Les étudiants du Master 2 « Professions Juridiques et Judiciaires » de l’Université de Haute-Alsace
Ce colloque s’est tenu à la Fonderie, le 22 septembre 2023, sous la responsabilité scientifique d’Anthony TARDIF, Maître de conférences à l’UHA et membre du CERDACC (UR 3992).
Première partie : Présomptions et fait générateur de responsabilité (faute et garde)
Cette première partie se déroule sous la présidence de Madeleine LOBE-LOBAS (Maître de conférences-HDR à l’UHA – membre du CERDACC).
La notion de présomption en théorie du droit : Professeur Ludovic PAILLER (Université Jean Moulin Lyon 3)
La notion de présomption tient une place omniprésente dans l’actualité jurisprudentielle mais reste toutefois de nature incertaine. Précision doit être faite que le droit de la responsabilité se présente sous différentes formes.
En effet, un récent arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 5 juillet 2023, a confirmé avec fermeté le principe de la présomption irréfragable de connaissance des vices cachés par le vendeur professionnel. Dans cette affaire, il s’agissait de la vente d’un tracteur et l’acheteur avait agi en résolution d’un vice caché car le moteur était défectueux. La Cour de cassation ajoute que c’est une présomption qui oblige le vendeur professionnel, et permet surtout d’écarter tout résolution d’où l’importance du caractère irréfragable.
La présomption est donc perçue comme un véritable pilier du droit moderne.
Les présomptions de faute en droit de la responsabilité civile : Professeur Olivia ROBIN-SABARD (Université de Tours)
Il n’existe que très peu de présomptions de faute en droit de la responsabilité. La plupart des présomptions de faute qui existaient se sont transformées en régimes d’indemnisation. Néanmoins, les présomptions de faute pourraient connaître un regain d’intérêt et s’apparenteraient à un assouplissement des règles de preuve favorables aux victimes.
Les présomptions de faute en droit pénal : Professeur Guillaume BEAUSSONIE (Université de Toulouse 1 Capitole)
La présomption de faute en droit pénal ne peut être que limitée pour ne pas contrevenir au principe de la présomption d’innocence. La présomption de faute peut être utilisée quand la faute est vraisemblable. Il faut laisser une possibilité de contester la commission de la faute. Cependant, il est nécessaire de veiller à ce que ce système de présomption de faute reste très marginal et que ses mécanismes ne soient pas étendus. Une certaine prudence est nécessaire lorsque les mécanismes de présomption sont utilisés, notamment en droit pénal qui ne doit avoir recours aux présomptions que de manière exceptionnelle.
Les présomptions de faute en droit de la responsabilité administrative : Professeur Pierre SERRAND (Université d’Orléans)
La présomption de faute en droit administratif demeure un phénomène assez marginal. Il existe des exemples en matière de service public. Il n’y a pas une responsabilité de plein droit mais une responsabilité sans faute qui se déploie en la matière. L’intérêt de ces présomptions de faute réside dans son influence sur la question probatoire. En effet, la charge de la preuve est inversée ce qui favorise l’indemnisation de la victime. La présomption a des conséquences sur le fond du droit. En effet, lorsque le juge présume la faute, il va accentuer les exigences qu’il fait peser sur l’administration. Il module les obligations qui pèsent sur l’administration. Si, par son objet et son mécanisme, la présomption concerne les règles de preuve, par ses effets elle remplit une véritable fonction normative qui contribue à la normalisation du fond du droit.
Les présomptions de faute en droit comparé – Pays de Common law (droit anglais) : Professeur Simon TAYLOR (Université de Paris – Nanterre)
Le droit anglais aborde les présomptions de fautes de manières différentes. La charge de la preuve de la faute va peser sur le demandeur qui doit établir une violation du devoir de diligence. De plus, les règles sont principalement d’origine jurisprudentielle. Les juges en droit anglais raisonnent par analogie d’une espèce à l’autre pour créer un nouveau principe de droit qui n’existait pas. Or, ce type de développement ne favorise pas la création de présomption. Ainsi le recours aux présomptions en droit anglais reste très peu utilisé.
Les présomptions de faute en droit comparé – Exemple d’un système de droit mixte : Professeur Daniel GARDNER (Université de Laval – Canada)
En droit canadien, il existe deux exemples principaux de présomptions de faute. Tout d’abord, en matière d’autorité parentale, le droit canadien est passé d’une présomption de responsabilité à l’égard du titulaire de l’autorité parentale à une présomption de faute. La possibilité de prouver l’absence de faute est toujours ouverte pour pouvoir s’exonérer. Le deuxième exemple réside dans la responsabilité du fait des choses. Une présomption de faute pèse sur le gardien de la chose qui peut s’en exonérer. Néanmoins, des règles spéciales ont été créées en matière de responsabilité du fait autonome de la chose.
