Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COUP DE FOUDRE : AVION SUSPEND TON VOL ! M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France STEINLE-FEUERBACH
Professeur émérite de droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Commentaire de Civ. 1ère, 12 septembre 2018 (pourvoi n° 17-11.361) A lire

 Un coup de foudre immobilisant un avion au sol constitue une circonstance extraordinaire dispensant une compagnie aérienne européenne du versement de l’indemnisation due aux passagers en cas de retard de trois heures ou plus.

Mots-clefs : Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement et du Conseil du 11 février 2004 – retard de vol –  circonstances extraordinaires – coup de foudre

 

« Delayed », « Retardé », les habitués des transports aériens connaissent bien ces agaçantes annonces, parfois précurseurs de « Cancel », « Supprimé ». Outre le mécontentement, les retards peuvent être dommageables pour les passagers : correspondance manquée, rendez-vous professionnel ou familial raté, voire malaise possible du passager parfois obligé de rester confiné dans l’avion dans l’attente d’un éventuel décollage. Si le droit français des contrats s’appliquait, le retard pourrait constituer un non-respect de l’obligation du transporteur aérien, surtout lorsque le passager retardé a choisi l’avion en raison de la rapidité du déplacement. Mais le droit français ne s’applique pas au retard, ni à l’annulation d’un vol, la responsabilité des transporteurs aériens étant soumise à des règles spéciales issues notamment de conventions internationales, comme celle de Varsovie ou de Montréal, de règlements communautaires, ou d’accords entre compagnies. Etant donné la complexité de la matière, il est rassurant de pouvoir retrouver des éléments de comparaison avec notre droit interne comme dans l’arrêt rendu le 12 septembre dernier par la première Chambre civile de la Cour de cassation et publié au Bulletin (C. Berlaud, « La circonstance de l’avion foudroyé exonère le transporteur aérien », Gaz. Pal. 25 sept. 2018 p. 40 ; X. Delpech, « Pas d’indemnisation pour retard de vol en cas de coup de foudre », D. actu 27 sept. 2018 ; M. Hervieu, « Exonération du transporteur aérien : la cause doit être extraordinaire ! », D. étudiant, 5 oct. 2018). La cause communautaire d’exonération du transporteur aérien, interprétée par la Cour de cassation, semble bien présenter une parenté avec « notre » force majeure.

En l’espèce, un couple ayant acheté des billets pour un vol Easyjet Bordeaux-Nice était arrivé à destination avec plus de cinq heures de retard et avait cherché à se faire indemniser de ce retard. Les deux aéroports étant situé en France, pays de l’Union européenne, il convenait d’appliquer le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant les règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol (JOUE 17.2.2004, L 46/1 ;  L. Bloch, «La CJUE et la responsabilité des transporteurs aériens : une escadrille de décisions », RCA n° 7-8, juill. 2018, étude 8).

En application du règlement communautaire, le transporteur aérien effectif était la société Easyjet Switzerland qui avait effectué le vol et non la société Easyjet Airline qui avait vendu les billets. Conformément à l’interprétation par la CJUE de l’article 7 du règlement, la société Easyjet Switzerland devait indemniser les passagers en raison d’un retard important. S’agissant de la durée du retard et du montant des indemnisations dues dans de telles hypothèses, des précisions ont été apportées quant à l’application du règlement. La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi jugé qu’un retard à l’arrivée d’au moins trois heures ouvre les mêmes droits en termes d’indemnisation que l’annulation bien que seule cette dernière soit visée par le règlement (CJUE, 19 nov. 2009, aff. C-402-07 et C-432/07, Sturgeon, JCP G 2010, 201, note J. Stuyck ; D. 2010, 1461, note G. Poissonnier et P. Osseland ; ibid 2011, 1445, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2010, p. 627, obs. P. Delebecque ; CJUE, 23 oct. 2012, aff. C-581/10 et C-629/10, Nelson e.a., RTD eur. 2013, p. 2013, p. 372, L. Grard ; CJUE, ord. 18 avril 2013, aff. C-413/11, Germanwings ; Cf. Communication de la Commission sur les orientations interprétatives relatives au règlement (CE) n° 261/2004, JOUE 15.6.2016, C 214/5 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016XC0615(01)&from=FR). L’heure d’arrivée à prendre en compte est celle de l’ouverture d’une des portes de l’avion que les passagers sont autorisés à quitter.

