Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SÉNATORIALE SUR L’ACCIDENT DE LUBRIZOL : DÉCLENCHEUR D’UNE RÉFLEXION QUANT À LA GESTION ÉTATIQUE DES RISQUES INDUSTRIELS OU COUP D’EPÉE DANS L’EAU ? M. Baume

Marine Baume

Doctorante à l’Université de Haut-Alsace
Membre du CERDACC

 

Le Sénat, lors de sa session du 10 octobre 2019, avait adopté une résolution créant une commission d’enquête chargée de deux missions spécifiques. En premier lieu, il était question « d’évaluer l’intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l’incendie de l’usine Lubrizol ». Puis, dans une optique plus large, la commission devait « recueillir des éléments d’information sur les conditions dans lesquelles les services de l’État contrôlent l’application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences ».

Le rapport, présenté le 4 juin 2020 et intitulé « Risques industriels : Prévenir et prévoir pour ne plus   », répond pleinement à l’objectif attribué à la commission sénatoriale. il s’agit de tirer les conséquences de cet accident grâce aux nombreuses auditions d’acteurs intervenant à tous les stades des risques industriels. C’est en effet la gestion dans son ensemble, de la prévention aux conséquences de l’accident, comprenant le droit à l’information jusqu’au droit des assurances, qui a été examinée par la commission d’enquête. Le cœur du rapport est composé de deux parties traitant des deux temps forts d’un accident industriel et répond aux deux missions de la commission. L’analyse de la gestion de cet incendie et de ce qui a été réalisé ouvre les propos. Puis la commission appelle à la vigilance dans une réflexion sur ce qui serait opportun d’effectuer à l’avenir et suggère des pistes d’amélioration.

Un contraste saisissant émane de la première partie du rapport. La commission commence en mettant en lumière le point positif dans la gestion de cette catastrophe. Il s’agit de l’efficacité des intervenants du dispositif opérationnel mise en place dans la lutte contre l’incendie. Malheureusement, ce point semble être le seul ayant trouvé grâce aux yeux des membres de la commission. A tour de rôle, sont sévèrement jugés les autres mécanismes entourant une telle gestion de crise. Le droit à l’information, pourtant en pleine expansion, a par exemple subi les conséquences d’une gestion inadaptée au contexte actuel et appelée à évoluer afin de répondre à l’anxiété marquée de la population. Ceci est d’autant moins compréhensible pour la commission qui souligne que l’Etat n’a pas su mobiliser les ressources acquises lors d’un incident survenu en 2013 sur la même installation. Le système d’alerte utilisé est jugé dépassé et la communication des représentants étatiques est quant à elle qualifiée de défaillante. Ce défaut dans l’information du public concerné s’accorde mal avec l’importance du dispositif législatif en matière d’information environnementale. La commission constate un décalage entre le principe d’accès à l’information, inscrit aussi bien au niveau européen que national, et la pratique où s’esquissent de nombreuses limitations. C’est pourquoi la commission exige une  « application stricte » de ces différentes règles qui restreignent ce droit à l’information.

La commission poursuit ses critiques concernant la politique de prévention des risques industriels menée par l’Etat. Des « failles » dans la législation sont relevées, mais c’est surtout la mise en œuvre de la réglementation des ICPE qui inquiète la commission sénatoriale. Une situation bien connue des experts et acteurs de terrain est mise en avant par le rapport, celle d’un très grand nombre d’installations à risques face à des effectifs insuffisants d’inspecteurs chargés des contrôles. L’incapacité pour les services de l’Etat d’obtenir rapidement une liste fiable des substances stockées sur le site de Lubrizol est symptomatique des défauts de la gestion étatique actuelle. Le code de l’environnement prévoit une obligation pour l’exploitant de recenser les substances dangereuses présentes sur un site SEVESO. Une réglementation pertinente existe mais n’est pas appliquée. Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale constate ainsi de nombreuses défaillances de l’Etat dans sa « mission régalienne » qu’est la prévention des risques industriels. Les sénateurs émettent en réponse de nombreuses recommandations. Si celle appelant à contrôler les ICPE déclarées à proximité immédiate des établissements SEVESO est louable, elle pourrait rester lettre morte compte tenu des moyens alloués par l’Etat à cette mission de surveillance.  Une autre recommandation s’intéresse à une autre explication de l’inapplication de la législation. Outre le manque de contrôle, la commission relève l’indulgence de l’administration vis-à-vis des industriels. C’est ici le régime de la police des ICPE qui est directement mis en cause. Pour la commission il est nécessaire de définir une « politique de répression réactive et ferme ». Ces conclusions rejoignent ce que certains spécialistes du droit de l’environnement déplorent depuis des années, à savoir, l’inapplication de nombreuses règles environnementales et l’inertie des services de l’Etat à ce sujet.

Les sénateurs somment donc l’Etat de revoir sa copie tout au long de la chaîne de gestion de ces risques particuliers. Le champ lexical, rempli de nombreux adjectifs tels que « défaillant », « inquiétante », « préoccupant », « inadapté », démontre, près de vingt ans après l’accident d’AZF, que l’Etat doit réagir à ce « signal d’alarme ». Il ressort de ce rapport une image peu flatteuse de la gestion étatique des risques industriels qui devrait reposer sur une meilleure prévention. Celle-ci est possible et les instruments juridiques existent, reste à l’Etat de les mettre en œuvre. Cependant, la prévention n’est qu’un volet d’une gestion efficace des risques industriels. Le risque zéro étant délicat à atteindre, la commission estime qu’une réelle culture du risque fait défaut aujourd’hui en France. Cet aspect soulève de nombreuses questions juridiques, comme la protection du droit à la participation du public ou l’encadrement de la sous-traitance. Le droit aura à répondre à ces défis s’il veut suivre l’évolution de notre société pour une cohabitation harmonieuse entre les habitants et les sites à risques. Car, comme le conclut très finement ce rapport, « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés ». A quand un nouveau droit à être préparé aux risques industriels ?