Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LA LOI N° 2023-175 DU 10 MARS 2023 : UNE NOUVELLE TENTATIVE DE RENFORCER L’ACCEPTABILITÉ DES PROJETS D’ÉNERGIES RENOUVELABLES, M. Baubonne

Mickaël Baubonne

Maître de conférences de droit public à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR3992)

Après la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et celle du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, le législateur s’est à nouveau penché sur la question de l’acceptabilité des projets d’énergies renouvelables avec l’ambition d’en permettre la multiplication. À vrai dire, le projet de loi entendait surtout limiter les conséquences, contentieuses notamment, des contestations locales. Il a fallu l’intervention des sénateurs pour que la loi traite des moyens de prévenir ces contestations. Pour renforcer l’acceptabilité des projets d’énergies renouvelables, le législateur a fait le choix de s’appuyer sur la planification (I) et sur les élus locaux (II).

I. L’importance accordée au zonage

Le déploiement des énergies renouvelables fait déjà l’objet de nombreux documents de planification grâce auxquels les multiples autorités publiques compétentes en la matière définissent, chacune à leur échelle, des objectifs et des orientations. La cartographie est au cœur de cette démarche qui permet à la fois de faire l’état des lieux des besoins et de distinguer les territoires selon la qualité de leurs paysages et leur potentiel énergétique. L’entrée en vigueur de la loi offre désormais la possibilité d’identifier des zones favorables au déploiement des énergies renouvelables, des zones d’exclusion et, enfin, des zones de vigilance.

Les zones d’accélération. La délimitation de zones d’accélération pour l’implantation d’installations terrestres de production d’énergies renouvelables, appelées également « zones prioritaires » au gré de la navette parlementaire, est une des avancées de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 (article L. 141-5-3 du code de l’environnement). Des dispositifs similaires ont déjà existé, mais ont été supprimés, comme les zones de développement de l’éolien terrestre prévues à l’article L. 314-9 du code de l’énergie, abrogé par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013. Depuis, les collectivités territoriales et leurs groupements pouvaient certes cartographier eux-mêmes des zones propices à l’exploitation de sources renouvelables d’énergie dans leurs propres documents de planification (schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires [SRADDET], schéma de cohérence territoriale [SCoT], plan local d’urbanisme [PLU]). Mais aucune disposition ne les y contraignait ou ne les y encourageait. La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 améliore cela. D’abord, les porteurs de projet seront fortement incités à s’inscrire dans ces zones. L’identification de ces dernières devrait donc contribuer à sanctuariser d’autres espaces. Ensuite, cela ouvrira la possibilité de délimiter des secteurs d’exclusion.

Les secteurs d’exclusion. C’est l’autre apport de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 en matière de planification : des secteurs où la production d’énergies renouvelables est bannie peuvent être inventoriés dans le règlement des PLU (article L. 151-42-1 du code de l’urbanisme). Toutefois, cette possibilité est conditionnée au caractère suffisant des zones d’accélération préalablement identifiées pour atteindre les objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables établis par décret. En instituant ces secteurs d’exclusion, la loi renseigne sur la portée de dispositions déjà en vigueur concernant les zones de vigilance.

Les zones de vigilance. Avant la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, le législateur mettait l’accent sur l’identification de zones de vigilance, contraignant le développement des énergies renouvelables. En réponse aux pressions d’élus locaux, la loi du 21 février 2022 habilite les auteurs de plans locaux d’urbanisme (PLU) à « délimiter les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent est soumise à conditions ». Avec la loi n° 2023-175, la stigmatisation des éoliennes cesse puisque des zones de vigilance concernent désormais toutes les énergies renouvelables (article L. 151-42-1 du code de l’urbanisme). Certains parlementaires ont soutenu en 2022 que la délimitation d’une zone de vigilance permettait non seulement de contraindre, mais aussi d’interdire les projets d’éoliennes. La création des secteurs d’exclusion par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 semble écarter cette interprétation.

II. L’importance accordée aux élus locaux

Les mobilisations citoyennes contre les projets d’énergies renouvelables sont souvent soutenues sinon insufflées par des élus locaux. En cherchant à s’assurer de l’adhésion des élus locaux au stade de la planification (article L. 141-5-3 du code de l’environnement), le législateur prend le pari que l’acceptabilité des projets d’énergies renouvelables sera plus forte. Mais cela peut aussi contrarier l’ambition du législateur d’accélérer la production d’énergies renouvelables en multipliant les moments de blocage potentiel.

L’initiative des élus locaux. Le lancement du processus de délimitation des zones d’accélération pour l’implantation d’installations terrestres de production d’énergies renouvelables est à l’initiative des conseils municipaux. Le référent préfectoral à l’instruction des projets d’énergies renouvelables et des projets industriels nécessaires à la transition énergétique, nommé parmi les sous-préfets, est uniquement compétent quant à lui pour arrêter la carte de ces zones et la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 n’envisage aucune procédure permettant de pallier l’inertie des élus locaux. Le législateur prévoit seulement que, lorsque la cartographie des zones d’accélération est jugée insuffisante par le comité régional de l’énergie pour atteindre les objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables, le référent préfectoral doit se contenter de relancer les communes afin qu’elles identifient des zones complémentaires. Mais rien n’est prévu dans l’hypothèse où le comité régional de l’énergie relèverait dans un second avis que ces zones ne suffisent toujours pas, sinon que le référent préfectoral arrête les zones identifiées après avoir recueilli l’avis conforme des communes.

L’avis conforme des élus locaux. Le conseil municipal d’une commune dans laquelle une zone d’accélération est sur le point d’être arrêtée peut s’y opposer, alors même semble-t-il que la commune est à l’origine de son identification. Les communes peuvent ainsi remettre en cause le caractère suffisant des zones d’accélération et préalablement attesté par le comité régional de l’énergie. Le législateur se révèle silencieux sur les conséquences du veto des communes dans ce cas, notamment en ce qui concerne la possibilité ensuite de délimiter des secteurs d’exclusion. Si les zones d’accélération sont en nombre très suffisant pour atteindre les objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables selon l’avis du comité régional de l’énergie, certaines communes pourraient finalement être tentées de faire peser les efforts sur les autres en s’opposant à ce que des zones surnuméraires soient effectivement arrêtées sur leur territoire. Ce jeu est évidemment dangereux à la fois pour le développement des énergies renouvelables et pour la solidarité territoriale.

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 ne règle certainement pas tout, elle comporte certaines zones d’ombre et elle aboutit à un équilibre fragile entre des intérêts potentiellement antagoniques. 2021, 2022, 2023… rendez-vous donc l’année prochaine pour vérifier la plus grande acceptabilité (ou non) du développement des énergies renouvelables.