LA SAGA METALEUROP, B. Rolland

Blandine ROLLAND

Professeur de Droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Directrice du CERDACC (UR 3992)

 

Mots-clés : Environnement – Installation classée pour la protection de l’environnement – Responsabilité administrative – Responsabilité environnementale – Passif – Pollution – Société-mère

 

L’affaire Metaleurop constitue une véritable saga procédurale aux multiples rebondissements. Il se trouve que ce feuilleton est presque aussi ancien que le Journal des Accidents et des Catastrophes, ce qui justifie une rétrospective dans le présent numéro 250. En effet, le JAC a hébergé des commentaires sur les premiers épisodes de cette pièce de théâtre judiciaire commencée en 2003. Mais hélas, les vieilles archives du JAC ont été perdues …

La société Metaleurop était une grosse entreprise de fonderie et de recyclage de métaux non ferreux (plomb, zinc, cadmium …), installation classée pour l’environnement (ICPE), ayant développé une activité très polluante pour les sols mais aussi pour les populations. Elle a été exploitée de 1890 jusqu’en 2003 dans le Pas-de-Calais, notamment à Noyelles-Godault.

Après un rappel des principaux épisodes procéduraux de cette saga (1.), quelques enseignements juridiques en seront tirés (2.).

1.- Le déroulement procédural de la saga Metaleurop

Filiale d’exploitation au sein du groupe Metaleurop et faisant face à des difficultés financières croissantes, la SAS Metaleurop Nord a été placée en redressement judiciaire le 28 janvier 2003, puis en liquidation judiciaire, le 10 mars 2003 (JAC, n° 37, note B. Rolland).

La pièce se joue ensuite en plusieurs actes selon le passif à régler.

 

A.- Premier acte : le passif environnemental

Afin de faire supporter les dettes, notamment environnementales, de la filiale par la société mère qui était encore in bonis, une action en extension de procédure collective a été tentée contre la SA Metaleurop (refusée par le TGI Béthune, ch. com., 11 avril 2003 : B. Soinne, Opinion publique et procédures collectives : l’affaire Metaleurop : Actualité des proc. coll., n° 8/2003, p. 1, et Rev. proc. coll. 2003, p. 90. – B. Rolland, Les poursuites à l’égard de la société-mère en cas d’atteinte à l’environnement causée par une filiale : Environnement 2003, chron. 20). La Cour d’appel de Douai a alors été saisie d’un recours et elle a rendu un premier arrêt le 2 octobre 2003 (CA Douai, 2 oct. 2003 : JCP E 2003, 1488 ; D. 2003, p. 2571, obs. A. Lienhard ; B. Soinne, La « confusion » : le raidissement des juges du fond : Rev. proc. coll. 2004, p. 27. ; Rev. proc. coll. 2004, p. 123, obs. L. Allain ; Dr. env. 2004, p. 83, comm. Y. Razafindratandra ; Rev. proc. coll. 2004, p. 313, obs. B. Rolland ; JAC n° 42, note B. Rolland). La Cour d’appel semble y confirmer pour partie les motifs du Tribunal de grande instance, mais procède à une analyse plus approfondie de la situation de fictivité de la filiale. Cependant, sans trancher le fond, elle prononce une décision avant dire droit nommant un expert chargé de déterminer le degré d’autonomie de la filiale par rapport à la société-mère. Entre temps, la société-mère dépose elle-même le bilan devant le Tribunal de commerce de Paris et est placée en redressement judiciaire. L’affaire revient devant la Cour d’appel de Douai qui rend un nouvel arrêt, au fond, le 16 décembre 2004 (CA Douai, 16 déc. 2004 : D. 2005, p. 216, obs. A. Lienhard ; JCP E 2005, 721, chr. B. Rolland ; JAC n° 51, note B. Rolland). S’appuyant sur les conclusions de l’expert commis, la Cour rejette la demande fondée sur la fictivité de la filiale, mais elle prononce l’extension de la procédure de liquidation judiciaire en raison de la confusion des patrimoines de la filiale et de la société-mère, tout en écartant la confusion à l’égard d’une autre société du groupe (comp. depuis : C. com., art. L. 621-2, al. 2).

L’action se solde finalement par un échec devant la Cour de cassation (C. cass., ch. com., 19 avril 2005, n° 05-10.094 : Bull. civ. IV, n° 92 ; D. 2005, p. 1225, note A. Lienhard et p. 2013, obs. F.-X. Lucas ; JCP E 2005, 721, Etude B. Rolland ; JCP G 2005, II, 10088, note O. Bouru et M. Menjucq ; Rev. sociétés 2005, p. 897, note J. Marotte et D. Robine ; Defrénois 2005, p. 1932, note D. Giribila ; Bulletin Joly sociétés 2005, p. 681, note C. Saint-Alary-Houin ; Gaz. Pal. 4-5 nov. 2005, p. 3, note C. Lebel ; Rev. proc. coll. 2005, p. 240, obs. M.-P. Dumont ; JCP E 2006, 1257 § 22, obs. F.-G. Trébulle). En effet, dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation décide que la Cour d’appel de Douai s’est prononcée par des « motifs impropres à caractériser » la confusion des patrimoines entre les deux entités.

