Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LUTTER CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, ENCORE ET TOUJOURS, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences en droit à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019

 

D’une proposition de loi prévoyant la lutte contre les violences faites aux femmes, on a abouti à une nouvelle réforme, étape importante dans la prise de conscience d’un fléau qui frappe de trop nombreuses familles. La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences en famille (JO du 29 décembre2019 A LIRE ICI ) complète le dispositif existant en développant des outils déjà en place et qui ont montré leur utilité, tout en préconisant des mesures visant à les renforcer. La loi a changé de nom pour mieux appréhender le phénomène dans toute sa globalité. On ne saurait se limiter à organiser la protection des femmes car des hommes peuvent être tout autant victimes et surtout, la lutte doit englober la protection des enfants, donc de toute la famille.

Mots clef : Violences conjugales – violences en famille – renforcement des dispositifs de lutte – précisions relatives à la délivrance de l’ordonnance de protection – réflexions relatives au logement des victimes – aides financières en vue du relogement – amélioration de l’utilisation du bracelet anti-rapprochement – développement du téléphone « grand danger » – application mobile traitant des démarches à accomplir par les victimes – exclusion de l’exercice de l’autorité parentale – retrait de l’autorité parentale – délégation d’autorité parentale – incidence sur les pensions de réversion en cas de mort du conjoint victime.

Une nouvelle fois, le législateur s’est attelé à la tâche pour tenter d’endiguer les violences conjugales et améliorer tant le soutien apporté aux victimes que leur accompagnement. Il tient aussi clairement compte des victimes indirectes, lesquelles doivent être autant sauvegardées que les victimes directes, proposant des solutions adaptées aux familles avec enfant.

Ce texte, qui n’est pas totalement innovant, a le mérite de renforcer le dispositif existant et de permettre une meilleure mise en œuvre des différents moyens de lutte, rassemblés au fil des années. Il prévoit des mesures concrètes qui, espérons-le, pourront véritablement venir en aide aux victimes, évitant que l’on soit obligé de dénombrer des décès de femmes, mais aussi parfois d’hommes, sans oublier d’enfants. Avec de nouveaux moyens d’anticipation et de prévention, des protections mieux adaptées, des réflexions sur le relogement des familles, le législateur espère éviter de tels drames mais il améliore aussi l’accompagnement des victimes, assurant mieux leur protection.

Avec ce nouveau texte qui comporte 19 articles, tous très importants, le législateur entend améliorer la prise en compte des agissements violents en partant d’abord de différents moyens de lutte qui ont déjà pu faire leur preuve. Il développe aussi de nouvelles pistes en vue d’aider les victimes principales mais aussi leurs enfants, enfin reconnus comme des victimes à part entière et, non, comme de simples témoins.

I – L’amélioration des dispositifs existants

Face à un véritable fléau social, des lois se suivent pour tenter d’éradiquer les violences conjugales mais la tâche du législateur est délicate car il faut aussi changer les mentalités. Sur ce point, une loi de plus ne sera jamais une loi de trop. Même si cette réforme de 2019 n’apporte pas vraiment de changements novateurs, elle rappelle que rien n’autorise un conjoint, un concubin ou un partenaire à violenter la personne avec laquelle il vit en couple et à faire souffrir conséquemment les enfants accueillis sous le toit familial.

Il est bon aussi de revenir sur des moyens mis en place lors de précédentes réformes pour les rendre plus performants et, partant plus utiles.

Tel est le cas notamment de l’ordonnance de protection. Issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce qui avait introduit un référé-violence dans l’alinéa 3 de l’article 220-1 du Code civil, avant d’être modifiée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, cette ordonnance de protection, insérée dans les articles 515-9 et suivants du Code civil concerne tous les couples mariés ou non, de sexes différents ou de même sexe, même une fois qu’ils ont rompu toute relation. Elle permet de mettre en place des mesures en toute urgence et, en particulier, d’interdire au conjoint violent de continuer à vivre au domicile conjugal.

Son dispositif est étoffé par la loi du 28 décembre 2019 qui prévoit l’éviction du conjoint violent, le possible relogement du conjoint victime, l’interdiction de porter une arme mais surtout peut désormais être mise en place avant même que la victime se décide à porter plainte : « sa délivrance n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable ». On sait combien une telle démarche est difficile à mener à bien quand on ne parvient pas à se mettre à l’abri. Autre apport significatif : elle peut être mise en place, « y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation ». Enfin, le fait qu’il y ait urgence est mieux pris en considération avec le nouveau texte qui fixe un délai de six jours pour la délivrer, à compter de la fixation de la date d’audience par le juge.

