Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES MESURES D’ISOLEMENT ET DE CONTENTION : L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT ? P. Véron

(A propos du nouvel article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique)

Paul Véron,

Maître de conférences à l’université de Nantes,
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297),
Chercheur associé au CERDACC

 

La loi du 26 janvier 2016 (loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) a instauré pour la première fois, un embryon de régime des mesures d’isolement et de contention des malades admis en psychiatrie sans consentement, en prévoyant notamment que ces mesures ne peuvent être appliquées aux malades que sur décision médicale et en dernier recours pour prévenir un danger immédiat et imminent, avec l’obligation pour les professionnels d’assurer leur traçabilité (CSP, art. L. 3222-5-1). La Haute autorité de santé est également venue préciser, dans des recommandations de bonnes pratiques, les conditions de mise en œuvre de ces mesures (HAS, Isolement et contention en psychiatrie générale – Méthode Recommandations pour la pratique clinique, février 2017).

Il n’est pas rare que les soignants sollicitent le médecin psychiatre pour donner son aval à une mise à l’isolement (enfermement dans une chambre dédiée) ou une mise sous contention physique (avec une immobilisation mécanique à l’aide de sangles) ou chimique (prescription de neuroleptiques). De telles mesures interviennent pour remédier à des situations de crise, épisodes violents avec gestes auto (tentative de suicide, automutilation) ou hétéro-agressifs. Il s’agit avant tout de protéger le patient contre lui-même et parfois protéger les tiers (y compris les soignants eux-mêmes).

Des abus dans le recours à ces mesures ont cependant été constatés et dénoncés, notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (V., CGLPL, Soins sans consentement et droits fondamentaux, Dalloz, 2020,  ICI  ), à l’occasion de signalements et de visites en établissements (par ex., recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 8 février 2016 relatives au centre psychothérapique de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 16 mars 2016), mais aussi par des associations de défense des patients ou par les internés eux-mêmes. La récente crise du Covid-19 a d’ailleurs occasionné certaines confusions entre confinement et mise à l’isolement (V., Recommandations en urgence du 25 mai 2020 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives à l’établissement public de santé mentale Roger Prévot de Moisselles (Val d’Oise) ; nos obs. au JAC n° 198, juin 2020). Si des efforts ont été réalisés ces dernières années pour remédier à ces dysfonctionnements sur fond de pénurie de moyens financiers et humains, la nécessité d’un renforcement du contrôle sur ces mesures, qui se situent à la lisière du soin et de la sécurité, a été soulignée. Faisant suite à une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2020 (Décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020, JORF n°0151 du 20 juin 2020. V., É. Péchillon, P. Véron, « Quel contrôle des décisions médicales en psychiatrie ? A propos de la décision QPC n° 2020-844 du 19 juin 2020 du Conseil constitutionnel relative aux mesures d’isolement et de contention des malades », La Semaine juridique. Édition générale, 13 juillet 2020, n° 28, p. 1311 ; K. Sferlazzo-Boubli, « Psychiatrie : les mesures d’isolement et de contention requièrent un contrôle judiciaire », Recueil Dalloz, 30 juillet 2020, n° 27, p. 1559 ; P. Le Monnier de Gouville, Pauline, « Isolement ou contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement et contrôle de l’autorité judiciaire », La Gazette du Palais, 8 septembre 2020, n° 30, p. 26 ; L. Mauger-Vielpeau, « Soins psychiatriques sans consentement », Droit de la famille, octobre 2020, n° 10, p. 31.), la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (Loi n°2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, art. 84) est venue enrichir le dispositif de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, en prévoyant notamment l’intervention du juge judiciaire. Nous dirons quelques mots du contexte dans lequel cette réforme a été initiée (I), avant d’en préciser le contenu (II) et d’en apprécier certains apports et faiblesses (III).

