Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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FOCUS SUR LES ATTEINTES AUX DROITS DES PERSONNES ÂGÉES ACCUEILLIES EN EHPAD, I. Corpart

Isabelle CORPART

Maître de conférences HDR à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

 

Commentaire du rapport de la Défenseure des droits publié le 4 mai 2021 A LIRE ICI

Si la population entière est lourdement affectée par la crise sanitaire, les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont souffert et souffrent encore des restrictions imposées pour tenter d’endiguer l’épidémie. Ils ont été privés de beaucoup de leurs droits fondamentaux et libertés, en particulier de la liberté d’aller et venir, du droit au respect de la dignité et du droit à la vie privée et familiale, ce qui a fait réagir Claire Hédon, Défenseure des droits.

La défenseure des droits a effectivement publié un rapport le 4 mai dernier pour pointer ces différentes atteintes et tenter de venir en aide aux seniors et à leurs familles. Elle formule à ce titre treize recommandations en lien direct avec les retombées de la Covid-19, parmi soixante-quatre pistes de tentatives d’amélioration de la situation des personnes que leur âge ou leur maladie rend vulnérables et qui sont placées en EHPAD, maison de retraites ou autres établissements spécialisés.

Mots-clefs : Personnes âgées – personnes vulnérables – résidents d’EHPAD – dépendance – crise sanitaire – protection de la santé publique – urgence sanitaire – atteinte aux droits fondamentaux – atteinte aux libertés – atteinte au droit à la vie privée et familiale – retombées de la Covid-19 sur les modes de vie et sur les relations familiales et sociales – rapport de la Défenseure des droits

Si les conditions de vie dans les établissements pour personnes âgées font souvent l’objet de critiques, les modalités d’accompagnement médico-social étant jugées parfois inadaptées ou insuffisantes, et si beaucoup de dossiers remontent vers le Défenseur des droits pour que soient pointées les lacunes du système de prise en charge, la pandémie de Covid-19 a donné lieu à une recrudescence de réclamations formulées par les familles privées de leurs proches et souffrant de voir leurs parents âgés et affaiblis, amputés de leurs libertés essentielles.

En effet, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir des résidents, de leur autonomie, de la prise en compte de leur volonté, du respect de leur dignité mais aussi et surtout du droit au maintien des relations familiales, la situation qui était déjà tendue dans ces établissements s’est fortement dégradée au rythme de la propagation du virus.

La crise sanitaire a affectivement multiplié le nombre d’atteintes, ce qui a fait réagir la Défenseure de droits fréquemment interpellée et qui a fait le constat d’une prise en charge inadaptée des seniors vivant en EHPAD assorti à un manque de reconnaissance de leurs droits fondamentaux (I). Dans son rapport, elle formule des recommandations, tentant de trouver un juste équilibre entre la protection à assurer aux personnes que leur âge rend vulnérables, la mise en place de mesures sécuritaires et la reconnaissance pleine et entière de leurs droits et libertés (II).

I – Un constat d’atteintes injustifiées aux droits fondamentaux et libertés des résidents des EHPAD en pleine crise sanitaire

Le rapport du 4 mai 2021 de la Défenseure des droits sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en établissements pour personnes âgées dépendantes liste de nombreuses atteintes qui leur ont été portées depuis le début de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, le rapport fait aussi état de carences générales, non spécifiques à la crise sanitaire, telles que non-respect des règles d’hygiène, insuffisance des soins corporels, douches et toilettes, pertes ou vols d’objets, problèmes budgétaires, maltraitance, manque d’encadrement…

S’il faut mettre en place des protections spécifiques pour les populations vulnérables, en particulier avec un virus qui risque de nuire à leur santé, voire de précipiter leur décès, il ne faut pas oublier que, comme toute personne, les résidents peuvent réclamer le respect de leurs droits et libertés publiques.

De nombreuses réclamations dont avait été saisie la Défenseure des droits ont montré des dérapages et des défaillances en ce domaine, de multiples droits et libertés des résidents étant régulièrement violés.

On peut ainsi relever que le consentement des personnes, pourtant donnée essentielle dans le cadre de toute prise en charge médico-sociale, n’a pas toujours été respecté. Il est notamment fait état dans le rapport de réalisation de tests de dépistage sans consentement des seniors. Il s’agit pourtant bien d’actes médicaux qui ne peuvent être réalisés qu’avec l’accord du patient.

Dans certains établissements, la question s’est posée de la même manière pour la vérification du consentement requis de la personne lors du lancement des campagnes de vaccination (P. Véron, Vaccination des personnes âgées en Ehpad. Quel cadre juridique ?, JCP G 2021. 110).

