LES RESPONSABILITES ADMINISTRATIVES ENVISAGEABLES EN CAS DE PLUIES TORRENTIELLES, M. C. Aslan, A-N Karaman, A. Yaoua

Muhammed Cihangir ASLAN

Étudiant en M1 Droit – Droit de l’entreprise, UHA

Ayse-Nur KARAMAN, Angui YAOUA

Étudiantes en M1 Droit – Métiers de l’administration, UHA

 

Commentaire du jugement du Tribunal administratif de Melun, 2ème chambre 21 mars 2024, n° 1910954

 

La responsabilité sans faute est une responsabilité pécuniaire des personnes publiques dans laquelle les victimes ont seulement à prouver le lien de causalité entre l’activité administrative et le dommage qu’elles ont subi. Le jugement rendu par le tribunal administratif de Melun, en date du 21 mars 2024 (https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TA_MELUN_2024-03-21_1910954), en représente une parfaite illustration. En l’espèce, le 9 juin 2018, la commune de Barbizon (Seine-et-Marne) a été touchée par de violentes intempéries, entraînant une inondation. Un habitant a été blessé aux deux jambes à la suite de l’effondrement du mur de soutènement de sa propriété, alors qu’il vérifiait l’état de sa cave pour déterminer si celle-ci avait été inondée.

Suite au décès de la victime, sa veuve agissant en son nom propre et au nom de leur fils mineur, non indemnisés par des tiers payeurs a déposé une requête et plusieurs mémoires entre 2019 et 2023 devant le tribunal. Elle demandait réparation de leurs préjudices auprès de la commune de Barbizon, de la communauté d’agglomération du Pays de Fontainebleau, ainsi qu’aux sociétés Veolia Eau et la société des Eaux de Melun, ainsi que la désignation d’experts pour évaluer les dommages. Quant aux défendeurs, la commune de Barbizon, la communauté d’agglomération du pays de Fontainebleau puis, la société des eaux de Melun et la société Veolia eau compagnie générale des eaux, ils concluent au rejet de la requête estimant que les moyens soulevés ne sont pas fondés. Les requérants soutiennent qu’il y a lieu d’engager la responsabilité sans faute à l’égard des tiers à un ouvrage public, en raison de la défectuosité du réseau d’assainissement et demandent aussi la désignation de deux experts pour évaluer les dommages. Les défendeurs quant à eux, soutiennent que les moyens ne sont pas fondés et donc que leur responsabilité ne peut être engagée étant donné que les événements relèvent d’un cas de force majeure soutenant que « les équipements d’évacuation des eaux pluviales fonctionnent normalement, et les inondations résultent d’un épisode pluvieux exceptionnel, reconnu par un arrêté de catastrophe naturelle ».

Dès lors, peut-on engager la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public, pour des dommages causés par une catastrophe naturelle, en l’absence de lien de causalité entre l’ouvrage public et le préjudice subi ?

Il conviendra au regard du cadre jurisprudentiel de constater dans un premier temps que la responsabilité du maître de l’ouvrage ne peut être engagée que s’il existe un lien de causalité entre cet ouvrage et les dommages invoqués (I). Dans un second temps, il faut savoir que même si ce lien est établi, il existe des limites à l’engagement de la responsabilité (II).

I.- La possibilité d’engagement de la responsabilité sans faute de la commune en cas de risque exceptionnel dans la gestion des ouvrages publics et en matière de prévention des inondations

Dans la gestion des infrastructures publiques, et notamment celles relatives à la distribution de l’eau, la responsabilité sans faute de la municipalité repose sur des principes fondamentaux du droit administratif. Le principe d’égalité devant les charges publiques, reconnu par le Conseil d’État, impose à l’administration de réparer les préjudices causés par ses activités ou ouvrages publics dès lors qu’ils engendrent une charge anormale pour certains usagers (A). Par ailleurs, la jurisprudence administrative exige que la victime établisse un lien de causalité direct entre le dommage subi et l’ouvrage public en question, conformément aux exigences de l’article L. 911-1 du Code de la commande publique et aux règles jurisprudentielles en matière de risque exceptionnel. Ces deux axes, essentiels à l’engagement de la responsabilité sans faute, seront analysés successivement (B).