I- Contexte de la réforme

Du contrôle de la mesure administrative d’admission… La loi du 5 juillet 2011 (loi n° 2011-803 du 5 juill. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge) a institué un dispositif de contrôle systématique des mesures administratives d’hospitalisation psychiatrique sans consentement, qu’elles interviennent à la demande du représentant de l’Etat (CSP, art. L. 3213-1), d’un tiers (CSP, art. L. 3212-1), ou en raison d’un péril imminent. Le juge doit être saisi à bref délai dans les douze jours de l’admission, à peine de mainlevée de la mesure (CSP, art. L. 3211-12-1). Cette saisine incombe au directeur de l’établissement psychiatrique accueillant le patient. La question de savoir si la compétence du JLD pouvait être étendue à d’autres mesures privatives ou restrictives de liberté intervenant au cours de la prise en charge sous contrainte s’est posée, en particulier pour les décisions de placement à l’isolement ou de mise sous contention des malades. Certains juges du fond ont admis la compétence du juge sur ce point, allant même jusqu’à prononcer la mainlevée de l’hospitalisation en cas de violation des conditions légales posées par l’article L. 3222-5-1 du Code (CA, Versailles, 24 octobre 2016, n°16/07393, RDSS 2017/1, p. 175, obs. P. Véron ; JCP G n° 46, p. 2082 obs. F. Vialla ; 16 juin 2027, n°17/04374 ; contra CA Caen, 19 octobre 2017, n° 17/03243). La Cour de cassation s’est toutefois prononcée en sens contraire, délimitant strictement le champ d’intervention du JLD au contrôle de la régularité et du bien-fondé de la décision administrative d’admission, à l’exclusion des décisions médicales (V., Cass. 1re civ., 7 nov. 2019, n° 19-18.262 ; JCP G 2020, 94, note G. Raoul-Cormeil ; D. 2020, p. 139, note K. Sferlazzo-Boubli ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2019, n° 19-20.513 ; Cass, 1ère Civ., 3 février 2020, n°19-70020).

…au contrôle des mesures d’isolement et de contention C’est dans ce contexte qu’une question prioritaire de constitutionnalité est intervenue, renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation (Cass, 1ère Civ, 5 mars 2020, 19-40039 : « Les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, telles qu’interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1075 du 21 novembre 2019 (19-20513), portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution, en particulier son article 66, garantit, en ce qu’elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques ? »), qui a estimé que l’absence de prévision légale d’un contrôle juridictionnel des mesures d’isolement et de contention, lorsqu’elles sont poursuivies au-delà d’une certaine durée, constitue une violation de l’article 66 de la Constitution (Décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020, JORF n°0151 du 20 juin 2020, spéc. cons. 8 : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution »). Le gouvernement était alors invité à revoir sa copie dans un délai de six mois et proposer au Parlement une nouvelle version du texte de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, intégrant un tel dispositif de contrôle. C’est l’objet de l’article 84 de la LFSS, qui enrichit le cadre juridique du recours à l’isolement ou la contention dans le cadre des soins sans consentement.

II- Contenu de la réforme

Conditions du recours à l’isolement ou à la contention. Trois évolutions seront ici relevées. Tout d’abord, le nouvel article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique confirme les contours de son propre champ d’application. Il prévoit désormais explicitement que l’isolement ou la contention « ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement ». Il faudrait en déduire a contrario que les patients en régime de soins libre ne peuvent faire l’objet de telles mesures. On sait pourtant que, de facto, des malades en soins psychiatriques libres ou des personnes âgées en Ehpad y sont parfois soumis (CA Paris, 7 Octobre 2015, n° 13/02215 ; CA Versailles, 29 septembre 2015, n° 14/02737 ; Crim., 6 août 1997, n° 95-84852). En témoigne une recommandation déjà ancienne (ANAES, Limiter le risque de contention physique de la personne âgée, octobre 2000). Ensuite, quant aux motifs permettant de justifier le recours à ces mesures contraignantes, s’il était déjà prévu qu’elles ne puissent être utilisées qu’en « dernier recours » pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre », la loi ajoute « uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ». Le législateur insiste également sur la nécessité d’une « surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical ». Enfin et surtout, le législateur a choisi d’encadrer dans la loi la durée des mesures. L’isolement ne peut être décidé que pour une durée au plus de 12 heures, renouvelable jusqu’à 48 heures maximum et la contention pour une durée de 6 heures, renouvelable jusqu’à 24 heures maximum. La loi reprend ici le contenu des recommandations édictées par la HAS. Un renouvellement de ces mesures peut intervenir au-delà des 24h ou 48h, « à titre exceptionnel » et dans les conditions précitées. C’est uniquement lorsqu’un tel renouvellement est décidé que le JLD a vocation à intervenir.

