CATASTROPHE NATURELLE : FLUCTUATION DU POINT DE DEPART DE LA PRESCRIPTION DE L’ACTION EN INDEMNISATION

Serge MOUTOU

Docteur en Droit, enseignant-chercheur en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Commentaire de C. cass., 2ème ch. civ., 11 juillet 2024, n° 22-21.366, publié au Bulletin

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Mots-clés : action en indemnisation – assurances – catastrophe naturelle – droit – prescription – sécheresse – sinistre

 

L’affaire soumise à la Cour de cassation est relative à l’interprétation combinée des articles 2224 du Code civil et L. 114-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006. Plus précisément, il revenait aux magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français de déterminer le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation des conséquences dommageables d’un sinistre de catastrophe naturelle, notamment lorsque l’assuré n’a eu connaissance des dommages causés à son bien par ce sinistre que postérieurement à la publication de l’arrêté reconnaissant cette catastrophe.

 

Pour se repérer 

Deux époux acquièrent, par acte authentique, une maison d’habitation auprès de deux autres époux le 20 juin 2014. Peu de temps après, les acquéreurs découvrent diverses microfissures sur les murs extérieurs de l’immeuble. Ce qui les poussent à saisir le juge des référés le 27 avril 2015 aux fins de mesure d’expertise ; les vendeurs appelant en garantie la société Matmut, auprès de laquelle ils sont assurés. Un rapport d’expertise rendu le 13 juillet 2016 révèle une seule et unique cause des désordres affectant l’immeuble : l’épisode de sécheresse ayant sévi dans la commune de situation de l’immeuble du 1er avril 2011 au 30 juin 2011 ; sècheresse reconnue « catastrophe naturelle » par arrêté en date du 27 juillet 2012. Les acquéreurs agissent en indemnisation contre les vendeurs et leur assureur devant les juridictions du fond ; sans succès.

La cour d’appel déclare irrecevable l’action des acquéreurs pour motifs de délai prescrit. Selon elle, « le point de départ de la prescription est la date de l’arrêté reconnaissant à la commune […] l’état de catastrophe naturelle pour la sécheresse et la déshydratation des sols du 1er avril au 30 juin 2011, soit le 2 août 2012 et que les assignations en référé et au fond ont été délivrées plus de deux ans après cette date » (CA Toulouse, 11 juillet 2022, n°19/04290). Les acquéreurs se pourvoient alors en cassation.

Ces derniers prétendent pour leur défense, en effet, qu’à la date de la vente, les fissures grevant la maison n’étaient pas visibles ; notamment en raison d’une végétation recouvrant les murs ; que jusqu’à l’expertise de 2016, ils ignoraient totalement que les fissures en cause étaient la conséquence directe de la catastrophe naturelle du 1er avril 2011 au 30 juin 2011 ; que l’état de catastrophe naturelle pour la sécheresse et la déshydratation des sols de la commune de situation de leur immeuble n’a été reconnu par arrêté que le 2 avril 2012 ; que la prescription doit courir, non pas de la date de la publication de l’arrêté reconnaissant la catastrophe naturelle, mais de celle du rapport d’expertise du 13 juillet 2016, lequel rapport leur a permis de réaliser finalement que le dommage subi résultait des mouvements de terrains liés à une sécheresse déclarée plus tard « catastrophe naturelle » ; qu’en jugeant comme elle l’a fait, la cour d’appel a, ni plus ni moins, violé l’article L. 114-1 du Code des assurances dans sa rédaction émanant de la législation en vigueur au moment des faits.

