Blandine ROLLAND
Professeur de droit privé
Directrice du CERDACC (UR 3992)
Dès 9 h du matin en ce 21 novembre 2025, David DENTEL (Professeur des Universités à l’UHA et Responsable de la recherche à l’IUT de Colmar) accueille et salue les participants. Puis Blandine ROLLAND (Professeur des Universités à l’UHA et Directrice du CERDACC, UR 3992) prononce quelques mots d’accueil et déclare ouverts ces 8èmes « Entretiens du Grillenbreit » consacrés au thème « Droit de propriété et avenir du nucléaire » (https://www.jac.cerdacc.uha.fr/event/entretiens-du-grillenbreit-8eme-edition-droit-de-propriete-et-avenir-du-nucleaire/). Elle se réjouit de la présence d’un public varié aussi bien physiquement sur le Campus du Grillenbreit à Colmar qu’en visioconférence. Elle remercie les deux directeurs scientifiques de ce colloque, Hervé Arbousset et Thomas Schellenberger ainsi que « Colmar Agglo » qui finance la manifestation.


La 1ère table ronde est présidée par Thomas Schellenberger (Maître de conférences en droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992). Elle est consacrée à « L’avenir du nucléaire et ses risques à l’aune du droit de propriété ».
Nicolas Pauthe (Maître de conférences en droit public, Université de Picardie Jules Verne) présente « La limitation du droit de propriété du fait des activités nucléaires civiles ». Il réfléchit au droit de propriété, tel que garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais des limitations sont admises, qu’elles soient totales ou partielles, ce qui peut donner lieu à une procédure d’expropriation. L’intérêt général justifiant l’expropriation réside dans le développement des activités nucléaires civiles. La limitation complète du droit de propriété consiste dans le transfert du droit de propriété qui peut être amiable ou judiciaire (expropriation). Le processus amiable a été revu récemment avec une procédure accélérée applicable précisément aux projets nucléaires. Quant aux limitations partielles, elles sont le résultat des servitudes d’utilité publique établies au profit de personnes exerçant des activités d’intérêt général comme l’exploitation d’une installation nucléaire. La Circulaire Borloo en 2010 donne de grandes orientations. Un Guide a été publié ensuite par l’ASN qui établit une échelle de vulnérabilité.

Marc Léger (Président de la Section Droit et assurance de la Sfen, Président honoraire de la Section française de l’AIDN, Chercheur associé au laboratoire CHROME (Unîmes)) évoque le « La responsabilité du propriétaire du terrain d’assiette d’une installation nucléaire de base ou du propriétaire de l’installation lorsque celui-ci n’en est pas l’exploitant ».
Il relève une prise en compte tardive de la distinction entre la qualité de propriétaire et d’exploitant d’une installation nucléaire de base (INB). De 1963 à 2006, on n’a considéré que l’exploitant de l’INB, à savoir la personne titulaire de l’autorisation d’exploiter puis de démanteler. La Loi du 13 juin 2006 a introduit l’hypothèse d’une distinction entre l’exploitant et le propriétaire du terrain d’assiette, étendu en 2016 au propriétaire de l’installation. La loi du 28 juin 2006 a pris en compte l’existence d’actionnaires pour la charge de démantèlement et de gestion des déchets issus du démantèlement ou du fonctionnement. Ainsi, en cas de défaillance de l’exploitant, des obligations peuvent être mises à la charge du propriétaire de l’installation ou de l’assiette. Cette évolution n’est pas sans poser des difficultés importantes d’application des textes, de répartition des responsabilités et de détermination des charges pesant sur le propriétaire. Par comparaison, en matière de responsabilité civile pour dommages nucléaires (RCN), le principe est en revanche celui de la canalisation de la responsabilité sur l’exploitant nucléaire.
Jusqu’à présent, ces textes n’avaient guère à s’appliquer. Mais la question va se poser cependant avec acuité en matière de SMR car ces petits réacteurs modulaires seront développés en distinguant l’exploitant et le propriétaire de l’assiette. On peut aussi songer aux enjeux de la propulsion nucléaire pour lesquels le régime juridique reste à construire.