Conditions de l’intervention judiciaire. Dans l’hypothèse d’un renouvellement exceptionnel de la mesure, le nouvel article L. 3222-5-1 dispose désormais que « le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure, ainsi que les personnes mentionnées à l’article L. 3211-12 dès lors qu’elles sont identifiées. Le médecin fait part à ces personnes de leur droit de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure en application du même article L. 3211-12 et des modalités de saisine de ce juge. En cas de saisine, le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures ». Contrairement à ce qui a lieu pour l’admission, les mesures d’isolement ne font donc pas l’objet d’un contrôle systématique par le JLD. Ce dernier est seulement informé. Il ne statuera que s’il décide de s’autosaisir ou s’il est saisi par le procureur de la République, les membres de la famille ou les proches du patient, qui doivent eux-mêmes être informés par le médecin. L’avant-projet du texte n’avait d’ailleurs prévu qu’une information sans délai de l’entourage du malade ou du Procureur, ceux-ci pouvant alors saisir le JLD, sans prévoir en revanche de faculté d’auto-saisine. Le risque aurait alors été de créer une inégalité entre les malades, certains d’entre eux étant isolés, sans famille identifiée susceptible d’être informée (En ce sens, M. Couturier, Le dispositif de contrôle judiciaire du placement à l’isolement et en contention en psychiatrie définitivement adopté, Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, janvier 2021, spéc. p. 3). En principe, le contrôle opéré par la juge intervient sans audience et selon une procédure écrite. Il n’en va autrement que si le JLD estime que cette audience est nécessaire ou si le patient demande à être entendu (L. 3211-12-2, III CSP). On sait qu’il n’en va pas de même du contrôle judiciaire des admissions, le principe étant l’audition de la personne (L. 3211-12-2, I CSP).

Afin de prévenir d’éventuelles stratégies de contournement qui consisteraient à enchaîner de manière rapprochée des mesures de brève durée, afin échapper à la règle de l’information obligatoire du juge, le législateur a encore prévu qu’ « une mesure d’isolement ou de contention est regardée comme une nouvelle mesure lorsqu’elle est prise au moins quarante-huit heures après une précédente mesure d’isolement ou de contention. En-deçà de ce délai, sa durée s’ajoute à celle des mesures d’isolement et de contention qui la précèdent et [les conditions précitées relatives] au renouvellement des mesures lui sont applicables ». En outre, l’information du juge, du Procureur et de l’entourage est également prévue « lorsque le médecin prend plusieurs mesures d’une durée cumulée de quarante-huit heures pour l’isolement et de vingt-quatre heures pour la contention sur une période de quinze jours ». Ce nouveau dispositif appelle quelques remarques.

III. Appréciation de la réforme

Vertu dissuasive de l’intervention judiciaire ? Il faut le souligner, la possibilité pour le JLD de contrôler les conditions dans lesquelles ces mesures gravement contraignantes sont décidées et mises en œuvre constitue avant tout une avancée. Sans angélisme, on peut espérer qu’elle limitera les risques d’abus et les mesures prolongées par inertie ou par « confort », bien souvent en raison d’un manque d’effectif et d’une fatigue légitime du personnel soignant officiant dans les services de psychiatrie. On peut souhaiter en particulier qu’elle ait un effet dissuasif, qu’elle incite la pratique à diminuer le nombre de mises à l’isolement et de contentions et à rechercher, autant que possible, des alternatives (V., les intéressantes analyses et expériences relatives à l’usage de dispositifs techniques alternatifs à la contention : J. Lefèvre-Utile et alli, Équipements de protection individuelle et outils de sécurisation alternatifs à la contention dans la prise en charge des troubles graves du comportement des personnes avec autisme et déficience intellectuelle, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 66, 2018, p. 443 et s. (partie 1 : perspective des patients) et p. 460 et s. (partie 2 : perspective des soignants)). Que ces mesures ne puissent être utilisées qu’en « dernier recours » implique en effet que d’autres actions soient prioritairement envisagées., Pour autant, le dispositif suscite une série de réserves et d’interrogations.