 

Pour aller à l’essentiel 

Dans un intéressant arrêt du 11 juillet 2024, la Cour de cassation censure, mais partiellement, la décision de la Cour d’appel (Cass. civ. 2ème 11 juil. 2024, n° 22-21.366, publié au Bulletin : https://www.courdecassation.fr/decision/668f75a49b65e642c58782ea ; RGDA sept. 2024 p. 32, note J. Kullmann ; BJDA sept. 2024 comm. 10, obs. A.-S. Le Carvennec ; RCA oct. 2024 comm. 226, obs. V. Tournaire ; l’Essentiel du droit des assurances, sept 2024, p. 2, note N. Bonnardel). Elle s’en tient à une lecture combinée de l’articles 2224 du Code civil et l’article L. 114-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006. En effet si la Cour admet que « le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation des conséquences dommageables d’un sinistre de catastrophe naturelle se situe à la date de publication de l’arrêté », elle précise toutefois que ce point de départ « peut être reporté au-delà dès lors que l’assuré n’a eu connaissance des dommages causés à son bien par le sinistre qu’après cette publication ». Le délai de prescription n’a pu commencer à courir qu’à partir du moment où les acquéreurs ont prouvé le moment auquel ils ont été informés clairement de la cause des dommages affectant leur bien. En d’autres termes, la Cour illustre parfaitement comment il convient, en pareille circonstance, d‘apprécier la « connaissance » de l’origine des dommages subis.

 

Pour aller plus loin

Il y a peu, et en matière d’assurance, les juges du fond, ont eu l’opportunité de rappeler le délai requis pour introduire une action en indemnité, soit deux ans à compter du jour du sinistre (CA Paris, Pôle 4, Ch. 10, 4 avril 2024, n° 23/09953). Si l’on considère ce délai tel quel, on pourrait être tenté de considérer que toute action de ce type introduite au-delà ne devrait pas prospérer. Mais admettre cela, c’est assurément oublier que le droit est fait de principes et d’exceptions. La présente affaire portant sur un sinistre assez particulier, à savoir un sinistre consécutif à une catastrophe naturelle, en dit long.

La cour d’appel de Toulouse reprochait aux acquéreurs d’avoir introduit tardivement leur action en indemnisation suite au sinistre de catastrophe naturelle qu’ils ont subi. Car, selon elle, la prescription biennale inscrite à l’article L. 114-1 du Code des assurances résultant de la loi en vigueur à l’époque du litige, court, pour les dommages causés par une catastrophe naturelle, à la date de publication au Journal officiel de l’arrêté constatant l’état de ladite catastrophe. La Cour de cassation n’admet pas cette solution puisque, à ses yeux, dès lors que les intéressés prouvent qu’ils ignoraient que le sinistre dont ils ont été victimes résultait d’une catastrophe naturelle, le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation ne saurait être fixé nécessairement à la date de l’arrêté constatant cette catastrophe.

En l’espèce, les acquéreurs n’ont eu connaissance des causes des fissures grevant leur maison que suite au rapport d’expertise du 13 juillet 2016. C’est pourquoi la Cour de cassation a considéré que la prescription de l’action visant à indemniser les victimes du dommage subi devait avoir pour point de départ, non pas la date de la publication de l’arrêté constatant la catastrophe, mais celle de la prise de connaissance du rapport d’expertise.

La Cour de cassation s’est fondée à la fois sur l’article 2224 du Code civil et l’article L. 114-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006. Aux termes de l’article 2224 du Code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». L’interprétation stricte de cet article permet de constater que les propriétaires étaient encore dans les délais requis pour pouvoir exercer leur droit d’introduire l’action en indemnisation pour le dommage subi. En effet, ni le jour où les acquéreurs ont eu connaissance des faits leur ayant permis d’agir devant le tribunal de grande instance (à partir de l’expertise), ni même le jour où ils auraient dû connaître lesdits faits (période de la sécheresse) ne rend leur droit d’agir caduc. De même, si l’article L. 114-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 dispose que « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y a donné naissance », le point dudit article précise toutefois que ce délai ne court, « En cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là ».

