Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE FONDS DE GESTION MAROCAIN ANTI-COVID-19, À L’EPREUVE DES DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES, M. Rhartaoui

Marouane Rhartaoui,

Doctorant à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Il y a déjà plus d’un an que les autorités sanitaires chinoises ont annoncé la découverte du coronavirus, du jamais vu par les communautés scientifiques mais du déjà vu par certaines communautés politiques qui ont décidé soit de nier l’existence ou de banaliser la dangerosité du coronavirus. Mais heureusement ce n’est pas le cas pour tous les décideurs politiques qui ont décidé de prendre des mesures strictes et originales dans la lutte contre le Covid-19, afin de reprendre la vie normale et surtout la vie économique qui a été impactée. Parmi ces pays, on retrouve le Maroc qui, selon les analyses de l’Institut australien Lowy, a bien su gérer la crise par rapport au pays de la région Mena et même par rapport à un très grand nombre de pays de l’Union européenne, parmi lesquelles on peut citer l’Espagne, l’Italie, la Belgique et la France. L’analyse menée par l’Institut australien Lowy, repose sur un ensemble de facteurs tel que le nombre de nouveaux cas quotidiens enregistré, les différentes méthodes de dépistage, la taille de la population et le nombre de décès  déclarés. Ainsi le Maroc est classé à la 65e place d’un classement qui en compte 102.

A l’instar des pays de l’Union européenne, le Maroc a entrepris des mesures sanitaires qui sont présentées dans la déclaration de l’état d’urgence, le confinement et la suspension des vols à destination de plusieurs pays à l’exception du rapatriement des citoyens marocains bloqués à l’étranger.

La crise du Covid-19 a été d’une ampleur inédite sur le royaume du Maroc, comme le démontre un article publié sur Policy center, en décembre 2020 analysant l’impact du Covid-19 sur l’économie marocaine qui a déjà subi une contraction sévère de près de 7% de l’activité économique qui se manifestera par des conséquences sur le plan social dans la mesure où 1 million de personnes auront basculé vers la pauvreté et à peu près 900 milles autres sous la ligne de la vulnérabilité (A. Ait Ali, K. El Aynaoui, F. El Hossaini et B. Mandri, Impacts de la Covid-19 sur l’économie marocaine : un premier bilan : Policy center for the New South, décembre 2020). Le Maroc a bien vu venir ce choc économique. Cela l’a poussé à créer sur instruction de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, le décret n° 02.20.269 du 16 mars 2020, mettant en place un fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus avant même l’adoption du   décret-loi n° 2-20-292 du 23 mars 2020  édictant des dispositions particulières à l’état d’urgence sanitaire et les mesures de sa déclaration. Une politique préventive singulière, bien architecturée instaure la paix sociale et apaise toute tension éventuelle, et ce, grâce au fonds spécial pour la gestion du Coronavirus.

En termes de chiffres et d’objectifs, ce Fonds spécial Covid-19 représente 3% du PIB (A. Ait Ali, A. Bassou, M. Dryef, K. El Aynaoui, R. El Houdaigui, Y. El Jai, F. Hossaini, L. Jaidi, M. Loulichki, E.M. Rezrazi, A. Saaf, La stratégie du Maroc face à la covid-19 : Policy center for the New South, avril 2020). Il est doté lors de sa création d’une enveloppe de 10 milliards de dirhams (930 millions d’euros)  affectée par l’Etat. S’y ajoute à peu près 24 milliards de dirhams (2,2 milliards d’euros) grâce aux dons recueillis en deux semaines après sa création auprès des institutions publiques, des entreprises et des particuliers. Les principaux donateurs côté marocain sont l’Office Chérifien des Phosphates (3 milliards de dirhams), la holding royale Al Mada (2 milliards de dirhams), la Caisse de Dépôt et de Gestion (1 milliard de dirhams), les banques BMCE et BCP (1 milliard de dirhams chacune), les grandes filiales marocaines des groupes français ont également contribué à l’effort de solidarité nationale, avec des dons qui s’élèvent à plus de 500 millions de dirhams (DG Trésor, Actualité vue par le Service économique de Rabat – avril 2020 : Ministère de l’économie, des finances et de la relance, 14 avril 2020). De son côté, l’Union européenne a annoncé un don de 450 millions, dont 150 millions d’euros ont été versés immédiatement. Ce don s’inscrit dans le cadre du partenariat multidimensionnel et des échanges permanents entre le Maroc et l’Union Européenne (Medias24.com, Coronavirus : l’UE fait don de 450 millions d’euros au Maroc, 25 mars 2020).