A.- Les différents fondements d’engagement de la responsabilité sans faute de la municipalité dans la gestion des infrastructures de distribution d’eau

Par définition, la responsabilité sans faute est   une responsabilité pécuniaire des personnes publiques dans laquelle les victimes ont seulement à prouver le lien de causalité entre l’activité administrative et le dommage qu’elles ont subi » (Fiches d’orientation (Responsabilité administrative sans faute) – Dalloz Septembre 2020).

Afin que la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage puisse être engagée, il n’y a donc pas besoin, pour la victime, de prouver une faute. Il suffit qu’un dommage soit causé par l’existence ou le fonctionnement même de l’ouvrage public. A titre illustratif, on peut retrouver à propos de circonstances assez similaires l’arrêt du Conseil d’État de 2019 (CE, Sect., 6 décembre 2019, Commune de Grande-Synthe, n° 417167), qui précise que cette responsabilité peut être engagée, dès lors qu’un dommage est causé par l’existence ou le fonctionnement anormal d’un ouvrage public. Dans ce cas, la victime n’a pas à démontrer de faute de la personne publique. C’est à l’inverse, à la personne publique de prouver que l’ouvrage était normalement entretenu. Il affirme que le juge administratif peut enjoindre à une collectivité publique de prendre des mesures correctrices si le dommage persiste en raison d’une faute, comme un défaut d’entretien ou une exécution défectueuse des travaux. Cependant, en l’absence de faute, seule une réparation pécuniaire peut être ordonnée. Le juge doit également évaluer si des considérations d’intérêt général ou des coûts disproportionnés justifient l’inaction de la personne publique. Cet arrêt limite explicitement l’injonction aux cas de responsabilité pour faute, excluant son application à la responsabilité sans faute.

Dans cette affaire, les requérants cherchent à engager la responsabilité de la commune de Barbizon, maître de l’ouvrage, en raison des dysfonctionnements et de l’insuffisance alléguée du réseau d’assainissement public. Ils soutiennent que les défaillances dans la conception, l’entretien, et la gestion de ce réseau, qui relèvent de la responsabilité de l’administration, ont directement contribué aux dommages qu’ils ont subis, notamment l’effondrement d’un mur sur leur propriété lors des inondations. Ceci est tout à fait possible, ainsi que l’a reconnu le Conseil d’Etat, en date du 19 janvier 2005, dans l’arrêt « Compagnie générale des eaux ». Cet arrêt fait référence aux deux requêtes (n° 271737 et n° 271782) dans lesquelles la Compagnie générale des eaux et la commune d’Olivet (Loiret) contestaient un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes, qui avait annulé une délibération autorisant l’extension de la durée de leur concession. Dans ce cas précis, il a été conclu que la convention en cours n’était pas nulle pour avoir excédé la durée prescrite, mais devait être adaptée pour ne pas dépasser la date limite fixée par la loi. L’enjeu principal de l’affaire concernait l’application de la loi Sapin du 29 janvier 1993 qui limite la durée des délégations de service public à 20 ans, sauf circonstances exceptionnelles. Cet arrêt a renforcé les principes de transparence, d’égalité entre les opérateurs économiques, et de sécurité juridique dans l’application des règles de passation des marchés publics et des délégations de service public. Le Conseil d’État a annulé l’avenant de prolongation, considérant que cette prolongation dépassait la durée maximale légale et contrevenait aux exigences de transparence et de concurrence propres aux services publics, même si les travaux ou investissements engagés avaient été prévus dans le contrat initial.

