Vincent DOEBELIN
Docteur en droit public et enseignant-chercheur contractuel à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)
Mots-clés : Catastrophes – Citoyenneté – Information – Risques majeurs –Sécurité civile

Le monde actuel doit répondre à des défis nombreux et, dans ce contexte, le risque d’évènements catastrophiques d’ampleur apparaît aujourd’hui de plus en plus important. Le dérèglement climatique entraîne évidemment une multiplication des catastrophes naturelles (inondations, canicules, feux de forêt…), tandis que le contexte géopolitique est susceptible de mener à des évènements particulièrement difficiles au gré de l’évolution des tensions entre États. De leurs côtés, les risques industriels subsistent et la menace terroriste reste extrêmement élevée dans notre pays, dix ans après les attentats du 13 novembre 2015.
Dans chacune de ces situations, la population est susceptible d’être particulièrement touchée ou impliquée, de même que notre système de sécurité civile impacté. Chaque individu apparaît alors comme le premier maillon d’une longue chaîne de secours qu’il est souvent amené à solliciter, mais à laquelle il peut aussi participer. Depuis l’après-guerre, la prise en compte de la population dans les dispositifs de secours a d’ailleurs été améliorée, en ne la considérant plus seulement comme bénéficiaire, mais en l’incluant davantage dans le fonctionnement même de notre système de sécurité civile. Sans aller aussi loin, la « défense passive » incluait déjà historiquement une dimension d’engagement des populations pour mieux organiser leur protection face au risque de bombardements (P. CAZES, « La défense passive », Revue Défense nationale, mai 1946, p. 623). Mais depuis plusieurs années, un paradoxe français subsiste, malgré les efforts poursuivis en la matière. Alors que les bénévoles sont indispensables au fonctionnement de nos services de secours et que la société civile y est largement associée (volontaires des associations de protection civile, sapeurs-pompiers, etc.), la population reste peu formée aux gestes qui sauvent et très en retard par rapport aux voisins européens sur la connaissance des risques majeurs. Dans une enquête d’opinion, réalisée au printemps dernier, seulement 47% des Français estimaient bien connaître les gestes de premiers secours, ce qui révèle un besoin d’améliorer encore clairement la formation et la sensibilisation dans ce domaine (Sondage Opinion Way pour la Croix-Rouge française, avril 2025). Il y a quelques semaines, le Gouvernement a donc décidé d’accentuer les efforts des dernières décennies et de les adapter encore aux défis de notre époque. Il a ainsi été décidé de renforcer la communication autour de la gestion de crise et de l’implication citoyenne face à de tels sinistres, avec la publication d’un véritable « Guide gouvernemental de survie ». De nombreux pays européens (Allemagne : https://www.lepoint.fr/monde/tensions-avec-la-russie-ce-que-contient-le-plan-bunker-lance-par-l-allemagne-25-11-2024-2576259_24.php, pays baltes, pays nordiques) suivent également cette voie, depuis plusieurs mois, en particulier en matière de préservation des populations face au risque de guerre sur leurs sols ou à leurs frontières. Ces derniers mois, la diffusion d’informations sur le sujet à l’endroit des populations s’y est considérablement accrue, de même que la généralisation des abris souterrains, par exemple.
Comme ses voisins, mais d’une façon plus générale en visant l’ensemble des risques majeurs, le gouvernement français a donc souhaité accentuer – de façon bénéfique – l’effort sur l’information et l’implication de la population (I). Si la publication de ce guide a fait l’objet de critiques ici ou là, il faut rappeler que sa diffusion récente n’est pas sans s’inscrire dans la continuité d’une stratégie plus large d’implication et d’information de la population en matière de sécurité civile (II).
