Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES GÉNÉRATIONS FUTURES SERAIENT-ELLES HORS DE DANGER ? C. Liévaux

Chloé Liévaux,

Maître de Conférences contractuelle à l’Université de Lorraine,
Membre de l’IFG,
Membre associé du CERDACC

 

Cass. crim., 8 septembre 2020, n° 19-85.004, F-P+B+I

CA Paris, chambre de l’instruction, 3 juillet 2019.

 

La prise en considération des générations futures par le droit progresse, au même titre que sa protection. Elles prennent racine autour de « deux points cardinaux » que sont celui de la protection de la nature environnante des générations futures mais également celui de la nature humaine des générations futures (E. Gaillard, Générations futures et droit privé, vers un droit des générations futures, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 527, 2011, n° 15, p.13). L’on mesure alors que l’environnement se trouve être un terreau fertile à l’expression des générations futures qui sont ainsi prises en compte notamment par son truchement. Pour autant, une protection effective des générations futures reste à construire car elle ne trouve pas toujours à s’exprimer au travers des outils classiques, notamment de droit répressif. Dans la mesure où les générations futures n’ont pas d’habits juridiques, leur protection est bien souvent conditionnée par leur représentation. Le présent arrêt atteste des difficultés de représentativité des générations futures et plus limitativement, de l’environnement, dont les associations de protection ne trouvent pas toujours la possibilité d’exercer l’action civile répressive. Le droit encadre dans de rigoureuses limites l’exercice de l’action civile pour les associations ayant pour objet la défense de l’environnement. Deux voies leurs sont offertes pour exercer les droits reconnus à la partie civile selon qu’elles bénéficient ou non d’un agrément. Si elles n’en bénéficient pas, l’action des associations est soumise au droit commun qui, en vertu de l’article 2 du Code de procédure pénale, impose qu’elles puissent faire état d’un préjudice personnel directement lié à l’infraction en cause. Si elles bénéficient d’un agrément, les associations peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile dès lors que les faits portent un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre. Le présent arrêt rappelle avec constance et autorité ces limites mais se prononce également quant à la ratio legis de l’infraction de mise en danger d’autrui qu’il restreint à la protection des personnes sans prendre en considération l’impact d’une atteinte à l’environnement sur les personnes alors objet de protection.

L’association Générations futures dépose une plainte simple visant les carences des pouvoirs publics dans les actions susceptibles d’être menées pour lutter contre l’exposition des populations aux polluants atmosphériques pour mise en danger d’autrui. La plainte est classée sans suite et l’association dépose alors une plainte avec constitution de partie civile à la suite de laquelle le juge de l’instruction rend une ordonnance de refus d’informer dont l’association relève appel.

L’ordonnance de refus d’informer est confirmée par la cour d’appel sur divers motifs. La chambre de l’instruction relève que la faculté pour les associations agréées de se constituer parties civiles est un droit exceptionnel et que les dispositions légales qui accompagnent cette faculté sont d’interprétation stricte. A ce titre, c’est l’article L. 142-2 du Code de l’environnement qui prévoit la possibilité pour les associations de défense de l’environnement d’exercer les droits reconnus à la partie civile. Pour la cour d’appel, ce dernier ne s’applique que si l’infraction dénoncée, ici, la mise en danger d’autrui, est visée par l’article en question, ce qui n’est pas le cas. En outre, la cour ajoute que l’infraction de mise en danger d’autrui ne peut être assimilée à une atteinte directe à l’environnement, quand bien même elle pourrait résulter d’une atteinte à l’environnement. C’est alors que l’atteinte à l’environnement vise la protection du cadre de vie, de la nature et de l’environnement alors que la mise en danger vise la protection des personnes. De la sorte, la mise en danger d’autrui n’est pas applicable aux atteintes à l’environnement. La cour procède également au rappel des strictes des conditions dans lesquelles les associations peuvent se constituer parties civiles. L’action civile, en vertu des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, appartient à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. Cette exigence du préjudice personnel fait ici défaut car une association, personne morale, ne saurait souffrir d’un risque d’exposition d’atteinte à l’intégrité physique.