La liberté d’aller et venir des personnes âgées vivant en EHPAD a également été fort affectée par la propagation du virus dans ces établissements. Pour les protéger, de même que les personnes affectées à leurs soins, des interdictions de sortie ont été mises en place, sortie de l’établissement mais également de la chambre du résident lors des périodes les plus tendues (D. Roman Coronavirus ; des libertés en quarantaine, JCP G 2020, act. 372).

Les résidents ne voyaient alors plus personne, contraints de prendre leur repas dans leur chambre et d’y demeurer toute la journée, ce qui les a privés de tout lien social. Un tel isolement total en chambre sans contact, sans animation et joie de vivre, sans visites, sans contact physique avec les proches parents a malheureusement nui à l’état de santé physique et mental des personnes accueillies dans ces établissements.

En effet, ce mode de vie contraint et surveillé se voulait protecteur mais il a beaucoup fait souffrir les personnes isolées, déprimées et perdant tous leurs repères, ce qui a été largement critiqué. La mise en place de ces règles s’est avérée d’autant plus cruelle que les personnes les plus affaiblies ne pouvaient pas garder des contacts avec leur entourage par téléphone ou visio.

On le sait aussi, le respect des gestes barrières (port du masque, respect de distance d’au moins deux mètres, et parfois paroi en plexiglas) a rendu la communication impossible avec les personnes souffrant notamment de malvoyance, de déficience auditive ou de pathologies dégénératives, personnes particulièrement malmenées. Dans certains cas, les mesures restrictives ont conduit également à l’absence de continuité des soins, ce qui était fort regrettable. En effet des personnels de santé extérieurs à l’établissement ne pouvaient plus accéder à la chambre (par exemple pour faire des massages ou des séances de rééducation).

Ces décisions de privation de liberté ont même conduit à promouvoir des interdictions de sortie, y compris pour les résidents déjà vaccinés. En la matière, le juge des référés du Conseil d’État a toutefois suspendu une recommandation du ministère des Solidarités et de la Santé sur les mesures de protection dans les EHPAD conduisant à interdire la sortie des résidents (CE, ord. réf., 3 mars 2021, n° 449759, AJ famille 2021, p. 200, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJDA 2021, p. 481, note M-C. de Montecler).

De plus, malgré le déconfinement, des restrictions de sorties ont été maintenues, ce qui ne se justifiait plus toujours.

On a aussi relevé des atteintes à la vie privée eu égard à la mise en place de dispositifs de surveillance, dispositifs antérieurs à la crise mais jouant un rôle particulier pendant la pandémie et des atteintes au respect de la dignité des personnes âgées.

Durant cette même période, c’est surtout le droit à la vie privée et familiale des résidents qui a été malmené car, depuis le début de la crise, les rencontres avec les familles se sont raréfiées, suspendues totalement dans les périodes les plus critiques (I. Corpart, Quand l’état d’urgence lié au covid-19 touche les familles, Commentaire de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, JAC n° 195, mars 2020, p. 16 ; Covid-19 : un risque accru pour les membres de la famille ?, Riséo 2020, n° spécial, p. 6).

Les aidants se sont également trouvés dans des situations délicates, ne pouvant plus effectuer leurs missions de soutien, de même que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs privés de la possibilité de rencontrer les résidents placés sous curatelle ou tutelle.

Durant les points culminants de la pandémie, les visites des membres de la famille ont effectivement été totalement interdites, puis limitées à une personne par semaine pendant 30 minutes, hors de la chambre du résident, ce qui a rendu malheureux et dépressifs à la fois les résidents et leurs proches. Priver les personnes âgées de visite, de contact avec leurs proches et donc de réconfort, constitue assurément une atteinte à la vie familiale (M. Rebourg, S. Renard, Le droit aux relations personnelles des résidents d’EHPAD dans le contexte du covid-19, JCP G 2020. 749).

Cette situation a été source de drames car des personnes ont vu leur santé décliner sans pouvoir trouver du réconfort auprès de leurs familles, d’autres sont mortes des suites, soit de la contamination à la Covid-19, soit de la détresse extrême occasionnée par la suppression des liens familiaux et sociaux (et parfois parce que les hôpitaux obligés de trier les malades ont parfois refusé d’accueillir les patients âgés accueillis en EHPAD).

