Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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L’HÔTELIER DOIT INDEMNISER LE PRÉJUDICE MORAL DE SON CLIENT DONT LES BIJOUX ONT ÉTÉ VOLÉS PUIS RESTITUÉS, P. Schultz

Philippe SCHULTZ

Professeur de droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 21 mars 2023

Mots clés : responsabilité – dépôt hôtelier – voyageur – préjudice moral – vol – preuve – clause illicite – ordre public – indemnisation

Pour se repérer

M. R.I. et sa fille, Mme W.I., ont séjournés à l’hôtel Carlton à Cannes du 14 au 18 mai 2014. Occupant d’abord les chambres 651 et 636, ils sont ensuite installés l’après-midi même de leur arrivée dans les chambres 760 et 762 transformées en suite.

Le 14 mai 2014 en fin de soirée, Mme W.I. constate la disparition de plusieurs bijoux d’une valeur totale de 1 200 000 euros si bien qu’une plainte est déposée pour vol, le 17 mai, et une enquête pénale diligentée.

Alors que M. R.I et sa fille quittent le Carlton le 18 mai pour s’installer dans une autre localité, les bijoux sont retrouvés le 20 mai 2014 dans le coffre de la chambre 636 précédemment occupée par M. R.I.

Par exploits des 12 et 13 mai 2016, M. R.I. et sa fille W.I. assignent les sociétés Carlton Danube et Intercontinental hotels group pour manquement à l’obligation d’assurer la sécurité de leurs biens, aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts devant le TGI de Grasse, lequel les déboute de leur demande par jugement du 6 mai 2019.

Relevant appel de cette décision le 19 septembre 2019, M. R.I. et sa fille W.I.  ont relevé appel de cette décision, M. R.I et Mme WI, visa des articles 1382 et 1952 du code civil, demande à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence de condamner solidairement les sociétés intimées à leur payer la somme de 50 000 €, au titre de leur préjudice moral et d’agrément. Les sociétés intimées demandent le rejet de toutes les demandes des appelantes.

Dans son arrêt du 21 mars 2023, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence accueille la demande des consorts I et condamne in solidum la SNC Carlton Danube et la société Intercontinental hotels group à leur payer ensemble la somme de 12 000 €, à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues.

Pour aller à l’essentiel

Les articles 1952 et 1953 du code civil instituent une responsabilité de plein droit de l’hôtelier pour le vol des objets et effets personnels appartenant aux clients commis dans ses chambres d’hôtel. Il s’agit d’une responsabilité sans faute, mais plafonnée à 100 fois le prix journalier de la chambre, sauf si la victime démontre l’existence d’une faute de l’hôtelier, auquel cas, la responsabilité de ce dernier est alors illimitée.

Etant d’ordre public l’hôtelier ne peut la décliner, sauf à démontrer l’existence d’une faute de la victime, laquelle en l’espèce n’est ni alléguée et ni, a fortiori démontrée ;

Dans la mesure où il est établi que les bijoux ont disparu le 14 mai 2014, puis subitement réapparu le 20 mai 2014, dans la chambre 636, là où ils n’étaient plus, si bien qu’ils ont été nécessairement dérobés entre-temps, leur restitution étant imputable à un repentir tardif, soit spontané soit provoqué, il en résulte que la responsabilité de l’hôtelier est dès lors engagée.

Si les clients n’ont subi en définitive aucun préjudice matériel et financier, ils ont souffert d’un préjudice d’agrément et moral qui sera entièrement réparé par la condamnation de l’hôtelier à leur verser la somme de 12 000 €, à titre de dommages-intérêts.

Pour aller plus loin

La responsabilité des hôteliers pour les vols des effets de leurs clients dans leur établissement est ancienne. Connue du droit romain, reprise par l’ordonnance civile d’avril 1667, elle est ensuite codifiée sous les articles 1952 et suivants du code Napoléon, avant de connaître plusieurs modifications législatives au XXe siècle dont la plus substantielle par la loi n° 73-1141 du 24 décembre 1973 (JO 27 déc. 1973, p. 13835), en attendant, en 2024, la prochaine réforme des contrats spéciaux et plus particulièrement celle du dépôt.