L’association forme un pourvoi en cassation. Elle fait notamment grief à la chambre de l’instruction de rejeter l’assimilation entre l’atteinte à l’environnement et la mise en danger alors même que de l’atteinte à l’environnement peut résulter une mise en danger. Cet argument prend appui sur la lecture proposée par la cour d’appel qui semblait considérer que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement protège le cadre de vie tandis que l’infraction de mise en danger vise la protection des personnes appelées à vivre dans ce cadre. Aussi, « en retenant […] que la mise en danger ne peut être assimilée à l’atteinte à l’environnement, lorsque ce délit implique, pour assurer la protection de la vie et de l’intégrité d’autrui, de veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée à son cadre de vie », la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences de ses propres constatations. L’association fait également grief à l’arrêt de rejeter la constitution de partie civile. Elle considère qu’en vertu du droit commun tel qu’énoncé par l’article 2 alinéa 1 du Code de procédure pénale, une association est susceptible de se constituer partie civile dès lors qu’elle peut arguer d’un préjudice personnel résultant directement de l’infraction. Elle reproche alors à la cour une lecture erronée de l’article 223-1 du Code pénal qui n’exclut pas expressément de son champ d’application les personnes morales. En outre, elle ajoute qu’une association est recevable à se constituer partie civile si l’infraction est susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs qu’elle a pour mission de défendre. Aussi, ayant pour objet la défense de la santé publique en lien avec les nuisances environnementales, elle considère avoir subi un préjudice direct et personnel découlant de ce délit, qui plus est en lien avec les intérêts collectifs qu’elle défend.

La Cour de cassation rejette les deux moyens. Ce faisant, elle confirme la lecture stricte et croisée des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement, confirmant également la pertinence de l’impossible assimilation de l’atteinte à l’environnement à une mise en danger d’autrui. En effet, pour ce qui concerne le premier moyen, la Cour de cassation retient que la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes spéciaux visés au moyen. Par cet énoncé, la Cour de cassation confirme que les dispositions spéciales de l’article L. 142-2, qui permettent aux associations agréées d’exercer l’action civile pour une atteinte directe ou indirecte au intérêts collectifs qu’elles représentent, est d’interprétation stricte et vise alors une liste limitative d’infractions aux dispositions législatives relatives à la protection de l’environnement dont la mise en danger ne relève pas. En vertu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, l’association ne saurait alors s’en prévaloir. Est également confirmée l’analyse selon laquelle l’environnement, et par voie de conséquence les générations futures, ne sauraient faire partie des valeurs protégées par l’infraction de mise en danger d’autrui. En effet bien que la mise en danger d’autrui pourrait se révéler être une conséquence d’une atteinte à l’environnement, elle ne peut être assimilée à cette atteinte elle-même. Pour ce qui a trait au second moyen, la Cour de cassation confirme l’analyse selon laquelle une association ne peut se prévaloir d’un préjudice direct et personnel qui résulterait du délit de mise en danger d’autrui. En effet, elle souligne à ce titre qu’ « en statuant ainsi, dès lors que l’association n’était pas susceptible de subir un préjudice personnel, directement causé par le délit dénoncé de mise en danger d’autrui, la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ». Ce faisant, la Cour de cassation confirme le raisonnement de la chambre de l’instruction relativement au champ d’application des dispositions relatives aux modalités selon lesquelles une association peut se constituer partie civile. En vertu du droit commun, les associations non habilitées doivent, selon l’article 2 du Code de procédure pénale, pouvoir faire état d’un préjudice personnel directement lié à l’infraction en cause ici la mise en danger d’autrui. En retenant que l’association n’était pas susceptible de subir un préjudice personnel directement causé par le délit dénoncé la Cour de cassation confirme l’impossibilité pour une association personne morale d’accéder au statut de victime de l’infraction de mise en danger d’autrui visant selon elle seulement les personnes physiques.

Cet arrêt limite inévitablement l’action des associations de représentation de l’environnement mais limite également doublement le champ d’application de l’infraction de mise en danger d’autrui. En considérant, sur les fondements croisés des articles L. 142-2 du Code de l’environnement et 2 et 3 du Code procédure pénale, que l’association ne pouvait arguer d’un préjudice collectif aux intérêts qu’elle défend, la Cour de cassation limite le champ d’application de l’infraction de mise en danger par une restriction de la portée de sa ratio legis. Définie par l’article 223-1 du Code pénal comme « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », cette infraction tend à l’évidence à la protection des personnes. Pour autant la Cour de cassation, en optant pour la solution selon laquelle une association qui représente l’environnement et donc le cadre de vie des personnes ne saurait arguer d’une mise en danger des personnes, considère l’environnement comme hors du champ d’application de l’infraction. Une telle solution semble curieuse si l’on s’attache à l’analyse proposée par la chambre de l’instruction selon laquelle de l’atteinte à l’environnement pourrait résulter l’atteinte aux personnes. Sans doute eut-il été plus judicieux de s’attacher à la recherche du caractère direct de l’exposition d’autrui qui pourrait résulter de l’atteinte environnementale en cause. Plus classiquement et de manière peut-être moins contestable elle exclut les personnes morales du champ d’application du délit de mise en danger d’autrui. C’est en effet par le truchement du droit commun de l’action civile que la Cour de cassation considère qu’une association, personne morale, ne saurait se prévaloir d’un préjudice personnel résultant directement de l’infraction en cause qu’elle limite le champ d’application de l’infraction aux personnes physiques.