Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ADAPTATION DES MESURES DE QUARANTAINE COVID-19 A LA PROTECTION DES VICTIMES DE VIOLENCES INTRAFAMILIALES, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions A LIRE ICI  et du décret n° 2020-617 du 22 mai 2020 A LIRE ICI

Il est apparu que la mise en quarantaine prévue par la loi du 11 mai 2020, qui conduit à un nouveau confinement de certaines familles, peut avoir des effets dévastateurs sur les victimes de violences conjugales ou de maltraitances à mineurs. Elles sont alors mises à l’isolement avec l’auteur des agissements répréhensibles et il fallait trouver des moyens pour les sécuriser.

Mots-clef : Covid-19 – violences conjugales – violences intrafamiliales – état d’urgence sanitaire – mise en quarantaine ou à l’isolement – danger du confinement – risque familial – prise en compte de la situation individuelle et familiale – rôle du préfet – éviction de l’auteur des violences – choix d’un hébergement adapté

Depuis le début de la pandémie liée au coronavirus, les familles subissent les contrecoups de l’état d’urgence mis en place et des mesures de confinement (Isabelle Corpart, Quand l’état d’urgence lié au covid-19 touche les familles, Commentaire de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, JAC n° 195, mars 2020). Dans ce contexte, les violences au sein de la famille ont fait partie des préoccupations majeures du législateur.

Dans un sujet sensible comme celui des violences conjugales, il est normal que des ajustements soient constamment recherchés, tant les autorités essaient de faire cadrer au mieux les dispositions législatives ou réglementaires avec les problématiques et s’efforcent d’affiner constamment le dispositif protecteur.

I – La quarantaine ne doit pas faire oublier la protection due aux victimes

Parmi les dernières mesures prises, la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (JO 12 mai 2020) introduit des mesures de quarantaine et d’isolement.

Elles visent les « personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection, entrent sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l’un des territoires d’outre-mer » (liste des zones de circulation de l’infection au Covid-19 fixée par arrêté du ministre de la santé).

Toutefois, dans la mesure où la quarantaine ou l’isolement peuvent conduire à placer, selon le choix de chacun, les personnes à leur domicile ou dans des lieux d’hébergement appropriés pour 14 jours (sauf renouvellement sur avis médical), la loi s’est aussi préoccupée des relations familiales afin d’éviter que ce nouveau confinement programmé et imposé ne dégénère en nouveaux drames.

Pour ce faire, la loi met en place un dispositif protecteur spécifique précisant que les femmes (ou plus rarement les hommes) et les enfants victimes de violences conjugales ou familiales ne peuvent pas être mis en quarantaine ou à l’isolement au même endroit que le conjoint ou le parent violent.

Tel doit être le cas quand les violences sont établies, preuves à l’appui, mais aussi quand elles sont simplement alléguées.

Il s’agit de couper la chaîne de contamination au covid-19 mais il serait dangereux de couper les victimes de leur entourage. On sait que le confinement a entraîné une hausse importante des interventions policières à domicile (Isabelle Corpart, Covid-19 : un risque accru pour les membres de la famille ?, Riseo, à paraître) et que le domicile peut s’avérer dangereux, ce dont témoignent des retraits d’enfants en cas de maltraitances, augmentées elles aussi en raison de l’interdiction des sorties et de la fermeture des écoles (Isabelle Corpart, La délicate protection de l’enfance à l’heure du coronavirus, RJPF 2020-5/26).

Pour protéger les victimes, si l’éviction du conjoint violent ne peut pas être prononcée, il faut alors attribuer à ces familles un lieu d’hébergement permettant le respect de leur vie privée et familiale.

À la lecture de cette nouvelle loi, il apparaît clairement que si une personne cohabitant avec un auteur de violences conjugales doit être confinée pour raisons médicales dans le but d’éviter la propagation du virus, il serait inhumain de l’isoler du monde extérieur pour la laisser en tête-à-tête avec l’auteur de ces violences, qu’il s’agisse de violences conjugales ou parentales.

L’article 3 de la loi du 11 mai 2020 prévoit ainsi que « Les personnes et enfants victimes des violences mentionnées à l’article 515-9 du code civil ne peuvent être mis en quarantaine, placés et maintenus en isolement dans le même logement ou lieu d’hébergement que l’auteur des violences, ou être amenés à cohabiter lorsque celui-ci est mis en quarantaine, placé ou maintenu en isolement, y compris si les violences sont alléguées. Lorsqu’il ne peut être procédé à l’éviction de l’auteur des violences du logement conjugal ou dans l’attente d’une décision judiciaire statuant sur les faits de violence allégués et, le cas échéant, prévoyant cette éviction, il est assuré leur relogement dans un lieu d’hébergement adapté. Lorsqu’une décision de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement est susceptible de mettre en danger une ou plusieurs personnes, le préfet en informe sans délai le procureur de la République ».

II – La quarantaine doit être mise en œuvre dans le respect de la situation individuelle et familiale

Cette loi est mise en application par le décret n° 2020-617 du 22 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (JO 23 mai).

Ce décret permet de prendre la bonne mesure de la situation, lorsque des violences conjugales ou des maltraitances à enfant sont signalées ou suspectées, pour éviter que les auteurs de ces agissements ne se retrouvent en huis clos avec leurs victimes.

Il combine le dispositif protecteur et notamment l’ordonnance de protection (et tout le protocole de lutte contre les violences conjugales, dont la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille, JO du 29 déc. 2019 : Isabelle Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Lexbase, éd. priv., n° 809, 2020) avec le nouveau dispositif de mise en quarantaine ou en isolement instauré par la loi du 11 mai 2020.

Le décret insiste sur le fait que, d’une part, pour la personne qui fait l’objet de la quarantaine, la mesure doit obligatoirement « tenir compte de sa situation individuelle et familiale » (Décret, art. 1er, III) et que, d’autre part, « la mise en œuvre ne doit pas entraver la vie familiale » (Décret, art. 1er, V).

Précisément dans ce cas, une exception est prévue en vue d’éviter toute cohabitation d’une personne, majeure ou mineure, avec une autre personne envers laquelle des actes de violence à son encontre mentionnés à l’article 515-9 du Code civil ont été constatés ou sont allégués (Décret, art. 1er, VI).

Le décret explicite les mesures à prendre par le préfet selon que la personne à placer en quarantaine est l’auteur ou la victime de ces agissements.

S’il s’agit d’abord de l’auteur des violences, le préfet le place d’office dans un lieu d’hébergement adapté. S’il s’agit ensuite de la victime des violences conjugales ou des enfants mineurs du couple, victimes indirectes ou encore d’un enfant victime de maltraitance, le préfet doit s’assurer de sa protection. Deux solutions sont envisageables : soit l’éviction de l’auteur des violences peut être programmée et le domicile est alors sécurisé pour le restant de la famille, soit le préfet propose un hébergement adapté aux victimes.

Tout est fait pour rassurer les familles mais il aurait fallu clarifier le financement des lieux d’hébergement, lesquels doivent être adaptés à la mise en œuvre des consignes sanitaires prescrites, et réfléchir au maintien de l’exercice de l’autorité parentale pour les mineurs.

Ce point semble quelque peu oublié car le décret précise que le préfet doit informer le procureur de la République aux fins d’éventuelles poursuites et saisines du juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection alors qu’il aurait fallu indiquer aussi que le procureur doit faire suivre les dossiers aux juges pour assurer la sécurité des mineurs en cas de défaillance parentale.