L’affaire dont a eu à connaître la Cour d’appel d’Aix-en-Provence se présentait à elle avec un certain classicisme : un vol de bijoux de clients dans un hôtel. Là où l’affaire prend un tour inhabituel, c’est que les bijoux volés seront retrouvés six jours après le vol dans l’hôtel alors que leurs propriétaires avaient déjà quitté l’hôtel.

Cette disparition temporaire qui ne peut être imputée au client suffit à engager la responsabilité de l’hôtelier (I). Il reste alors à déterminer le préjudice indemnisable (II).

I. La responsabilité de plein droit de l’hôtelier

Selon l’article 1952 du code civil, les aubergistes ou hôteliers répondent, comme dépositaires, des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux ; le dépôt de ces sortes d’effets doit être regardé comme un dépôt nécessaire. Le premier alinéa de l’article 1953 du code civil ajoute que les hôteliers sont responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel.

Afin d’engager la responsabilité de l’hôtelier, le client n’a pas de prime abord à établir une faute de l’hôtelier. Il lui suffit d’établir, d’une part, la matérialité du dépôt, c’est-à-dire que durant son séjour à l’hôtel, il avait emporté les effets volés et, d’autre part, le fait dommageable consistant en un vol de ces effets survenu durant le séjour à l’hôtel.

Concernant la preuve de la matérialité du dépôt, elle peut se faire par tous moyens. C’est pour permettre cette liberté de preuve que le dépôt hôtelier doit être regardé comme un dépôt nécessaire, dont la preuve est libre (C. civ., art. 1950). Même en l’absence de ce rapprochement hasardeux – qui va disparaître avec la réforme des contrats spéciaux – la liberté de preuve s’impose puisqu’il s’agit en réalité de prouver contre un hôtelier qui a la qualité de commerçant (C. com., art. L. 110-3).

Malgré cette liberté, la preuve n’est pas simple à rapporter lorsque le fait dommageable est un vol. En effet, les effets conservés par le voyageur ne font pas l’objet d’un état contradictoire à son arrivée à l’hôtel et on ne peut se contenter des seules déclarations du client. La preuve est parfois rapportée par le témoignage d’autres clients qui ont vu la victime porter les bijoux volés durant son séjour ou au moyen de photographies faites à l’hôtel où le client portait les effets volés. Parfois, c’est le dépôt rapide d’une plainte énumérant les objets volés qui peut rapporter cette preuve. Ainsi, il a été jugé, dans une affaire concernant le même hôtel, alors que l’hôtelier contestait la matérialité du dépôt, que cette preuve est rapportée par le fait que la victime d’un vol de bijoux avait conclu un contrat d’assurance concernant 15 bijoux d’une valeur totale de 1 605 225 €, incluant le port quotidien à l’international de six de ces bijoux, d’une valeur globale de 688 225 €, par le dépôt de plainte par la victime du vol concernant 4 bijoux et, enfin, par une présomption de fait en vertu de laquelle la clientèle fortunée fréquentant un hôtel de prestige, classé cinq étoiles, sur la Croisette à Cannes est présumée posséder des bijoux de grande valeur qu’elle est censée transporter avec elle, lorsqu’elle séjourne dans ce type d’établissement (CA Aix-en-Provence, 3e ch. A, 7 sept. 2017, n° 16/00275 : JurisData n° 2017-019739).

En l’espèce, la victime avait porté plainte trois jours après le vol ce qui aurait été de nature à établir la matérialité de dépôt. Mais cette difficulté n’existait pas puisque les bijoux volés avaient réapparu six jours plus tard à l’hôtel à un moment où le client avait déjà quitté l’établissement. Au demeurant, parmi les bijoux retrouvés figurait même une bague qui n’avait pas été déclarée dans la plainte.