Toutefois, l’article 5 §3 du règlement prévoit que le « transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.» Le règlement réserve cette cause d’exonération aux cas d’annulation mais la jurisprudence communautaire l’a étendue aux hypothèses de retard pour lesquelles le texte communautaire n’avait pas prévu d’indemnisation (CJCE, 22 déc. 2008, aff. C-549/07, Wallentin-Hermann c/ Alitalia, RTD eur. 210, p. 195, chron. L. Grard ; CJUE, 19 nov. 2009, aff. C-402-07 et C-432/07, Sturgeon, préc.). Dans l’affaire jugée le 12 septembre 2018 par la Cour de cassation, le transporteur aérien avait opposé cette cause d’exonération, l’avion initialement prévu ayant été frappé par la foudre sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. La juridiction de proximité de Bordeaux, le 26 septembre 2016 avait débouté les passagers de leur demande. Le pourvoi en cassation introduit par ceux-ci a donné l’occasion à la Cour de donner son interprétation de la notion de « circonstances extraordinaires ».

Cette notion, cause d’exonération du transporteur, figure également dans la Convention de Montréal, à laquelle renvoie le règlement. Adoptée le 28 mai 1999 et entrée en vigueur le 4 novembre 2003 (C. Paulin, « Transport aérien international : entrée en vigueur de la Convention de Montréal »,  D. 2004, Le Point sur…, p. 1954 ; P. Delebecque, « La Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international ou le nouveau droit du transport aérien », JDI, avril-mai-juin 2005, p. 263 ; J.-P. Tosi, « Le nouveau double régime de responsabilité du transporteur aérien de personnes » in Mélanges Michel Cabrillac, Paris Litec 1999), cette convention internationale insiste sur l’impératif « d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international ».

L’appréciation de cette notion par la Cour de cassation revêt donc une importance toute particulière. La Cour, pour rejeter le pourvoi et admettre l’exonération du transporteur se prononce sur l’existence des circonstances extraordinaires (I) et sur l’inévitabilité du retard en résultant (II).

I. La reconnaissance du coup de foudre générateur d’un retard comme circonstance extraordinaire

La Haute juridiction française prend bien soin de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour de justice européenne en citant celle-ci : « selon la jurisprudence de la Cour de justice, peuvent être qualifiés de circonstances extraordinaires, au sens de ce texte, les événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci ( CJCE, arrêt du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C-549/07 ; arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a., C-195/17, C-197/17 à C-203/17, C-226/17, C-228-17, C-254/17, C-274/17, C-275/17, C-278/17 à C-286/17 et C-290/17 à C-292/17) ». La Cour de cassation s’attache encore à préciser « que ne constituent pas de telles circonstances les événements qui sont intrinsèquement liés au système de fonctionnement de l’appareil (CJUE, arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans, C-257/14 ; arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C-315/15) ».

Le juriste est invité à opérer un parallèle avec la conception française de l’extériorité exigée comme élément de la force majeure. En l’espèce, cette extériorité ne peut être mise en doute : la foudre est bien un événement extérieur au fonctionnement de l’appareil et non inhérent à l’exercice normal de l’appareil. En cette période de retards d’avion pour des raisons liés à des mouvements de grève, les voyageurs seront rassurés d’apprendre que la grève du personnel ne constitue pas une circonstance extraordinaire, même dans l’hypothèse d’une grève « sauvage » sans préavis (CJUE, 17 avril 2018, aff. C-195/17, Helga Krüsemann e.a. c/TUIfly GmbH , D. actu 15 mai 2018, obs. X. Delpech).

Les grèves prévisibles comme les grèves imprévisibles ne constituant pas des circonstances extraordinaires, la question de la prévisibilité d’un coup de foudre sur un avion au sol, sachant que les coups de foudre sur des avions en vol ne sont pas rares, aurait pu se poser. Il est permis de se demander si la solution aurait été identique sur des aéroports davantage exposés à des aléas climatiques (Cf. X. Delpech, D. actu 27 sept 2018, préc.). Si la fameuse éruption du volcan islandais Eyjafjöll à l’origine de la fermeture d’une partie de l’espace aérien lors de nos vacances de Pâques en 2010 constituait sans aucun doute une circonstance nécessairement exonératoire (CJUE, 31 janv. 2013, aff. C-12/11, Mc Donald c/ Ryanair Ltd, D. 2013, 361 ; RTD eur. 2014, p. 210 obs. L. Grard ; A. Bénabent, « Les naufragés de l’Eyjafjallajökull », D. 2010, 1136 ; I. Corpart, « Les cendres volcaniques à chaud !», JAC n° 104, mai 2010), il ne saurait en être systématiquement ainsi d’autres événements climatiques qui doivent être appréciés in concreto par les juges du fond.

