Nathalie ARBOUSSET
Ingénieur d’études au CERDACC
- Affaire Metaleurop et la pollution des terrains voisins
Depuis les années 1920, la société Peñarroya a exploité une usine métallurgique sur le territoire des communes de Noyelles-Godault et de Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais). Cette société a été intégrée, dans les années 1990, au groupe Métaleurop, au sein d’une filiale dénommée Métaleurop Nord. M. et Mme C…, riverains du site, ont demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler la décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a implicitement rejeté leur demande tendant, d’une part, à faire réaliser en urgence des travaux de dépollution et, d’autre part, de condamner l’Etat à leur verser, en réparation des différents préjudices qu’ils estiment avoir subis du fait de leur exposition aux métaux lourds, la somme totale de 58 000 euros.
Le tribunal administratif de Lille puis la Cour administrative d’appel de Douai, en 2024, ont jugé que l’État avait commis une faute dans la mise en œuvre de son contrôle de l’ancien site métallurgique Metaleurop et l’ont condamné à indemniser les préjudices découlant de ce manquement (CAA de DOUAI, 1re chambre, 23 mai 2024,n°22DA00216) . Saisi en cassation par la ministre de la transition écologique et la cohésion des territoires, le Conseil d’État annule la décision de la cour administrative et renvoie l’affaire devant cette même cour. Le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel, en se fondant sur le seul constat d’une pollution aux métaux lourds sur les terrains voisins de l’usine, n’a pas caractérisé en quoi l’Etat, qui a soumis l’usine à un encadrement et un suivi régulier et de plus en plus précis à partir de 1934 et jusqu’à sa fermeture en 2003, aurait manqué à ses obligations au titre de la police des installations classées (CE, 24 juill. 2025, n°496331, Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires c/ M. et Mme C… ).
Le code de l’environnement confie à l’État, au titre de ses pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l’environnement. À ce titre, il lui incombe de délivrer une autorisation d’exploitation d’une installation classée et de l’assortir de prescriptions propres à prévenir les risques susceptibles de survenir à raison de cette exploitation. De plus, il doit veiller au respect de ces prescriptions en effectuant un contrôle.
En l’espèce, l’État a exercé ses pouvoirs de police en encadrant l’activité de l’usine. Une soixantaine d’arrêtés préfectoraux ont été pris depuis 1934 pour imposer des mesures techniques afin de limiter les rejets atmosphériques, installer des capteurs à l’extérieur du site et faire réaliser des études. Huit rapports d’inspecteurs des installations classées, réalisés entre 1969 et 2003 montrent que l’État avait exigé l’installation de dépoussiéreurs et de filtres et imposé la réalisation d’études des moyens techniques permettant de remédier à la pollution atmosphérique.
Néanmoins, la Cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat ont suivi un raisonnement différent.
Pour juger que l’État avait commis une faute dans la mise en œuvre de la police des installations classées, la juridiction d’appel s’est seulement fondée sur le constat que les mesures imposées par les préfets successifs n’avaient pas permis d’empêcher la pollution des sols liée à l’activité du site depuis le début du XXe siècle.
En effet, il ressort de l’arrêt que « …en ce qui concerne le contrôle du site, les services de l’Etat ne peuvent être regardés comme ayant exercé une surveillance insuffisante durant l’exploitation ou lors de l’arrêt du site ni comme n’ayant pas suffisamment fait usage vis-à-vis de l’exploitant des pouvoirs de mise en demeure et de sanction, M. et Mme C… sont fondés à soutenir que l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n’exigeant pas, par les arrêtés préfectoraux encadrant l’activité de cette installation classée, une diminution plus significative des polluants atmosphériques, concernant plus de points de rejet, dont la pollution diffuse, quitte à anticiper, le cas échéant, plus largement sur les normes nationales ».
