Marie-France STEINLE-FEUERBACH
Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace
Membre fondateur et Directeur honoraire du CERDACC (UR 3992)
Commentaire du jugement rendu le 13 mai 2025 par la 10ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris
Mots-clés : avocat – agressions sexuelles – CEDH – droits de la défense – victimisation secondaire
Deux condamnations pour « victimisation secondaire », viennent de se succéder : celle de la France par la CEDH et celle de l’acteur Gérard Depardieu, poursuivi pour agression sexuelle, par le tribunal judiciaire de Paris (voir l’édito de C. LIENHARD du JAC n°247)
Si la date du 13 mai 2025 est pour les cinéphiles et les amateurs de défilés sur tapis rouge celle de l’ouverture du Festival de Cannes de cette année, elle est pour les juristes et plus particulièrement pour les avocats, celle de la reconnaissance d’une victimisation secondaire des plaignantes en raison de propos tenus par l’avocat de la défense dans l’affaire dite Gérard Depardieu.
Notre compte X-Twitter s’est enflammé dès la parution à 10 h 40 du post de la journaliste judiciaire Marion Dubreuil (@MarionDub) : « Le président estime que « le dénigrement objectivable de la défense ouvre la voie à un dédommagement autre au titre de la victimisation secondaire » Gérard Depardieu est condamné à 1.000 euros pour chacune des plaignantes au titre de la victimisation secondaire ».
Ces deux mille euros, financièrement totalement négligeables pour l’acteur poursuivi et déclaré coupable d’agression sexuelle au préjudice de deux plaignantes en septembre 2021 durant le tournage du film « Les Volets verts », ont volé la vedette au raisonnement des juges quant à la reconnaissance de sa culpabilité et à la condamnation à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, à la privation de son droit d’éligibilité ainsi que son inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS).
En réaction, Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) informait immédiatement la toile : « Ce résultat inédit (en France) doit beaucoup au droit international & européen. En 2021, la CEDH a acclimaté cette notion de « victimisation secondaire » (via la Convention d’Istanbul). Pour mieux protéger les victimes (sans sacrifier les droits de la défense). » Un peu plus tard dans l’après-midi, et après de multiples réactions, il ajoutait : « Puisque la question revient avec insistance : la position du tribunal est fragile juridiquement. Car il condamne pécuniairement le prévenu pour l’attitude à l’audience de son avocat. Or, la CEDH impose des obligations aux juges, pas au justiciable lui-même (même via son avocat) ». Certaines publications sur X-Twitter constituent de véritables commentaires de la décision, il en a été ainsi de celle de Mᵉ Michèle Bauer (@Maitre_Bauer), avocate au barreau de Bordeaux, dont le fil en 16 points particulièrement éclairant sera développé ultérieurement plus tard de manière plus classique (Bauer (M.), « Affaire Depardieu : la sanction de la défense ou le retour du délit d’audience ? » : Actu-Juridique.fr, 19 mai 2025). Le 16 mai le Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Paris réagit par la publication d’un communiqué rappelant « qu’en France, la défense est libre (…) Les tribunaux ne sauraient porter atteinte à cette liberté, en jugeant a posteriori un justiciable responsable des propos tenus à l’audience par son avocat … ». Le 19 mai, Mᵉ Pauline Dufourq, avocate au barreau de Paris, publie une Tribune indignée au Dalloz actualité : « La consécration de la victimisation secondaire ne doit pas se faire au détriment des droits de la défense » !
Si la reconnaissance d’une victimisation secondaire en raison de la procédure est une nouveauté en France, son origine européenne devrait cependant la mettre à l’abri des critiques (I), mais la motivation du tribunal, qui soulève la crainte d’une possible atteinte aux droits de la défense, conduit à émettre des réserves (II).
