Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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PAS DE RESPONSABILITÉ MÉDICALE SANS FAUTE PROUVÉE DU PROFESSIONNEL DE SANTÉ, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

Commentaire de Cass. 1re civ., 14 décembre 2022, n° 21-22.037 A LIRE ICI

Mots-clés : intervention chirurgicale – pose d’une prothèse de hanche – luxations et douleurs – responsabilité médicale – recherche de la faute du médecin – charge de la preuve – éléments médicaux probants – rapport d’expertise – lien de causalité entre le dommage et la faute – rejet de la responsabilité faute de preuve.

L’affaire jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 décembre 2022 (n° 21-22.037) permet de mettre l’accent sur le fait que la responsabilité d’un professionnel de santé peut être engagée lorsque le patient a des retombées douloureuses d’une prothèse de hanche, mais que toute la difficulté est de démontrer qu’une faute du personnel médical est à l’origine de ces problèmes. La Cour de cassation insiste classiquement sur le fait que sa responsabilité ne peut être engagée que sur la base de la faute qu’il aurait commise lors de l’intervention chirurgicale.

Pour se repérer

Un patient souffrant de problème avec sa hanche a programmé une intervention chirurgicale. Il a été opéré le 10 février 2003, et son chirurgien exerçant une activité libérale dans un établissement de santé public lui a posé une prothèse de hanche. Malheureusement cela ne s’est pas bien passé car il a subi plusieurs pénibles luxations après son opération chirurgicale. Pour y remédier, il a fallu démarrer de nouvelles interventions afin de mettre une nouvelle prothèse et, en outre, de mettre en place un dispositif anti-luxation. 

Cette opération de la hanche lui ayant causé de grosses douleurs, le patient a tenté d’obtenir réparation de son préjudice. Pour ce faire, il a engagé une procédure de responsabilité médicale à la fois contre l’entreprise ayant fabriqué la prothèse, à savoir la société Depuy France et contre le chirurgien auteur de l’intervention. 

Les juges du fond ont écarté la responsabilité du fabricant de la prothèse et celle du fabricant de la tête fémorale, société Ceramtec, mis en cause par le premier fabricant (CA Pau, 1er juin 2021). Ils ont en revanche retenu la responsabilité du praticien ayant implanté la prothèse, bien que les expertises judiciaire et administrative qui avaient été ordonnées n’avaient pas relevé de faute médicale de sa part, mentionnant notamment que « la prothèse de hanche droite posée le 10 février 2003 par le chirurgien était tout à fait adaptée à la morphologie et à l’âge (du patient) ». Pour les juges, le praticien a commis une faute en ne mettant pas en place un dispositif anti-luxation dès la première intervention chirurgicale, ce qui a été à l’origine des pénibles souffrances subies par la personne opérée et une importante indemnisation du patient a été décidée, avec au surplus un remboursement à la caisse primaire d’assurance maladie. Dès lors, contestant la prise en compte des luxations, le professionnel de santé a formé un pourvoi en cassation.

Pour aller à l’essentiel

Comme la charge de la faute du praticien incombe au patient, il fallait qu’il puisse prouver que le dommage qu’il avait subi était bien en rapport avec l’intervention de son chirurgien. Cela devait apparaître dans la décision rendue mais les juges de la cour d’appel n’ont pas précisé sur quels éléments probants et médicaux ils se sont fondés pour retenir sa responsabilité, raison pour laquelle la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation. 

Conformément à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, la décision devait reposer sur la démonstration d’une faute car, pour retenir la responsabilité d’un chirurgien, il est indispensable qu’une faute médicale soit évoquée et qu’elle soit clairement prouvée. En effet, selon ce texte issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (modifié par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures), « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ». Puisque, en l’espèce, les conclusions des rapports d’expertises judiciaire et administrative ne relevaient ni l’existence d’une telle faute, ni une erreur ou maladresse, il fallait que les juges du fond précisent clairement sur quels éléments médicaux ils fondaient leur raisonnement. Il ne suffisait pas qu’ils notent que le patient souffrant de luxations après la première intervention, cela prouvait que le praticien aurait dû mettre en place un dispositif anti-luxation dans la mesure où une fois que ce choix a été fait lors de la seconde opération, il n’y a plus eu de nouvelles douleurs. 