Constitutionnalité et conventionnalité du dispositif. Premièrement, on a pu s’interroger sur la conformité du nouveau texte aux exigences européennes (sur les conditions de stricte nécessité et de proportionnalité des mesures de contrainte en psychiatrie : CEDH, 14 avril 2011, n° 35079/06, Pathoux c/France ; CEDH, 19 février 2015, n° 75450/12, MS c. Croatie. ; CEDH, 31 janvier 2019, n° 18052/11, Rooman c. Belgique ; plus récemment, pour une contention d’une durée de 23h : CEDH, 15 septembre 2020, n° 45439/18, Aggerholm c. Danemark. V., M. Couturier, préc.) mais aussi constitutionnelles, essentiellement parce qu’on pouvait interpréter la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020 comme exigeant un contrôle systématique du juge judiciaire sur les mesures de contrainte au-delà d’une certaine durée. Or, on l’aura compris, le texte prévoit seulement une information systématique. La LFSS n’ayant curieusement pas fait l’objet d’un contrôle a priori par le juge constitutionnel, une prochaine QPC devrait permettre d’éclaircir ce point. L’argument du cavalier législatif pourrait également être mobilisé. Sur le fond, toutefois, il n’est pas certain qu’un contrôle systématique du juge soit d’un apport considérable par rapport à la solution actuellement retenue. La charge du JLD, dont les attributions sont déjà nombreuses, s’en trouverait alourdie et un risque serait celui d’une routinisation de son contrôle. Cette dérive procédurale est parfois dénoncée à propos du contrôle exercé par le JLD que les mesures d’hospitalisation sans consentement. Elle invite à s’interroger sur la portée réelle qu’est susceptible d’avoir le contrôle juridictionnel sur une décision psychiatrique.

Portée du contrôle. Deuxièmement, on peut redouter que, comme en matière de contrôle des mesures d’admission à la demande du Préfet ou d’un tiers, le contrôle juridictionnel des décisions d’isolement ou de contention soit essentiellement formel. Le JLD pourra certes prendre connaissance de la motivation de la décision médicale – tracée dans le dossier du patient -, mais on imagine mal qu’il s’autorise à remette en cause l’appréciation du professionnel, ce que la Cour de cassation semble par ailleurs lui interdire (V., Civ., 1re, 27 septembre 2017, n° 16-22.544 : « Attendu (…) que le juge qui se prononce sur le maintien de l’hospitalisation complète doit apprécier le bien-fondé de la mesure au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués ; Attendu que, pour statuer comme elle le fait, l’ordonnance retient que les constatations médicales sont imprécises, en discordance avec les propos tenus par l’intéressé à l’audience, et que M. X se dit prêt à voir un psychiatre ; Qu’en statuant ainsi, par des motifs relevant de la seule appréciation médicale, le premier président, qui a substitué son avis à l’évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins, a violé les textes susvisés »). La censure risque d’intervenir uniquement en cas d’insuffisance manifeste de motivation, en l’absence de prescription médicale, ou pour d’autres motifs procéduraux, tels des manquements aux conditions de durée ou de renouvellement. En outre, si la faculté d’auto-saisine du juge apparaît opportune, on peut se demander sur la base de quels critères il décidera de l’actionner et d’exercer son contrôle, ou au contraire de s’abstenir (encore faudrait-il savoir quelles informations le médecin est tenu de transmettre au juge ab initio, ce que préciseront peut-être les décrets d’application). D’une juridiction à l’autre, les pratiques pourraient être diverses, certains JLD exerçant massivement leur droit de regard sur les justifications des mesures d’isolement et de contention dont ils sont informés, d’autres ne s’y livrant que plus rarement. Enfin, sans nier l’importance de la figure du juge comme garant des libertés, l’efficacité d’autres acteurs dans le contrôle des mesures de contrainte et des atteintes aux droits fondamentaux, à commencer par le CGLPL, n’est pas à négliger. D’autres exemples étrangers sont à méditer (not., T. Tartour, A. Barnard, Démocratie sanitaire à New York : la participation dans le contrôle judiciaire des soins psychiatriques sans consentement, Participations, 2018/3, n° 22, p. 83).