I.- La victimisation secondaire procédurale, un nouveau préjudice en droit français
Il est précisé au début de la décision que « le tribunal a fait droit à la demande d’indemnisation des parties civiles au titre de la victimisation secondaire ». Ce préjudice, qualifié de « spécifique » par le tribunal, étant distinct du préjudice moral « classique », le montant de son indemnisation se cumule avec celui de 4000 et 2000 euros, respectivement attribué aux deux plaignantes au titre de ce dernier. La distinction effectuée par le tribunal n’est pas anodine, elle marque la reconnaissance d’un nouveau préjudice moral qui ne se comprend donc pas comme une simple majoration du préjudice né de la commission de l’infraction (pour l’admission d’un « préjudice renforcé » par les dénégations de l’auteur d’infractions sexuelles : Crim. 23 mars 2022, no 21-84034 : Gaz. Pal. 7 juin 2022, p. 48). Il est dès lors permis de supposer que ce nouveau préjudice pourra également être retenu dans d’autres contentieux.
La consécration parisienne d’un préjudice autonome de « victimisation secondaire » est certainement un des apports de cette décision car l’idée même que le parcours pénal, quelle que soit la nature de l’infraction, constitue une épreuve pour les victimes qui pourrait donner lieu à une réparation n’est pas nouvelle. Il en a notamment été ainsi pour une instruction trop longue, qualifiée de déni de justice engageant la responsabilité de l’État, pour exemple le crash de Charm-El-Cheick , le tribunal de grande instance de Paris ayant accueilli la demande formée au titre du préjudice moral car « une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire ressentie par les familles » (« Le crash de Charm-El-Cheick : un déni de justice reconnu (TGI Paris, 14 janv. 2019, N° RG : 17/07520) », JAC n° 184, fév. 2019).
Dans l’hypothèse particulière des procédures pénales relatives à des infractions à caractère sexuel, le tribunal judiciaire de Paris s’inscrit clairement dans le sillage, à la fois, du droit européen (A) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (B).
A.- La victimisation secondaire définie par les textes européens
La notion de victimisation secondaire est présente dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul, le 11 mai 2011 qui l’utilise à plusieurs reprises (Nicaud (B.), « Vers une consécration de la victimisation secondaire devant le juge national » : Le Club des Juristes, 16 mai 2025). La convention d’Istanbul a été ratifiée par la France en 2015, l’Union européenne y a adhéré le 1er juin 2023.
La notion est reprise par la directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité ainsi que par la directive (UE) 2024/1385 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Tharaud (D.), « L’angle anti-discriminatoire de la directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique » : RTD eur. 2024, p. 161)
La notion est définie par plusieurs recommandations comme étant « la victimisation qui résulte non pas directement de l’infraction pénale, mais de la réponse apportée à la victime par les institutions publiques et privées, et les autres individus » (CM/Rec(2023)2 du 15 mars 2023). Elle a été reprise dans une succession d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
B.- La victimisation secondaire précisée par la jurisprudence européenne
La CEDH a rendu plusieurs arrêts condamnant des États en raison de l’absence d’assistance et de protection de la victime au cours de la procédure, la France elle-même a, très récemment, fait l’objet d’une telle condamnation dans trois affaires, (CEDH, 24 avril 2025, n°46949/21, 24989/22, 39759/22, aff. L. et a. c/ France CEDH, 24 avr. 2025, L. et autres c/ France, n° 46949/21 : D. 2025. 736 ; JCP G n° 18, 5 mai 2025, act. 545, focus Sudre (F.) ; Berlaud (C.), « CEDH : insuffisance de la France pour protéger les mineurs sexuellement agressés » : Actu-Juridique.fr, 30 avril 2025 ; « Viol sur mineures : la France condamnée pour discrimination et manquement à son obligation de protection des victimes » : Dalloz Actu Étudiant, 23 mai 2025). Les requérantes dénonçaient, respectivement, plusieurs rapports sexuels avec des sapeurs-pompiers à l’âge de treize ans, des viols aggravés par deux individus majeurs alors qu’elle était âgée de quatorze ans, et enfin des actes répétés de pénétrations sexuelles non consentis commis à l’issue d’une fête entre amis qu’elle avait organisée à son domicile alors qu’elle était âgée de seize ans et le mis en cause de dix-huit ans. Sont visées les décisions de trois cours d’appel (Versailles, 12 nov. 2020, Metz 18 mars 2021 et Paris, 18 mai 2021).