Pour la Cour de cassation, les juges du fond ne pouvaient pas retenir la responsabilité du chirurgien car ils n’avaient pas suffisamment caractérisé sa faute. Il n’était ni suffisant ni pertinent d’affirmer qu’il n’avait pris conscience des caractéristiques morphologiques de son patient mais il fallait rassembler des éléments probants et médicaux en vue de justifier cette prise de position, raison pour laquelle les juges de la Cour de cassation ont cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel, estimant qu’elle avait privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.

Pour aller plus loin

Si dans le domaine de la santé, les techniques médicales ont bien évolué, cela n’a pas ralenti le nombre de dommages subis en matière hospitalière. Beaucoup de patients sont encore victimes des dommages en raison d’une mauvaise exécution des soins programmés. En ce cas, on peut tenter la piste de la responsabilité médicale du praticien ou de l’établissement de soins afin de réparer les dommages.

Lorsqu’une intervention chirurgicale est programmée, un contrat est conclu entre le patient et le professionnel de santé qui est tenu de respecter ses engagements en apportant des soins consciencieux et attentifs, conformes à l’état du malade. S’il manque à ses devoirs, sa responsabilité médicale peut être engagée quand la personne qu’il a opérée est victime d’un préjudice causé par son intervention, raison pour laquelle les professionnels de santé souscrivent une assurance pour avoir une garantie si leur responsabilité est retenue. On peut prendre en considération un préjudice corporel, moral, voire économique, néanmoins il faut pouvoir prouver que l’état du patient est en lien avec une faute commise par le chirurgien et non par les problèmes dont il était victime avant son opération et qui l’avaient motivé à se rendre à l’hôpital. La preuve de la faute et du lien de causalité entre la faute et le dommage subi à l’occasion de l’acte médical incombe au patient, le médecin étant effectivement tenu d’une obligation de moyens. En effet depuis le célèbre arrêt Mercier rendu par la Cour de cassation le 20 mai 1936 qui a reconnu la nature contractuelle de la responsabilité du médecin, il est admis que l’obligation de soins découlant du contrat médical est une obligation de moyens. Le médecin doit donc tout mettre en œuvre pour bien soigner son patient en lui donnant des soins consciencieux et attentifs ainsi que conformes aux données de la science, mais il ne s’engage pas à le guérir systématiquement, ce qui serait le cas si on exigeait une obligation de résultat.

À défaut de pouvoir réunir des preuves suffisantes, le patient ne peut pas obtenir réparation car la responsabilité du professionnel de santé est une responsabilité pour faute, point visé par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite loi « Kouchner ». En conséquence un chirurgien ne peut voir sa responsabilité engagée que si le patient parvient à démontrer qu’il a commis une faute et que son dommage est imputable à cette attitude fautive.

Le médecin pourrait avoir commis une faute technique en commettant une erreur s’il ne respecte pas les règles scientifiques ou ne tient pas bien compte de l’état du malade. Inattention ou imprudence ou encore erreur de diagnostic peuvent conduire les juges à considérer qu’une faute médicale a été commise. En revanche, il ne suffit pas d’invoquer des douleurs ou une absence d’amélioration de l’état de santé (différence entre les obligations de moyens et de résultat). Afin d’obtenir réparation de son préjudice, tout patient doit être en mesure de réunir les preuves de la faute médicale qu’il reproche au praticien. Selon les cas, il peut s’agir également d’un défaut du produit de santé utilisé par le praticien, auquel cas le producteur dudit produit pourrait voir sa responsabilité engagée. Évidemment, un chirurgien ne fabrique pas lui-même une prothèse de hanche, mais il se la fait livrer.

Certes certaines victimes peuvent subir les contrecoups de cette analyse classique du droit de la responsabilité médicale qui repose sur l’exigence de la preuve d’une faute médicale mais il faut éviter que les médecins soient tenus de verser des dommages et intérêts lors qu’ils ont fait leur travail au mieux de leurs possibilités. En l’espèce, les expertises ont relevé que la pose de la prothèse était parfaitement adaptée à la morphologie du patient. En conséquence, comme le personnel de santé ne répond que de sa faute, la demande de réparation de ses dommages intentée par la personne opérée deux fois dans cet établissement de santé doit être écartée dans la mesure où aucune erreur, maladresse, geste maladroit ou négligence du professionnel de santé du praticien n’est démontrée. Si le patient veut être indemnisé, il lui incombe de réunir les preuves nécessaires. En effet, la responsabilité médicale est écartée à partir du moment où les preuves ne sont pas apportées car un médecin ne peut être sanctionné que s’il commet une faute.