Autre moyen d’éviter des drames en séparant la victime de l’auteur des violences, le bracelet anti-rapprochement voit son usage généralisé. Il s’agit d’un moyen technique pour géo-localiser les victimes grâce à un bracelet d’un côté et un boîtier de l’autre. Il fonctionne en temps réel, alertant rapidement les secours. Ce bracelet anti-rapprochement est généralisé par la loi nouvelle, rendu accessible aussi en cas de placement sous contrôle judiciaire, emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve et aménagement de peine.

Un décret en Conseil d’État va en préciser les modalités de fonctionnement, sachant qu’il faut obtenir le consentement des deux parties pour mettre en place ce dispositif électronique mobile anti-rapprochement.

Il est prévu que, dès cette année, mille nouveaux bracelets soient mis en service, ce qui permettra à la fois de géo-localiser les conjoints ou les concubins violents et de les maintenir à distance.

La loi insiste aussi sur le fait que les autorités policières qui reçoivent les plaintes des victimes doivent faire connaître à ces dernières ce dispositif protecteur (C. pr. pén., art. 15-3-2).

Une des mesures phares de la loi tient au téléphone « grave danger » (TGD). Le législateur entend encourager les victimes à y recourir pour qu’elles puissent être protégées au plus vite, de même que leurs enfants (C. pr. pén., art. 41-3-1). L’intérêt de cette mesure, c’est que ce téléphone « grave danger » peut être attribué à une victime qui s’est fait connaître sans que l’on ne doive plus attendre une décision judicaire, mais simplement parce que l’on a constaté qu’il y a urgence.

Désormais, le champ d’application étant élargi, le procureur de la République peut en effet en faire bénéficier la victime « en cas de danger avéré et imminent, lorsque l’auteur des violences est en fuite ou n’a pas encore pu être interpellé ou lorsque l’interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime […] n’a pas encore été prononcée ».

Toutes ces mesures permettent de sécuriser les victimes qui pourront rapidement obtenir l’aide des autorités de police et de gendarmerie.

II – Le recours à de nouveaux moyens de lutte ou de prise en compte des violences conjugales

La question du relogement des victimes a déjà été abordée dans d’autres textes mais la loi du 28 décembre 2019 tente une expérimentation intéressante.

Le législateur prévoit effectivement pour les trois ans à venir la possibilité de louer des logements à des organismes pour les sous-louer à titre temporaire à des personnes victimes de violences. Cette mesure devrait permettre de développer le parc locatif accessible mais surtout elle est accompagnée d’aides financières afin que les victimes, qui ont dû quitter précipitamment leur domicile, puissent assumer les frais liés au dépôt de garantie, aux garanties locatives et acquitter les premiers mois de loyer.

S’agissant du logement, il peut être souhaité par la victime de rester chez elle, aussi est-il intéressant de noter que le législateur prévoit une priorité pour la victime toutes les fois où le juge doit statuer sur la résidence séparée. Ainsi, pour des époux, d’une part, « à la demande du conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, la jouissance du logement conjugal lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée, et même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent » (C. civ., art. 515-11, 3°) ; pour des concubins, d’autre part, le juge doit « se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de concubins. A la demande du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin qui n’est pas l’auteur des violences, la jouissance du logement commun lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée[1], et même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent » (C. civ., art. 515-11, 4°). Si elle le souhaite, la victime pourra ainsi ne pas vivre un déménagement.

Pour mieux aider les victimes, leur communiquer toutes les aides qui existent, leur indiquer des personnes ressources sans tarder, une application va également être mise en place. Elle permettra à toute victime de violences « d’obtenir toutes les informations utiles relatives aux démarches à accomplir, aux professionnels du droit et de la santé installés à proximité de son domicile et susceptibles de l’aider ainsi qu’aux associations et services prêts à l’accompagner dans sa démarche ». Il est essentiel que les informations circulent rapidement et que les victimes sachent où s’adresser surtout en cas d’urgence vitale.

Dans un tout autre registre, la loi s’est aussi attachée à la question des pensions de réversion. La mort du conjoint est désormais prise en considération pour interdire à l’auteur des violences de devenir bénéficiaire de cette pension de réversion (CSS, art. L. 342-1-1 et L. 353-1-1). Il va, en effet, se la voir refusée quand il est – ou a été – condamné pour avoir commis un crime ou un délit à l’encontre de son époux assuré.