En résumé cette décision a admis que la responsabilité des communes puisse être engagée si les infrastructures, comme les réseaux d’assainissement ou de rétention des eaux pluviales, ne sont pas adaptées ou bien entretenues. Il semble donc tout à fait possible de tenir l’administration responsable dans l’affaire de la commune de Barbizon, pour les mêmes raisons.

Par ailleurs, il est important de rappeler que la responsabilité sans faute de l’administration permet aux tiers victimes de dommages causés par un ouvrage ou une activité publique de demander réparation sans démontrer de faute ni prouver la gravité ou la spécialité du préjudice subi. Dans certains cas, la réparation des dommages nécessite de démontrer que le préjudice subi est à la fois grave (par son importance ou ses conséquences économiques/sociales) et anormal (c’est-à-dire qu’il excède les inconvénients habituels que chacun peut subir dans l’intérêt général). Alors que l’exigence de préjudice anormal et spécial s’impose notamment dans le cas de dommages de travaux publics (CE, 6 juillet 1973, Ministre de l’Équipement et du Logement c/ Dalleau, n° 82406). L’affaire concerne un accident survenu en lien avec une route classée comme dangereuse. L’état de cette infrastructure présentait un risque évident pour les usagers. Le Conseil d’État consacre alors la réparation des préjudices, indépendamment de toute faute administrative, dès lors que le danger dépasse les risques habituels associés à l’ouvrage public, comme ce fut le cas ici avec une route particulièrement dangereuse sur laquelle s’était produit un accident. Cet arrêt réintroduit par la même la notion dans le cadre des travaux publics, permettant la reconnaissance d’une responsabilité objective en cas de danger exceptionnel lié à l’ouvrage. Pour des activités dangereuses comme les dépôts de munitions (CE, 28 mars 1919, « Regnault-Desrosiers »). L’ouvrage Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative met en avant cet arrêt pour illustrer l’évolution de la jurisprudence en matière de responsabilité administrative (Long, M., Weil, P., Braibant, G., Delvolvé, P. Genevois, B., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative : Dalloz, 2023, 24ème éd.), notamment l’introduction du principe de responsabilité pour risque dans le cadre des activités administratives dangereuses.

Il constitue une étape dans la construction du droit administratif français, particulièrement dans le domaine de la responsabilité sans faute. Ainsi, en cas de rupture d’égalité devant les charges publiques, l’arrêt du Conseil d’État, 14 janvier 1938, Société des produits laitiers « La Fleurette » est emblématique dans ce domaine. Dans cette affaire, la société La Fleurette, productrice de crème, demandait réparation pour un préjudice subi à la suite d’une loi qui interdisait la fabrication de crèmes comportant des matières grasses d’origine autre que le lait. Cette législation, promulguée pour des raisons de santé publique, entraîne une perte d’exploitation considérable pour la société. Cet arrêt est fondamental dans le cadre de la responsabilité sans faute de l’État législateur, introduisant la possibilité pour les particuliers ou entreprises d’obtenir réparation des conséquences dommageables d’une loi. Il établit ainsi un équilibre entre l’intérêt général poursuivi par les lois et les intérêts privés touchés de manière disproportionnée. Il envisage l’application du principe d’égalité devant les dépenses publiques et il pose les bases d’une indemnisation sans démontrer la gravité ni la nature du préjudice. Si le principe d’égalité devant les charges publiques permet d’engager la responsabilité de l’administration sans exiger la démonstration précise de la gravité ou de la nature du préjudice, il n’en demeure pas moins que cette responsabilité trouve une limite essentielle : l’existence d’un lien de causalité direct entre le dommage et l’activité ou l’ouvrage public en question. Ainsi, dans le cas présent, la charge de la preuve repose sur la victime, qui doit établir que le dommage résulte directement de l’ouvrage ou de l’activité publique, condition sine qua non pour engager la responsabilité de l’administration. Dans le cas qui nous intéresse ici, la victime doit donc établir un lien de causalité entre le dommage et l’activité ou l’ouvrage public pour engager la responsabilité de l’administration.

