Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SUBIES PAR LES SOIGNANTS, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

Commentaire du rapport 2022 de l’ONVS, Lutte contre les violences faites aux soignants

Mots-clés : Personnel médical – victimes de violences – violences physiques ou verbales – retombées du Covid-19 – signalements – soutien aux soignants.

L’observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) recueille depuis 2005, sur la base du volontariat, les signalements de faits de violence (dont les incivilités, violences physiques et verbales, actes de malveillance, dégradations, vols, destructions) commis dans les établissements de santé contre les personnes et contre les biens. Lesdits actes violents peuvent concerner les malades ou leurs proches mais aussi le personnel de santé.

Précisément il a été question de ce type de drame dans le rapport 2022 de l’ONVS, rapport qui a été dévoilé récemment par la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo. Madame la ministre s’était rendue le 21 novembre à Chambéry pour participer à une manifestation organisée autour de la lutte contre les violences faites aux professionnels de santé. On lui a fait connaître le contenu de ce rapport qu’elle a diffusé pour insister sur les difficultés rencontrées à l’hôpital, sachant que la crise sanitaire du Covid-19 a encore fait augmenter le nombre de violences physiques et verbales à l’égard du personnel médical.

Il est essentiel de bien comprendre ce qui peut se passer à l’hôpital et de quel type de violences il peut s’agir (I) pour essayer d’améliorer la lutte à mener contre les auteurs de violences subies par les soignants et la prise en compte des victimes (II)

I – La dure réalité des violences à l’hôpital ou en milieu de santé

S’il est vrai que des actes de violences peuvent être commis par le personnel soignant à l’égard des patients vulnérables, certains agissements du corps médical étant parfois ressentis comme des violences (par exemple des violences obstétricales), les soignants sont de plus en plus souvent impliqués par des affaires en lien avec diverses formes de violences. En effet, la place des professionnels de santé est renforcée pour venir en aide aux victimes de violences conjugales, domestiques ou intrafamiliales (La place du professionnel de santé face aux violences intrafamiliales. La place du professionnel de santé face aux violences conjugales : état des lieux et perspective, numéro spécial JDSAM 1er novembre 2021, n° 5-6). Ils doivent à la fois intervenir pour dépister les violences et les signaler mais aussi assurer la prise en charge des victimes. Il leur est précisément demandé de lancer des alertes dès qu’ils ont connaissance de ces drames et ce dans l’esprit de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (I. Corpart, Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte et diminution des risques, JAC n° 216, avril 2022).

Une autre forme de violence a été aussi repérée, à savoir celle qui peut survenir contre les soignants (I. Corpart, Les incivilités et les violences des usagers dans les établissements de soins, RDSS 2019, p. 1080 ; K. Lefeuvre-Darnajou, La violence en milieu hospitalier : de la prévention à la sanction de la violence par le droit, Médecine et Droit 1er mars 2004, p. 54 ; F. Vialla, L’hôpital lieu violent et/ou lieux de violences, Rev. droit et santé, n° 45, 2012). Il arrive que des malades soient perturbateurs en raison de leurs soucis psychiatriques et qu’ils s’en prennent à d’autres patients mais aussi au personnel médical. En effet, il n’est pas rare que ces patients soient considérés comme dangereux (T. Najman, Le péché originel de la psychiatrie, RJPF 2019-10/4 ; CA Aix-en-Provence, ordonnance du 5 oct. 2021, n° 21/00192). Néanmoins, les soignants sont aussi victimes de violences dans d’autres circonstances, notamment en raison des tensions subies par les malades et leur famille (patient qui s’est montré agressif verbalement depuis son entrée dans le service et qui a proféré des menaces de mort : CA Montpellier, ordonnance du 5 janv. 2021, n° 20/06002 ; violences sur l’équipe soignante : CA Paris, ordonnance du 4 oct. 2021, n° 21/00359), en particulier pendant les temps forts de la crise sanitaire.

On relève dans différents rapports, en particulier dans le rapport annuel 2022 de l’ONVS que, au sein des établissements de santé, le personnel est de plus en plus souvent confronté à des incidents, incivilités ou des violences verbales et physiques, ce qui risque d’entraîner une dégradation des conditions de travail.

Des patients déments mais aussi des patients agacés, qui ne supportent plus les longs temps d’attente ou le manque d’information ou d’humanisme et même l’annonce d’une grave pathologie ou d’un problème d’ordre médical ont parfois des attitudes répréhensibles, lesquelles peuvent dégénérer en incivilités, voire en violences verbales et même physiques. Devoir attendre est une contrariété insupportable pour eux et leur réaction peut être totalement disproportionnée, aggravée encore quand ils sont sous l’emprise de l’alcool, de stupéfiants, voire de médicaments.