Selon le communiqué de presse de la Cour, « Dans chacune des trois requêtes, la Cour est d’avis que les juridictions internes n’ont pas dûment analysé l’effet de toutes les circonstances environnantes ni n’ont suffisamment tenu compte, dans leur appréciation du discernement et du consentement des requérantes, de la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle elles se trouvaient, en particulier eu égard à leur minorité. »
La Cour dit que la France doit verser aux trois requérantes respectivement des montants de 25 000, 15 000 et 15 000 euros pour dommage moral.
Nous notons que cet arrêt, s’il ne se prononce pas sur la victimisation secondaire, se place dans la continuité de la jurisprudence antérieure de la CEDH, protectrice des victimes d’agressions sexuelles. On y relève notamment un arrêt du 9 février 2021 (n°40591/11, aff. N. C. c/ Turquie) concernant la prostitution d’une enfant de quatorze ans. De même, dans un arrêt du 7 février 2023 (n° 36328/20, aff. B. c/ Russie : D. actualité, 23 févr. 2023, obs. Lefebvre (A.) ; Dalloz actualité, 10 mars 2023, obs. Marguénaud (J.-P.) ; Caire (A.-B.), « Quand la victimologie dynamise le Cour européenne des droits de l’homme » : D. 2023. 1098), la CEDH a retenu le traumatisme supplémentaire subi par un enfant victime d’agressions sexuelles dont la particulière vulnérabilité n’avait pas été prise en compte durant l’enquête et le procès.
S’agissant plus particulièrement d’une victimisation lors du déroulement même de l’audience on se référera à deux arrêts, l’un condamnant la Slovénie (CEDH 28 août 2015, n°41107/10, aff. Y. c/ Slovénie), l’autre l’Italie (CEDH 27 mai 2021, n° 5671/16, aff. J.L. c. Italie : RTD civ. 2021. 853, obs. Marguénaud (J.-P.)). Dans la première affaire portant sur des agressions sexuelles répétées qui auraient été commises sur une jeune fille de 14 ans par un ami de la famille, sont pris en considération des interrogatoires de la défense contenant des insinuations offensantes dépourvues d’intérêts pour la manifestation de la vérité. Pour la Cour, « Les autorités internes ont certes pris un certain nombre de mesures pour éviter à la requérante de subir un traumatisme supplémentaire, mais ces mesures se sont finalement révélées insuffisantes pour offrir à l’intéressée la protection qui eût permis de ménager un juste équilibre entre les droits et intérêts que lui garantissait l’article 8 et les droits de la défense (…) ». La seconde affaire a trait à un viol en réunion où, pour vérifier la crédibilité des accusations de la plaignante, la cour d’appel de Florence, qui avait acquitté les prévenus, s’était livrée dans son arrêt à des commentaires sur l’orientation sexuelle de la requérante considérée comme « certes fragile mais aussi créative et désinhibée, « capable de gérer sa (bi)sexualité et d’avoir des rapports sexuels occasionnels dont elle n’était pas tout à fait convaincue ». Selon la CEDH, « les droits et intérêts de la requérante résultant de l’article 8 n’ont pas été adéquatement protégés au vu du contenu de l’arrêt de la cour d’appel de Florence ». Anne-Blandine Caire (D. 2023. 1098, loc.cit.), souligne que « cette affaire a révélé une nette montée en puissance du concept de victimisation secondaire à propos du sort d’une femme victime de viol qui avait été malmenée par « des stéréotypes sexistes » et « des propos culpabilisants et moralisateurs » lors du procès en appel des suspects ». Ainsi que le constate Baptiste Nicaud (Le Club des Juristes, 16 mai 2025, loc.cit.) il résulte de ces deux condamnations, « pour les autorités nationales, une obligation positive « de protéger les victimes présumées » de violences sexuelles dans la conduite d’un procès pénal, « souvent vécue comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré au prévenu », ce qui nécessite une mise en balance avec les droits de la défense ».
II.- L’avocat de la défense, auteur d’une victimisation secondaire au sens du droit européen ?