Afin d’engager la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage public, il est toutefois crucial pour la victime de démontrer le lien de causalité entre le dommage subi et l’ouvrage public.

 

B.- Le lien de causalité : élément indispensable à l’engagement de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public pour défaut d’entretien d’un ouvrage public en cas de risque exceptionnel

A l’instar de la responsabilité civile de droit commun (C. civ., art. 1240, 1241 et 1242, anc. art. 1382, 1383 et 1384), on peut définir le lien de causalité comme le lien de cause à effet entre le fait générateur de la responsabilité et le dommage dont il est demandé réparation. Le lien de causalité est essentiel pour engager la responsabilité du maître de l’ouvrage. Si le lien de causalité entre le dommage subi et l’ouvrage public n’est pas établi, la responsabilité ne pourra être engagée. Cependant, il faut bien garder à l’esprit que la preuve d’un lien de causalité par la victime ou ses ayants droit est requise dans toute la responsabilité administrative (avec ou sans faute) et même en responsabilité civile. Dans cette affaire, les requérants, ont invoqué la responsabilité du maître de l’ouvrage en raison de la défaillance du réseau d’assainissement. Ils ont cherché à engager sa responsabilité sans faute, en arguant que les puisards situés rue Gabriel Séailles à Barbizon étaient insuffisants pour gérer l’inondation survenue le samedi 9 juin 2018. De plus, ils ont mis en cause un entretien défectueux de ces infrastructures, soulignant la présence de feuilles mortes qui aurait entravé le bon écoulement des eaux pluviales.

Afin que les requérants puissent engager la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage, il aurait fallu qu’ils prouvent un lien de causalité entre l’effondrement du mur et les dommages subis, y compris les dommages corporels. La victime doit donc simplement établir le lien de causalité entre le travail ou l’ouvrage public, et le dommage et le caractère anormal et spécial du préjudice. (CE, 22 octobre 1971, ville de Fréjus, n°76200) met en évidence la réparation des dommages subis par la commune à la fois tiers et usager d’ouvrage public. Cet arrêt ville de Fréjus fait partie d’un ensemble de décisions de 1971 traitant de la réparation des préjudices causés par les inondations liées à la rupture, le 2 décembre 1959, du barrage de Malpasset, alors propriété du département du Var. En l’espèce, la commune de Fréjus a subi divers dommages tels que la dégradation de son réseau de distribution d’eau et les inondations de l’ensemble de ses biens communaux. La ville de Fréjus avait engagé une procédure devant le tribunal administratif de Nice, sollicitant la condamnation du département du Var et de l’Etat, pour les dommages subis. La décision reconnaît l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice et l’ouvrage public. On peut également se référer à un autre arrêt rendu par la cour d’appel administrative de Marseille, le 3 mars 2020 (CAA de Marseille, 3 mars 2020, n°18MA03005). En l’espèce, le 25 décembre 2013 de fortes précipitations s’abattaient sur la région, une importante coulée de boue, entraînant divers matériaux s’est produite à partir de la corniche André Tardieu à Menton, construite sur le flanc de la colline de l’Annonciade, se déversant dans la pente sur la propriété de la victime. La victime et son assureur ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Menton. Il a été jugé que même en l’absence de faute, « le maître d’ouvrage est responsable des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde, peuvent causer aux tiers, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement » et que la responsabilité sans faute de la collectivité était « subordonnée à la démonstration par cet administré de l’existence d’un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération ». Il s’agissait d’une responsabilité administrative fondée sur le caractère dangereux de l’ouvrage et non sur le défaut normal d’entretien, comme dans le cas du jugement ici commenté. Cependant, la responsabilité de la commune a été engagée à la suite d’un aménagement défectueux d’une voie publique qui, en aggravant les conditions d’écoulement des eaux pluviales, a provoqué un dommage anormal, à savoir un écoulement de boue sur une propriété provenant de cette voie publique.