Durant les périodes les plus critiques, les familles ont été vraiment éprouvées car leur proche décédé a été mis en bière immédiatement si bien qu’elles ne l’ont même plus vu et n’ont pas pu lui faire leurs derniers adieux (L. Carayon, Adaptation des normes funéraires dans le cadre de l’urgence sanitaire, Dalloz actualité, 17 avril 2020 ; I. Corpart, Face à la mort au temps du covid-19, RJPF 2020-6/1 ; Crise sanitaire liée au coronavirus et nécessaire adaptation des règles funéraires, commentaire du Décret n° 2020-352 du 27 mars 2020, JO 28 mars 2020 et du Décret n° 2020-384 du 1er avril 2020, JO 2 avril 2020, RJPF 2020-5/3 ; A. Gaillard, Face à l’épidémie, des mesures prises en droit funéraire, Dr. famille 2020, comm. 84 ; J.-M. Pastor, Le droit funéraire s’adapte à l’urgence sanitaire, AJDA 2020, p. 705). Lors du pic de la crise sanitaire, la pandémie a malheureusement empêché l’accompagnement des personnes en fin de vie en EHPAD, de même qu’en établissement hospitalier (S. Tardy-Joubert, Tous vulnérables…, LPA 2020, n° 194, p. 9).

De nombreuses voix s’étaient élevées contre ce dispositif trop contraignant qui privait les résidents d’une vie normale, de la même manière que des patients accueillis dans des hôpitaux après avoir contracté le virus, privés de visite, et encore les familles voulant rendre un dernier hommage à leur proche décédé mais qui se sont trouvées dans l’impossibilité d’organiser des funérailles comme à l’accoutumée (F. Akindès, Comment réinventer les rites funéraires en temps de covid-19, The Conversation, 13 mai 2020).

Toutes ces critiques ont été relayées par la Défenseure des droits qui, après avoir constaté les carences dans l’accès aux droits des personnes vivant en EHPAD, a tenté de trouver une solution plus humaine et plus en empathie avec les intéressés, en formulant des recommandations axées sur le respect des droits fondamentaux de toute personne.

II – Des recommandations de la Défenseure des droits visant à rendre effectifs les droits des résidents des EHPAD malgré la crise sanitaire

Il est hors de question de ne pas tenir compte du fait que l’isolement des personnes âgées et la privation de liens sociaux et familiaux a des retombées considérables sur la santé des populations vulnérables. On ne meurt pas que de la Covid-19, mais il est vrai que l’on peut aussi décliner et perdre pied parce que l’on vit des situations de grande détresse psychologique.

Partant de là, le rapport de la Défenseure des droits publié le 4 mai a pour objectif d’améliorer la prise en charge des personnes âgées d’une manière générale mais aussi en pleine pandémie et, pour ce faire, de rechercher les moyens de rendre effectifs les droits fondamentaux reconnus aux résidents des EHPAD comme à tout un chacun, tout en veillant à assurer leur sécurité et celle de leur entourage.

Dans ce rapport, treize recommandations visent les difficultés repérées au plus fort de la crise sanitaire (on notera que le rapport formule en tout soixante-quatre recommandations générales à destination des personnes âgées accueillies en EHPAD).

L’essentiel est de trouver des mesures adaptées et proportionnées à la prévention de la diffusion du virus et de ne pas imposer des interdictions de manière absolue et générale.

Cela a pourtant été le cas car, comme le relève la Défenseure des droits, la « protection accrue » mise en place par les pouvoirs publics, compte tenu d’une plus grande fragilité des résidents face à la covid-19, s’est traduite « par l’adoption de mesures restrictives rigoureuses, dérogatoires au droit commun, hors cadre normatif spécifique ».

En la matière, de nombreux proches des résidents ont déploré un abus de pouvoir des directeurs des structures et critiqué les mesures prises par le Gouvernement (Des familles dénoncent les « EHPAD prisons », Le Monde du 17 mai 2021).

Pour améliorer l’accompagnement des résidents, différentes pistes sont suivies par la Défenseure des droits.

Pour s’assurer du consentement du résident, une recommandation vise ainsi à inciter les responsables des EHPAD à désigner un référent qui serait chargé de veiller à la recherche effective du consentement des résidents.

Pour que l’on ne se retrouve plus dans la situation où les familles sont privées de contact, une autre recommandation propose d’inscrire dans une disposition du Code de l’action sociale et des famille le droit de visite quotidien du résident par ses proches, à condition qu’il le souhaite, car ce ne sont pas les membres de la famille qui doivent prendre cette décision.

La pénurie de personnel et le manque d’encadrement a aussi contribué à la fragilisation de nos aînés et a empêché parfois qu’ils puissent mener une vie décente, situation encore compliquée par le grand nombre d’arrêts maladie des professionnels contaminés ou en détresse psychologique. Pour y remédier, le rapport propose la mise en place d’un ratio minimum d’encadrement, assorti d’un meilleur accès aux aides techniques.