Pour ce qui est l’établissement du fait dommageable, à savoir le vol des bijoux, celui-ci aurait pu être établi par le dépôt de plainte dans laquelle les clients déclaraient le vol de leurs bijoux entreposés dans le coffre de leur chambre. En l’espèce, la Cour d’appel s’appuie surtout sur le témoignage d’une employée de l’hôtel qui relate que le coffre de la chambre occupée initialement par le client avant son relogement dans une suite et où les bijoux ont été retrouvés était vide la veille de leur découverte. En outre, un client ayant occupé la même chambre dans l’intervalle attestait lui-même que le coffre était vide durant son séjour. Enfin, la politique de l’hôtel était de vérifier à chaque départ que le coffre des chambres était bien vidé. Cela a suffi à la Cour d’appel pour déduire que les bijoux retrouvés dans un coffre de l’hôtel après le départ de leur propriétaire avaient été volés entre-temps. Le vol était établi, même si le voleur s’était repenti. Cette découverte après le départ des clients renforçait même la preuve que ces derniers n’étaient pour rien dans la disparition de leurs bijoux et que la disparition des bijoux s’est bien produite au sein de l’hôtel. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’hôtelier étaient ainsi réunies.

Pour s’exonérer, l’hôtelier entendait maladroitement se prévaloir d’une affichette mentionnant qu’il déclinait toute responsabilité pour les des objets et valeurs laissées dans les chambres ou dans le coffre de la chambre. Cet argument est écarté d’un trait de plume : la responsabilité de l’hôtelier est d’ordre public rendant les clauses exonératoires de responsabilité totalement inefficaces.

Si une clause exonératoire de responsabilité est inefficace, il en va différemment des clauses imposant à un client une obligation de déposer dans le coffre non pas de la chambre, mais de l’hôtel des objets d’une valeur supérieur à un certain montant (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, 11-18.450). La faute du client qui a accepté cette obligation conventionnelle permet alors de conduire à un partage de responsabilité entre l’hôtelier et le client. Tel n’était pas le cas de la clause dont se prévalait l’hôtelier. Et rien n’établit que le client l’eut acceptée.

Le principe de responsabilité de l’hôtelier étant admis, il restait au client à établir un préjudice indemnisable.

II. L’indemnisation du préjudice

Le régime de responsabilité sans faute de l’hôtelier reste une forme particulière de responsabilité civile tendant à réparer un préjudice subi par le voyageur relativement aux effets emportés durant son séjour. S’agissant d’une responsabilité contractuelle, seul le préjudice prévisible est indemnisable (C. civ. art. 1231-3). De ce point de vue, le régime de responsabilité des hôteliers présente une particularité puisque l’indemnisation est plafonnée à 100 fois le prix de la nuitée et à cinquante fois pour les objets laissés dans le véhicule (C. civ., art. 1953, al. 3, et 1954, al. 2). Toutefois, ce plafonnement ne joue pas soit en cas de faute prouvée de l’hôtelier ou de ses préposés soit si les choses avaient été déposées entre les mains de ce dernier ou qu’il a refusé de les prendre sans raison légitime.

Le plafonnement s’applique globalement à tous les préjudices invoqués par le voyageur. En l’occurrence, les bijoux volés avaient une valeur de 1 200 000 dollars américains. Pour obtenir l’indemnisation d’un tel préjudice, le client aurait certainement dû établir une faute de l’hôtelier. La jurisprudence se montre assez sévère envers les Palaces, jugeant qu’ils ont une obligation renforcée de surveillance des effets de leurs clients fortunés (Ph. Schultz, JCl. Civil Code, art. 1949 à 1954 – Fasc. unique : DÉPÔT. – Dépôt nécessaire. – Dépôt hôtelier. – Dépôt hospitalier, n° 122). Mais en l’espèce, ce préjudice matériel n’avait pas lieu d’être indemnisé puisque tous les objets volés avaient été retrouvés. C’est la raison pour laquelle les sociétés hôtelières poursuivies prétendaient même qu’il n’y avait pas lieu à indemnisation, faute de préjudice, argument qui a vraisemblablement convaincu le TGI de Grasse qui avait rejeté la demande des clients.