Toutefois, dans le présent jugement, les requérants n’ont pas pu prouver ce lien, raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a rejeté la requête. Il a retenu qu’ils n’ont pas apporté la preuve que l’effondrement du mur de soutènement tiendrait sa cause dans l’existence ou le fonctionnement de l’ouvrage public. Ce mur se situait dans la propriété privée, et ce n’est aucunement du fait du maître de l’ouvrage, s’ils ont subi des préjudices.

Reste que dans certaines situations, même en cas de lien de causalité établi, la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public, ne saurait être engagée.

 

II.- Les causes d’exonération de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public en cas d’inondation reconnues comme catastrophes naturelles

La responsabilité sans faute du maitre de l’ouvrage public peut être écartée, même si toutes les conditions sont réunies, en présence de causes exonératoires bien précises. Parmi celles-ci, on distingue, d’une part, les causes traditionnelles que sont le cas de force majeure, la faute de la victime, ou encore la preuve d’un entretien régulier de l’ouvrage (A). D’autre part, en cas d’inondation peut également intervenir la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, qui constitue une exonération distincte et autonome (B).

 

A.- Le rejet du cas de force majeure, de la faute de la victime et de la preuve d’un entretien régulier de l’ouvrage comme causes d’exonération en cas d’inondation

Le maître de l’ouvrage peut se dégager de sa responsabilité même si un lien de causalité est d’abord établi entre l’ouvrage public et dommage, mais qu’il prouve ensuite que ce dommage résulte de la faute de la victime, soit d’un cas de force majeure ou encore d’un entretien régulier de l’ouvrage. En effet, la force majeure, comme en matière de responsabilité civile est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, qui, une fois le lien de causalité démontré, peut constituer une cause exonératoire en rendant impossible la mise en œuvre de la responsabilité du maitre de l’ouvrage. S’agissant de l’imprévisibilité, il est important que l’événement n’ait pas pu être anticipé raisonnablement. Par exemple, dans une jurisprudence concernant une crue sur un cours d’eau ayant déjà connu des crues importantes, le Conseil d’Etat a estimé que cet évènement ne pouvait ainsi pas être qualifié d’imprévisible. (CE, 4 avril 1962, Min. des Travaux publics c/ Sté Chais d’armagnac, n° 49258). Cependant, dans l’arrêt du 6 juillet 2015 (n° 373267), le Conseil d’État a jugé que des pluies diluviennes combinées à une crue de torrents, bien que non imprévisibles individuellement, constituaient un cas de force majeure en raison de leur conjonction exceptionnelle et imprévisible. Ensuite, s’agissant de l’irrésistibilité, il faut que l’événement en question soit si puissant qu’il soit impossible de le maîtriser. Puis, concernant l’extériorité, il faut que l’évènement soit totalement extérieur à la volonté des parties. Dans le présent jugement, il n’y a pas de contrat entre les parties, car la responsabilité est engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute, liée à un ouvrage public.