La Cour administrative d’appel va même plus loin en considérant que les obligations de l’État s’étendent aux terrains avoisinants, pas seulement au site industriel « De telles mesures peuvent concerner, le cas échéant, des terrains situés au-delà du strict périmètre de l’installation en cause, dans la mesure où ceux-ci présentent des risques de nuisance pour la santé publique ou la sécurité publique ou la protection de l’environnement, se rattachant directement à l’activité présente ou passée de cette installation. »
En revanche, le Conseil d’Etat considère qu’il ne suffit pas de constater que les sols sont pollués pour prouver que l’Etat a commis une faute. Il a jugé qu’elle ne démontrait pas en quoi l’Etat, en dépit de la multitude de prescriptions et de contrôles, avait manqué à ses obligations dans l’encadrement de l’installation. En effet, « la cour s’est fondée sur ce que les sujétions imposées par le préfet à cette usine s’étaient avérées insuffisantes pour prévenir une pollution excessive des sols liée à son activité depuis le début du XXème siècle, que des études avaient mises en évidence à partir de la fin des années 1960 ». De plus, « en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de caractériser les manquements que l’administration aurait commis, en dépit des prescriptions et contrôles successifs rappelés aux points 5 et 6 pour ce qui concerne tant les rejets canalisés que les rejets diffus dans l’atmosphère, dans l’encadrement de l’installation au regard des risques pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement que, compte tenu des connaissances dont elle pouvait disposer, il lui incombait de prévenir, la cour a méconnu les règles rappelées au point 4 ».
Ce raisonnement donne l’impression que l’action de l’État, en matière de lutte contre la pollution, sera toujours marquée par un temps de retard. En effet, la pollution peut se répandre sans qu’elle lui soit imputable dès lors qu’il appartient au requérant de démontrer que les prescriptions étaient insuffisantes au regard des connaissances scientifiques disponibles à l’époque, que l’État disposait des moyens d’agir autrement, et qu’il s’est néanmoins abstenu de le faire.
- La contamination des eaux et des sols appréciée par la Cour administrative d’appel de Paris
Le 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris avait statué sur les requêtes introduites par des associations de défense de l’environnement en reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique résultant, du fait de l’usage des produits phytopharmaceutiques, de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de ces produits, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il avait en outre imputé ce préjudice à des fautes commises par l’Etat.
Saisie de plusieurs appels contre ce jugement, la Cour administrative de Paris a admis, elle aussi, dans un arrêt du 3 septembre 2025 la faute de l’ANSES, dans sa mission d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques réalisée au nom de l’Etat, en ne procédant pas à l’évaluation des produits phytopharmaceutiques au vu du dernier état des connaissances scientifiques (CAA Paris, 3 sept. 2025, association notre affaire à tous, association Pollinis, association biodiversité sous nos pieds, association nationale pour la protection des eaux et rivières truite- ombre-saumon, association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel ministre de l’agriculture, n° 23PA03881, n° 23PA03883, n° 23PA03895 A LIRE ICI).
Aussi, elle enjoint à l’Etat de mettre en œuvre une évaluation des risques présentés par les produits phytopharmaceutiques à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques, notamment en ce qui concerne les espèces non-ciblées, et de procéder, dans un délai de vingt-quatre mois, à un réexamen des autorisations de mise sur le marché déjà délivrées.
- Pesticides et santé : l’alerte donnée par les mutuelles
Un collectif de vingt mutuelles françaises et belges attire l’attention sur l’impact sanitaire des pesticides, notamment l’augmentation constatée des affections de longue durée (https://mutuelles-sante-planetaire.com/). Celles-ci concernent aujourd’hui 20% de la population et génèrent 66% des dépenses de l’assurance maladie. Dans le cadre d’une démarche de prévention, elles ont initié une action transnationale, l’« Odyssée pour notre santé », visant à sensibiliser aux conséquences des pesticides et à exiger l’application rigoureuse des législations existantes. Les mutuelles établissent un parallèle entre pesticides et amiante, soulignant la nocivité de faibles doses, les effets différés dans le temps et l’exposition à la fois professionnelle et environnementale.
Les données épidémiologiques indiquent une forte augmentation des maladies chroniques et des cancers hormonodépendants, avec un doublement des cancers du sein entre 1990 et 2023.
L’incidence des cancers pédiatriques est également en progression, traduisant l’influence possible de l’environnement sur des organismes particulièrement vulnérables. L’exposition professionnelle demeure préoccupante, comme en témoigne la hausse de 43% en 2024 des demandes d’indemnisation déposées auprès du fonds destiné aux victimes de pesticides.
La prévention est mise en avant comme levier majeur, en considérant l’exposition aux pesticides comme un facteur important dans la genèse de maladies complexes et multifactorielle. Les expertises scientifiques, notamment celles menées par l’Inserm en 2013 et 2021, établissent déjà des liens solides entre utilisation de pesticides et développement de pathologies chroniques. Les mutuelles préconisent une sortie progressive des pesticides en une génération, sur la base de scénarios prospectifs élaborés par l’Inrae.