Le rapport de l’ONVS met aussi l’accent sur les retombées de la crise sanitaire montrant que « la violence verbale et physique à l’égard des soignants s’est nourrie du Covid-19 ». Elle a en effet eu un fort impact sur le fonctionnement des établissements de santé. Quand le personnel a dû interdire à des proches des patients de se rendre aux côtés, voire au chevet des personnes hospitalisées, il a parfois subi différentes formes de violence. Il est vrai que la limitation du libre accès à l’hôpital ainsi que le confinement ont contribué à faire ressentir une insécurité, une frustration et une incompréhension, surtout quand le patient était en fin de vie. Beaucoup de personnes ont souffert également de déprogrammation d’interventions chirurgicales ou de consultation. La prise de position des patients était très différente selon les uns et les autres car pour certains, les mesures sanitaires ont été estimées pas suffisamment contraignantes pour se protéger du virus, tandis que d’autres les ont jugées trop contraignantes, voire dépourvues de tout intérêt.

II – Les pistes à suivre pour soutenir les soignants, victimes de violence

Madame la ministre Agnès Firmin Le Bodo a immédiatement réagi à l’annonce des drames vécus par le personnel médical. Si ces derniers ne doivent pas être auteurs de violences, il ne faut pas bien sûr non plus qu’ils en subissent et soient victimes ; de plus, et il est essentiel de les soutenir pour que l’on ne se retrouve pas en manque de soignants. Pour la ministre « le respect dû aux professionnels est pour moi une valeur cardinale : toutes les violences dont ils sont victimes doivent être dénoncées, combattues et sanctionnées pour que jamais elles ne soient banalisées ».

Afin de renforcer la lutte contre de tels agissements et de concevoir de nouveaux outils contre ces violences visant les professionnels de santé, elle a annoncé cinq axes de travail à savoir :

  • « La refonte de l’outil de signalement de l’ONVS afin de simplifier la déclaration de violence et de l’ouvrir aux professionnels de santé libéraux. 
  • La parution d’une circulaire rappelant les bonnes pratiques de protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière.
  • La mobilisation des 7 ordres sur les dispositifs existants et l’application des mesures. 
  • La publication d’un guide de bonnes pratiques en matière de sécurité bâtimentaire.
  • Le lancement d’une concertation pour renforcer la lutte contre les violences faites aux soignants ».

Il est vrai qu’il faut rapidement prendre conscience de ces drames et de tout faire pour éviter de banaliser ces violences. Dès lors, il serait pertinent d’ouvrir une nouvelle plateforme en ligne, gérée par l’ONVS et accessible aux médecins libéraux mais aussi de rédiger un guide proposant un corpus de bonnes pratiques.

Une circulaire ministérielle à venir mettra l’accent sur le renforcement des conventions « santé-sécurité-justice » déjà existantes en faisant le nécessaire pour bien les adapter aux circonstances.

Le soutien aux soignants passe à la fois par des mesures tendant à prévenir les violences, en formant notamment le personnel dans le but que chacun soutienne ses collègues, témoigne de ses difficultés et le cas échéant accompagne les victimes. L’accent doit être mis sur la collaboration.

Il est inacceptable que les soignants soient maltraités, qu’il s’agisse d’agressions physiques ou simplement verbales. Leurs conditions de travail se dégradent et tous les patients risquent alors d’en subir les conséquences.

Il serait toutefois inapproprié de parler de la dangerosité des lieux de soins. Le rapport montre une évolution du nombre des violences mais il importe de comprendre que cela ne reflète pas forcément la dangerosité de l’établissement de santé mais que cela renvoie au nombre de fois où les soignants victimes ont fait le choix de signaler les agressions.

Il faut aussi que l’acte violent soit clairement repéré car l’état d’agitation d’un patient peut être perçu différemment par des soignants. Certes le patient est rendu vulnérable par sa maladie et il est souvent agité, fragile, angoissé mais cela ne suffit pas à parler de violence. Cela peut toutefois conduire à l’insécurité du soignant, ce contre quoi il est urgent de lutter.

Les auteurs de ces violences sont souvent des patients sous l’emprise de médicaments, d’alcool ou de produits stupéfiants, mais aussi des personnes fortement angoissées ou anxieuses en raison de leur maladie ou l’état de leur proche qui a dû être hospitalisé.

Cette insécurité au cœur des établissements de soins peut entraîner des difficultés de recrutement et des arrêts de travail, lesquels posent alors problème à toute l’équipe médicale. Tout doit être fait pour éviter une telle mise en danger parce que les soignants sont parfois épuisés face à l’attitude de leurs patients ou des membres de leur famille et angoissés de programmer certains soins. Cela risque également de nuire au moral des autres patients et de désorganiser totalement le service hospitalier.

En parler est déjà très important, à la fois pour que ces drames soient connus et compris mais aussi pour libérer la parole et inciter les intéressés à faire des signalements sans trop tarder. Cela pourra aussi aider à améliorer les relations entre les soignants et les patients mais aussi avec leur entourage.