Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ASSURER UN TOIT AUX VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES, PREMIER JALON D’UNE PROTECTION EFFICACE ET PERENNE

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute Alsace

CERDACC

Commentaire du guide juridique « Logement et violences conjugales » de la Fédération nationale solidarité femmes

Paru en mai 2017, le guide juridique « Logement et violences » rassemble divers moyens d’assurer la protection des victimes tout en les accompagnant pour leur permettre d’accéder à un logement sécurisé et pour mieux les informer.

La plupart des violences familiales sont perpétrées dans le huis-clos des foyers, dans le secret des alcôves, loin de témoins gênants ou qui pourraient intervenir. Elles se passent à la maison, dans le logement familial, la victime n’ayant en réalité aucun endroit où se réfugier pour se mettre à l’abri. Le domicile conjugal qui devrait être un havre de paix devient une scène d’agression voire de crime. Il est sans conteste le principal lieu où s’exercent les violences conjugales et familiales.

Il était partant indispensable de réfléchir aux moyens de protéger à la fois les victimes de violence et le logement qu’elles occupent ou pourraient occuper.

Les chiffres sont éloquents car chaque année 216 000 femmes sont victimes de violences domestiques, sans compter celles qui n’osent pas se signaler. Les autorités publiques devaient réagir face à ce fléau qui n’épargne aucune catégorie socio-professionnelle et qui frappe des conjoints ou compagnons à tout âge et quel que soit le degré de dépendance.

Plusieurs lois ont déjà œuvré en ce sens, permettant dans le cadre d’une procédure judiciaire, d’obtenir une ordonnance de résidence séparée pour que la victime des violences qui a quitté le domicile conjugal pour se mettre à l’abri (loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, reprenant sur ce point le droit antérieur) ne se voit pas reprocher une violation de l’obligation de communauté de vie entre époux (C. civ., art. 215) ou pour qu’elle puisse se voir attribuer le bail du logement familial en cours de procédure ou lors du divorce ou encore, depuis 2010, pour contraindre le conjoint à quitter les lieux afin que la victime puisse quant à elle continuer à occuper le logement grâce à l’ordonnance de protection après avoir saisi le juge aux affaires familiales (loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010). Cette mesure peut être délivrée en urgence contre un époux, un conjoint ou un partenaire actuel ou encore avec lequel la victime a rompu mais qui continue d’être menaçant (C. civ., art. 515-9). Plus précisément, ce dernier a l’obligation de quitter immédiatement les lieux, sans pouvoir se prévaloir des délais appliqués lors des expulsions, sous réserve de lourdes pénalités (deux ans de prison et 15 000 euros d’amende).

Il fallait aussi pouvoir aider les femmes et les accompagner lorsqu’elles quittent leur domicile et sont à la recherche d’un nouveau toit.

C’est ainsi, pour faciliter l’accès au logement des femmes victimes de violences conjugales qu’une circulaire a été signée le 8 mars 2017, date symbolique car journée internationale des droits des femmes. Elle tend à leur faciliter l’accès à un logement social pour leur éviter, dans la mesure du possible, le recours à un hébergement temporaire. Il est ainsi prévu que ces victimes ont un accès prioritaire à un logement social.

Néanmoins encore faut-il que les femmes dans cette situation aient connaissance de la palette des possibilités qui s’offrent à elles en matière de relogement et que la reconnaissance de leurs droits soit actée.

Il faut notamment savoir d’abord que lorsque l’intéressée présente un récépissé de dépôt de plainte, un seul revenu est pris en compte pour l’examen de la demande de logement social, même si elle est encore mariée. Ensuite, elle peut prétendre à un tel logement même si elle bénéficie déjà d’un contrat de location d’une habitation occupée par son couple. De plus, si elle a quitté son époux ou compagnon et avait fait avec lui une demande de logement, elle conserve l’ancienneté de cette demande.

Venu compléter cette circulaire, le guide « Logement et violences conjugales » publié par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) entend mieux informer les femmes sur leurs droits en matière de logement, sur les aides financières auxquelles elles peuvent prétendre pour pouvoir se reconstruire.

Fruit de la collaboration entre les missions Justice et Logement de la FNSF, il aide les femmes à se reloger quand elles ont fui l’enfer de la vie commune et du coup, les aide à se décider à franchir le cap et à partir avec leurs enfants.

Ce guide est très riche car les 64 associations qui composent la FNSF ont collaboré, faisant remonter les doléances et les attentes très concrètes, des victimes en terme de logement pour elles et leurs enfants, de même que les difficultés auxquelles la plupart d’entre elles sont confrontées.