Philippe BILLET (Professeur des universités, Directeur de l’Institut de Droit de l’Environnement, Université Jean Moulin Lyon 3) s’interroge sur « Le stockage géologique des déchets radioactifs au prisme du droit de propriété français ». Le sous-sol est l’objet de droit de propriété. Pour enfouir des déchets, il faut avoir la propriété du dessous ou au moins l’accord du propriétaire du dessus. Mais jusqu’où va la propriété du dessous ? La propriété est reconnue en fonction de l’usage qu’en fait le propriétaire. La profondeur du sous-sol approprié est donc très relative (contraintes techniques et volonté du propriétaire). Il faut exproprier le sous-sol pour développer des installations de stockage sous-terrain. Mais pour l’indemnisation, c’est l’usage effectif du sous-sol un an avant l’ouverture de l’enquête qui est pris en considération. Ensuite, quelle est la nature juridique de la propriété souterraine des stockages de déchets radioactifs ? L’ANDRA est une personne publique. Par conséquent, il faut retenir la domanialité publique de ces sites de stockage.
Quant au contenu, les producteurs sont toujours responsables des substances. Le fait de confier des déchets à un tiers n’exonère pas le propriétaire de ses obligations jusqu’à la gestion complète de ces déchets. L’ANDRA prend en charge des déchets qui ne lui appartiennent pas en propre. En effet, pour les déchets, on ne parle pas de propriétaire, c’est en tant que producteur ou détenteur qu’une personne est responsable. L’ANDRA est donc bien propriétaire du volume et détenteur des déchets qui s’y trouvent, même si les producteurs des déchets restent aussi responsables de leurs déchets.

Enfin, Andrin STUDER (Docteur en droit de l’Université de Fribourg (Suisse)) présente « La propriété foncière des dépôts souterrains de déchets radioactifs en droit suisse ». Il présente le système suisse mis en place pour la gestion des dépôts souterrains de déchets radioactifs.

Après la pause déjeuner, se tient la 2ème table ronde, présidée par Hervé Arbousset (Professeur de droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992) et consacrée à « La réutilisation d’objets nucléaires après le démantèlement d’une centrale : bilan des travaux du WP7 du projet CO2InnO sur le cas de Fessenheim ».
Nicolas Arbor (Maître de conférences HDR à l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC)) présente le « Bilan du WP7 du projet CO2InnO et perspectives pour la création d’un observatoire du démantèlement à Fessenheim ». Ce projet de recherche propose une réflexion sur la transition écologique dans le Rhin supérieur à la suite de la fermeture de Fessenheim. Le projet s’est achevé fin septembre 2025. Il était composé de plusieurs groupes de travail, dont un consacré aux questions juridiques avec Thomas Schellenberger. Les interrogations juridiques portent sur le cadre juridique du démantèlement de la centrale.

Paris Thasitis (Etudiant en M2 DGEDD, stagiaire au sein du projet CO2InnO) traite de « La réutilisation des sites nucléaires : proposition pour une autre stratégie de démantèlement, inspirée par l’expérience internationale (une étude comparative) ». Il présente la manière dont, en droit comparé, il est possible de donner une seconde vie à un site nucléaire. Pour cela, il s’intéresse aux meilleures pratiques de réutilisation des sites nucléaires dans d’autres Etats (USA et Grande Bretagne).

Morgane Zamichiei (Etudiante en M2 DETR, stagiaire au sein du projet CO2InnO) expose « Les responsabilités des acteurs du recyclage des déchets radioactifs : le projet de Technocentre de Fessenheim ». Elle expose la question du recyclage des matériaux des chantiers de démantèlement du nucléaire en France. Ces déchets sont des produits à faible ou très faible radioactivité qui actuellement sont envoyés dans des centres de stockage arrivant à saturation. L’objectif du « Technocentre » de Fessenheim serait de procéder à la décontamination de ces produits à faible radioactivité pour les transformer en matériaux ayant un niveau de radioactivité inférieur aux matériaux équivalents. Mais quelle est la responsabilité des acteurs face aux risques qui découlent de ce recyclage ? Une responsabilité pour faute présente des avantages et des inconvénients. Une responsabilité du fait des produits défectueux est aussi envisageable. L’essentiel reste la traçabilité des produits obtenus.

Paul Robineau (Post-doctorant au sein du projet CO2InnO) traite de « L’impact radiologique du démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim à travers une analyse du cycle de vie ». Il présente la méthodologie de l’analyse du cycle de vie d’un matériau avec les différents impacts étudiés. Il explique la répartition générale des impacts en distinguant les activités sur site et les activités de transport des déchets.

Enfin, Aurélio Labat (Ingénieur de recherche au sein du projet CO2InnO) explique les enjeux de la recherche. Ce projet est en lien avec l’« Observatoire Homme Milieux (OHM) » comme il en existe déjà ailleurs aujourd’hui. Celui de Fessenheim a été fondé en 2018 et a pour objet d’étudier le socio-écosystème de « Fessenheim ». Cet observatoire a mené une enquête auprès de 80 personnes. Maintenant il s’agit de lancer des ateliers pour permettre des discussions et des échanges autour de la question du Technocentre.

L’auteur de ce compte-rendu tient à remercier sa collègue Sophie Hildenbrand, (maître de conférences de droit privé à l’UHA) pour sa prise de notes efficace durant l’après-midi du colloque.