La filiale disparaît donc, sans régler ses dettes environnementales qui sont considérables et sans procéder à la remise en état de son site. Cependant, le site immobilier a été repris par une société spécialisée dans le traitement des pollutions et a été finalement entièrement réhabilité, avec l’aide financier de l’Etat (https://www.suez.fr/fr-fr/notre-offre/succes-commerciaux/nos-references/usine-de-metaleurop-nord-de-la-france).

Dans le même temps, la responsabilité des dirigeants de la filiale pour faute de gestion ayant entraîné une insuffisance d’actif a été envisagée. Elle n’a pas non plus prospéré devant la Cour de cassation (C. cass., ch. com., 19 nov. 2013, n° 12-28.367, F-D : JCP E 2015, 1085, § 15, obs. F.-G. Trébulle ; BJED 2014, p. 18, note L. Le Mesle ; Bull. Joly Sociétés 2014, p. 103, note N. Pelletier). En effet, la direction de fait exercée par la société mère sur la filiale n’est pas caractérisée par la supervision qu’elle assure sur le directeur technique, le pouvoir étant effectivement exercé par voie de délégation du président de la filiale, par un directeur assurant la responsabilité du personnel, le contrôle de gestion, de la comptabilité, et arrêtant les choix stratégiques.

 

B.- Deuxième acte : le passif social

Il s’est agi de faire supporter par la société mère les obligations sociales de reclassement et d’indemnisation des salariés.

L’obligation de reclassement des salariés par la société mère considérée comme co-employeur a été retenue par la Cour d’appel de Douai (CA Douai, 18 décembre 2009 et 17 décembre 2010) même si la mère a tenté vainement d’engager la responsabilité des mandataires judiciaires sur ce point (C. cass., ch. com., 18 mai 2022, n° 21-12.188, F-D).

En outre, la condamnation de la mère a pu être obtenue en application de la théorie jurisprudentielle du co-emploi (C. cass., ch. soc. 28 sept. 2011, nos 10-12.278 s. : D. 2012, p. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta). La Cour relève la « confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre les deux sociétés, se manifestant notamment par une immixtion dans la gestion du personnel de la filiale ». La mère devait donc financer les indemnités légales de licenciement des centaines de salariés concernés. Face à son inertie, elle a été condamnée à verser ces sommes aux liquidateurs judiciaires qui avaient préalablement réglé les indemnités de licenciements aux salariés (C. cass., ch. com. 5 oct. 2022, F-D, n° 21-12.488 : D. actu. 25 oct. 2022, obs. C. Gailhbaud). On pouvait alors croire la saga terminée.

 

C.- Troisième acte : le passif indemnitaire

La saga Metaleurop a été relancée récemment en raison de la détermination des riverains du site dont les terrains sont restés pollués en raison de la diffusion massive et sur une longue durée, de polluants par voie atmosphérique (plomb, cadmium, zinc et dioxyde de soufre). Ils ne peuvent agir contre la société polluante qui est insolvable du fait de sa liquidation judiciaire. Ils se sont donc retournés contre l’Etat afin d’obtenir une indemnisation de la perte de valeur de leurs biens immobiliers.

Une cinquantaine de riverains a ainsi mis en jeu la responsabilité de l’Etat pour carence fautive dans la gestion de ce dossier en raison de son défaut de surveillance sur l’installation classée. Cette action a été admise par la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 23 mai 2024, n° 22DA00216 et autres : JAC n° 238, juin 2024, note B. Rolland, https://www.jac.cerdacc.uha.fr/metaleurop-le-retour-b-rolland/). La Cour condamne l’Etat à verser le chiffre global d’environ 1.200.000 € aux riverains en réparation de la perte de valeur immobilière et de la perte de jouissance de leurs biens.