En outre, il ne suffit pas que la circonstance en elle-même puisse être qualifiée d’extraordinaire, le transporteur doit encore établir l’inévitabilité du retard entraîné par cette circonstance.

 II. La reconnaissance de l’inévitabilité du retard consécutif au coup de foudre

 Selon la règlementation, il appartient à la compagnie aérienne de démontrer que les circonstances extraordinaires n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Selon la Communication de la Commission sur les orientations interprétatives relatives au règlement « Afin d’être exempté du paiement de l’indemnisation, le transporteur doit donc prouver simultanément:

— l’existence et le lien entre les circonstances extraordinaires et le retard ou l’annulation, et

— le fait que ce retard ou cette annulation n’aurait pas pu être évité bien qu’il ait pris toutes les mesures raisonnables. »

En réalité, il ne s’agit donc pas en l’espèce de démontrer que la circonstance du coup de foudre aurait pu être évitée par des mesures raisonnables mais bien que les conséquences de celui-ci, à savoir le retard à l’arrivée, aurait pu être évité, ou de moins ne pas être aussi important. Une fois encore, la Cour de cassation fait expressément référence à la jurisprudence de la CJUE : le transporteur aérien qui entend se prévaloir de circonstances extraordinaires «  doit établir que, même en mettant en oeuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, il n’aurait manifestement pas pu, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent, éviter que les circonstances extraordinaires auxquelles il était confronté ne conduisent à l’annulation du vol ou à un retard de ce vol égal ou supérieur à trois heures à l’arrivée (arrêt Pešková et Peška) ».

Le minutage du retard est scrupuleusement exposé : l’avion prévu pour un décollage à 13 h 45 est frappé par la foudre à 8 h 39 et c’est à 9 h 32 que les ingénieurs aéronautiques déclarent que l’appareil ne remplit pas les conditions optimales de sécurité. La sécurité étant primordiale, cette première première étape du retard ne saurait, bien au contraire, être reprochée à la société Easyjet qui a agi conformément aux règles de l’aviation civile. C’est à 10 h 25 qu’est prise la décision d’envoyer un avion de remplacement depuis Londres, base principale de la compagnie aérienne. Il s’écoule donc presque une heure avant que cette décision soit prise, si cet intervalle de temps n’est pas justifié, une telle décision demande certainement quelques instants de réflexion notamment quant à la faisabilité et au coût de l’opération. Un décollage immédiat de Londres est impossible en raison des formalités à remplir et des autorisations nécessaires. Le retard de cinq heures et demie est ainsi justifié d’autant que le réacheminement des passagers vers le vol d’une autre compagnie, ce qui aurait pu constituer une solution alternative, ne pouvait avoir lieu qu’à 18 h 20.

Il ressort de la chronologie des événements et des dispositions prises que le transporteur a bien pris toutes les mesures raisonnables pour acheminer le plus rapidement possible les passagers à Nice.

La notion de force majeure qui se dégage de cet arrêt paraît s’écarter de la trilogie classique de cette cause d’exonération de responsabilité française – extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité – pour se concentrer sur l’extériorité et l’inévitabilité (pour l’inévitabilité plus adaptée aux aléas climatiques cf. P.-H. Antonmattei, Contribution à l’étude de la force majeure, LGDJ 1992 ; « Ouragan sur la force majeure », JCP G 1996, I, 3907). C’est d’ailleurs l’inévitabilité, c’est-à-dire l’impossibilité de prendre les mesures nécessaires pour éviter le dommage, et non l’imprévisibilité, que la Cour de cassation avait retenue pour des faits survenus avant le règlement du 11 février 2004, notamment à propos d’un retard de vol pour cause de grève (Civ. 1ère, 27 juin 2006, n° 03-14.094, RCA 2006. comm. 267 ; P. Jourdain, « Exigence de l’imprévisibilité de la force majeure après les arrêts de l’Assemblée plénière du 14 avril 2006 au sein de la Cour de cassation ! Florilège d’arrêts », RTD civ. 2007, p. 574).

Une pensée amicale pour certains passagers d’un vol Bordeaux-Strasbourg lesquels, lors d’une grève des aiguilleurs du ciel, sont arrivés à destination avec un retard de… 2 heures 55. Qu’ils me pardonnent que, voyageant avec une autre compagnie, j’ai pu glorieusement atterrir à Strasbourg avec une avance d’un quart d’heure. Les aléas ne sont pas que naturels !