Rapport intermédiaire sur les présomptions de faute : Professeur Fabrice LEDUC (Université de Tours)
Dans les différentes interventions qui ont été présentées ce matin, des questions sous-jacentes demeurent.
Certaines ont pu être résolues. En effet, tous s’accordent sur le fait que la présomption de faute est une présomption de droit ainsi qu’une présomption simple. Un autre élément commun est ressorti de ces présentations, l’importance de la vraisemblance dans la naissance de la présomption. Enfin et surtout, la présomption de faute ne garde qu’une place résiduelle en droit. Utilisée de manière parcimonieuse en droit pénal, elle est refoulée en droit civil et administratif.
D’autres questions restent toutefois latentes. Ne pourrait-on pas opérer des distinctions au sein des présomptions de fautes ? En effet, il pourrait être judicieux de distinguer les présomptions de fautes globales de celles qui sont segmentées. Ou bien encore, ne faudrait-il pas effectuer une distinction entre les présomptions de fautes déterminées et les présomptions de fautes indéterminées.
Deuxième partie : Présomptions et constantes de la responsabilité (dommage et causalité)
Cette seconde partie est présidée par Marie-France STEINLE-FEUERBACH, (Professeur émérite de l’UHA, Membre fondateur du CERDACC).
Les présomptions de dommage – Les préjudices nécessaires en droit du travail : Professeur Yann LEROY (Université de Lorraine)
Il convient de présumer le dommage subi par le salarié en raison du manquement commis par son employeur. Cette idée est issue de la théorie du préjudice nécessairement causé. Cette théorie s’est développée en droit civil, en droit médical, commercial, pénal et est largement répandue en droit du travail.
Selon cette dernière, certains manquements fautifs sont en eux-mêmes la source d’un préjudice qui donne droit à réparation, permettant de mettre en œuvre la responsabilité civile de l’employeur. Cette théorie n’est pas contraire au droit commun de la responsabilité contractuelle, puisqu’ici le préjudice est présumé et non supprimé.
Le mécanisme du préjudice nécessaire a été abandonné puisque l’objectif de cette théorie serait de réduire les indemnités perçues par les salariés. Dorénavant, trois éléments doivent être retenus : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Il subsiste des cas dans lesquels ce mécanisme reste maintenu, notamment en cas d’une violation grave d’une obligation essentielle par l’employeur.
Les présomptions de dommage moral en droit administratif : Professeur Emilie BARBIN (Université Grenoble Alpes)
A l’origine, le droit administratif ne reconnaissait pas le préjudice moral, ce qui a été modifié avec l’arrêt Tisserand (CE, 24 novembre 1961). C’est davantage dans le domaine du préjudice moral que la présomption de dommage joue un rôle. Il y a trois catégories de préjudice moral : l’atteinte à un droit ou à une liberté, la souffrance des victimes notamment par ricochet et le préjudice écologique. Ces présomptions ont un rôle social, pour faciliter la réparation des victimes et une fonction instrumentale : c’est une politique jurisprudentielle. Néanmoins, à force de présumer le préjudice moral, celui-ci risque une dilution, notamment lorsque le préjudice peut exister alors qu’il n’y a pas eu de dommage.
Les présomptions de dommage moral en droit polonais et en droit suisse : Professeur Fryderyk ZOLL (Université Jagellon de Cracovie – Pologne)
Les droits allemands et polonais ont la même charge de la preuve. Il est difficile de parler de présomption dans ces systèmes car les règles sont très générales. La victime doit faire la preuve de tous les faits qu’elle avance. Si en droit allemand, il y a une certaine relativisation de la preuve du dommage dans certaines situations, en droit polonais, la présomption constitue une base servant à l’estimation du dommage lorsqu’il est irraisonnable d’en apporter la preuve.
Les présomptions d’imputabilité en droit anglais : Professeur Stathis BANAKAS (Université de Norwich – Royaume-Uni)
Grâce aux présomptions de faute, le demandeur peut démontrer que le défendeur avait le pouvoir de gérer ou de contrôler la situation dans laquelle l’accident s’est produit. En effet, l’accident n’entraîne pas de responsabilité, à condition que la gestion ou le contrôle de la situation se fasse avec la diligence requise.
La présomption mixte met en cause du droit et des faits. Il n’est pas question de transférer la charge de la preuve au défendeur, mais d’aider le demandeur.
En droit anglais, il n’existe pas de responsabilité des choses comme en droit français, mais il existe des responsabilités sans faute, pour les animaux qui causent un dommage.