Toutefois, s’il n’existait aucun préjudice matériel, il existait bien un préjudice moral. Celui-ci est bien indemnisé sur le fondement des articles 1952 et suivants du code civil. C’est même le seul préjudice indemnisable lorsqu’un objet volé est retrouvé le lendemain sans dégradation (CA Rennes, 1re ch. B, 20 févr. 2003, n° 02/02249 : JurisData n° 2003-206884, jugeant, au sujet d’un camescope volé et retrouvé le lendemain sans dégradation ni preuve qu’il contenait une cassette, que le préjudice moral est suffisamment indemnisé à hauteur de 200 euros). Il n’y a guère que les préjudices corporels qui ne relèvent pas de ce régime de responsabilité.

En l’espèce, la Cour d’appel relève qu’entre le vol et le retour des bijoux, les clients ont subi les désagréments d’un dépôt de plainte et qu’ils ont été privés des bijoux destinés à être portés par la cliente à l’occasion du festival de Cannes et que ces clients sont repartis persuadés d’avoir définitivement perdu les bijoux volés. Ils ont ainsi souffert d’un préjudice d’agrément et moral qui doit être entièrement réparé par l’hôtelier. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence évalue globalement à 12 000 euros tous ces préjudices alors que les clients en réclamaient 50 000. On ne connaît pas le coût de la nuitée de la suite louée durant le festival de Cannes. Mais il est très vraisemblable que le plafond du centuple n’était pas atteint si bien que la démonstration d’une faute de l’hôtelier était inutile pour faire jouer le déplafonnement.

Un pour cent de la valeur des bijoux, c’est le prix à payer par l’hôtelier à ses clients pour les avoir privés pendant six jours de leurs bijoux, d’avoir généré en eux l’angoisse d’une perte irrémédiable et de les empêcher de paraître sur la Croisette durant le Festival de Cannes parés de leurs plus beaux joyaux tout en perdant leur temps dans un sombre commissariat cannois à devoir porter plainte. Et tout cela n’est pas du cinéma !

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 21 mars 2023

Répertoire Général : 19/14713

[W] [I] et [R] [I] C/ Société CARLTON DANUBE et Société INTERCONTINENTAL HOTEL GROUP (HG)

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Grasse en date du 06 Mai 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 16/03306.

APPELANTS

Madame [W] [I]

née le 29 Juillet 1971 à [Localité 7]

de nationalité Britannique, demeurant [Adresse 4]

Monsieur [R] [I]

né le 08 Novembre 1941 à [Localité 5] (INDE)

de nationalité Britannique, demeurant [Adresse 1]

Tous deux représentés par Me Jean-marc FARNETI, avocat au barreau de GRASSE et ayant pour avocat Me Jean-Jacques TRINQUET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

Société CARLTON DANUBE [Localité 6] prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège, demeurant [Adresse 3]

Société INTERCONTINENTAL HOTEL GROUP (HG) prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]

Toute deux représentées par Me Françoise ASSUS-JUTTNER de la SCP ASSUS-JUTTNER, avocat au barreau de NICE, et ayant pour avocat plaidant Me Firas RABHI, avocat au barreau de NICE substitué par Me Benjamin CHARLIER, avocat au barreau de NICE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 14 Février 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme DEMONT, conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2023,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Du 14 au 18 mai 2014, M. [R] [I] et sa fille [W] [I] ont séjourné à l’hôtel Carlton à [Localité 6], occupant les chambres 651 et 636, avant d’être installés l’après-midi même de leur arrivée dans les chambres 760 et 762, transformées en suite.

