Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE DISPOSITIF D’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES AU PROCES DES ATTENTATS DE JANVIER 2015, C. Damiani et M. Herry

Carole DAMIANI
Docteur en psychologie clinique
Directrice de Paris Aide aux Victimes
Membre associé du CERDACC

et

Marie HERRY
Référente procès, Paris Aide aux Victimes

 

Abstract :  « Le Parquet National Anti-Terroriste (PNAT) de Paris a confié à l’association Paris Aide aux victimes ( PAV – http://www.pav75.fr/), une mission d’accompagnement et de soutien psychologique des parties civiles du procès des attentats de janvier 2015. L’équipe a donc été fortement mobilisée pour préparer le dispositif en amont du procès et soutenir les victimes durant les audiences et ce, jusqu’au verdict. »

Mots-clés : accompagnement – soutien psychologique – attentats de janvier 2015 – procès

 

L’organisation du procès des attentats de janvier 2015 a débuté près de deux ans avant son ouverture. La crise sanitaire s’est invitée à plusieurs reprises et le procès a dû être reporté quatre mois après la date prévue et interrompu plusieurs semaines ensuite. Malgré la crainte de la plupart des acteurs, il a pu être tout de même mené à son terme.

Ce procès hors norme, qualifié « d’historique », s’est donc ouvert le 2 septembre 2020 au tribunal judiciaire de Paris devant une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels, comme le prévoit la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986. Le verdit a été rendu le 16 décembre 2020.

Quatorze prévenus (dix en détention provisoire, un sous contrôle judiciaire et trois visés par un mandat d’arrêt international) ont comparu pour des faits de complicité d’actes de terrorisme, à divers degrés avec les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Ces derniers étaient les auteurs des attaques des 7, 8 et 9 janvier 2015, dans les locaux et aux alentours du journal Charlie Hebdo, la ville de Montrouge et le magasin Hyper Casher de la Porte de Vincennes, qui ont coûté la vie à dix-sept personnes et blessé physiquement et psychiquement plus de deux cents personnes.

La préparation en amont

Dans la perspective de ce procès « hors norme », le Parquet National Anti-Terrorisme (PNAT) a mandaté Paris Aide aux Victimes (article 41-in fine du CPP) pour une mission d’accueil, d’accompagnement et de soutien des 197 victimes constituées parties civiles à l’ouverture du procès. L’association a donc participé à l’ensemble de la préparation du procès durant deux ans, scandée par des comités de pilotage, des réunions préparatoires avec les différents acteurs (Parquet, Parquet Général, secrétariat général de la Présidence, greffe, régie, services de sécurité, administration pénitentiaire, services techniques, Service de l’Accès au Droit et à la Justice et de l’Aide aux Victimes, Magistrat Délégué à la Politique Associative, PAV) et une marche à blanc. De fait, l’association n’était pas, comme pour d’autres procès, un prestataire extérieur, mais un membre à part entière de son organisation.

Six mois avant la première date prévue pour le procès, l’association a ouvert une ligne téléphonique et une adresse mail dédiées aux parties civiles. Nous avons adressé un questionnaire aux parties civiles et à leurs avocats afin d’adapter le dispositif d’accompagnement et de leur proposer d’assister à une réunion d’information. 20% des parties civiles ont répondu à ce questionnaire, parmi lesquelles 81% ont prévu d’assister au procès, au moins partiellement, soit 17% de l’ensemble des parties civiles (ce qui s’est révélé représentatif de la fréquentation réelle : 13% en moyenne).

La réunion d’information pour les parties civiles s’est déroulée le 6 mars 2020 -le procès était initialement prévu le 4 mai- animée par le PNAT, en présence du Président du tribunal judiciaire, du greffe, de la régie, et de Paris Aide aux Victimes notamment. Ces intervenants ont apporté toutes les informations nécessaires aux victimes et à leurs avocats :  sur le parcours des parties civiles, le déroulement du procès, son organisation, la sécurité, le dispositif d’accompagnement, les modalité pratiques et les frais de justice. La visite de la salle d’audience a permis aux personnes présentes de découvrir les lieux et d’en avoir une représentation plus ajustée.

Les semaines précédant le procès, les parties civiles qui n’ont pas assisté à cette réunion ont pu se rendre aux permanences aménagées par PAV et le greffe, et ainsi visiter les lieux, récupérer les badges d’entrée et recueillir les informations nécessaires.