Par ailleurs, des présomptions de causalité sont également présentes en droit anglais. Pour les troubles de voisinage aucune faute n’est requise, elle est présumée. La présomption de dommage, quant à elle, permet de résoudre les atteintes à la propriété, aux personnes ou à leur vie privée.
Les présomptions sont donc nécessaires pour les victimes de préjudices.
Les présomptions en droit médical : Juliette DUGNE (Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – CERDACC)
Le droit de la responsabilité médicale connaît le jeu des présomptions, deux importants contentieux les ont mises en avant.
Le contentieux de la vaccination contre l’hépatite B : La présomption de causalité a été mise en avant entre le vaccin et la sclérose en plaque. En effet il existe un doute scientifique sur la cause de cette maladie. La Cour de cassation estime qu’en matière de responsabilité des produits défectueux, en l’espèce les vaccins, la preuve du défaut du produit, du dommage et du lien de causalité, peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes. La Cour de cassation laisse ensuite l’appréciation de ces éléments aux juges du fond. Face aux hésitations de ces derniers, la Cour a sollicité l’avis de la CJUE en 2017 qui incite à un revirement de jurisprudence. Le doute scientifique n’empêche pas d’établir le lien de causalité par des présomptions.
Le contentieux du distilbène : Cette hormone de synthèse a été donnée à des femmes afin d’éviter des accouchements prématurés et les filles de ces mères ont connu une infertilité qui pourrait être reliée à l’exposition à cette hormone. Dans cette affaire, deux laboratoires ont fabriqué cette hormone et la Cour de cassation a estimé que si le laboratoire ne peut être déterminé, tous ceux qui ont fabriqué le distilbène sont responsables. Une présomption simple est donc mise en place, chaque fabricant peut prouver que ce n’est pas son produit qui a causé le dommage. Les deux laboratoires sont finalement condamnés alors qu’un seul est responsable, une causalité alternative a donc été mise en avant.
Les présomptions de dommage en droit italien : Professeur Robert CARLEO (Université degli Studi di Napoli – Italie)
La loi italienne a recours aux présomptions simples et légales pour simplifier la charge probatoire de la victime. En comparant les droits français, italien et allemand, la présomption est la conséquence d’un fait connu. En effet, une présomption permet de prouver un fait qui n’est pas connu, grâce à un fait connu.
L’Italie et la France ont une discipline similaire concernant les présomptions irréfragables qui n’admettent pas la preuve contraire, contrairement au code civil allemand qui ne prévoit pas ce type de présomptions. Les présomptions simples, quant à elles, sont plutôt des moyens de preuve qui sont laissés à l’appréciation du juge.
La jurisprudence a connu de récentes évolutions, en effet, la Cour de cassation italienne a envisagé le dommage présumé. Cette question a été traitée dans le cadre d’occupation sans titre d’immeubles.
Les présomptions de dommage en droit allemand – application au droit d’auteur : Pawel KAMOCKI (Docteur en droit – Juriste à l’Institut Leibnitz)
En droit allemand, l’auteur présumé est celui qui est désigné comme auteur de manière usuelle, l’auteur peut ensuite agir en responsabilité civile contre le contrefacteur. Cela présente une difficulté avec l’intelligence artificielle. Il suffirait d’écrire son nom sur une création de l’intelligence artificielle pour pouvoir ensuite agir en responsabilité. Plusieurs solutions existent pour contourner le problème : abandonner totalement la présomption d’auteur, rehausser les critères de la présomption ou imposer un tatouage numérique pour toutes les œuvres créées par les intelligences artificielles pour les identifier.
Rapport conclusif : Philippe BRUN (Avocat général à la Cour de cassation, Agrégé des facultés de droit)
Tout d’abord, l’autorité de la chose jugée est la seule chose qui se trouve sous les présomptions dans le Code civil. Pour les présomptions de faute, elles sont en voie d’extinction, mais ce n’est pas le cas pour les présomptions de dommage et de causalité. Les différents rapports font apparaître que les présomptions de dommage et de causalité ne permettent pas de résoudre les mêmes problématiques.
Les présomptions sont des sortes d’ordres adressés au juge, lui enjoignant d’entrer en voie de condamnation. Les présomptions de dommages engendrent des problématiques, en dispensant le demandeur de faire la preuve de sa demande, ce qui nécessite un encadrement différent.
Concernant les présomptions de causalité, les difficultés résultent de trois facteurs :
– L’objet de la présomption : la causalité est en soi une notion complexe et largement rétive à la conceptualisation.
– La sécurité juridique : en matière médicale un même dommage peut être imputé à plusieurs défendeurs tels que les fabricants d’un même produit.
– La porosité entre les présomptions légales et quasi légale et le recours aux indices. Le contentieux de l’hépatite B, fourni un exemple de ces difficultés.