Pour tenir compte des attentes des résidents, il est surtout important de bien connaître leur situation, raison pour laquelle la Défenseure des droits prône l’adoption d’un cadre réglementaire définissant les conditions d’élaboration du projet personnalisé du résident. Cela permettra de mettre en place une mesure pleinement adaptée aux besoins de chacun en tenant compte de leur évolution.

Enfin, il serait pertinent de mener des actions de sensibilisation des personnels des EHPAD sur le respect du droit à l’intimité et à la vie privée des populations hébergées, autre piste évoquée dans l’une des treize recommandations.

Certes, il n’est pas question de supprimer toute mesure de restriction car la santé, voire la vie des résidents est en jeu, mais de contrôler les mesures de privation de liberté pour s’assurer qu’elles répondent aux objectifs poursuivis, sont justifiées et adaptées à la situation, en l’occurrence à l’épidémie de Covid-19. On peut se demander précisément si les circonstances justifiaient toutes les mesures drastiques de restriction sanitaire qui ont été mises en place pour de bonnes raisons mais qui, corrélativement, ont énormément fragilisé une population déjà bien vulnérable.

Ainsi par deux ordonnances rendues le 15 avril, le Conseil d’État a pris parti (CE, ord. réf., 15 avril 2020, n° 439910 et 440002, JCP G 2020.526, note M. Reynier et F. Vialla), revenant sur l’action gouvernementale. Pour les juges, les restrictions aux visites ne doivent pas conduire pas à une impossibilité « générale » à être accompagné. Il est vrai aussi que, si le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 a édicté des mesures générales pour lutter contre la Covid-19, les déplacements pour l’assistance d’une personne vulnérable figuraient bien parmi les motifs dérogatoires de déplacement. Or pour assister au mieux une personne, il faut être à ses côtés.

Le Comité consultatif national d’éthique avait déjà relevé un grand nombre de réserves contre les mesures de confinement imposées dans les maisons de retraite (avis rendu le 1er avril 2020). Il avait notamment soulevé les problématiques spécifiques aux situations d’isolement dans ce type d’établissements en raison du profil particulièrement vulnérable, tant psychiquement que physiquement, des personnes accueillies, eu égard à l’importance que revêtent pour elles le lien social et le maintien des relations familiales.

Certes, on peut penser que le principe de précaution doit s’imposer face à une épidémie de l’ampleur de la Covid-19, toutefois le maintien d’une bonne santé psychique ou psychiatrique des résidents des EHPAD doit s’imposer tout autant à nos décideurs, surtout quand les lois, les ordonnances, les décrets se succèdent à un rythme infernal qui complexifie la lisibilité des normes en vigueur.

Comme le relève la Défenseure des droits, « toute décision doit s’attacher à respecter les principes de non-discrimination et d’effectivité des droits. Le contexte actuel rappelle que la tentation de vouloir protéger les plus vulnérables peut tendre à stigmatiser ces personnes qui ne sont alors vues qu’au prisme de leur situation de vulnérabilité et donc de l’impératif sanitaire, aussi légitime soit-il. Une situation d’exception ne saurait se traduire par une éthique d’exception ».

Il faut dès lors faire fi d’un principe général de précaution et s’attacher à « principe d’évaluation individuelle du risque », en ne prenant que des mesures nécessaires et proportionnées, mesures permettant d’aménager un accueil sécurisé pour les familles et les aidants.

De plus, comme le précise la Défenseure des droits dans l’une de ses recommandations, il convient de veiller à limiter dans le temps toute décision liée au renforcement des mesures de contrainte sanitaire.

On peut en effet se demander en l’état actuel des choses si les résidents ont plus souffert de l’épidémie elle-même que des restrictions imposées en réponse à la crise sanitaire et des carences dans l’accès à leurs droits.

Précisément, une enquête du ministère de la Santé a révélé que les personnes âgées en maison de retraite sont en moins bonne santé psychologique que les personnes âgées vivant à domicile, un tiers des seniors en EHPAD étant en situation de détresse psychologique (Vie publique, 6 février 2020) or un confinement, un isolement et des restrictions liées à la Covid-19 ont encore plus affaibli et épuisé nos aînés.

On le sait bien, il est difficile de concilier les enjeux de santé publique avec la nécessité de prendre des dispositions appropriées aux besoins spécifiques des résidents des EHPAD mais il faut espérer que le Gouvernement tiendra compte de ces éléments de réflexion quand il prendra de nouvelles mesures si la crise sanitaire persiste ou s’intensifie.

Pour le moment la situation est en train de s’améliorer car le ministère des Solidarités et de la Santé a publié le 12 mai 2021 un nouveau protocole à l’intention de ces établissements applicable à compter du 19 mai pour organiser progressivement le retour à une vie sociale normale.