Il est loin le temps où toutes les femmes se mariaient, devaient suivre leur mari qui seul choisissait le logement familial et était maître chez lui, la puissance maritale qui traduisait une ancestrale domination masculine lui donnait tous les droits. Aujourd’hui, les époux viennent à égalité, choisissent ensemble le domicile conjugal (C. civ., art. 215) et sont tenus de se respecter mutuellement (C. civ., art. 212 modifié par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006).

Ecrit en soutien à la lutte contre les violences familiales et pour aider les associations qui accueillent les victimes, ce guide aborde le sujet de manière très concrète et pratique.

34 fiches sont proposées, organisées autour de 6 thématiques qui englobent le parcours des femmes victimes de violences. Elles font état du droit actuel et donnent les clefs pour le faire appliquer mais aussi pour que soient entendues les demandes des victimes et de leur famille.

Ce travail est à saluer car l’accès au logement est primordial dans le processus de reconstruction et d’autonomisation des victimes. Des solutions doivent être trouvées rapidement quand celles-ci sont en danger et de telles mesures constituent de réelles avancées pour le droit des femmes sujettes aux violences dans la sphère familiale.

Il s’agit sans nul doute d’un élément clef car, faute de solution, de nombreuses femmes continuent de vivre sous la contrainte de leur conjoint violent. Il est d’ailleurs souvent relevé dans les dossiers que le logement devient lui-même un outil d’emprise, le conjoint violent dégradant le domicile familial, refusant de participer aux dettes de loyer et de charges, court-circuitant un projet de vente d’un bien immobilier ou refusant de quitter les lieux.

Ce guide qui compte plus de 110 pages offre aux victimes bien sûr, mais surtout aux institutions et aux associations qui tentent de venir à leur secours, un outil de référence solide et sérieux. Abordant les questions sous un angle juridico-pratique, voire terre-à-terre mais toujours utile, il dénoue nombre de problèmes que rencontrent les intéressées obligées de trouver rapidement un logement.

Il vise aussi la protection du logement contre les atteintes du conjoint violent qui, notamment, peut tenter de pénétrer dans les lieux sans autorisation, de faire subir des dégradations à l’habitation de son épouse ou compagne.

Si le couple est marié ou pacsé, il s’agit aussi de démêler des questions de dettes relatives au logement ou aux charges locatives, de veto mis par un conjoint à la vente d’un bien commun ou indivis.

Ensuite, les auteurs du guide abordent la question centrale de l’éviction du domicile commun, le législateur ayant donné les moyens d’éloigner le conjoint violent pour protéger le périmètre de vie de l’époux ou du compagnon victime. Encore faut-il que le processus soit bien compris et que sa portée soit clairement affichée car il ne s’agit pas d’une mesure définitive.

Tout ce qui touche au départ précipité de la victime des agissements violents est encore abordé, afin de faire savoir qu’il est possible de réduire en ce cas le préavis de location ou d’expliciter comment se faire restituer le dépôt de garantie.

De plus, il rappelle que les victimes sont parfaitement en droit de dissimuler leur nouvelle adresse, qu’elles aient eu ou non accès à une logement social, lequel fait l’objet d’une partie importante du guide. En effet, une trentaine de pages y sont consacrées, listant notamment les pièces justificatives à réunir.

Enfin, le guide aborde quelques questions relatives aux situations résidentielles précaires et aux aides financières liées au logement, telles que l’allocation logement familial, à moduler selon la situation familiale du couple et la fixation de la résidence habituelle ou alternée des enfants.

Ce guide va permettre aux femmes de se défendre et aux institutions ou associations qui les accompagnent de les défendre. Il s’agit qu’elles ne soient pas découragées face à des procédures administratives ou juridiques complexes et que les démarches à entreprendre pour investir un nouveau logement soient clairement détaillées.

Reloger les femmes victimes de violences conjugales était une des priorités listées par le gouvernement. La circulaire du 8 mars 2017 complétée par ce nouveau guide permettent de rendre les dispositifs existants plus efficaces. Il est toutefois difficile d’espérer changer la société en un jour et il faut prendre patience. Nombre des dispositions visées étaient déjà en germe dans la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 relative à la mise en œuvre du droit au logement selon laquelle « les besoins des personnes victimes de violences au sein de leur couple ou de leur famille, menacées de mariage forcé ou contraintes de quitter leur logement après des menaces de violence ou des violences effectivement subies ».

Espérons que les choses seront à présent clarifiées pour faciliter le parcours administratif des femmes victimes de violence.