I- Le guide « Tous responsables » : une accentuation bénéfique de l’information et de l’implication de la population face à l’expansion des risques majeurs
Depuis la fin du mois de novembre, le guide « Tous responsables » est donc largement diffusé par les autorités auprès de la population (Pour télécharger le guide gouvernemental « Tous responsables » face aux crises majeures : https://www.info.gouv.fr/upload/media/mixed/0001/15/e27b16161fdda774af4d5e9c4d33f91f63144fb8.pdf). Si d’aucuns voient dans cette stratégie une façon de culpabiliser la population qui serait « responsable » collectivement des crises ou encore un moyen de restreindre le concept d’État-providence (https://reporterre.net/Avec-son-guide-de-survie-le-gouvernement-prepare-les-Francais-a-la-guerre), nous y voyons plutôt la volonté de mieux impliquer la population et d’accroître son indispensable connaissance des risques. La multiplication des risques aujourd’hui n’y est par ailleurs pas totalement étrangère. Le Code de la sécurité intérieure prévoit que « toute personne concourt par son comportement à la sécurité civile » (CSI, art. L. 721-1). C’est dans la droite ligne de ces dispositions que le guide s’ouvre en rappelant que « notre société doit s’adapter pour être plus forte. Chaque citoyenne et chaque citoyen est acteur de sa sécurité et de celle de la Nation ». Comme nous l’indiquions déjà dans nos travaux de thèse relatifs à l’existence d’un droit fondamental à être secouru en France (V. Doebelin, La consécration du droit fondamental à être secouru en France : Thèse Université de Haute-Alsace, 2024 : https://theses.fr/2024MULH3687), la population n’apparaît pas seulement comme bénéficiaire, mais également comme acteur de notre système de sécurité civile. Il convient en réalité que chaque individu se comporte avec responsabilité et sache comment réagir face à la survenance d’une crise majeure, ce qui souvent n’est pas le cas à l’heure actuelle. Le manque de connaissances conduit ainsi à des mises en danger ou encore à des comportements inadaptés qui accentuent la pression – déjà forte dans ce type de situations – sur le système de sécurité civile.
Le guide se découpe en trois étapes incontournables qui visent à rappeler les éléments nécessaires pour être bien préparés, bien protégés et tous engagés.
– Bien préparés. Le guide présente les éléments sensibles qui peuvent être touchés à l’occasion de la survenue d’une telle crise : interruption des services publics, priorisation des secours, panne de réseaux internet et téléphonique, panne de chauffage et d’électricité, problèmes de circulation, difficultés d’approvisionnement en eau et en nourriture, etc. Cette première étape prévoit ainsi les éléments devant constituer un kit d’urgence qui permettra de mieux faire face dans les 72 premières heures. On y retrouve notamment des vêtements chauds, une radio à piles, une trousse de premiers secours, de l’argent liquide, une lampe de poche et des piles de rechange, de la nourriture non périssable et des bouteilles d’eau potable en quantité. Un kit qu’il est donc conseillé de constituer et de conserver chez soi, tout en renouvelant son contenu qui doit être vérifié régulièrement. Enfin, le guide revient sur les bénéfices de la solidarité, chaque individu étant invité à prendre soin de veiller à la situation de son voisin ou de ses proches lorsque c’est possible.
– Bien protégés. Dans cette étape, le guide donne un certain nombre de conseils spécifiques pour « bien » réagir face à la singularité de différentes crises. Le gouvernement met également en avant la nécessité de suivre les messages officiels, tout en se préservant des rumeurs ou de la désinformation qui peuvent survenir à l’occasion de ces crises. L’édition de ce guide a elle-même fait l’objet de nombreuses publications fallacieuses sur les réseaux sociaux qui y voyaient, relayant des ingérences étrangères, le seul signe d’une France « va-t’en guerre ». Le guide met en avant les dispositifs fiables qui existent en matière d’information et que nous aborderons par la suite : canaux officiels, FR-Alert, sirène de sécurité civile, numéros de secours …
– Tous engagés. Là encore, le guide rappelle la nécessité de se former aux gestes de premiers secours et de s’impliquer dans des organisations agréées de sécurité civile. L’objectif est bien de susciter l’engagement de la population dans les différentes associations ou réserves existantes (sécurité civile, forces de l’ordre, militaires, etc). Cet engagement fait déjà de la sécurité civile à la française un système tout à fait singulier.