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a conclu que, jusqu’à l’expertise du 13 juillet 2016, les acquéreurs ignoraient que les fissures présentes sur les murs extérieurs de l’immeuble résultaient de l’épisode de sécheresse du 1er avril 2011 au 30 juin 2011, sécheresse reconnue « catastrophe naturelle » par arrêté du 27 juillet 2012. Partant, la Cour considère comme point de départ non pas la date de publication de l’arrêté reconnaissant l’état de catastrophe de la commune de situation de l’immeuble, mais la date à laquelle les acquéreurs ont eu connaissance de l’expertise de 2016.

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 11 juillet 2024 ne manque pas d’intérêt. En effet, bien que la solution ne soit pas totalement nouvelle (Cass., 1ère civ., 26 juin 1968, Bull. civ, n° 185 ; Art. 25 de la loi du 13 juillet 1930), le présent arrêt, montre néanmoins la volonté de la Haute Cour de poursuivre l’assouplissement des conditions de l’action en indemnisation en matière de sinistre, plus particulièrement lorsqu’il est question de sinistre ayant trait à la catastrophe naturelle. Il n’est plus un secret pour les vendeurs. L’acheteur, victime d’un tel sinistre, peut bénéficier des circonstances atténuantes grâce au report du point de départ de la prescription de son action en indemnisation. Si par principe, et dans ces conditions, le point de départ est fixé à la date de publication de l’arrêté constatant ladite catastrophe, le juge, dans son pouvoir souverain d’appréciation, peut reporter ce point de départ bien au-delà ; à condition toutefois que la victime fasse la preuve qu’elle n’a eu connaissance des dommages causés à son bien par le sinistre qu’après publication dudit arrêté.

Le point de départ de la prescription de l’action en indemnisation n’est donc pas figé. Il connait une fluctuation au gré des circonstances qui font naître cette action ; c’est-à-dire selon que l’action dérive d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant d’un simple sinistre ou d’un sinistre de catastrophe naturelle. Mais ce n’est pas tout. Ce point de départ dépend également, et sous réserve que la preuve soit rapportée, de la date à laquelle la victime a connaissance de la véritable cause du dommage qu’elle a subi.

Pour rappel, l’arrêt commenté a été rendu conformément à législation en vigueur au moment des faits. Mais depuis décembre 2021, l’article L. 114-1 du Code des assurances a été modifié (Voir Loi n°2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles – art. 4). Dans sa version en vigueur depuis le 30 décembre 2021, cet article dispose désormais que « Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. Par exception, les actions dérivant d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle dans les conditions prévues à l’article L. 125-1, sont prescrites par cinq ans à compter de l’événement qui y donne naissance… ». Et en ce qui est des cas liés au sinistre, le point n° 2 du même article précise que ce délai ne court « que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là », rédaction inchangée par rapport à celle en vigueur en l’espèce.

Une question se pose : si la Cour devait rejuger l’affaire au regard de la nouvelle rédaction, la solution serait-elle identique pour toute espèce de catastrophe naturelle ? Le doute est permis dès lors que, le délai en cas de sécheresse étant désormais de cinq ans, la garantie de l’assureur aurait bien été engagée dans le délai requis.

S’agissant des autres événements naturels susceptibles de faire l’objet d’une garantie au titre des catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-1), il est difficile d’imaginer que les conséquences d’une inondation, d’un séisme ou d’une avalanche ne soient pas portées à la connaissance des intéressés au cours du délai biennal. En revanche, s’agissant des fissures, il est tout-à-fait envisageable que leur apparition soit plus tardive (M. Nidal Mahmoud, « Le cygne noir : des métamorphoses antiques aux réalités modernes des sécheresses en France » : JAC n° 239, sept. 2024), ce qui justifie le nouveau délai de cinq ans exorbitant du droit des assurances.

Cet arrêt pourrait bien n’être finalement qu’une tempête dans un verre d’eau, appliquant par avance la réforme de 2021. Il convient dès lors d’être attentifs à des contentieux éventuels concernant des arrêtés de catastrophes naturels autres que ceux relatifs à la sécheresse.

 

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