L’article 15 de la Convention d’Istanbul dispose que : « Les Parties dispensent ou renforcent la formation adéquate des professionnels pertinents ayant affaire aux victimes ou aux auteurs de tous les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention, sur la prévention et la détection de cette violence, l’égalité entre les femmes et les hommes, les besoins et les droits des victimes, ainsi que sur la manière de prévenir la victimisation secondaire. » L’avocat de la défense est donc bien un professionnel du droit susceptible d’infliger par son comportement à l’audience une victimisation secondaire (A) mais ce sont les Parties, c’est-à-dire les États, qui doivent la prévenir et qui sont sanctionnées lorsqu’ils manquent à cette obligation (B).
A.- La parole contestée de l’avocat de la défense
En France, l’avocat bénéficie d’une liberté d’expression très étendue dans l’enceinte judiciaire garantie par ce qui est appelé par commodité « l’immunité de robe » (Labyod (B. V.), « Étendue de la liberté d’expression de l’avocat : Le Club des juristes, 10 avril 2013) instaurée par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. » La Cour de cassation a confirmé récemment cette liberté dans un arrêt publié au bulletin (Civ. 2ème, 20 avril 2023, n° 21-22.206) en affirmant que « la rhétorique d’un avocat peut être excessive sans être répréhensible ».
Les alinéas suivants de l’article 41 de la loi fixent cependant des limites : « Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. »
Cette immunité ne couvre cependant pas les fautes disciplinaires. L’ordre des avocats s’est doté en 2005 d’un code de déontologie qui énonce notamment que « L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment. Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie … ». La violation de ce principe, repris par l’article 3 du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, est susceptible de sanctions ordinales qui n’ont pas eu lieu dans cette affaire.
En l’espèce, le conseil de Gérard Depardieu, Me Jérémy Assous a eu un comportement tel qu’il a été dénoncé par un collectif d’avocates et d’avocats dans une tribune du Monde publiée le 28 mars 2025, appelant la justice à ne pas laisser passer ces méthodes : « Pendant les quatre jours du procès de l’acteur, l’avocat de celui-ci, Mᵉ Jérémie Assous, a lancé des invectives sexistes à ses consœurs. On y découvre quelques morceaux choisis à l’égard des avocates des plaignantes : « Madame », « Chère amie », « Mademoiselle », « Allez pleurer », « C’est quoi ce rire d’hystérique ? », « C’est insupportable, déjà votre voix, c’est dur » … Pour les signataires, « Viser de manière répétée des consœurs car femmes, adopter une stratégie clairement sexiste, porter atteinte au respect de la robe qui leur est dû en attaquant leur sexe et/ou leur genre, ne doit plus avoir sa place, jamais, dans une enceinte judiciaire française ». Sur la toile, en réaction au jugement, @MaîtreZemky s’exclamait : « En tous cas, merci aux confrères qui font n’importe quoi et ouvrent la porte à une sorte de contrôle judiciaire (et non déontologique) de la défense. »
L’attitude sexiste de Mᵉ Assous à l’égard de ses consœurs a certes été relevée dans le jugement mais il est permis de se demander si elle a réellement généré une victimisation supplémentaire des deux plaignantes telle qu’elle est énoncée dans la motivation du jugement : « le tribunal considère qu’elles ont été exposées à une dureté excessive des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des désagréments strictement nécessaires à la manifestation de la vérité, au respect du principe du contradictoire et à l’exercice légitime des droits de la défense.
Si les droits de la défense et la liberté de parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du procès pénal, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sauraient légitimer des propos outranciers ou humiliant portant atteinte à la dignité des personnes ou visant à les intimider.