Il est évident que ce guide gouvernemental s’articule parfaitement avec d’autres outils ou mécanismes visant déjà à inclure la population dans sa propre protection et dans le bon fonctionnement de notre système de secours.
II- Le guide « Tous responsables » : une articulation idoine avec d’autres mécanismes visant à mieux inclure la population dans le système de sécurité civile
Le guide de survie fait référence, à plusieurs reprises, à d’autres dispositifs existants. Il s’articule donc parfaitement avec ces outils qui restent toutefois souvent méconnus ou « mal-connus » dans notre pays. Cette situation témoigne là aussi de la nécessité d’une « piqure de rappel » qui ne peut qu’être salutaire. L’un d’entre eux est évidemment le dispositif « FR-Alert » qui permet ainsi aux autorités d’envoyer des notifications d’urgence à la population, directement via les téléphones mobiles. Les autorités peuvent ainsi cibler l’ensemble des téléphones sur un secteur donné et notifier des informations importantes sur les dangers en cours et les consignes à suivre. Par ailleurs, des exercices (tests) sont régulièrement organisés en la matière dans l’ensemble des départements français. Ce dispositif résulte de la directive du 11 décembre 2018 (Directive UE 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen) qui avait demandé à l’ensemble des États membres de se doter d’un outil d’alerte des populations sur les téléphones portables. De la même façon, le guide informe à nouveau sur les sirènes de sécurité civile qui peuvent être activées face à certains sinistres (Arrêté du 23 mars 2007 relatif aux caractéristiques techniques du signal national d’alerte ; CSI, art. R. 732-19 et s.). De nombreuses communes françaises en disposent encore et elles font l’objet de tests tous les premiers mercredis de chaque mois. Cette communication gouvernementale rappelle ainsi qu’en « cas d’alerte, [les sirènes en question] déclenchent un signal sonore correspondant à trois séquences d’une minute et 41 secondes, séparées par un silence de 5 secondes. La fin de l’alerte est annoncée par un signal continu de 30 secondes ».
Nous le disions, cette implication de la population dans sa propre protection et dans notre système de sécurité civile n’est pas nouvelle. D’autres dispositifs, qui ne sont pas rappelés dans le guide « de survie » publié récemment, illustrent d’ailleurs largement cette volonté des autorités. Parmi une multitude de dispositifs, le Code de la sécurité intérieure fait notamment référence au plan communal de sauvegarde qui vise très largement à informer la population et à l’inclure dans des modalités de résilience (hébergements, ravitaillements…) au niveau du territoire local (sur le sujet : O. Renaudie, La contribution de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 au renouvellement de la sécurité civile », AJCT 2022, p. 160 ; K. Favro, « Le plan communal de sauvegarde, un dispositif juridique adapté à la prévention et la gestion des catastrophes naturelles », Revue Lamy des collectivités territoriales, n° 88, mars 2013, p. 61). De la même façon, les dispositions du CSI prévoient régulièrement l’association des populations aux exercices de sécurité civile, à la journée de la résilience (CSI, art. L. 731-1-1) ou encore leur implication au sein des réserves et associations spécialisées, qui sont plus largement revenues au goût du jour depuis la crise sanitaire de Covid-19 (CSI, art. L. 721-1 ; art. L. 724-1 et s. ; art. L. 725-1 et s.).
L’objectif de l’ensemble de ces outils reste, dans tous les cas, de garantir un véritable continuum de sécurité et de préserver, autant que faire se peut, les intérêts de la population. Gageons que cette meilleure information – et demain peut-être une meilleure formation et implication au gré d’une culture du risque améliorée ? – nous permette d’être collectivement plus résilients face aux crises. À tout le moins, il semble que nous soyons, avec ces consignes, sans doute un peu mieux préparés que nous ne l’étions hier, à condition que la population veuille bien s’y intéresser pleinement. Les efforts sont évidemment à poursuivre de ce côté et la pédagogie opportune dans ce domaine.


