Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LA SOUFFRANCE LIEE A L’ANNONCE D’UN DECES EST UN PREJUDICE AUTONOME MAIS QUI N’EQUIVAUT PAS AU PREJUDICE RESULTANT DU DECES, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de CAA Marseille, 16 septembre 2019, n° 19MA01192

 

La décision rendue par la cour d’appel administrative de Marseille le 16 septembre 2019 (n° 19MA01192) signe l’épilogue d’une affaire dans laquelle le Conseil d’État a eu l’occasion de reconnaître que les souffrances liées à l’annonce trop tardive d’un décès sont autonomes par rapport aux souffrances éprouvées par la perte d’un être cher.

Dès lors la veuve et ses fils peuvent réclamer une indemnisation liée au dysfonctionnement de l’hôpital car la famille n’a pas été prévenue immédiatement du décès de leur époux et père et le corps du défunt a été déplacé trop rapidement vers les services mortuaires, sans considération pour les souffrances endurées par les proches découvrant que le patient âgé est décédé depuis plusieurs heures et qu’il n’est plus dans son lit d’hôpital.

Le Conseil d’État a effectivement reconnu l’existence d’un préjudice moral résultant des circonstances de l’annonce du décès (CE 12 mars 2019, n° 417038, JAC n° 185, mars 2019, note Isabelle Corpart) et renvoyé l’affaire aux juges du fond pour qu’une indemnisation soit accordée à la veuve et à ses deux fils en réparation de ce préjudice particulier.

Pour autant, si les familles doivent être averties dès que possible de l’aggravation de l’état du patient et de son décès (CSP, art. R. 1112-69) et si les familles doivent avoir accès, dans toute la mesure du possible, au corps sans vie de leur proche avant qu’il soit déplacé en chambre mortuaire (CGCT, art. R. 2223-93), pour les juges de la cour d’appel administrative de Marseille, jugeant l’affaire sur renvoi, rien ne permet de considérer que l’équipe médicale avait sciemment voulu dissimuler la responsabilité de l’établissement hospitalier lors du décès du patient.

Il ne s’agit en l’occurrence que d’un problème lié à l’organisation des services, le processus d’annonce de décès n’étant pas formalisé à l’époque des faits (mais on peut espérer qu’il le soit désormais).

Surtout, le préjudice subi par les proches n’est pas équivalent à celui résultant du décès lui-même. Il ne s’agit pas de les indemniser pour avoir perdu un parent mais pour avoir été confrontés à une certaine déshumanisation de l’hôpital et à un manque d’empathie du personnel.

Ils ont assurément éprouvé une souffrance morale mais une juste indemnisation est offerte à la famille, la veuve et ses fils recevant chacun (seulement) 1 000 euros pour le préjudice moral lié à l’annonce tardive du décès, plus 2 000 euros destinés à compenser leur frais.

CAA Marseille, 16 septembre 2019, n° 19MA01192

Considérant ce qui suit :
1. L’article R. 1112-69 du code de la santé publique prévoit, en cas de décès d’une personne hospitalisée dans un établissement public de santé, que :  » La famille ou les proches sont prévenus dès que possible et par tous moyens appropriés de l’aggravation de l’état du malade et du décès de celui-ci. / Le décès est confirmé par tout moyen. (…) « . L’article R. 1112-70 du même code ajoute que :  » les décès sont attestés par le certificat prévu à l’article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales « , lequel doit être établi par un médecin.
2. L’article R. 2223-93 du code général des collectivités territoriales prévoit par ailleurs que :  » Dans toute la mesure du possible, la famille a accès auprès du défunt avant que le corps ne soit déposé dans la chambre mortuaire sans que ce dépôt ne soit différé, de ce fait, d’un délai supérieur à dix heures tel que prévu au cinquième alinéa de l’article R. 2223-76.  »
3. Il résulte de l’instruction qu’Edouard A…, âgé de 83 ans, a été hospitalisé le 14 novembre 2009 à 23h30 au centre hospitalier du pays d’Aix. Il a été retrouvé sans signe de vie par une infirmière le 15 novembre 2009 vers 7h45. Celle-ci a contacté le service des urgences en vue de faire constater le décès par un médecin de l’établissement, qui n’est arrivé qu’à 11h15. M. F… A…, fils du défunt, a joint par téléphone le centre hospitalier vers 10h, où il lui a été répondu que l’infirmière en charge était indisponible, et demandé de rappeler dans une heure. Lors de son appel à 11h, l’infirmière lui a demandé de venir sur place en raison de la dégradation de l’état de santé de son père. Le centre hospitalier a ensuite vainement tenté de joindre téléphoniquement M. F… A…, alors en trajet. Lors du rappel par celui-ci, une infirmière s’est étonnée de ce que la famille n’ait pas été informée du décès. M. F… A… est arrivé au centre hospitalier du pays d’Aix vers 11h30. Le décès n’a été annoncé à la famille du défunt par l’équipe médicale du centre hospitalier qu’en début d’après-midi.
4. Contrairement à ce que soutiennent les consorts A…, ces circonstances ne s’expliquent pas par la volonté de l’équipe médicale de dissimuler la responsabilité du centre hospitalier quant au décès du patient, laquelle n’est au demeurant pas engagée, mais, ainsi que l’a relevé la commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQ) dans son avis du 17 mai 2010, par des dysfonctionnements du processus d’annonce de décès aux familles de patients, processus qui n’était jusqu’alors pas formalisé.
5. En tardant à faire confirmer le décès par un médecin, en s’abstenant dans l’attente d’informer la famille dans des conditions appropriées de ce que le patient avait été retrouvé sans vie par une infirmière, ainsi qu’en tardant à annoncer le décès une fois celui-ci constaté, le centre hospitalier du pays d’Aix a méconnu les dispositions de l’article R. 1112-69 du code de la santé publique, citées au point 1.
6. En outre, en plaçant immédiatement le corps du patient en chambre mortuaire, alors qu’aucune circonstance particulière ne justifiait un délai inférieur à dix heures, le centre hospitalier a également méconnu les dispositions de l’article R. 2223-93 du code général des collectivités territoriales, citées au point 2.
7. Dans les circonstances évoquées ci-dessus, caractérisant les conditions inappropriées de l’annonce du décès et un manque d’empathie de la part du personnel du centre hospitalier, l’épouse du défunt et ses deux fils ont nécessairement éprouvé une souffrance morale. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les consorts A…, ce préjudice moral n’est pas équivalent à celui résultant du décès lui-même. Il en sera fait juste indemnisation en retenant pour chacun la somme de 1 000 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que les consorts A… sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 22 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande, en tant que celle-ci tendait à l’indemnisation de leur préjudice moral en lien avec les circonstances dans lesquelles leur a été annoncé le décès d’Edouard A…, ainsi qu’à demander la condamnation du centre hospitalier du pays d’Aix à leur verser la somme de 1 000 euros chacun.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier du pays d’Aix la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais qu’ils ont exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 22 décembre 2014 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu’il a rejeté la demande des consorts A… tendant à l’indemnisation de leur préjudice moral en lien avec les circonstances dans lesquelles leur a été annoncé le décès d’Edouard A….
Article 2 : Le centre hospitalier du pays d’Aix est condamné à verser à Mme E… A… et à MM. F… et B… A… la somme de 1 000 euros chacun.
Article 3 : Le centre hospitalier du pays d’Aix versera aux consorts A… la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des consorts A… est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier du pays d’Aix sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F… A…, à Mme E… A…, à M. B… A… et au centre hospitalier du pays d’Aix.