En l’espèce, il résulte des débats que les parties civiles ont été confrontées à une défense des plus offensive fondée sur l’utilisation répétée de propos visant à les heurter et qui n’était manifestement pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense. »
Les propos visés dans la décision sont d’abord ceux adressés aux conseils de parties civiles (Cf. Coignac (A.), « Carine Durrieu-Diebolt, vigie de la victimisation secondaire » : JCP G 2025, act. 625) en ces termes : « C’est honteux. Arrêter de le cuisiner comme ça. Vous êtes abjecte et stupide. » ou encore « C’est insupportable de vous entendre, déjà votre voix, c’est dur alors… » ou de même : « Ah le dossier Arnould. Vous voulez en parler ? Arnould la menteuse, qui accuse sept personnes de viols. Vous avez la bêtise de parler d’Arnould ». Ces termes ne sont en effets guère aimables mais, ainsi que l’écrit Me Michèle Bauer, pourtant signataire de la tribune du Monde, « Ce préjudice de victimisation secondaire a été, me semble-t-il, utilisé à mauvais escient par le Tribunal correctionnel. En effet, ce préjudice est essentiellement lié au traitement institutionnel, à la violence systémique de la justice et non aux propos des avocats lors d’un procès pénal, propos sexistes tenus en outre principalement à l’égard de ses Consœurs » (Actu-Juridique.fr, 19 mai 2025, loc. cit.).
Il convient donc davantage de s’attacher aux paroles adressées aux victimes figurant dans la motivation du jugement : « Il a également pu déclarer à X., partie civile : « Je n’ai jamais vu une vraie victime s’opposer à des actes aussi élémentaires. On ne vous croit pas » ou à Z. : « Je ne vous crois pas du tout. Pour moi, vous êtes bel et bien quelqu’un qui ment ». Ces paroles retenues par le jugement peuvent-elles être qualifiées de sexistes ou d’injurieuses ce qui signifierait qu’un avocat ne peut plus plaider en défense le mensonge de la partie adverse ?
B.- La sanction de la parole de l’avocat de la défense
Le rôle du président du tribunal est rappelé par plusieurs commentateurs. Ainsi, pour Pauline Dufourq (Dalloz actualité, loc.cit.,), « il convient de rappeler le rôle fondamental que joue le président du tribunal qui, en vertu de l’article 401 du code de procédure pénale, dispose de la police de l’audience. Cette prérogative lui permet d’interrompre tout comportement qu’il jugerait inapproprié ou sans lien avec les débats », en renvoyant judicieusement aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et plus particulièrement à celui condamnant la Slovénie, dans lequel la Cour avait estimé « qu’il appartenait au premier chef à la juge qui présidait la formation de jugement de veiller à ce que le respect de l’intégrité personnelle de la requérante fût correctement protégé durant le procès » (CEDH 28 août 2015, préc. § 109). Cet avis est en conformité avec l’article 401 de notre code de procédure pénale aux termes duquel « Le président a la police et la direction des débats ».
En l’espèce, et cela n’aura échappé à personne, si le comportement de l’avocat avait été de nature à entraîner une victimisation secondaire au sens de la CEDH, cela serait à la juridiction d’être sanctionnée pour n’avoir pas protégé les plaignantes. En revanche, elle a jugé que le l’acteur était responsable des propos tenus par son avocat.
Comme le souligne à juste titre Pauline Dufourq, le jugement du 13 mai 2025 marque bel et bien une rupture : « pour la première fois, c’est le prévenu lui-même qui se voit reprocher la responsabilité de la victimisation secondaire des parties civiles sur le fondement des propos tenus par son conseil. »
Après les premières protestations pour atteinte aux droits de la défense, des voix commencent à s’élever pour dire qu’il faut raison garder en pointant le sexisme d’audience (Tuaillon-Hibon (E.), « Affaire « Depardieu » : la complexité de la justice des violences sexuelles n’est pas soluble dans l’indignation » : Actu-Juridique.fr, 20 mai 2025), ou bien que « des violences sexuelles ont été commises sur le tournage d’un film. Il n’était vraiment pas nécessaire d’en exercer de nouvelles dans le prétoire. A Gérard Depardieu de tirer les conséquences de cette décision, en changeant de défense, et peut-être d’avocat, pour le procès en appel » (Letteron (R.), « La victimisation secondaire ou les violences dans le prétoire » : Blog Liberté, Libertés chéries, 20 mai 2025).
Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur l’atteinte aux droits de la défense dans cette affaire, il paraît évident que la notion de victimisation secondaire employée par la juridiction est un détournement de celle qui émane de la Cour européenne des droits de l’homme. Il reste à souhaiter que la cour d’appel infirme le jugement sur ce point.