La semaine précédant le procès, une « marche à blanc » a été organisée avec la totalité des acteurs. Cette répétition générale a permis de tester le dispositif avant son ouverture, et ainsi apporter les derniers ajustements en matière d’organisation, de technique, de cheminement, d’accueil et de sécurité, et ce, de l’arrivée sur le parvis jusqu’aux salles d’audience. Les mesures de sécurité, les cheminements et les emplacements différenciés des avocats, des médias, et des parties civiles, notamment celles sous protection, ont été validés.

Le procès

Le procès s’est déroulé dans une salle d’audience principale et trois salles de retransmission (considérées comme des salles d’audience) situées sur un plateau sécurisé. Il était retransmis dans un auditorium dédié au public. Parce que ce procès présente « un intérêt pour la constitution d’archives historiques », l’intégralité des débats a été filmée en plan fixe. L’enregistrement sera disponible à des fins de recherche lorsque la décision judiciaire sera devenue définitive.

Le dispositif d’accompagnement de l’association était composé de deux accueillants, six psychologues présents en même temps ou en alternance, et une coordination assurée par la Directrice. L’équipe était supervisée par une psychologue extérieure. Deux salles d’accueil et deux salles d’entretiens psychologiques étaient mises à leur disposition sur le plateau.

L’équipe d’accueillantes et de psychologues était répartie dans la salle d’audience et les salles de retransmission, en fonction de l’affluence des parties civiles. Le dispositif a été allégé après quelques semaines de procès, trois psychologues sont restées sur les six prévues initialement, ce qui était suffisant. L’équipe n’est pas intervenue à l’auditorium réservé au public. Cette équipe a constitué un véritable « fil rouge » pour nombre de parties civiles, un repère continu, donc fiable et rassurant. Des parties civiles sous protection ou en groupes déjà constitués étaient plus difficile à approcher mais sans que cela constitue un obstacle insurmontable.

Les parties civiles ont rapidement identifié l’équipe d’accompagnement, du fait de sa démarche proactive et de ses chasubles qui ont facilité sa visibilité. Les premiers jours, les accueillantes accompagnaient les parties civiles de leur arrivée sur le parvis jusqu’à la salle d’audience, mais dès que celles-ci avaient bien intégré le parcours, elles les accueillaient sur le plateau et dans les salles d’audience.

En général, les parties civiles et leurs proches ont préféré échanger avec les accueillantes et les psychologues dans la salle d’audience, sur le plateau ou dans les salles d’accueil plutôt que dans les salles d’entretien. Contrairement aux salles d’entretien, les salles d’accueil ont été très investies par les parties civiles pour s’isoler ou se reposer. Effectivement, ces lieux à l’écart des débats et de l’effervescence qui régnait autour des salles d’audience représentait un espace d’apaisement et de « mise en pause » parfois nécessaire avant de se replonger dans un océan d’émotion où la prise de recul est presque impossible.

Les premières semaines ont été consacrées au rappel des faits et aux témoignages des parties civiles. Ce parti pris de débuter les débats par la parole des victimes, souhaité par le Président, a été un véritable choix, mûrement réfléchi. Il s’est révélé particulièrement bénéfique pour les victimes même si elles ne l’ont pas obligatoirement mesuré sur le moment. Cet espace-temps empreint de bienveillance, dédié à la parole des victimes, où chaque partie civile, qui a voulu s’exprimer, a eu le temps de le faire, a autorisé l’expression de non-dits, d’émotions, de messages qui s’adressaient officiellement ou officieusement aux uns ou aux autres. Restait à chacun d’entendre… ou pas. Ces dix jours ont été marqués par l’émotion, la sidération, la honte et la culpabilité, la colère ou les rires, l’incommensurable tristesse et le furieux désir de vivre et de penser librement… Il y a eu des maladresses aussi, mais comment ne pas faire de faux pas face à l’exigence de perfection de ce travail de restauration des victimes. Qui est sorti indemne ?

Ces témoignages ainsi que la diffusion de photos et de vidéos des attentats ont généré une forte sollicitation des psychologues et des accueillantes. Le Président nous informait en amont, ainsi que les avocats, pour que nous ayons le temps de prévenir les parties civiles qui ne voudraient pas les voir ou les entendre en raison de leur violence et de leur charge émotionnelle. De fait, la moitié des entretiens se sont déroulés durant cette première partie du procès.