Il s’agit là de critères cumulatifs, cela signifie que tous doivent être remplis pour qu’un évènement soit qualifié de cas de force majeure. Prenons un exemple impliquant la foudre. Dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse (CAA Toulouse, 18 avril 2023, n° 21TL24489 et 5 mars 2024 Commune de Saint-Amans-Soult, n° 22TL21250), une commune a invoqué la force majeure après qu’un orage intense ait frappé le clocher de l’église de Saint-Amans-Soult (Tarn), entraînant des dommages à des habitations voisines, notamment au caveau de la famille du Maréchal Soult. En dépit de l’intensité exceptionnelle de l’impact de la foudre (97,3 kA), la Cour a rejeté la demande de force majeure dans les deux arrêts. En effet, dans sa décision du 18 avril 2023, la Cour avait déjà estimé que l’impact de la foudre, bien qu’exceptionnel, n’était ni imprévisible ni irrésistible. De plus, elle a souligné que la commune aurait pu prévenir les dommages en installant des dispositifs de protection tels qu’un paratonnerre. Ce raisonnement a été confirmé dans l’arrêt du 5 mars 2024, marquant ainsi une continuité dans l’interprétation stricte des critères de la force majeure. Comme le relève M. Hedin dans son commentaire, « fidèle à sa jurisprudence, le juge interprète de manière stricte les conditions de la force majeure pour rejeter toute exonération de la commune » (B. Hedin, « Obligation pour la commune de réparer le dommage occasionné à un monument funéraire du fait de l’effondrement du clocher de l’église », AJ Collectivités Territoriales, 2024, p. 443). Ces décisions illustrent ainsi les exigences de plus en plus strictes des juges pour reconnaître un cas de force majeure lié à des évènements naturels. Contrairement à l’exemple précité, une application se trouve dans l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 11 janvier 2024 (n°19/03275). Dans cette affaire, la responsabilité de la commune a été exonérée après des inondations exceptionnelles. Bien que les infrastructures aient été conformes aux normes, la Cour a considéré que l’intensité et l’irrésistibilité des inondations étaient de nature à constituer un cas de force majeure, échappant ainsi à toute faute de la commune. Cet arrêt marque un contraste avec les précédents en ce qu’il illustre une approche plus souple face à des évènements naturels imprévisibles et irrésistibles. Mais l’existence d’un cas de force majeure ne signifie pas toujours une exonération totale de responsabilité. Si le lien de causalité entre l’ouvrage public et le dommage est partiellement prouvé, la responsabilité du maître de l’ouvrage pourrait être partiellement engagée. Par exemple, dans l’affaire CE, 25 mai 1990 (CE, Sté de broyage et de fourrage, n°39460, et 39497), des inondations causées par des pluies exceptionnelles dans le département du Gers ont été qualifiées de force majeure, bien que « les conditions de réalisation de cette cause étrangère fassent l’objet de la part du juge administratif d’une interprétation fort sévère ». (G. Darcy, « Conditions de la responsabilité de l’État en cas d’inondation » : AJDA, 1990, p. 824). Cependant, la haute juridiction a admis une exonération partielle de l’administration, considérant que la présence d’un ouvrage public et les fautes lourdes des services administratifs avaient contribué à amplifier les effets des dommages. Un cas similaire s’est produit dans l’arrêt de la CAA de Nantes (CAA Nantes, 27 janvier 2017, Brest Métropole, n° 15NT01092), où la Cour a reconnu un cas de force majeure lors des inondations causées par des pluies exceptionnelles les 31 août 2008 et 24 octobre 2011 à Brest. Toutefois, elle a estimé que Brest Métropole restait partiellement responsable du dommage subi par un pharmacien dont l’officine avait été inondée. En effet, le tribunal a jugé que les dommages avaient été aggravé par l’insuffisance du système d’évacuation des eaux pluviales, ainsi que par un dysfonctionnement du bassin de rétention situé en amont. Par conséquent, la responsabilité de Brest Métropole a été retenue à hauteur de 60 % pour l’inondation de 2008 et de 30 % pour celle de 2011. Ainsi, un cas de force majeure n’exclut pas nécessairement une part de responsabilité lorsqu’un ouvrage public contribue partiellement à l’aggravation des dommages.