III – Une meilleure vision de la situation des enfants des couples

Même s’il n’est pas visé directement par les violences infligées au sein de sa famille, il est temps que l’on admette que les enfants sont bien plus que de simples témoins et que le parent auteur de violences infligées à son époux ou concubin présente bien un danger pour les enfants, dans le huis clos du foyer conjugal, sans personne extérieure pour leur venir en aide.

Afin que l’on puisse prendre la pleine mesure des souffrances infligées aux enfants lors des violences conjugales, même quand ils ne sont pas directement visés par les coups, les menaces, les pressions psychologiques, la loi nouvelle prévoit de suspendre de plein droit l’autorité parentale en cas de crime ou de poursuites pour crime. Elle met fin à un certain dogme qui conduisait à dire que ce n’est pas parce que l’on est un mauvais conjoint que l’on est nécessairement un mauvais parent.

Dorénavant, lorsque les père ou mère sont condamnés comme auteurs, coauteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant ou de l’autre parent, ils peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale par une décision expresse du jugement pénal.

Sans aller jusqu’au retrait de l’autorité parentale, c’est l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné (même de manière non définitive), pour un crime commis sur l’autre parent qui vont pouvoir être suspendus de plein droit jusqu’à la décision du juge (pour une durée maximale de six mois) ; il revient au procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales dans un délai de huit jours.

Le juge doit également tenir compte des violences conjugales lorsqu’il se prononce sur les droits de visite et d’hébergement, sachant « la décision de ne pas ordonner l’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance est spécialement motivée » (C. civ., art. 515-11, 5°). Il peut aussi supprimer même les rencontres médiatisées, simplement, il doit alors s’en justifier.

Qu’il y ait retrait de l’autorité parentale ou suspension de l’exercice de l’autorité parentale, l’enfant est doublement protégé : il est mis à l’abri des agissements violents mais continue à percevoir une pension alimentaire car la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ne cesse pas en pareille hypothèse (C. civ., art. 371-2). Ce parent y est tenu en fonction de ses ressources et des besoins de l’enfant, pendant toute la minorité de l’enfant et au-delà, tant que dure le besoin.

A ces mesures, la loi ajoute un cas de délégation d’autorité parentale lorsque l’enfant est devenu orphelin suite aux violences conjugales. En effet, si un parent est poursuivi ou condamné pour un crime commis sur la personne de l’autre parent ayant entraîné la mort de celui-ci, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui recueille l’enfant ou encore un membre de sa famille peut également saisir le juge et faire mettre en place une délégation de l’exercice de l’autorité parentale, totale ou partielle. Il importe de protéger l’enfant en le sortant de ce climat de peur et d’angoisse, nuisible à son épanouissement.

Par ailleurs, en matière de médiation familiale, en cas de désaccord sur l’exercice de l’autorité parentale, la loi encadre plus strictement l’exercice de l’autorité parentale en cas de « violences alléguées par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant ». Par conséquent, il n’est plus possible que le juge propose aux parents un protocole de médiation ou qu’il leur enjoigne de rencontrer un médiateur familial en cas de violences même simplement « alléguées » par un parent, c’est-à-dire sans même qu’elles soient déjà « commises ».

Cette loi du 28 décembre 2019 est une nouvelle étape vers l’éradication des violences conjugales, étape importante (Isabelle Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements dans la lutte contre les violences conjugales, Lexbase, n° 809, 16 janv. 2020) mais elle ne sera pas la dernière tentative pour endiguer ce fléau.

En effet, comme cela avait été annoncé en conclusion du Grenelle contre les violences conjugales (Isabelle Corpart, Après le Grenelle des violences conjugales, suppression de la coparentalité ? Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019, RJPF 2019-12/22), des députés ont déposé une nouvelle proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Cette proposition qui date du 3 décembre 2019 fera prochainement l’objet de débats et elle devrait élargir encore le dispositif de lutte.

Tout doit être fait pour que les habitudes et les mentalités changent aussi toutes les réformes qui ouvrent de nouveaux débats et clarifient les choses sont les bienvenues.

[1] On notera qu’à plusieurs reprises, le législateur exige que la décision du juge soit spécialement motivée, renforçant ainsi les obligations du juge.