Au-delà de l’isolement et de la contention ? L’application de certaines formes de contrainte apparaît inhérente à la prise en charge des malades admis en hospitalisation psychiatrique sans consentement. Au-delà de l’isolement et de la contention, de nombreux actes, mesures ou pratiques imposent des restrictions importantes de liberté et interrogent le respect des droits fondamentaux du patient. Son concernés, entre autres, les injections médicamenteuses, les limitation ou privation de droit de visite (CE, 26 juin 2015, n° 381648, inédit : JurisData n° 2015-016249. – CAA Bordeaux, 3e ch., 8 déc. 2015, n° 15BX02216 : AJDA 2016, p. 581 ; AJDA 2017, p. 1863) et de communication avec l’extérieur pour les besoins de la prise en charge, les transferts, les restrictions impactant l’intimité et la sexualité (CAA Bordeaux, ch. 2, 6 nov. 2012, n° 11BX01790, inédit : AJDA 2013, p. 115, concl. D. Katz ; D. 2013, p. 312, obs. F. Vialla). S’y ajoute parfois, l’insalubrité des locaux et le sous-équipement des chambres d’isolement, conditions contraires à la dignité (CAA Marseille, ch. 2, 21 mai 2015, n° 13MA03115, inédit : JCP A 2016, 2019, n° 3, obs. É. Péchillon ; AJDA 2015, p. 1400 : mises à l’isolement répétées et prolongées dans des conditions insalubres – absence de toilettes). En théorie, un contrôle du juge pourrait être envisagé pour l’ensemble des restrictions de liberté. En pratique, toutefois, peut-on envisager qu’un juge soit saisi ou même informé à chaque fois qu’un patient conteste son dosage médicamenteux ? Pour l’heure, certaines juridictions semblent s’être prononcés en défaveur d’un contrôle de légalité des prescriptions de médicaments en psychiatrie (CE, ord. réf., 16 juill. 2012, CHS Guillaume Régnier, n° 360793 ; JCP A 2013, 2168, note E. Péchillon ; AJDA 2013, p.1 53, note C. Castaing ; CA Rennes, 28 septembre 2012, n° 12/00228 ; également, CA Limoges, 13 sept. 2013, n° 13/00032 : « il ne relève pas des attributions du juge judiciaire de décider de l’unité dans laquelle la personne faisant l’objet de soins psychiatriques dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte doit être placée ou encore de se prononcer sur le traitement médical prescrit par les médecins »). On entrevoit que le problème est plus vaste que celui de l’accès au juge. C’est une culture et surtout une organisation de la psychiatrie qui sont en cause (V., M. Bellahsen, R. Knaebel, La révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire, La découverte, 2020). Le recours massif aux psychotropes a parfois des effets redoutables sur certains patients, pas moins destructeurs qu’une expérience d’isolement ou de contention physique prolongés. A cet égard, il est probable que les patients qui étaient hier isolés ou contentionnés se retrouvent demain sédatés. Ce n’est pas tant d’un juge qu’ont besoin les malades psychiatriques chroniques, que de personnel et d’infrastructures suffisants pour les accompagner et les soigner dans de bonnes conditions (A LIRE ICI ), dans une démarche thérapeutique de longue haleine, en évitant autant que possible des formes de contrainte brutales (V., les propositions du CGLPL dans son rapport « Soins sans consentement et droits fondamentaux », préc., spéc. p. 157 et s.). Cela est régulièrement dénoncé, l’hôpital psychiatrique est l’un des parents pauvres de notre système de santé. La loi de financement de la sécurité sociale aurait cette fois toute sa place pour tenter d’y remédier. L’intervention judiciaire est une avancée et l’on doit espérer qu’elle contribuera à faire évoluer certaines pratiques en psychiatrie. Elle ne fait malheureusement pas tout, et sans doute pas l’essentiel.