RESPONSABILITÉ EN CAS DE CHUTE D’UN MINEUR DANS L’ESCALIER D’UN IMMEUBLE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Commentaire de C. cass., civ. 2ème, 30 novembre 2023, n° 22-16.835

Mots-clés : accident – chose inerte – chute – escalier – exonération – mineur – responsabilité du fait des choses – syndicat.

Tomber dans un escalier chez soi est douloureux, mais c’est pire si ce drame survient à l’occasion d’une réunion familiale et que l’on est un enfant de sept ans, victime d’un accident sur le palier du cinquième étage de l’immeuble de sa tante. Il ressort de cet arrêt que le responsable du bâtiment avait eu tort de ne pas recouvrir d’une boule une tige métallique car cela présentait des dangers à la fois pour les copropriétaires et leurs visiteurs. Dès lors cette tige filetée a été l’instrument du dommage de la victime, ce qui a conduit à la mise en place de la responsabilité du syndicat des lieux, les juges estimant que l’extrémité de la rampe du rez-de-chaussée présentait une configuration anormale.

Pour se repérer

Les parents de deux mineurs s’étaient rendus avec leurs enfants chez leur tante, mais malheureusement l’un d’entre eux a fait une chute dans la cage d’escalier du bâtiment, alors qu’il était sur le palier du cinquième étage. En effet, leur fils âgé de sept ans s’est gravement blessé le 7 décembre 2013. À l’occasion d’une réunion familiale, il a fait une chute du cinquième étage dans la cage d’escalier de l’immeuble où vivait sa tante et malheureusement il a cogné une tige métallique, ce qui l’a gravement blessé.

Pour qu’il soit indemnisé, ses représentants légaux ont assigné le syndicat des copropriétaires de cet établissement sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er remplacé depuis par l’article 1242, alinéa 1er, ainsi que la tante qui habitait dans ces lieux et son assureur.

Leur demande a été rejetée en première instance, mais ils ont fait appel et ont été entendus par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 24 mars 2022, n° 20/07375). Les juges de la cour d’appel ont condamné le syndicat à indemniser l’enfant et ses parents de leurs préjudices consécutifs à cet accident car, selon eux, la tige métallique dénudée supportant la boule en fin de rampe d’escalier était effectivement pour partie instrument du dommage subi par l’enfant.

Le syndicat s’est pourvu en cassation, estimant que la responsabilité du fait d’une chose inerte ne peut être engagée que si la victime parvient à démontrer sa position anormale et son rôle actif dans la survenance du dommage, si bien que, selon lui, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses n’étaient pas réunies dans cette affaire. Précisément, il considérait que la boule de protection manquante du rez-de-chaussée n’avait pas pour fonction d’assurer une protection lors des chutes, si bien que pour lui, elle n’était pas l’instrument du dommage.

Pour aller à l’essentiel

Dans l’arrêt rendu le 30 novembre 2023, les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ont rejeté le pourvoi du syndicat des copropriétaires (C. cass., civ. 2ème, 30 novembre 2023, n° 22-16.835, JurisData n° 2023-21816, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048550415?init=true&page=1&query=22-16.835&searchField=TITLE&tab_selection=all : Coutant-Lapalus (C.), « Quelques rappels sur l’action en responsabilité du fait des choses exercée par le syndicat de copropriétaires », Loyers et Copropriété n° 2, Févr. 2024, comm. 33 ; Hocquet-Berg (S), « Responsabilité du fait des choses – La chose pour partie l’instrument du dommage et les causes d’exonération du gardien », RCA janv. 2024, comm. 6). Ils ont estimé que le fait que la fin de la rampe soit constituée d’une tige filetée non recouverte d’une boule présentait des dangers à la fois pour les habitants, mais aussi les visiteurs empruntant l’escalier. Pour la Cour de cassation, l’enfant s’étant cogné en étant tombé, cette tige filetée a bien été pour partie l’instrument du dommage qu’il a subi, dans la mesure où une boule de protection n’avait pas été installée. Cette analyse a conduit les juges à engager la responsabilité du syndicat qui aurait dû veiller à une bonne installation. Il est responsable effectivement parce que l’extrémité de la rampe du rez-de-chaussée était anormalement installée, raison pour laquelle le mineur l’a violemment heurtée, si bien que dans cette affaire, elle était assurément l’instrument du dommage. Il est vrai qu’une chose, même partiellement à l’origine du dommage engage la responsabilité du gardien. Dès lors le syndicat est responsable conformément à l’article 1242 alinéa 1er du Code civil, aucune cause d’exonération de sa responsabilité n’étant repérée et il est tenu de verser 3000 euros aux représentants légaux du mineur victime et de sa soeur.

Pour aller plus loin

Les titulaires de l’autorité parentale sont les représentants légaux de leurs enfants mineurs et il leur revient d’agir quand leur fils ou leur fille subit directement un préjudice, lié à une chute dans un escalier sachant qu’eux aussi souffrent quand leur enfant est blessé. En l’espèce ils ont agi en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur.

Le syndicat avait reproché aux juges du fond de l’avoir sanctionné alors que « que la faute de la victime ou le fait d’un tiers exonère totalement le gardien de sa responsabilité s’ils constituent un cas de force majeure ». Il estimait que « rien ne laissait présager la chute d’un enfant depuis le palier du cinquième étage ». Toutefois les juges de la Cour de cassation ont confirmé l’analyse des juges du fond puisque le syndicat avait pour mission de prévenir le risque de blessure par cette tige métallique. Il aurait dû le faire en procédant à la mise en place d’une boule de protection, parce que des mineurs peuvent échapper à la surveillance de leurs parents et s’écrouler après s’être penchés par-dessus la rampe de l’escalier. Un tel drame n’était donc pas imprévisible.

Dès lors, le syndicat devait être sanctionné sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil (en remplacement de l’article 1384, al. 1er) puisqu’il n’a pas justifié de cause d’exonération de sa responsabilité. En effet, ce n’est pas parce que le syndicat des copropriétaires est visé par une responsabilité civile spécifique depuis la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (JO du 11 juill. 1965) que le droit commun de la responsabilité civile du fait des choses ne peut pas être utilisé. Puisqu’il s’agissait d’une chose inerte, il fallait que soit établie l’anormalité de la chose dans le but d’engager la responsabilité de son gardien (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n° 03-18.135, RCA 2005, comm. 121 note Groutel (H.) ; JCP 2005, I, 149 n° 6, obs. Viney (G.) ; RTD civ. 2005, p. 407, obs. Jourdain (P.)). Précisément, en l’espèce, c’est le caractère anormal de la chose inerte qui a été heurtée par la jeune victime lors de sa chute qui suffit à engager la responsabilité du fait des choses du syndicat de copropriétaires puisqu’elle est bien l’instrument dudit dommage.

En conséquence, une fois qu’il a été démontré que la chose en question est l’instrument du dommage, son gardien a l’obligation de réparer les dommages subis à la fois par l’enfant et ses parents. Dans cette affaire, la responsabilité du fait des choses était encourue car « la fin de la rampe au niveau du rez-de-chaussée, constituée d’une tige filetée non recouverte d’une boule, présentait une configuration anormale et un danger ».

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