Le 14 mai 2014 en fin de soirée, Mme [W] [I] a constaté la disparition de plusieurs bijoux d’une valeur totale de 1’200’000 €.

Une plainte a été déposée pour vol et une enquête pénale a été diligentée.

Les bijoux ont été retrouvés le 20 mai 2014 dans le coffre de la chambre 636 précédemment occupée par M. [R] [I] lequel était reparti à [Localité 7] avec sa fille le 18 mai .

Par exploits des 12 et 13 mai 2016, M. [R] [I] et sa fille [W] [I] ont assigné la

société Carlton Danube [Localité 6] et la société Intercontinental hotels group pour manquement à l’obligation d’assurer la sécurité de leurs biens, aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 50’000 € à titre de dommages-intérêts

Par jugement en date du 6 mai 2019 le tribunal de grande instance de Grasse a déclaré irrecevable la demande de nullité de l’assignation, faute d’avoir été soulevée devant le juge de la mise en état, débouté les consorts [I] de toutes leurs demandes, et les a condamnés à payer à la société Carlton Danube [Localité 6] et à la société Intercontinental hotels group, la somme de 2 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le 19 septembre 2019, M. [R] [I] et sa fille [W] [I] ont relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 18 décembre 2019, ils demandent à la cour, au visa des articles 1382 et 1952 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de leur assignation, l’infirmant pour le surplus, de condamner solidairement les sociétés intimées à leur payer la somme de 50’000 €, au titre de leur préjudice moral et d’agrément et la somme de 12’500 €, en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par conclusions du 16 mars 2020, la société Carlton Danube [Localité 6] et la société Intercontinental hotels group demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter les appelants de toutes leurs demandes, et de les condamner à leur payer la somme de 5000 €, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures précitées pour l’exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

Attendu que les appelants font valoir au soutien de leur appel que les bijoux de la chambre 651 ont été déplacés le 14 mai 2014 en milieu d’après-midi et placés dans le coffre de la chambre 762 de la suite qui leur avait été attribuée et les bijoux qui étaient dans le coffre de la chambre 636 ont été transférés dans le coffre de la chambre 760 de la suite ; que les consorts [I] se sont aperçus qu’il manquait certains bijoux d’une valeur de plus de 1,2 millions USD, dont certains avaient une forte valeur affective, ayant appartenu à la mère décédée de Mme [I] ; que la direction de l’hôtel a été informée et un dépôt de plainte a été effectué le 17 mai 2014 pour le vol des bijoux intervenu soit au cours du ‘délogement’ réalisé avec l’aide du personnel de l’hôtel, soit ultérieurement dans le coffre de la chambre 760 de la suite ; qu’ils ont subi les soupçons vexatoires de l’hôtelier ; que le 18 mai 2014, ils sont repartis pour [Localité 7], après avoir acquitté une facture d’un montant de plus de 40’000 € pour leur séjour ; que tous les bijoux, y compris une bague, dont ils n’avaient pas déclaré le vol ont subitement réapparu le 20 mai en milieu de journée, les deux étuis contenant les bijoux ayant été retrouvés dans le coffre de la chambre 636 qui était initialement occupée par M. [I] à leur arrivée à l’hôtel ; que la femme de chambre les a retrouvés en faisant la chambre alors que celle-ci avait été relouée deux fois depuis le début du relogement de M. [I] ; et que l’hôtel a manqué à ses obligations d’assurer une jouissance paisible, et de surveiller les effets des clients ;

Attendu que l’hôtelier répond qu’il doit être démontré un manquement contractuel de sa part, l’existence d’un préjudice et le lien de causalité ; que le prétendu vol n’a pu être commis pendant le transfert des bijoux qui a été opéré par les clients eux-mêmes, et qu’il a donc été commis directement dans le coffre de la chambre n°760 ; que l’hôtel décline par affichette toute responsabilité des objets et valeurs laissées dans les chambres ou dans le coffre de la chambre ; et que le préjudice d’agrément et moral prétendu ne peut être évalué forfaitairement, alors même que Mme [I] a pu récupérer tous les bijoux et que les appelants n’ont subi aucun préjudice ;