Toutefois, dans la présente affaire, le tribunal administratif de Melun a conclu que l’absence de lien de causalité entre le dommage et l’ouvrage public empêchait l’engagement de la responsabilité du maître de l’ouvrage. Autrement dit, il n’a pas été prouvé que le dommage était directement causé par une défaillance de l’ouvrage, ce qui empêche l’application d’une responsabilité totale ou partielle. Dans ce contexte, cette absence de lien de causalité ne constitue pas une exonération au sens juridique strict, mais plutôt un obstacle à la reconnaissance même de la responsabilité du maître de l’ouvrage. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner d’autres causes d’exonération, telles que la force majeure, car l’élément principal, le lien de causalité n’est pas établi. Une cause d’exonération, qu’elle soit totale ou partielle ne pourrait être retenue car l’absence de lien de causalité suffit à exclure toute forme de responsabilité. Si le lien de causalité avait été admis, une autre cause d’exonération aurait pu être éventuellement invoquée : la faute de la victime. Elle peut être retenue lorsque celle-ci a contribué à causer ou à aggraver le dommage. Il peut s’agir de comportement négligeant ou imprudent de la part de la victime. Pareillement, le lien de causalité entre la faute de la victime et le dommage devrait être prouvé. Dans cette affaire, il est important de noter que la « faute de la victime » n’est pas directement invoquée dans le jugement. Le tribunal se concentre principalement sur la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage public, considérant que le dommage résulte de l’insuffisance du système d’évacuation des eaux pluviales, et non d’une faute imputable à la victime. Par ailleurs, aucun lien de causalité n’a été établi entre la conduite de de la victime et le dommage subi, l’accident étant lié à un événement extérieur et exceptionnel : l’effondrement du mur de soutènement en raison des intempéries.

Cependant par analogie avec l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA de Lyon, 3ème chambre, 22 février 2011, Cne de Marches, n°09LY00905) où la responsabilité de la commune avait été atténuée en raison de la négligence d’un propriétaire dans l‘entretien de son terrain, on pourrait envisager qu’une faute de la victime aurait pu être retenue si, par exemple, ce dernier avait réalisé des aménagements ayant contribué à fragiliser le mur de soutènement ou aggravé les conséquences des intempéries. Cela démontre que, dans certains cas, une faute personnelle ou une négligence de la victime pourrait réduire ou exclure la responsabilité du maitre de l’ouvrage public.

Cet arrêt est souvent commenté en doctrine (F. Llorens, « Règlement du service des eaux : illégalité de la disposition imposant aux abonnés de faire réaliser leur branchement par le service ou une entreprise agréée » : Contrats et Marchés Publics 2011, n°149) pour son approche des libertés économiques dans le cadre des services publics, notamment en matière de distribution d’eau. Il rappelle que même les services publics doivent respecter les principes de liberté économique et d’égalité des usagers, sauf si la restriction est justifiée par un besoin impératif lié au bon fonctionnement du service public. Enfin, le maître de l’ouvrage, peut également s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que l’ouvrage a été correctement entretenu. En effet, même en cas de dommage, si la maintenance a été réalisée de manière régulière et adéquate, il pourrait être démontré qu’aucune négligence n’a été commise de sa part. Cette preuve pourrait ainsi limiter, voire exclure, sa responsabilité, tout en tenant compte de la nature de l’ouvrage et des conditions d’exploitation. Dans l’arrêt déjà cité CE, 25 mai 1990, (Sté de broyage et de fourrage, n°39460, 39497), le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité de l’administration en cas d’inondations exceptionnelles ne pouvait être engagée, sauf si les conséquences de l’évènement ont été aggravé par un ouvrage public, par rapport à ce qu’elles auraient été en l’absence de cet ouvrage ou si l’administration a commis des fautes lourdes ayant contribué à aggraver les dommages subis par les victimes.

Si la force majeure, la faute de la victime ou la preuve d’un entretien régulier peuvent exonérer le maître de l’ouvrage de sa responsabilité, il convient désormais d’examiner la possibilité que la qualification de catastrophe naturelle constitue également une cause exonératoire, à condition que les critères spécifiques de cette notion soient remplis.

