour la gestion des risques sanitaires et environnementaux liés aux eaux impropres, plusieurs améliorations restent possibles. Si la réactivité face à la contamination est bien assurée par des mécanismes de désactivation des réseaux et de fourniture d’eau potable d’urgence, la gestion préventive et décentralisée pourrait être renforcée pour permettre des réponses plus rapides et locales. Une plus grande autonomie pour les gestionnaires de réseaux d’eau et un système de surveillance mieux adapté à toutes les zones géographiques seraient bénéfiques pour améliorer l’efficacité des interventions. Enfin, il paraît essentiel de réfléchir à l’intégration durable des eaux grises au-delà de 2034, afin d’assurer une gestion résiliente des ressources en eau face aux défis environnementaux.

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