Il est évident que la situation contextuelle, c’est-à-dire la crainte de la suspension du procès pour des raisons sanitaires, ainsi que les attentats perpétrés rue Appert (anciens locaux de Charlie Hebdo) et contre Samuel Paty, ont pesé sur l’ambiance déjà émotionnellement chargée.

La seconde phase du procès a été consacrée aux faits et à l’enquête. Les parties civiles étaient beaucoup moins présentes, mais un « noyau » tenait à assister à l’intégralité des débats malgré leur aspect factuel et leur rudesse.  C’est à ce moment que la présence des psychologues s’est avérée la moins nécessaire, le dispositif a donc été réajusté. Néanmoins, les parties civiles nous ont fait part de l’importance de la présence et du soutien contenant des intervenantes dans la salle d’audience, repère permanent et sécurisant tout au long du procès.

De la même façon, les interrogatoires des accusés n’ont pas énormément mobilisé les parties civiles malgré leur questionnement sur l’implication de chacun des accusés dans les faits. Effectivement, ceux-ci ne sont pas les auteurs directs, ces derniers étant décédés, mais restait à déterminer la responsabilité ou la culpabilité de chacun d’eux, leurs dénégations plus ou moins véhémentes ont découragé des parties civiles, déjà fatiguées par les longues journées d’audience qui avaient précédé.

Les victimes sont revenues entendre les plaidoiries des avocats des parties civiles, puis après un mois d’interruption pour des raisons sanitaires, les réquisitions. Surtout les réquisitions. Là encore, le dispositif a été particulièrement sollicité en raison des questionnements et des affects qu’elles ont suscités.

La fréquentation a légèrement diminué durant les plaidoiries des avocats de la défense. En effet, certaines parties civiles nous ont confié ne pas vouloir entendre ce qu’elles considèrent comme «l’indéfendable ». Des parties civiles présentes nous ont dit avoir été « agacées » par les propos ou les stratégies de certains avocats de la défense. Pourtant, certaines d’entre elles sont restées ouvertes à des réflexions, des débats intérieurs,  alors qu’il aurait été plus facile pour elles de rester bardées de défenses, tellement protectrices.

Les parties civiles étaient dans la salle d’audience plusieurs heures avant l’énoncé du verdict. Leurs réactions ont été extrêmement variées, preuve s’il en était besoin, de la grande diversité des parties civiles qui ne peuvent être réduites à un groupe partageant les mêmes émotions : colère pour certaines parce que la qualification terroriste n’a pas été retenue pour six des accusés, satisfaction des peines prononcées pour d’autres, soulagement mais aussi tristesse de la séparation et de la fin d’un procès qui a rythmé leur quotidien durant deux mois et demi.

Pour conclure…

Durant tout le procès, les représentants de chacun des services concernés (Parquet, greffe, régie, services techniques, services de sécurité, Paris Aide aux Victimes notamment) se sont réunis chaque soir durant les premières semaines, puis une à deux fois par semaine, pour fluidifier les informations, se coordonner, porter le même discours, ajuster les mesures et le dispositif et s’adapter aux imprévus : du port du masque ou de la taille des micros à la police d’audience en passant par l’heure trop tardive de retour des accusés dans les lieux de détention, ou les demandes des victimes concernant leurs proches, les médias, leur entrée au tribunal… tout était abordé, discuté et ajusté.

Malgré nos craintes, le procès a pu se terminer, dans les meilleures conditions possibles. La longue préparation et les retours d’expérience quotidiens puis hebdomadaires ont été efficaces. Bien entendu, le dispositif était perfectible mais son analyse critique régulière nous permet maintenant de nous appuyer sur des bases solides pour préparer cette fois le procès des attentats du 13 novembre 2015.

En ce qui concerne les parties civiles de ce procès des attentats de janvier 2015, nous prévoyons une dernière étape pour celles qui le souhaiteront : un retour d’expérience et un groupe de paroles qui permettront de suturer une étape importante de leur parcours. Certaines nous ont dit que c’était aujourd’hui prématuré, qu’elles avaient d’abord besoin d’intégrer le « choc » du procès pour pouvoir en parler. Nous attendons donc le moment adéquat pour l’organiser.