 

B.- La caractérisation de catastrophe naturelle comme cause exonératoire en cas d’inondation

En l’espèce, l’événement ayant affecté la commune de Barbizon le samedi 9 juin 2018, a été considéré, comme un état de catastrophe naturelle par un arrêté du 9 juillet 2018, publié au journal officiel de la République Française. (Arrêté du 9 juillet 2018 portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, JORF n°0171, 27/07/2018, texte n°4). Cela pourrait renforcer l’argument de la force majeure et donc permettre à la commune de s’exonérer de sa responsabilité. Cependant, il est essentiel de noter que la reconnaissance d’un état de catastrophe naturelle n’entraîne pas automatiquement l’exonération pour force majeure. En effet, plusieurs références jurisprudentielles et doctrinales, montrent que ce statut ne constitue pas nécessairement une cause exonératoire. Par exemple, le Conseil d’État, dans un arrêt du 2 octobre 1987 (n°71.122), a jugé que la qualification de catastrophe naturelle par arrêté ne constitue pas pour autant un cas de force majeure. En l’espèce, un éboulement survenu dans la commune de La Bastide-Clairence (Pyrénées-Atlantiques) avait causé des dommages à la propriété d’un tiers, située en bordure d’un chemin rural. Ce talus, considéré comme une dépendance d’un ouvrage public, engageait la responsabilité de la commune, malgré l’existence d’un arrêté constatant l’état de catastrophe naturelle. Il faut encore que l’évènement soit imprévisible et irrésistible. Cette logique s’applique aussi bien en cas de sécheresse que de catastrophe naturelle. Dans le même ordre d’idées, la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 novembre 2001 (Civ. 1ère, 28 nov. 2001, n°00-14.320), a jugé que la sécheresse n’était pas la seule cause des désordres constatés, en l’occurrence des fissurations. La Cour de cassation a jugé que les dommages apparus avant la sécheresse, auraient pu être évités par une conception adaptée de l’ouvrage. Par conséquent, les constructeurs, ne pouvaient pas se prévaloir de la sécheresse comme cause exonératoire, car cette dernière ne constituait pas un évènement imprévisible et irrésistible. De plus, la jurisprudence rappelle les obligations des sous-traitants, qui, dans leur domaine d’expertise, doivent fournir des conseils et informations aux autres intervenants. Comme l’indique Monsieur le Professeur Philipe Malinvaud, le sous-traitant, « plus compétent que les autres » dans son domaine, « est tenu d’une obligation de conseil à l’égard des autres intervenants » (P. Malinvaud, « Le BET sous-traitant a une obligation de conseil à l’égard de l’entrepreneur et de l’architecte », RDI, 2002, p. 95). Cependant, il existe des cas où les évènements climatiques extrêmes ont été reconnus comme des cas de force majeure. Par exemple, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 juin 2021 (n°17-18.082), un glissement de terrain causé par des pluies exceptionnelles avait déstabilisé un talus et causé des dommages à un terrain voisin. Ces intempéries, reconnues comme catastrophes naturelles, ont été qualifiées de force majeure par la Cour de cassation, qui a estimé que le phénomène climatique était imprévisible et irrésistible, exonérant ainsi le propriétaire de toute responsabilité. Par ailleurs, la jurisprudence montre que la reconnaissance d’une catastrophe naturelle par arrêté n’équivaut pas systématiquement à une exonération pour force majeure. Ainsi, dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 17 septembre 2021 Commune de Bourges, n°20NT02509 & n°20NT02508), il a été jugé que cette reconnaissance ne suffisait pas, faute de preuve d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. En l’espèce, des inondations de la rivière d’Auron en 2016, avaient causé des dégâts importants, mais le tribunal n’a pas accordé l’exonération à la commune de Bourges. Enfin, il convient de souligner que la responsabilité sans faute pourrait être retenue même en cas de catastrophe naturelle, si un lien de causalité est établi entre l’ouvrage public et le dommage. En l’espèce, si par exemple, les requérants avaient pu démontrer que le réseau d’assainissement défectueux avait aggravé les effets de l’inondation, ils auraient pu démontrer même en cas de catastrophe naturelle, engagé la responsabilité du maître de l’ouvrage. C’est ce qu’illustre la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 13 décembre 2002, « Compagnie d’Assurances des Lloyd’s de Londres », n° 203429), où la responsabilité d’une commune a été retenue malgré les domaines de responsabilité des entreprises privées, en raison de la défectuosité d’ouvrages publics.

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