Cependant, le Conseil d’Etat a cassé l’une de ces décisions (CE, 24 juillet 2025, n°496331, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2025-07-24/496331, cassant CAA Douai, 23 mai 2024, n° 22DA00216. – Il semble y avoir eu désistement des pourvois formés contre les autres décisions de la CAA de Douai). Le Conseil décide qu’il appartient à l’Etat, dans l’exercice de ses pouvoirs de police en matière d’ICPE, d’assurer la protection des intérêts garantis par le code de l’environnement ; d’exercer une mission de contrôle sur cette installation en veillant au respect des prescriptions imposées à l’exploitant et en adaptant la fréquence et la nature des visites à la nature et à la dangerosité de l’installation ; enfin de tenir compte des indications dont l’Etat dispose sur les facteurs de risques particuliers ou les manquements commis par l’exploitant. Il prend soin de rappeler en l’espèce les prescriptions et contrôles successifs concernant les rejets canalisés ou diffus auxquels l’administration s’est livrée entre 1934 et 2003. Mais il reproche à la CAA de ne pas avoir caractérisé les manquements que l’administration aurait commis dans l’encadrement de l’installation, compte tenu des connaissances dont elle pouvait disposer, au regard des risques qu’il lui incombait de prévenir.

La décision de la Cour de renvoi était attendue avec impatience, mais elle n’interviendra pas puisque les parties se sont désistées aussi …

Faut-il voir dans tous ces désistements la reconnaissance implicite de la responsabilité de l’Etat ? En effet, la ministre chargée de l’environnement avait annoncé à plusieurs reprises (voir not. Rép. Min. à une question écrite, JO 25 février 2025, p. 1243,  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/questions/QANR5L17QE47) que l’Etat n’entendait pas remettre en cause les indemnisations prononcées par la CAA de Douai et leur versement aux victimes ! Le Conseil d’Etat a même dû en tenir compte dans sa décision en indiquant que cette attitude ne pouvait être regardée comme un désistement du pourvoi. Dans cette affaire, l’administration se reconnaît « responsable mais pas coupable », selon un aphorisme fameux.

Par conséquent, la question de savoir s’il est possible de reprocher à l’Etat un manquement dans la surveillance de l’ICPE exploitée par Metaleurop ne sera jamais tranchée ce qui est très regrettable. En effet, la Préfecture n’aurait-elle pas dû, au titre de ses obligations de surveillance de l’installation, ordonner la suspension provisoire de l’activité tant que les prescriptions administratives n’étaient pas respectées ? Dans les textes en vigueur à l’époque, le code de l’environnement prévoyait que, lorsqu’un inspecteur des installations classées constate l’inobservation par un exploitant des conditions qui lui sont imposées, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si à l’expiration du délai, l’exploitant n’a pas déféré à cette injonction, le préfet peut ordonner la consignation d’une somme, faire procéder d’office, aux frais de l’exploitant, à l’exécution des mesures prescrites et surtout suspendre le fonctionnement de l’installation, jusqu’à l’exécution des conditions imposées (C. env., art. L. 514-1, dans sa version en vigueur entre le 21 sept. 2000 et le 14 juillet 2010. – Auparavant, L. n°76-663 du 19 juillet 1976, art. 23. – Comp. aujourd’hui, art. L. 171-8). Or, la suspension administrative n’a jamais été requise en l’espèce, malgré la situation environnementale épouvantable et connue de tous …

 

2.- Les enseignements juridiques de la saga Metaleurop

A partir de cette affaire emblématique et très médiatisée dans les années 2000, il convient de constater l’impuissance du droit à faire valoir les enjeux environnementaux au cours d’une procédure collective. En effet, la conclusion de cette saga est d’une part que la société mère n’est pas responsable des dettes environnementales de sa filiale ; d’autre part, que l’Etat n’est pas responsable de défaillances dans sa surveillance du site industriel classé ICPE.

Alors que faire ? Est-ce la « faute à pas de chance » lorsqu’une entreprise industrielle pollue au-delà de l’admissible (à savoir les seuils de son autorisation préfectorale d’exploiter), au-delà même du raisonnable comme en l’espèce ? Il paraît difficile de s’y résoudre.

D’aucuns voient une solution dans la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (T. Duchesne, « Devoir de vigilance et droit des entreprises en difficulté : et si on y réfléchissait ? » : BJED mars-avril 2025, p. 5). Cette loi pourrait permettre d’agir contre une société mère qui manque à son devoir de vigilance sur sa filiale, placée ultérieurement en procédure collective. Mais comment est-il possible d’admettre qu’une société mère soit responsable d’un défaut de vigilance dans la conduite d’une filiale exploitant une ICPE alors même que l’Etat français n’est pas responsable d’un défaut de vigilance sur cette même activité ? Il paraît difficile de faire peser un devoir de vigilance plus important sur la société mère plutôt que sur les services de la DREAL qui, eux, sont chargés d’une mission de service public dans la surveillance des ICPE.

Plus que jamais, il convient de souhaiter que le droit français mette enfin en place une responsabilité claire et assumée des sociétés mères du fait de leurs filiales s’agissant des obligations environnementales (Voir les propositions de B. Rolland, « La responsabilité civile dans l’entreprise élargie » : in L’entreprise élargie et son droit, Ed. Mare Martin, coll. « Droit privé et sciences criminelles », 2020, p. 73).

 

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