Mais attendu que les articles 1952 et 1953 du code civil instituent une responsabilité de plein droit de l’hôtelier pour le vol des objets et effets personnels appartenant aux clients commis dans ses chambres d’hôtel ; qu’il s’agit d’une responsabilité sans faute, mais plafonnée à 100 fois le prix de la chambre jour, sauf si la victime démontre l’existence d’une faute de l’hôtelier, auquel cas, la responsabilité de ce dernier est alors illimitée ;

Attendu qu’étant d’ordre public l’hôtelier ne peut la décliner, sauf à démontrer l’existence d’une faute de la victime, laquelle en l’espèce n’est ni alléguée et ni, a fortiori démontrée ;

Attendu que la première audition de la femme de chambre de l’hôtel, Mme [E], le 22 mai 2014 établit que le coffre de la chambre 636 était vide le 19 mai 2014, là où elle a découvert les bijoux le lendemain 20 mai 2014 dans le coffre ouvert ;

Que ce témoignage, émanant de la préposée même des sociétés intimées, est corroboré par les déclarations de Mme [H], une cliente qui a séjourné dans la chambre 636, faisant suite à un autre client, dans la nuit du 18 au 19 mai 2014, laquelle a entreposé son porte-monnaie dans le coffre de cette chambre où elle certifie que ne se trouvaient pas les bijoux (ni dans le coffre ni au-dessus), qui y furent retrouvés le 20 mai 2014 suivant ;

Attendu qu’il est donc établi par ces témoignages, et les déclarations circonstanciées qui avaient déjà été faites par M. [I] et sa fille, que les bijoux n’étaient plus dans la chambre initiale 636, ni la chambre adjacente 651, lorsqu’ils ont déménagé pour la suite, et ce d’autant qu’entre deux clients les chambres sont faites, et surtout que les coffres sont systématiquement ouverts et leur absence de contenu, vérifié ;

Attendu qu’ayant disparu le 14 mai 2014, puis subitement réapparu le 20 mai 2014, dans la chambre 636, là où ils n’étaient plus, les bijoux ont été nécessairement dérobés entre-temps, leur restitution, imputable à un repentir tardif, soit spontané soit provoqué, étant inopérante à l’égard du délit de vol qui est constitué, contrairement à ce que soutient l’hôtelier ;

Attendu que la responsabilité de celui-ci est dès lors engagée, en application des textes susvisés ;

Attendu qu’entre-temps les clients ont subi les désagréments d’un dépôt de plainte ; qu’ils ont été privés des bijoux destinés à être portés par Mme [I] à l’occasion du festival de [Localité 6] et que ces clients sont repartis à [Localité 7], persuadés d’avoir définitivement perdu les bijoux volés ;

Que s’ils n’ont subi en définitive aucun préjudice matériel et financier, les consorts [I] ont souffert d’un préjudice d’agrément et moral qui sera entièrement réparé par la condamnation de l’hôtelier à leur verser la somme de 12 000 €, à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que le jugement qui a rejeté toutes leurs demandes sera donc reformé en ce sens ;

Attendu que l’hôtelier succombant devra supporter la charge des dépens de première instance et d’appel, et verser en équité la somme de 4 000 € aux appelants, au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable en première instance et en cause d’appel, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, statuant à nouveau et ajoutant

Vu les articles 1952 et 1953 du code civil,

Condamne in solidum la SNC Carlton Danube [Localité 6] et la société Intercontinental hotels group à payer à M. [R] [I] et à Mme [W] [I], ensemble, la somme de 12’000 €, à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues,

Condamne in solidum la SNC Carlton Danube [Localité 6] et la société Intercontinental hotels group à payer à M. [R] [I] et à Mme [W] [I], ensemble, la somme de 4 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.