Le Fonds spécial Covid-19 avait pour objectif de subvenir aux dépenses de mise à niveau du dispositif médical, de soutenir l’économie nationale pour faire face aux chocs induits par la pandémie du Coronavirus et de préserver des emplois ainsi que d’atténuer les répercussions sociales de la pandémie du Coronavirus. Selon le ministre de l’économie marocain dans une interview publiée dans le360.ma du 16/01/2021  « Sur les 34 milliards collectés, près de 29 milliards de dirhams ont déjà été dépensés. Dans le détail, 23 milliards de dirhams ont été affectés aux aides aux ménages, 16,2 milliards de dirhams pour le secteur informel pendant les trois mois où 5,2 millions de ménages ont été accompagnés, et 6,8 milliards de dirhams pour les employés du secteur formel qui sont déclarés à la CNSS. De plus, 3 milliards de dirhams ont été affectés au secteur de la Santé, à travers plusieurs virements au ministère de tutelle durant l’année 2020. Enfin, 3 milliards de dirhams ont été affectés au soutien des entreprises, dans le cadre du fonds de garantie de la Caisse centrale de garantie (CCG). Au final, le Fonds spécial Covid-19 ressort avec un solde positif de 5,3 milliards de dirhams » (A. Kadiri, Fonds spécial Covid 19 : le point sur les recettes et dépenses  : Le360.ma, janvier 2021).

Le premier constat qu’on peut tirer, est qu’il ya eu affectation de 16,2 milliards de dirhams au secteur informel. Pour essayer de répondre aux besoins des 5,2 millions de foyers les plus précaires, qui dépendent du secteur informel via une aide de subsistance de 800 à 1 200 dirhams /mois (112 euros) selon la taille du ménage (DG Trésor, Maroc : indicateur de conjoncture : Ministère de l’économie, des finances et de la relance, 21 décembre 2020),, alors que la moitié des ménages dépensent moins de 58 687 DH par an, soit 4 891 DH (455,83euros) par mois. Cette valeur médiane s’élève à 66 702 DH par an soit 5 559 DH (518,09euros) par mois en milieu urbain et à 47 125 DH par an soit 3 927(365,99 euros) par mois en milieu rural (Haut -commissariat au plan du Royaume du Maroc, enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages 2013/2014)  .

 Le deuxième constat est que le montant affecté représente 55,86% des dépenses déclaré par le ministre de l’économie, au détriment du secteur de la santé ayant un montant de 5,2 milliards dirhams, accordé par le fonds de gestion de crise, sachant que le budget affecté au ministère de la santé au titre de l’année 2021 ne dépasse pas  19,774 milliards de dirhams (Lavieeco, Maroc : Augmentation de 5,8 % du budget du ministère de la Santé en 2021 : nov. 2020). Au total le ministère va cumuler soit à peu près 25 milliards de dirhams en plein crise de Covid-19.  Un budget serré pour un secteur qui connaît une pénurie importante de ressources, en particulier des ressources humaines (OMS, Stratégie de coopération : Maroc, 2018) qui prévalait déjà avant la crise. Une question se pose alors : pourquoi privilégier le secteur informel ?

Dans le monde plus de 61% de la population mondiale active occupent un emploi dans l’économie informelle. En Afrique 85,8 % des emplois sont informels (OIT, L’économie informelle emploie plus de 60 pour cent de la population active dans le monde, avril 2018). Au Maroc, selon une étude de la banque centrale du Maroc, ce taux représente à peu près de 30 % du PIB sur la période 2009-2018. Un taux jugé par les auteurs du document comme «relativement élevé »(Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc, Une étude de Bank Al-Maghrib estime la part de l’économie informelle à 30 % du PIB : Conjoncture n° 1033, p. 11), à cause des nombreux inconvénients qui en résultent, notamment les travailleurs dans ce secteur disposent d’une faible, voire ne dispose d’aucune protection sociale (OIT, L’économie informelle : une activité à risque, mars 2015). Dès lors les  mesures sanitaires ont altéré le système productif par un double choc de l’offre et de la demande, basculant 1 million de personnes vers la pauvreté (A. Ait Ali, K. El Aynaoui, F. El Hossaini et B. Mandri, Impacts de la Covid-19 sur l’économie marocaine : un premier bilan : Policy center for the New South, décembre 2020) et certainement les travailleurs du secteur informel en font partie. Donc la priorisation du secteur informel en lui attribuant plus de la moitié du fonds anti-Covid-19 était justifiée et sans aucun doute la meilleure option pour minimiser les dégâts sociaux et économiques.

Pour répondre à cette question, il faut se référer au discours de Sa Majesté le Roi prononcé le 29 juillet 2020, dans lequel il a dressé le constat des insuffisances qui touchent particulièrement le domaine social, le secteur informel en faisant partie. Le souverain ajoute qu’il est temps de construire un modèle social plus inclusif (Texte du discours disponible sur le site du Ministère marocain des affaire étrangères, de la coopération africaine et des Marocains à l’étranger). Quelques mois plus tard, le Maroc décide de généraliser la protection sociale par une loi cadre adoptée en février. Ainsi, précise le ministre de l’économie marocaine, « 11 millions de citoyens indépendants et leurs familles bénéficieront de l’assurance maladie obligatoire de base en 2021 » atteignant un total de 22 millions de citoyens assurés contre la maladie(N. Kozlowski, Maroc : Mohammed VI lance la généralisation de la protection sociale : Jeune Afrique, avril 2021).

Cela prouve qu’il y a une véritable ambition d’assurer un développement social pour faire face à une éventuelle nouvelle crise sanitaire afin d’éviter d’avoir recours à un fonds spécial.